J’ajoute ici une sixième partie non prévue initialement à ma récente série de cinq articles sur le phénomène de l’uberisation. Il s’agit de traiter de la dimension financière du sujet et notamment, du financement des startups en mal de disruption d’acteurs établis.
L’uberisation est en effet étroitement associée à un phénomène relativement récent : les énormes financements des startups prometteuses, surtout aux USA.
On a ainsi vu apparaitre ces startups dénommée “unicorns”, une appellation inventée fin 2013. Ce sont des startups valorisées à plus de $1B après une levée de fonds et bien avant leur introduction en bourse ou leur acquisition. L’article “The age of the Unicorns” de Fortune, paru en décembre 2014, décrit bien cette tendance avec ses hauts et ses bas. Le schéma ci-dessous en est extrait. Il présente les startups ayant les plus grandes valorisations post-levées de fonds. Les deux plus grandes sont Uber et Xiaomi. Ce dernier est un constructeur de smartphones chinois qui est devenu en quelques années le troisième constructeur mondial, juste derrière Apple et Samsung. Grâce notamment à une stratégie de vente directe aux consommateurs, court-circuitant les opérateurs télécoms chinois.
On constate ainsi des valorisations de startups de plus en plus élevées au gré de leurs levées de fonds ainsi que des acquisitions réalisées à des niveaux de prix semblant disproportionnés par des géants relativement récents qui profitent de leur cash et de leur propre valorisation boursière.
Le phénomène a été amplifié en 2014 qui a été une année record du financement des startups dans le monde et aussi d’acquisitions. Celles d’Instagram ($1B par Facebook en 2013), de Nest ($2B par Google en 2014), Beats ($3B par Apple en 2014) et Whatsapp ($19B encore par Facebook et aussi en 2014) ont marqué les esprits. Elles faisaient suite, pour deux d’entre elles, à l’introduction en bourse de Facebook. Le phénomène s’est aussi développé en Asie et particulièrement en Chine. Le boom des startups y est alimenté par celui des mobiles et du commerce en ligne (source) avec un triplement des investissements en 2014 par rapport à 2013.
La Silicon Valley qui domine les investissements mondiaux est de son côté passée de $13,9B à $24,7B d’investissements entre 2013 et 2014. Et les USA sont passés de $30B à $48B d’investissements par les VCs entre 2013 et 2014.
C’est un record jamais atteint, même avant la crise des subprimes. A cette époque, les montants levés dans le capital risque étaient situés aux alentours de $30B. L’abondance des capitaux disponibles en 2014 a permis d’entretenir ces méthodes de financement très agressives. On assiste à une véritable surchauffe, que l’on retrouve dans tous les étages des écosystèmes d’innovation et notamment dans les structures d’accompagnement à l’amorçage, accélérateurs en tête.
Les fonds investis ont aussi quelque peu augmenté en Europe, mais celle-ci reste toujours à la traine. Alors que son PIB est supérieur à celui des USA, le capital risque européen ne représente qu’environ un tiers de son équivalent américain. Malgré l’émergence des “super-startups” européennes (Spotify, etc), les startups américaines bénéficient d’un effet de levier financier qui n’a pour l’instant d’égal que celui que l’on commence à trouver en Chine. Pour les grandes levées de fonds, les startups européennes se tournent d’ailleurs presque systématiquement vers les VCs américains. En s’installant évidemment totalement ou partiellement aux USA au passage.
Les méga-levées de fonds d’Uber
Qui dit valorisations élevées dit levées de fonds plus grandes que l’habitude. Le terme de l’Uberisation n’est pas lié au hasard d’un choix éditorial porté sur les taxis. C’est aussi la startup qui a battu le record des plus grandes levées de fonds avec $5,9B de récoltés à ce jour, avec une valorisation de plus de $40B atteinte lors de la dernière. Tout ça pour une simple application mobile ! Une partie de ces $5,9 ne sont pas des financements dilutifs avec entrée dans le capital, mais juste de la dette. La symbolique est tout de même là !
