L’édition 2007 de LeWeb3 était de l’avis général une réussite. En effet, le panel de speakers était impressionnant et couvrait un grand nombre de sujets intéressants et de manière synthétique et rafraichissante. Et avec plus de 1600 participants, cet événement est devenu la Mecque des rencontres entre startups et financiers en puissance. Seul bémol, l’atmosphère de "bulle" qui affecte la création de projets tout azimut et un peu farfelus. Plus qu’avant? Je ne sais pas trop, mais c’est l’impression que cela donnait.
Deux grands thèmes des interventions m’ont interpellé: la quête d’un Internet responsable et l’orientation utilisateur. Le tout mâtiné des inévitables digressions sur les réseaux sociaux, sur la musique et sur la vidéo. Je n’ai pas tout suivi comme il se doit, devant jongler entre sessions plénières, présentations de startups et discussions à tout bout de champs.
Vers un web responsable ?
C’est le premier thème qui m’a le plus agréablement surpris. Verrait-on émerger la notion de "Responsabilité sociale de l’Interne"? LeWeb3 est presque devenu pour cette édition à l’Internet ce que le Grenelle de l’Environnement était à … l’environnement. Loïc Lemeur a fait intervenir des personnalités mais également des entreprises ayant une vision réaliste des dangers de l’Internet et proposant quelques pistes pour les éviter. Histoire d’aller vers un Internet propre, comme cette voiture… Cela va devenir un positionnement intéressant pour les sites web dans le vent.
Ce thème était abordé sous plusieurs angles selon les intervenants:
Pollution. Jason Calcanis (du site Mahalo de recherche "humain" qui évite le spam) nous a dépeint une situation catastrophique de l’Internet, pollué par le spam. Pour lui, le search est détruit (c’est pour cela qu’il a créé Mahalo). Les faux blogs, le spam et la publicité spam d’affiliation pullulent. Usenet est devenu inutile. Il dénonce tous ces sites qui tolèrent ces pratiques, et ceux qui font de l’argent de l’argent de manière abusive. Et de recommander une attitude plus responsable, pas d’ignorer le piratage comme le fait YouTube. Et de citer, au delà de son propre site: Squidoo, un site de blogs noté par les lecteurs, Angie’s list, un site d’évaluation de services de proximité, Veropedia, un sous-ensemble de Wikipedia avec des articles validés par une équipe rédactionnelle (mais fonctionnant avec un modèle publicitaire…), Hulu, un site de partage de vidéos légales, Techmeme (meilleur que Technorati). Et de conclure qu’il vaut mieux compter sur une discipline des sites et des utilisateurs et éviter l’intervention des gouvernements. Ce qui n’est pas évident compte tenu de la popularité moyenne de tous ces sites "responsables". Seront-ils l’équivalent du bio : une minorité dans la consommation?
Identité et vie privée. Avec notamment Dan Rose de Facebook ainsi que Jaewoong Lee, un corée de Daum Communications, évoquant la schizophrénie des Internautes qui veulent à la fois préserver leur vie privée et éviter les contrôles. Mais de privilégier tout de même la vie privée au détriment de toute forme de contrôle. Chez Facebook la moitié des 57 millions d’utilisateurs (1,2 en France), reviennent tous les jours (heum, c’est normal, ils sont spammés par les autres utilisateurs, le système s’auto entretient à faire perdre du temps à ses utilisateurs) et alimentent 50000 mini réseaux sociaux. Il n’y a pas de valeur à entretenir une fausse identité sur Facebook. Dan Rose a aussi évoqué le système de publication d’activités web Beacon qui a été lancé simultanément avec un programme de publicité, d’où la confusion des genres et les craintes sur la vie privée. Il s’agissait pour lui de donner du contrôle aux utilisateurs sur les informations qu’ils diffusent! En tout cas, le danger est réel de divulguer trop d’informations sur sa vie privée sur Facebook et le site devra généraliser les outils "d’opt-in" pour limiter les dégâts. On a aussi appris une chose intéressante: 200 chinois (sous-traitants) gèrent la censure sur des sites de réseaux sociaux de Corée du Sud. Le comble!
