Après avoir fait un tour d’hélicoptère des propositions des syndicats professionnels et des principaux candidats, balayons les maintenant par thème. Ils sont regroupés en six thèmes comme suit sachant que je vais m’attarder plus particulièrement sur les trois premiers qui sont dans mon domaine de prédilection : l’environnement des PME innovantes, l’enseignement du numérique et de l’entrepreneuriat, le numérique dans le secteur public, le très haut débit, l’économie des contenus et la régulation.
Nous aborderons juste le premier thème dans ce post car il est très dense et… c’est mon préféré !
Clivages #1 : l’environnement des entreprises innovantes.
Tous les candidats à la présidentielle sont d’accord sur le besoin de dynamiser le tissus des PME françaises, et notamment dans le numérique. Chacun rêve de créer les conditions de l’émergence d’un “Google ou d’un Facebook” en France. Les diagnostics et propositions fusent de part et d’autre.
Chez les professionnels et à droite, on insiste d’abord sur le besoin d’insuffler une culture du risque chez les jeunes, trop attirés par le chemin balisé des grandes écoles et des grandes entreprises. C’était un thème repris à son compte par Nicolas Sarkozy aussi bien lors de l’inauguration des nouveaux locaux de Google France que dans son intervention à l’Elysée pour les intervenants de LeWeb 2011 (cf “LeWeb 2011 – Semaine Numérique”).
On s’accorde sur le besoin d’orienter les aides de l’Etat sous toutes leurs formes vers à la fois les startups en émergence et les PME en croissance, pour leur faire atteindre le mythique et envié statut de l’ETI (entreprise de taille intermédiaire). Les professionnels insistent sur le besoin d’une fiscalité plus stable favorisant l’investissement dans ces entreprises de croissance. Ils demandent tous une véritable “stratégie industrielle” de l’Etat, sans compter le demande incantatoire d’un Small Business Act et de l’amélioration des relations entre les grandes entreprises et les PMEs.
Quel est au passage le périmètre du numérique ? Les plus activistes des entrepreneurs du numérique sont ceux de l’Internet. Ils ont tendance à faire de l’ombre aux nombreux autres secteurs du numérique comme ceux des logiciels d’entreprises, du matériel et des composants. C’était par exemple flagrant dans le débat organisé avec François Bayrou, dont les protagonistes étaient tous les acteurs de l’Internet. Et dans le programme du PS de juin 2011, “la Banque Publique d’Investissement doit contribuer à faire émerger des acteurs forts de l’Internet mondial”. Pourquoi juste l’Internet ? N’est-ce pas réducteur ?
Quel est le plus gros industriel du numérique en France, hors services/télécoms ? C’est le franco-italien STMicroelectronics, avec ses 9,735 Md€ de chiffre d’affaire ! Soit la taille du marché du logiciel en France et loin devant n’importe quelle société de l’Internet. Malgré ses déboires et les affres de la concurrence asiatique, l’industrie “produits” la plus importante en France reste celle du matériel et des composants, même si ils sont est étroitement liés à l’industrie du logiciel, notamment dans l’embarqué ! D’où la position des syndicats et fédérations comme la FIEEC qui réclament l’attention des pouvoirs publics sur cette filière et pas seulement sur celle de l’Internet et du logiciel. Il n’y a aucune fatalité dans le domaine. On peut réussir dans le matériel grâce à l’innovation ! Les exemples de Parrot et Archos, qui reviennent de loin, ainsi que de Withings, sont là pour en témoigner.
Alors, où sont les clivages explicites ou cachés ? Il en existe entre les politiques, mais aussi entre les professionnels du secteur. J’ai regroupé les clivages en cinq parties : l’innovation et la recherche, la compétitivité et les exportations, la fiscalité de l’innovation, la mobilisation de l’épargne et la relation entre l’Etat et les entreprises.
Innovation et recherche
Les politiques et la technostructure font souvent l’amalgame entre les deux. Ils imaginent un lien direct entre le % du PIB investi dans la R&D et la capacité d’innovation comme si la potion magique de l’innovation combinait recherche et financements. On sait bien qu’elle comprend de nombreuses autres composantes : le design, la sociologie, le marketing, les exportations, la culture du pays et les pratiques managériales. Le bon sens rappelle aussi que la part expérimentale d’une startup du numérique repose plus sur l’accès au marché et sur la validation de son offre avec ses clients que sur la création de son produit ! La recherche est le plus souvent située en amont à la création de la startup. On parle alors de “valorisation”. Celle-ci consiste à créer un produit qui réponde à un besoin client existant ou latent qu’il faut ensuite promouvoir sur le marché et dont il faut tirer un chiffre d’affaire de manière profitable aussi rapidement que possible.
Le modèle d’une R&D longue suivie d’un accès au marché est spécifique au secteur des biotechs. Il est très rare dans le numérique, et en particulier dans l’Internet et le logiciel. C’est seulement une fois que la startup est devenue une grosse PME et une ETI qu’elle peut commencer à investir réellement dans la recherche. Google a vu son activité de recherche décoller à partir de 2003 en termes de publications. Apple ne fait pas formellement de recherche. Et Microsoft a attendu 15 ans – 1975-1990 – avant de créer son activité de recherche fondamentale (Microsoft Research) !