La stratégie des investisseurs d’Uber ainsi que dans les startups qui ont levé plus de $200m ces dernières années est assez facile à décoder : elle consiste à faire des paris sur les leaders de segments émergents et de les saturer en moyens financiers pour créer le plus rapidement possible des monopoles de fait et asphyxier les concurrents. L’objectif financier est aussi d’optimiser le retour sur investissement de ce qui est censé devenir la “pépite” des fonds d’investissements.
Le surfinancement de ces startups créé un avantage concurrentiel indéniable : la possibilité de tenir longtemps, notamment en faisant des pertes, mais aussi de casser les prix et de se développer rapidement à l’international. Il soutient une véritable stratégie de blitzkrieg entrepreneurial.
La stratégie des investisseurs consiste aussi à retarder l’IPO de la startup pour qu’elle intervienne à un haut niveau de valorisation, à l’image de celle de Facebook lors de son introduction en bourse ($90B), et à en maximiser le rendement.
Les sources de financements des unicorns
J’ai pu récupérer le contenu complet de la Crunchbase, l’une des bases les plus complètes de startups au monde avec leurs données de financement. Elle est très bien actualisée, documentant notamment la majorité des levées de fonds des startups. On y trouve plus de 440 startups qui ont levé plus de $200m. La répartition de leur année de création comprend un pic en 2007. Est-ce lié au nombre d’année qu’il faut en moyenne à une startup pour maturer ? Ou bien au phénomène des smartphones qui a démarré cette année-là ? Cela montre que les “unicorns” ne sont pas juste des jeunes pousses, mais le plus souvent des startups qui ont fait un minimum leurs preuves, en attirant au minimum des dizaines de millions d’utilisateurs voire en générant déjà un bon chiffre d’affaire.
Les financements de plus de $100m sont cependant parfois étonnants : Snapchat a levé $747m et Pinterest $762m alors qu’Instagram, qui était sur un créneau voisin autour du thème du partage de photos, n’avait levé que $57m. $747m pour une simple application mobile ? Ca commence à faire beaucoup !
La comparaison est encore plus frappante lorsque l’on intègre dans le tableau les cas de Google qui n’avait levé que $25m entre sa création en 1998 et son IPO en 2004, ou Amazon, qui n’avait de son côté levé que $8m et eBay, encore moins : $6,7m, tout comme Yahoo!, qui s’était contenté de $6,8m à son démarrage. Ces montants plus faibles ne les ont pas empêchés de devenir des géants, surtout Google et Amazon. Mais ils ont été introduits en bourse plus rapidement et avec des valorisations de départ plus modestes : $23B pour Google en 2004 à comparer aux $90B de Facebook en 2012. Et surtout, en tout cas pour Google, ils sont devenus profitables plus rapidement.
Les startups très bien financées de ces dernières années le sont-elles avec des véhicules traditionnels ? Oui et non. Les premiers tours restent assez traditionnels avec des business angels suivis de tours de financement de sociétés de capital risque établies. On y trouve des “usual suspects” américains tels que Accel Partners, Andresseen & Horowitz, Benchmark Capital, Kleiner Perkins Caulfield & Byers ou Sequoia Capital, les leaders de Sandhill Road à Menlo Park près de Palo Alto. On les retrouve derrière les gros financements tels que ceux d’Instagram, Snapchat, Twitter, Groupon, Dropbox ou Airbnb.
Mais cela se cumule à d’autres phénomènes de l’investissement dans les startups :
Premier phénomène : l’augmentation des investissements de corporate venture, en particulier issus de Google, Intel ainsi que de groupes étrangers comme le russe DST, les chinois Tencent ou Alibaba. On voit ci-dessous le poids qu’ils représentent dans la Crunchbase (les montants sont en dollars) :
Second phénomène : l’intervention de hedge funds et de fonds d’investissements plus traditionnels tels que Morgan Stanley ou Goldman Sachs qui financent notamment de la dette comme dans Uber ou Square pour ce dernier. Ils investissent aussi dans des tours de “séries C, D, E, F”, c’est-à-dire lorsque la startup est en forte croissance et que le risque d’investissement est beaucoup moins élevé qu’en série A.