Bullshit. C’était le thème de la présentation de Doc Searls, bloggeur et éditorialiste connu aux USA et auteur de la maxime "Les marchés sont des conversations". Alors, tout y passe: il raille la mode du social networking, montre un générateur de bullshit adapté au Web 2.0 : Bullshitr, annonce la fin prochaine de la publicité à l’ancienne (ie: Google AdSense). Et présente son Projet VRM, un outil de gestion de relation avec des fournisseurs, une sorte de contraposée du CRM créé à Berkeley. Du social shopping en quelque sorte! Et hop, un point au bullshitomètre! Lisez sinon ce post de sa part qui égratigne le Terminal 1 de CDG!
Entreprises. JP Rangaswami de British Telecom était très cynique sur les grandes entreprises. Pour lui, la structure crée la stratégie et les organisations ne sont généralement pas conçues pour le partage, d’où l’échec de toutes les tentatives de "social networking" et même de web 2.0 au sein des entreprises. Il faut restructurer les entreprises pour les pousser à faire travailler ensemble leurs silos.
Créer. Belle intervention de Dan Dubno, une sorte de Jérôme Bonaldi américain (à droite), travaillant pour CBS et qui se référait à son antisèche! Il explique comment il a intégré des nouveautés technologiques (affichage 3D, imagerie satellite, etc) chez CBS malgré les résistances et en tirant parti des grands événements à couvrir comme les catastrophes naturelles. Et surtout pourquoi il faut pousser les enfants à bricoler et casser les objets, pour les inciter à recréer ensuite. Bref, une manière de réapprendre à construire! Très inspirant pour ceux d’entre nous qui ont des enfants!
Risque. Belle intervention inspirante de Martin Varzawsky (créateur de Fon et grand investisseur). J’ai surtout noté sa remarque sur les riches en Espagne qui investissent dans l’immobilier et pas dans l’innovation. Chez nous, ce son les beaux arts, comme je le relevais dans la troisième partie de mon CR de visite dans la Silicon Valley. Conséquence: pas assez d’argent investi dans le risque en Europe. Un paradoxe car il y a beaucoup d’argent, y compris dans le capital risque. Sinon, il pointe les évolutions positives de la fiscalité en Espagne et en Europe qui favorisent l’investissement dans l’innovation et le besoin d’un meilleur équilibre sur le droit du travail. Au passage, il égratigne le manque de maitrise de l’anglais dans les pays de l’Europe du Sud, France comprise.
Orientation utilisateur et design
Seconde thématique en filigrane de ce Web3: l’impératif de l’orientation utilisateur, le besoin de design, notamment autour du social. Avec en vrac :
Faire plus avec moins. J’ai bien aimé cette intervention de Evan Williams, cofondateur de Twitter et promoteur du minimalisme en matière d’interface utilisateur. Pour lui, il y a une belle opportunité de création de valeur en enlevant des fonctionnalités à des services existants. Twitter est ainsi né de la spécialisation autour de la fonction "status" des messageries instantanées. Les interfaces les plus simples sont celles qui sont les plus utilisées, Google Search en premier. Et de montrer une formule claire se résumant à :
Ergonomie = 1 / (nombre de clics + touches claviers + mouvements souris + charge cognitive)
L’écosystème de Twitter utilise des données simples via les API Twitter pour créer des services plus sophistiqués, tel que Twitteriffic. Autres exemples, à commencer par Fotolog, un équivalent de Flickr qui permet de publier qu’une photo par jour et par utilisateur, mais qui ont plus de commentaires. Cela pousse à une meilleure qualité du contenu. Puis des sites de rencontres avec une photo et un simple clicc "oui/non" au lieu d’un profiling complet. Pourquoi pas des réseaux sociaux qui forceraient les utilisateurs à n’avoir qu’un nombre limité d’amis?
Raconter des histoires. C’était le retour de l’intervenant star de l’année dernière, Hans Rossling avec les mêmes extraordinaires graphiques animés de GapMinder (maintenant chez Google) permettant de comprendre les effets de la mondialisation. Et surtout un message: il faut savoir raconter de belles histoires pour comprendre l’évolution du monde et ne pas se contenter de données.
