Dans ce nouvel épisode des entretiens Decode Quantum, Fanny Bouton et moi-même accueillons Ségolène Olivier du CEA-Leti. Cet entretien est aussi diffusé sur Frenchweb.
Ségolène Olivier dirige le programme de photonique quantique au CEA-Leti pour des applications en communications quantiques et en calcul quantique. Elle a obtenu son doctorat en 2002 à l’Université de Paris dans le domaine de l’optoélectronique et a été embauchée au CEA-Leti en 2003 en tant que post-doc puis en 2005 comme ingénieure de recherche et développement en processus et dispositifs. Elle a développé son expertise dans divers domaines tels que la photonique intégrée en III-V, les interconnexions microélectroniques et le stockage de données optiques avant de rejoindre le laboratoire de photonique sur silicium en 2012. Elle a dirigé plusieurs projets collaboratifs dans le développement de composants photoniques passifs et actifs en silicium, des lasers hybrides III-V sur silicium et des émetteurs intégrés sur silicium pour les applications télécom. Depuis 2020, Ségolène coordonne l’activité de photonique quantique au Leti.
Pour mémoire, Fanny Bouton et moi-même animons ces podcasts de manière bénévole, sans modèle économique, et pour le bénéfice de l’écosystème quantique en France.
Voici le compte-rendu habituel du podcast :
Sa découverte du quantique ? Ségolène s’y est intéressée tardivement. D’abord, lorsqu’elle faisait son post-doc, sur les sources de photons uniques à base de composants III-V, à cheval entre la DRF (Direction de la Recherche Fondamentale) du CEA avec Jean-Michel Gérard (qui avait démarré au CNET à Bagneux) et la DRT (Direction de la Recherche Technologique) au Leti. Avec l’émission de photons uniques dans des micro-piliers à boîtes quantiques pompés optiquement. Elle a surtout pompé électriquement des micro-LEDs, qui avaient des brillances moyennes. Elle a pu fabriquer les sources elle-même dans la salle blanche du Leti puis, elle les caractérisait pour en déterminer les propriétés. Il y avait à l’époque juste deux startups dans le domaine du quantique : ID Quantique et D-Wave. Elle a eu ensuite d’autres activités au Leti. Dans le domaine de la photonique intégrée, autour de 2018, elle a commencé à faire de la veille dans le domaine du quantique. A partir de 2020, elle a démarré l’activité de photonique quantique sur silicium dans l’objectif de développer une plateforme intégrée principalement pour le calcul et les communications quantiques, potentiellement aussi pour les capteurs quantiques.
Elle a soutenu sa thèse en 2002 sur les cristaux photoniques bidimensionnels. Nouvelles structures miniatures dans des cristaux photoniques bidimensionnels planaires pour les fonctions de l’optique intégrée sous la direction de Henri Benisty. Il s’agissait de structurer des matériaux pour pouvoir en contrôler les propriétés optiques. Ce sont des cristaux artificiels formés par la gravure de trous périodiques dans lesquels apparaissent des bandes interdites pour la propagation de la lumière. Elle a alors travaillé sur des guides d’ondes, des filtres, etc. , avec la promesse de créer des virages et d’autres composants de routage et filtrage de la lumière très compacts pour les circuits photoniques intégrés.
Ségolène définit ce qu’est la photonique intégrée sur silicium. L’objectif est d’intégrer des fonctions d’émission, routage, manipulation et détection de la lumière sur une puce. Cela fait appel à des matériaux III-V qui sont très bons sur les fonctions d’émission (lasers) et à du silicium, où il n’y a pas de bons émetteurs, mais où le routage est intéressant grâce à un fort contraste d’indice. Le silicium est adapté au multiplexage, au démultiplexage, au filtrage de longueurs d’ondes, à la modulation et la détection rapides de photons. La photonique sur silicium permet le remplacement d’interconnexions électriques par des interconnexions optiques plus rapides. Le Graal serait d’avoir des plateformes monolithiques avec toutes les fonctions sur la même puce. Il faut également éviter les pertes de couplage entre fibre optique et puce, ce qui est crucial pour le quantique.
Elle a contribué au développement de lasers hybrides III-V sur silicium. Cela fait appel à du collage de matériaux III-V sur substrat silicium, pour créer des cavités hybrides qui combinent le meilleur des deux matériaux (fort gain pour le III-V, fort contraste donc compacité pour le silicium)
Pour les applications quantiques, l’émission de photons uniques est une fonction clé. Les technologies les plus matures aujourd’hui sont les boites quantiques en micro-pilier telles que celles du C2N et de Quandela. C’est une architecture verticale pas facile à intégrer en 2D. Donc, elles sont à part. D’autres sources sont possibles directement sur silicium en exploitant des effets non linéaires dans des cavités résonnantes. Leur efficacité est moins bonne et elles sont non déterministes temporellement. En revanche, les photons sont émis par paires, ce qui permet de faire du heralding (détection de photons uniques par leur annonce via l’autre photon de la paire). Ces sources peuvent être utilisées pour les communications quantiques (QKD) pour lesquelles les spécifications sont moins exigeantes que pour le calcul.