Dernier phénomène : l’arrivée relativement récente de divers fonds souverains comme ceux du Qatar ou de Singapour. Ceux-ci peuvent avoir tendance à créer une bulle inflationniste dans les valorisations.
Les startups françaises qui peinent à trouver 1m€ à 3m€ doivent bien se demander ce que l’on peut bien faire avec $500m ! Le principe est que cela permet de croitre très rapidement et de tenir longtemps. Au nez, $1m permet de se payer 5 à 7 développeurs (dans la Silicon Valley), ou bien 10 à 20 personnes en marketing et vente. On peut donc financer au nez une centaine de personnes avec environ $15m. Comptez le double pour créer cinq filiales d’une vingtaine de personnes. Ce qui nous met à $30m par an. Il faut ajouter plein d’autres dépenses et notamment le budget marketing et les opex, ce qui va nous mener à $50m. Mais la startup est normalement en croissance. Et même si elle bénéficie d’économies d’échelle, ses effectifs vont croitre rapidement. La startup va générer de la croissance et si possible du revenu. Les $500m couvriront les pertes jusqu’à ce que la société devienne profitable.
Prenons le cas de Twitter qui a levé au total $1,1B. Ses deux dernières années fiscales ont généré $664m et $1,4B de chiffre d’affaire, mais respectivement $645m et $577m de pertes. Les années précédentes, ils avaient perdu $79m (2012), $128m (2011) et $67m (2010). Chose étonnante, leur budget de R&D en 2014 ($691m) était voisin de leurs pertes ! Et pourtant, ils ont encore $3,6B de cash dans leur bilan. D’où viennent-ils ? Entre autres, de leur introduction en bourse réalisée en 2013 et qui leur avait permis de récolter $1,8B.
De son côté, LinkedIn a levé en tout $206m, dont $81,7m après son introduction en bourse. En 2014, il faisait $2,2B de CA et une petite perte de $16m. Côté valorisation, Twitter en est à $30B et LinkedIn à $33B. Allez comprendre ! En fait, leur valorisation est plus ou moins indexée sur leur nombre d’utilisateurs et ils sont du même ordre de grandeur pour ces deux sociétés.
Un investissement de $200m à $500m dans une startup est aussi à mettre en perspective avec des investissements sur de nouveaux projets innovants dans les grandes entreprises. Combien d’entre elles font des paris à ce niveau d’investissement ? Ils ne doivent pas être si fréquents que cela, sauf dans les industries lourdes ! A fortiori, ces investissements étaient et restent toujours inaccessibles pour les professions fragmentées (médecins, taxis, métiers du droit, agences immobilières, agences de voyage, PME, etc). Si, de surcroit, la startup qui investit un tel marché s’attaque à des clients fortement insatisfaits comme dans le cas des taxis, c’est un véritable boulevard qui s’ouvre à elle !
Identifier les secteurs uberisable via les levées de fonds ?
Est-ce qu’en observant les méga-financements de startups, on peut anticiper l’uberisation de nouveaux secteurs d’activité ?
On peut s’en faire une idée, mais à ce stade, on ne peut que confirmer des tendances déjà établies comme le montre la “hit list” de grandes levées de fonds du schéma suivant.
En effet, les investisseurs suivent des effets de mode et on trouve toujours des “queues de comètes” d’investissements dans des secteurs déjà bien saturés, comme dans le retail. On va aussi trouver des investissements dans des géographies différentes, comme Didi-Cache qui intermédie les taxis en Chine, au lieu de s’appuyer sur des VTCs comme Uber.
Ce sont les startups qui lèveront entre $1m et $20m en 2015 et 10 fois plus en 2016-2017 qui menaceront les positions d’acteurs établis en 2018-2022 ! Elles sont encore sous le radar !