Quelques exemples avec l’histoire de la Suède dont les progrès en matière de santé et d’économie lui ont fait traverser le niveau de tous les pays d’Afrique actuels en deux siècles.
Il nous a aussi montré la course du progrès (PNB/habitant et mortalité infantile) entre la France et Singapour, ce dernier ayant gagné récemment ! Idem entre France et Turquie qui se rapprochent du point de vue de la mortalité infantile et du nombre d’enfants par femme. Et d’en déduire qu’il faudrait que les français acceptent la Turquie dans l’UE, ce qui est un peu rapide. Au même titre que les Suédois ont accepté d’y entrer malgré leur peur du foutoir français…
Et de recommander d’investir dans les hôtels à Paris et pas dans la technologie. Au même titre que Venise, devenu attraction touristique, était la capitale du commerce européen au 16eme siècle. Sur les émissions de CO2, il recommande de prendre en compte les valeurs par habitant, qui placent la Chine et l’Inde dans la moyenne mondiale, et pas les valeurs absolues, poussées par les occidentaux.
Design. Intervention un peu psychédélique de Philippe Stark, devenue vraiment intéressante lorsqu’il a commenté le design de l’ebook d’Amazon, le Kindle. En gros, le design, c’est de ne pas forcer sur le design. Il montre les angles du Kindle qui sont de trop et ont été ajoutés par un designer.
Et de recommander de voir au delà de l’horizon, en traitant indirectement de gogos ceux qui n’y arrivent pas, avec un discours métaphorique que je résume avec le schéma suivant :
Culture. Présentation corporate standard de Nelson Mattos de Google sur le rôle de la culture dans la société. Autant une culture d’entreprise tournée vers l’innovation que la prise en compte des différentes cultures dans l’offre de Google. Trois facteurs de succès de l’innovation guident Google: culture, vitesse et collaboration. Les utilisateurs d’abord, la monétisation ensuite (discours valable, mais surtout pour les entreprises riches). Il faut prendre en compte les 90% de la population mondiale qui ne comprend pas l’anglais. Bien vu pour une boite américaine, et le speaker était … brésilien.
Surface. Shahram Izadi de Microsoft Research Cambridge (UK) présentait Surface comme étant l’une des trois grandes innovations récentes d’interface utilisateurs avec la Wii et l’iPhone (il en est à l’origine)! Pas faux mais Surface est encore à l’état de prototype, d’autant plus que Microsoft va certainement s’appuyer sur des constructeurs (courageux et téméraires) pour les commercialiser. La véritable innovation de Surface, c’est que c’est une interface utilisateur graphique multiutilisateurs.
RSS Photos. Dave Winer, pionnier du RSS et du podcasting, qui présente un système équivalent pour les photos haute définition, qui mélange vos photos personnelles et des photos d’agence de presse. Sorte de "Picture Feed Reader".
Observations générales
Voici sinon quelques observations générales sur cette édition du Web3 :
Oraliture. C’est le retour à l’oralité mais par l’écrit : le SMS, le microblogging et le tagging en sont l’illustration. On n’écrit plus. On parle et on écrit ce que l’on parle. C’est la transcription de l’oralité. Cette évolution de la communication n’a pas été évoquée dans LeWeb3 et pourtant, elle marque durablement le paysage où le contenu baisse (en quantité au moins) sur les blogs, au profit de connexions dans les réseaux sociaux et autres transcriptions de flux Twitter dans les blogs. J’ai trouvé ainsi qu’il y avait moins de commentaires dans les blogs sur cette édition de LeWeb3. La dernière avait il est vrai généré plein de baratin lié à l’intervention de Nicolas Sarkozy. Par contre, on trouve plus de 8400 photos sur LeWeb3 dans Flickr! Quel fouilli! Alors, je me positionne donc dans l’anti-oraliture: des posts longs dans ce blog, à l’opposé de la limite des 140 caractères de Twitter, et mes photos ne sont pas dans Flickr, mais intégrées à mes posts, avec une histoire autour! Voilà ce que c’est de ne pas être dans la Génération Y!