Le financement et le coût du travail sont toujours en tête des préoccupations des entrepreneurs et des politiques. Aujourd’hui, la plupart des startups du numérique sont condamnées à maquiller leur création de produit en travaux de recherche, prenant ainsi le risque d’un redressement fiscal. Cela explique pourquoi les professionnels du numérique se battent pour étendre les exonérations de charges à l’ensemble du cycle de création des produits, notamment dans le statut JEI, voire même dans le Crédit Impôt Recherche qui deviendrait alors un Crédit Impôt Innovation.
L’UMP a intégré cela dans ses propositions en juin 2011 et le PS souhaitait intégrer les innovations d’usage dans le statut JEI. Le clivage ? Il se situe surtout avec l’administration de Bercy et avec la règlementation de la concurrence au niveau de Bruxelles voire de l’OMC. Bercy est réticent car ces mesures pourraient couter très cher. Et toute dépense fiscale hors recherche est très difficile à faire passer à Bruxelles. Le prochain gouvernement devrait étudier la question de près avec l’administration pour voir comment débloquer la situation. Ou alors, on arrête de fantasmer dessus et on passe à autre chose !
Un débat existe aussi autour des bénéficiaires du Crédit Impôt Recherche. Efficace et indispensable en l’état pour l’UMP comme pour le MEDEF (cf leur Livre Blanc du CIR datant de 2010), mais à revoir pour le PS pour qui il devrait être réorienté vers les PME qui en ont le plus besoin et plafonné pour les grandes entreprises qui en ponctionnent une partie bien plus grande depuis la Loi de Modernisation de l’Economie de juillet 2008 (cf ces éléments chez 01 Net). L’usage du CIR dans les entreprises du secteur de la finance et plus généralement du tertiaire est dénoncée. Elle semble faible pour les premières : moins de 2% des montants, mais représenterait environ 30% pour les secondes. Le rapport qualité/prix du CIR dans les grandes entreprises n’a pas encore été démontré, celui-ci générant un effet d’aubaine certain. Il a par certes permis d’attirer les laboratoires de recherche de Google et Microsoft en France, parmi d’autres, mais n’a pas empêché PSA de délocaliser une partie de ses activités de recherche comme dénoncé dans l’avis de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, dans la discussion de la Loi de Finances 2012 (mais cet avis semble entaché d’erreurs comme la confusion entre créance et dépense fiscale du CIR et les 18% de CIR affectés à la finance qui semblent inexacts). Même les Sénateurs et Députés de l’actuelle majorité sont circonspects sur l’importance à donner au CIR dans les grandes entreprises. Quelle que soit l’issue de la présidentielle, ce sujet reviendra donc sur la table.
Se pose aussi la question du rôle des pôles de compétitivité. Pour Bruno Vanryb de Syntec Numérique, ils attireraient les entreprises grâce aux avantages fiscaux qu’ils procurent. Et on ne s’installe pas quelque part pour la fiscalité. Les PME ont plutôt besoin de métiers complémentaires pour se développer. Sa vision des pôles est un peu réductrice car ils servent aussi à mettre en réseau les laboratoires de recherche, les établissements d’enseignement, les incubateurs et pépinières et les grandes, moyennes et petites entreprises. Les pôles aident parfois leurs membres à exporter comme le fait assez bien Cap Digital. Et les pôles apportent surtout des financements de projets axés sur la recherche collaborative, par le biais d’appels à projets annuels. C’est là que le bât blesse car cela éloigne mécaniquement les petites entreprises des clients et des marchés.
Chez les politiques, on a peu étudié ces pôles de compétitivité dont la multiplicité est une réponse aux appels du pied des élus locaux, décidée du temps où Christian Estrosi était en charge de l’aménagement du territoire sous le gouvernement Villepin. Ce même Dominique de Villepin est maintenant le seul à proposer leur regroupement ! Le comble de l’absurde est intervenu lorsque les pôles ont été segmentés avec une catégorie à part des “pôles à vocation mondiale”, les plus significatifs, dont cinq dans le numérique. Quid des autres ? Le pôle du cheval ? Non, ce n’est pas une blague, il existe bien, et en Normandie ! La compétitivité est toujours mondiale, pas locale ! Il faudrait donc probablement consolider les 21 PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), la dizaine de campus d’excellence (liés au grand emprunt) et les 72 pôles de compétitivité, histoire de n’avoir qu’un seul concept de “cluster” associant universités, grandes écoles, laboratoires publics et privés et entreprises innovantes. C’est cela un écosystème de l’innovation ! Pas un système en pièces détachées ! Le cas de Paris-Saclay est édifiant à ce titre de l’incompréhension française de la notion d’écosystème de l’innovation. Il concentre bien trop de chercheurs et ingénieurs dans les sciences dures, qui constituent l’essentiel de ses 23 établissements d’enseignement supérieur et de recherche (ci-dessus). Quid de la transdisciplinarité, très bien promue par Gilles Babinet, de la sociologie, du design et du marketing dans ce pôle ? Elle n’y est pas bien apparente ! Il serait intéressant que l’UMP et le PS se prononcent sur le sujet des pôles !