Prenons quelques secteurs clés :
- Si l’on observe les investissements par secteur d’activité comme avec le tableau ci-dessus qui intègre tous les investissements (business angels, VCs, autres) par secteur entre 2009 et 2014, on se rend compte que la santé, tant côté biotech que medtech et e-santé, reste dominante dans l’investissement. L’uberisation de ce secteur ne fait que démarrer et n’est liée qu’à une partie des investissements, ceux qui touchent à la e-santé. Dans les grandes levées de fonds réalisées par des entreprises françaises, on trouve quelques startups biotech bien financées comme NicOx ($149m, diagnostics dans l’ophtalmologie), SuperSonic Imagine ($140m, introduit en bourse, échographie musculaire), Innate Pharma ($134m, introduit en bourse, anticorps monoclonaux contre le cancer et les maladies chroniques inflammatoires), ERYTech Pharma ($86m, introduit en bourse, thérapies anti-cancer) et Implanet ($84m, prothèses du système osseux). Mais les biotechs ne relèvent généralement pas d’innovations de services à même de bouleverser des secteurs entiers de la sphère médicale. Elles peuvent surtout augmenter la durée de vie des patients et réduire les coûts, à terme, de certains traitements. Il y a en fait un lien étroit entre les progrès dans les biotechs et le business des assurances de santé. L’uberisation peut donc aussi concerner des marchés adjacents des professions médicales !
- Dans le ecommerce, les investissements restent toujours très importants. Les cibles sont les retailers petits et grands et dans divers créneaux spécialisés. Il y a aussi beaucoup d’investissements dans la livraison de plats frais. On trouve aussi quelques investissements autour du concept de “Web to store” et des Beacons. Mais il n’y a pas énormément de levées de fonds dans ces domaines. Le ecommerce se développe surtout beaucoup en Asie et en Chine. Et notamment le commerce mobile. Quand on observe que certains malls commencent à fermer aux USA, on peut se dire que l’uberisation du retail n’est pas terminée ! Même si celle-ci peut-être aussi attribuée à la désertification industrielle des régions concernées, ici dans l’Ohio (le “Rolling Acres Mall” de Akron).
- Les greentechs sont le troisième secteur d’investissements. Il y eu beaucoup d’échecs dans le solaire, où de nombreuses sociétés se sont lancées dans avoir suffisamment de différentiation technologique et d’économies d’échelle. On peut ainsi citer la faillite de Solyndra avec ses panneaux solaires cylindriques ($845m de levés, complété par un prêt de $535m du Département de l’Energie US, fermée fin 2011). Il y a eu aussi Abound Solar ($510m de levés, fermée en 2012) et SolFocus ($211m de levés, fermé en 2013). D’où le creux d’investissements dans le domaine du solaire depuis 2012.
La catégorie du solaire est cependant réapparue avec avec le “residential solar”, pour l’équipement des particuliers, qui n’est pour autant pas plus scalable qu’avant. La cible ? Les grands acteurs traditionnels de l’énergie. Pour l’instant, personne n’a été véritablement uberisé. Certains évoquent la croissance exponentielle des rendements des panneaux solaires photovoltaïque mais ce n’est qu’un mythe à ce stade !
En effet, la baisse des prix des panneaux au Watt d’électricité produite ne concerne que les cellules en silicium (le Swanson effect), produites de plus en plus en Chine. La baisse des prix n’est pas du tout liée à la loi de Moore car on “ne miniaturise pas les panneaux” comme les transistors dans les processeurs. On ne peux que baisser leur coût de production ou améliorer leur rendement. Côté rendement, on ne va pas bien loin en grattant quelques % tous les 5 ans. Le meilleur rendement brut théorique actuel est de 45% de conversion de l’énergie solaire reçue par un panneau en électricité (record franco-allemand, avec SOITEC et CEA-LETI), mais dans la pratique, on plafonne à 20/25% au taux d’ensoleillement maximum.