Féminitude. Elle était autant dans l’organisation (Géraldine Lemeur, excellente keynoteuse avec un anglais parfait) que dans l’audience. Et les femmes représentaient plus de la moitié des interventions dans les questions de la session plénière, telles que celles d’Amina, mannequin geek habituée du lieu et créatrice de Fashion 360 (ci-dessous à droite). Sinon, les femmes sont aussi représentées par le lot d’agences de relations publiques, de communication et de recrutement présentes au salon. Un grand classique.
Politiques. Ils étaient juste dans l’assistance d’après Loïc Lemeur (lesquels?). Normal: il n’y avait que Kadhafi de disponible cette semaine là! Et ce n’est pas un pote de Yossi Vardi (qui avait fait venir Shimon Perez l’année dernière).
Stands. Les sponsors et partenaires de la conférence avaient leur stand. Etonnant de voir des startups comme Zong disposer d’un tel outil marketing. Chez les boites "riches" il était marrant de voir l’opposition entre le stand Microsoft (pauvre mais avec de vrais gens de la boite) et de Google (riche mais sans vrais gens de la boite).
Celui d’Ads-Click jouait dans la différence: grand panneau lumineux et sofa avec wifi en dessous.
Pitance. Le Web3 est une trademark de la bonne pitance pour ses buffets. Petit détail tout de même: les buffets étaient délicieux (foie gras thaïlandais, confit de canard, fruits dans la fondue au chocolat), mais il n’y avait pas de fromage à pâte dure! Incroyable!
Macintosh. Ils sont omniprésents dans ce genre d’événements. Le Mac est très utilisé dans le monde de l’entrepreneuriat et ceux qui y sont arrivés en provenance de Windows disent ne jamais y retourner. Il y avait cependant un peu moins de laptops dans les rangées pour les sessions par rapport à il y a deux ans à la Porte de Champerret et l’audience était plus attentive. Normal: c’était à l’origine une conférence pour bloggeurs!
Networking. La plupart des participants viennent pour cela! Et cela networkait un max au Web3.
Bourré. C’était l’état apparent d’un intervenant, un VC, dans une table ronde du deuxième jour au petit matin. Il avait trop fêté pendant la soirée de la veille. C’est ça l’effet "bulle"!
Prochain épisode, le tour d’horizon des startups présentes à LeWeb3.
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Merci pour ce compte rendu dont la qualité contraste agréablement avec ce qu’on peut lire ailleurs.
My pleasure!
J’ai fourni quelques pointeurs sur d’autres CR intéressants de la conférence dans mon second post (sur les startups, à la fin).
Bravo Olivier, encore une fois, je te délivre au nom du Web 5.3 le grand prix du meilleur compte-rendu 😉
/Olivier, l’autre
S’agissant du VRM, je ne pense pas qu’on puisse qualifier cela de bullshit : le VRM est au CRM ce que le RSS est à l’email. Il permet en passant d’une communication push à une communication pull de remettre le récepteur au pouvoir.
J’ai écrits deux billets sur les questions de push/pull d’une part, et broadcast/pluricast d’autre part qui aboutissent à un troisième billet croisant ces deux dimensions dans une classification des médias. Enfin un quatrième sur le VRM…
Joss, je me suis mal exprimé. Le point sur le bullshitomêtre faisait référence à la présentation de Doc Searls qui associait étroitement social network à bullshit.
Le projet VRM est intéressant en soi, c’est une variante précise et commerciale du social networking, le social shopping.
Rapport très juste et détaillé du web d’aujourd’hui, malheureusement je ne crois pas trop aux moteurs type people powered (soi-disant, comme Mahalo) et autres nouvelles niches du genre contenu légal et noté ‘only’, lorsque cela aura suffisamment d’importance par rapport au reste, il y aura toujours des petits malins pour les détourner à d’autres fins, on peut tout automatiser et ainsi va le monde.