L’efficacité des sources (leur taux de génération) impacte le débit et la distance supportée. Les approches pour augmenter le taux de génération exploitent l’ensemble des couples de fréquences générés par effet non linéaire, ce qui permet du multiplexage en fréquence pour augmenter le taux de génération agrégé de ces sources. L’équipe de Ségolène a mené un travail commun avec l’Université de Pavie en Italie. Cela a généré des améliorations d’un facteur mille du taux de génération, du MHz au GHz. Une autre approche consiste à travailler avec plusieurs degrés de liberté des photons pour encoder plusieurs bits quantiques sur un seul photon.
Comment fonctionne le collage hétérogène ? Pour introduire certains matériaux sur la plateforme silicium, on utilise le collage direct en créant des liaisons hydrogènes ou covalentes entre deux wafers, selon un principe similaire aux méthodes de création des substrats SOI.
Ségolène utilise des wafers SOI dont l’intérêt est d’ajouter une fine couche de 200 à 300 nm de hauteur de silicium sur isolant d’oxide de silicium. Cela donne un bon contraste d’indice. Les guides d’ondes sont une fine couche de silicium encapsulée avec de l’oxide de silicium pour créer un confinement horizontal en complément du confinement vertical. La lumière est filtrée dans des cavités avec des anneaux résonants couplés aux guides d’ondes. Pour créer un interféromètre de type MZI (Mach-Zehnder), on ajoute un séparateur de faisceaux.
La fonction de détection de photons peut faire appel à du germanium qui absorbe les longueurs d’onde télécoms. Ce n’est cependant pas adapté aux exigences des applications quantiques du fait de leur sensibilité limitée qui ne permet pas de détecter des photons uniques efficacement. Il faut les remplacer par des détecteurs à nanofils supraconducteurs en NbN.
Nous évoquons la problématique des pertes de photons. La modulation rapide n’est pas facile à mettre en œuvre. Il faut trouver un bon compromis entre efficacité, faibles pertes et rapidité comme avec de la modulation par effet Pockels électro-optique, avec peu de pertes supplémentaires. Pour cela, il faut faire appel à des matériaux différents comme le niobate de lithium que l’on peut introduire avec du collage direct.
Quel est le rôle de la qualité de la fabrication de ces circuits ? Il faut réduire les pertes aussi bien en variables discrètes que continues. Pour le calcul quantique, cela va impacter la profondeur du calcul quantique réalisable. Les pertes sont liées à la rugosité des flans des guides d’onde, d’où des optimisations dans la litho-gravure. Cela amène un débat sur le choix de la plateforme. Le nitrure de silicium a un contraste d’indice moins élevé donc les modes optiques sont moins sensible à la rugosité et ont moins de pertes.
Les applications de capteurs quantiques utilisent des longueurs d’ondes différentes, qui vont du visible à l’infrarouge, pour lesquelles les guides en nitrure de silicium sont plus adaptés que les guides en silicium
Nous évoquons la question du temps de cycle de conception et de fabrication des circuits de nanophotoniques dans les RTO. Ces circuits sont fabriqués avec des équipements préindustriels dans une salle blanche versatile. Les temps de cycle assez longs similaire à celui des qubits silicium. Les plateformes ne sont pas encore stabilisées car elles sont en cours de développement des fonctions photoniques spécifiques nécessaires pour les applications quantiques.
Quelle est la température de fonctionnement de ces différents composants ? C’est une affaire de compromis et un débat pas encore tranché. Quandela utilise trois blocs séparés, les sources et détecteurs étant à basse température. Si on met tout le circuit de calcul dans le cryostat comme chez PsiQuantum, on a beaucoup de dissipation lié au contrôle du déphasage thermo-optique à effets Pockels. Cela impose des contraintes cryogéniques beaucoup plus fortes.
Le rôle de la photonique pour l’interconnexion d’ordinateurs quantiques ? Pour interconnecter des processeurs quantiques distribués, il y a deux enjeux : pour les qubits non photoniques, il faut prévoir la transduction vers un qubit photonique. Avec les qubits photoniques, on est déjà dans le même régime.
Quid des partenariats en France et ailleurs avec des industriels ? D’une façon générale, le Leti fait le pont entre la recherche fondamentale et l’industrie pour faire de l’ingénierie et du prototypage. Les partenariats industriels sont bilatéraux, par exemple avec ST-microelectronics. Pour le quantique, les développements technologiques sont menés au travers de projets institutionnels comme avec le projet d’ordinateur quantique OQULUS du PEPR de la stratégie nationale quantique, coordonné par Nadia Belabas du C2N sur le plateau de Saclay. Et aussi au niveau européen, avec des projets de lignes pilotes et des projets de communications quantiques.
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