On se contente donc surtout de baisser les coûts de production, plus par la fabrication en Chine, structurellement moins couteuse, que par autre chose. Le reste (panneaux, connectique, installation, capacité réelle de production des panneaux compte-tenu de l’ensoleillement) ne peut pas suivre la loi de Moore ! Ce qui est par contre réellement exponentiel est l’augmentation de la capacité de production d’électricité PV dans le monde. Son développement est étroitement lié à celui des batteries car l’énergie solaire a besoin d’être stockable pour être utilisée massivement. C’est donc du côté des batteries qu’il faut regarder !
- Dans la finance, on trouve surtout des moyens de paiement, de la mobilité et du financement participatif notamment avec le “Lending Club” de Renaud Laplanche qui a levé $362m en tout, un record à date pour une startup créée par un français. Des startups américaines proposent des prêts aux étudiants et font penser à Facebook comme potentiel de stratégie d’extension de marché à partir d’une première cible de jeunes. On trouve aussi beaucoup de startups américaines dans l’activité de prêt pour les PME. Mais on peut s’interroger sur leur modèle dans la mesure où ces services promettent des crédits faciles à obtenir. De quoi alimenter une nouvelle bulle de subprimes. Et les économistes savent qu’il y en a pas mal aux USA : dans l’immobilier professionnel, dans les PME ou dans les crédits étudiants. Il y a aussi de nombreux services horizontaux : credit rating, intermédiation de paiement, etc. Et les Bitcoins ? Pour l’instant, ce n’est pas encore la ruée vers l’or avec environ $200m qui ont été investis en 2014. En ligne de mire de tous ces investissements : les activité de crédit des banques ainsi que les assurances.
- Le secteur de la photo est étonnant. Il n’y a plus grand monde à uberiser, le secteur de la photo numérique l’ayant déjà été, avec une décrue des ventes d’appareils compacts, massivement remplacés par les smartphones. Le fondateur d’Instagram rêve de son côté d’uberiser la communication écrite ! Les jeunes ont en effet tendance à abandonner l’écrit. Mais ce n’est pas une raison pour applaudir ! C’est surtout le secteur du mobile qui fait rêver ! Seulement voilà, la monétisation n’est pas évidente qu’elle soit publicitaire ou via des abonnements payants. Et le jour où les selfies deviendront payants, leur mode se calmera (et tant mieux…) ! Et le graphe ci-dessous n’intègre pas les énormes levées de Pinterest, Snapchat et Instagram qui sont classés dans d’autres catégories que la photo dans la Crunchbase (partage de données, réseaux sociaux, etc) !
- Le domaine de l’éducation a connu une grosse pointe d’investissements en 2013 et un début de décrue en 2014. La fin d’une bulle et le répit pour les enseignants ? Les MOOC ne feraient-ils plus rêver les investisseurs ? Le secteur va certainement connaitre des bouleversements, mais la monétisation n’y est pas facile.
- Quid des objets connectés ? Ce secteur ne bénéficie pas d’un raz de marrée d’investissements : moins de $1B en 2014, en apparence ! Il est vrai que les VCs ont toujours été prudents dans le secteur du matériel. Ils préfèrent sans doute s’intéresser au cloud et au big data, qui est noyé dans d’autres catégories. La cible : personne en particulier, mais la quête de grands acteurs à même d’horizontaliser un marché qui est pour l’instant très fragmenté.
- Plein de secteurs uberisables ne sont pas encore véritablement attaqués par de tels méga-financements comme dans les métiers juridiques. Il y a aussi des startups de l’économie collaborative qui se lancent dans des secteurs de niche comme Wag qui permet de trouver quelqu’un pour promener son chien. Ceux-là ne risquent pas d’uberiser grand monde !
- Avec une approche plus long terme, on peut observer les investissements dans les technologies “futures” comme dans le machine learning, la robotique ou l’intelligence artificielle. Là encore, cela ne se bouscule pas au portillon. Les technologies sont une chose, la construction de business à grande échelle avec, bien plus difficile. Les startups technologiques ne font pas des startups disruptives capables d’uberiser des marchés. D’ailleurs, la plupart des startups “uberisantes” ne s’appuyaient pas au départ sur une rupture technologique qui leur était propre. Juste sur une tendance globale du marché comme celle de la mobilité. L’uberisation relève surtout de l’innovation de services.
Les startups françaises peuvent-elles provoquer une uberisation ?
Comment provoquer l’uberisation d’un secteur ? Nous avons vu que c’était une combinaison de réponse à une insatisfaction client forte, d’une approche de défragmentation de marchés fragmentés, de création rapide d’un acteur dominant dans son secteur et d’un financement massif. Le tout avec un bon “time to market”.
Listons maintenant les plus grosses levées de fonds réalisées par des startups françaises. Nous avons dans l’ordre : Deezer ($149), Sigfox ($148m), Sonnedix ($123m, qui déploie et opère des panneaux solaires), Blablacar ($110m), Talend ($102m), Sarenza ($101m), Teads (ex eBuzzing/Wikio, $81m, publicité vidéo), Withings ($34m) et Voluntis ($32m, dans la e-santé). Auparavant, il y avait eu Criteo ($63m, introduit en bourse en 2013) qui est devenu leader mondial dans le reciblage publicitaire.
A part peut-être Sigfox, peu des entreprises citées ci-dessous peuvent uberiser un marché et devenir dominantes. Deezer fait face à une forte concurrence d’acteurs tels que iTunes, Spotify, Pandora ou Rhapsody. Sarenza est un petit acteur du commerce en ligne sans prétentions par rapport à des mastodontes tels qu’Amazon. Withings est certes bien visible, mais sa différentiation n’est pas suffisante pour dominer le marché fragmenté des objets connectés. Ce, d’autant plus que la défragmentation passera probablement – et difficilement – par des plateformes logicielles horizontales type IFTTT ou celles de Google et Apple. Avec des investissements plus modestes que sur Uber, les marchés de l’hôtellerie et du voyage ont bien été tout autant bouleversés !
L’uberisation relève des services mais pas n’importe quels services : il faut que l’intermédiation des services s’appuie sur un modèle très scalable, donc surtout sur du logiciel. Bpifrance a annoncé en janvier 2015 le lancement d’une nouvelle doctrine et de programmes d’investissements pour favoriser les innovations de services et pas seulement, comme d’habitude, les innovations à fort contenu technologique. Cela va dans le bon sens, mais devra s’accompagner d’une forte ambition car les grands uberisateurs seront surtout des acteurs mondiaux générant de fortes économies d’échelle ! Notamment … marketing !
L’uberisation est-elle une bulle technologique ?
Les investissements record dans les startups que l’on a connus en 2014 ne vont probablement pas perdurer. Tout du moins aux USA car ils persisteront peut-être encore en Chine. Il est même certain que l’on assistera prochainement à un dégonflement d’une partie de cette bulle spéculative de survalorisation de certaines startups.
L’avenir financier est toujours plein d’incertitudes et ne manque pas de Cassandre, qui voient en général assez juste sauf du point de vue du timing. De nouvelles crises du crédit sont envisageables, hors sphère technologique, et qui auront un impact indirect sur le marché du capital risque.
Comme en 2000/2001, des startups auront alors du mal à se refinancer quand leurs modèles économiques ne tiennent pas la route. Mais nombreuses seront celles qui survivront, poursuivront leur croissance et continueront à déstabiliser des marchés et des acteurs existants. Elles ne bénéficieront pas toutes de l’effet d’accélération des méga-financements du type de ceux qui ont alimenté Uber, mais elles poursuivront leur bonhomme de chemin. Avec seulement $25m, Google a bien réussi à capter la moitié du chiffre d’affaire publicitaire en ligne, lui même ayant capté environ le cinquième de la valeur du marché de la publicité dans le monde !
Certains acteurs économiques existants résisteront aussi mieux que d’autres : grâce à la régulation, grâce aux contraintes de leurs marchés, et aussi à leur capacité à les défragmenter eux-mêmes et à se remettre en cause pour mieux servir leurs clients. Les chaines de valeur “b-to-b” bougeront aussi plus lentement.
Bulle ou pas, les comportements des consommateurs et des clients seront cependant toujours influencés par les outils numériques : plus exigeants, plus pressés et mettant toujours plus en concurrence les offres du marché. Ce sont des intangibles auxquels personne ne coupera ! L’innovation est incontournable pour tous les métiers !
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Well done! Est-ce que ma remarque précédente sur la stratégie de prédation capitalistique a joué un petit rôle dans l’ajout de cette section très pertinente?
J’ajouterais que les grandes banques d’investissement comme Morgan Stanley ou Goldman Sachs jouent un rôle crucial car l’introduction en bourse de ces startup monopolistiques est une opération extrêmement profitable
Toutes les remarques sont utiles ! C’est en fait en creusant la Crunchbase et en préparant une présentation que j’ai eu l’idée de traiter de ce sujet.
Phénomène de l’uberisation financiere. Excellent article de @olivez http://t.co/3TeEgdamkM
INDISPENSABLE “La dimension financière de l’uberisation” de @olivez sur http://t.co/DLdTVUhBWZ
Très bonne analyse, précise et nuancée, qui change des commentaires complaisants et naïfs habituels des ravis de la crèche numérique.
Je pense qu’il y a un lien très fort entre les QE successifs de la FED et cette course à la valorisation et au transfert de richesse au moment de l’IPO. Les VC cherchent à dupliquer le hold-up de facebook, qui sert de précédent de référence dans leur course au carried.
Même si le succès de FB est considérable, sa valorisation est sans commune mesure avec les cash-flows générés. Cela lui aura cependant permis de se constituer une position monopolistique. Ces stratégies seront possibles tant que le miracle boursier actuel existera.
Il est certain qu’avec un PER (price/earnings ratio) de 72, l’action de Facebook est un peu haute ! En comparaison, celui de Apple qui est de 17 et est au-dessous de 20 depuis des années il me semble, on se situe dans une grande sagesse boursière !
papier d’O.Ezratty très bien documenté. On ne joue pas dans la même cour que les US ! @olivez sur http://t.co/NO2QgJF5WT
Suite (et fin ?) d’un superbe dossier à lire : La dimension financière de l’uberisation http://t.co/qUAWvFSK49 http://t.co/UFsCY6Ol2h
La question se pose de savoir si l’intervention massive de la FED sur l’économie américaine va générer une nouvelle crise des subprimes qui précédemment a été payée par le vieux continent, et demain par l’Asie ?
Le “mur” de la dette américaine a été bien vite oublié, un nouveau vote pour pouvoir l’augmenter ? Mais qui paye au final ?
Il semble être juste du bon sens de comprendre que ces valorisations sont sans fondements économiques quantifiables sur quelques décennies, ou alors seulement valorisables sur des dizaines de siècles avenir.
Si cela ne respire pas la bulle financière, cela y ressemble tout de même beaucoup.
La dimension financière de l’uberisation http://t.co/zONrVMY3cF > Must read par @olivez
Un article intéressant sur les startups, l’investissement et les tendances http://t.co/TaLwE5a2Ew
Tres bon recapitulatif. Quelques commentaires:
– les unicorns (licornes en bon francais) sont en fait des *gazelles dopees*. Une fois que la traction /le business model ont ete prouves, la startup devient une machine a creer de la valeur. Des lors, les VC peuvent creer un “champion instantane” qui ne pourra pas etre rattrape. Uber est loin d’etre seul sur son marche, mais le vote constitue par les tours de financements massifs a aussi pour but d’envoyer un signal de “game over” au marche. (Au passage, le marche n’a pas encore accepte ce signal car Lyft vient de lever un gros montant a son tour, et les regulateurs nationaux obligent Uber a revoir sa copie pays par pays).
– Tout a fait d’accord avec l’opinion “peu des entreprises [francaises] citées ci-dessus peuvent uberiser un marché et devenir dominantes”. En dehors des Etats-Unis, comme par exemple en France, on a (y compris les pouvoirs publics) tendance a perdre de vue que le marche est mondial. Parler de champions nationaux est en partie une erreur. Le combat entre un champion national et une licorne globale se solde au mieux par une acquisition. Comme par exemple DailyMotion avec Yahoo. Oops, pardon, mauvais exemple.
– autre piste de reflexion, sur un sujet tres inquietant a mon avis. Ce ne sont pas que les chauffeurs de taxi qui se font uberiser. Ce sont des pans entiers de l’economie du XXe siecle. Vu depuis la Silicon Valley ou je suis base, les grands groupes francais brillent par leur absence. A part Orange et Bouygues, les rares groupes qui ont une presence n’ont generalement pas d’ancrage dans l’ecosysteme californien. Il est temps de sortir du village d’Asterix.
– un detail: Sand Hill Road n’est pas a Palo Alto mais dans la municipalite limitrophe de Menlo Park.
Bernard Slede
Breakthrough Venture Partners
OK sur ces points.
Il est vrai que les levées de fonds de Lyft sont intrigantes. Mais il semble que ce dernier ne soit pas sur le même positionnement que Uber. Lyft, est proche de la sharing economy avec des voitures de particuliers mutualisées tandis que les voitures et chauffeurs de Uber relèvent plutôt d’une activité professionnelle.
Dans la région SF/SV, il y a aussi l’Atelier BNP-Paribas et une nouvelle tête de pont d’Axa. Est-ce que les grands comptes américains sont aussi présents dans la SV et comment ? On n’en entend pas souvent parler.
J’ai corrigé pour Menlo Park, qui est juste à côté de Palo Alto…
Merci!
Concernant Uber: le modele monte en echelle grace a UberX, qui est de la sharing economy comme Lyft.
Concernant les grands groupes americains dans la Vallee:
Oui, ils y sont, et de facon croissante. Depuis 2013, le nombre de fonds “corporate” ici a depasse le nombre de fonds de capital-risque financiers.
Et la tendance va bien au-dela des activites d’investissement. @Walmart Labs fait du developpement de produits, Lowe’s (Bricorama local) a une activite de veille, Citi a deplace son pole d’innovation de New York a Palo Alto, AT&T a un centre d’innovation ouvert aux startups, etc…
Encore une fois, les grands groupes francais sont rares ici. Quand ils sont presents, c’est le plus souvent de facon episodique a l’occasion d’une “expedition”, ou avec des employes de metropole qui n’ont pas d’experience ici et donc ne sont pas immediatement operationnels.
L’etablissement d’une presence, meme deleguee, est souvent percue comme un cout et non comme un investissement. L’avenir est aussi incertain pour les societes du CAC40 que pour les composantes du NYSE, mais elles n’ont peut etre pas encore pris conscience de ce qui se passe?
Excellente série d’Olivier Ezratty dont l’approche “macro” permet de prendre du recul et d’anticiper les tendances. https://t.co/07Rj0s158r
Thks @olivez
La dimension financière de l’ #uberisation
#Digital #Retail #ecommerce #Marketing
http://t.co/TeQ4adsiVq
L'”Uberisation” est une tendance de fond. Cet article de @olivez pour en comprendre le versant “valeur” http://t.co/mLVjCzyv1V #uber
Très bon article “La dimension financière de l’uberisation” de @olivez sur http://t.co/5JUIFgWuZj
Alors que son PIB est > à celui des USA, le capital risque européen ne représente qu’1/3 de son équivalent US http://t.co/XcQliATx2y