Compétitivité et exportations
Faut-il baisser le coût du travail ou améliorer la compétitivité “hors prix” ? Les analystes s’accordent pour trouver que notre niveau de différentiation est insuffisant. Les entreprises allemandes savent passer tous leurs coûts dans leurs prix. En France, on a tendance à compresser les marges, notamment du fait de la pression exercée sur les PME par les directions des achats des grandes entreprises. Il en résulte que les PME françaises sont parmi les moins profitables en Europe. Il y a clairement un manque d’innovation dans le tissu économique français : 80% des PME sont stables ou en décroissance tous secteurs d’activité confondus ! Est-ce le cas dans les industries du numérique ? On peut se poser la question. Le manque d’orientation internationale et de financement est associé à une approche “produit” faible. Il conduit de nombreuses PME innovantes à s’orienter vers le service, ce qui ralentit la croissance. C’est un cercle vicieux dont il faut sortir.
Quelle importance donner aux exportations ? Pour créer un Google ou un Facebook en France, il faut qu’il soit présent dans le plus gros marché mondial que sont les USA, voire dans l’incontournable Silicon Valley ! Il faut donc être capable de se projeter rapidement à l’étranger. Il faut le vouloir. Il faut des compétences, des équipes, une capacité d’exécution, un produit compétitif au niveau des meilleurs et des moyens financiers. Et il en faut beaucoup car Google et Facebook ne sont que les gagnants d’un processus de sélection impliquant des centaines de candidats. Pour un Critéo qui commence à sortir du gué ($400m de CA prévus en 2012, siège à Palo Alto, bientôt 200 développeurs en France), il y a pas mal de startups françaises qui se sont cassées les dents dans la Silicon Valley. C’est normal ! Selon la FIEEC, peu d’entreprises françaises sont en état d’exporter. Il y en avait 85000 en 2011 et le pays en perd 3000 par an. Elles étaient 100000 en 2007 ! Et il y a d’ailleurs une corrélation entre cette donnée et le faible pourcentage de nos PMEs qui utilisent l’Internet pour le commerce en ligne.
Constat terrifiant, la France est le pays occidental dont la part de marché a le plus baissé dans le commerce mondial, passée de 7% a 3,5% en 10 ans. Il y a juste la Grèce derrière ! Dans l’ensemble de l’industrie, le pays a un problème de positionnement, de niveau de gamme et de qualité. Pourtant, le sujet de l’export est quasiment invisible dans les programmes des candidats. On le retrouve dans les propositions des syndicats professionnels orientés sur les industries matérielles (FIEEC), mais moins dans celles qui représentent le logiciel ou l’Internet (Syntec Numérique, AFDEL), ce qui est regrettable. Rien sur les exportations dans le livre blanc Noir et Blanc sur le logiciel de Syntec Numérique ! A une question sur le sujet, Bruno Vanryb répondait qu’il fallait donner plus de moyens à UbiFrance dont il salue les progrès accomplis ces dernières années. Progrès il y a en effet, mais est-ce le seul outil pour développer l’international ? Quid de la maitrise de l’anglais ? Du financement ? De la protection de la propriété intellectuelle ? De l’appui sur les grandes entreprises du secteur comme le fait le Pacte PME ? Aller, un petit effort !
Fiscalité de l’innovation
Faut-il changer la fiscalité ou la stabiliser ? C’est le paradoxe des demandes des uns et des autres. Les professionnels demandent diverses modifications de la fiscalité des entreprises innovantes (JEI intégrant la création de produits) mais en même temps une stabilité fiscale.
A l’AFDEL, on demande à ce que l’impôt sur les sociétés des startups technologiques soit réduit à 20%. La demande émane aussi de la CGPME, et pour toutes les PMEs, dénonçant un taux d’imposition effectif bien plus élevé pour les PME que pour les grands groupes, qui bénéficient d’optimisations fiscales diverses du fait de leurs activités internationales. La solution ? Développer son activité internationale… ! Mais est-ce vraiment le problème pour les startups ? Elles ne payent quasiment pas d’impôt sur les sociétés pendant leurs premières années d’existence car elles ne sont pas encore profitables. La croissance de démarrage est financée par les investisseurs. Un taux d’imposition trop fort pourrait-il réduire la capacité d’investissement en fonds propres ? Pas vraiment car plus on investit, moins on paye d’impôts ! Tant que la société n’est pas cotée en bourse, sa rentabilité nette peut passer au second plan derrière la génération de croissance. La croissance – qui doit être profitable au niveau de l’EBITDA (résultat opérationnel) – est le principal facteur d’augmentation de la valeur de la société et de la sortie pour ses investisseurs.
De son côté, Fleur Pellerin appelle aussi à une stabilisation de la fiscalité, mais il y a fort à parier qu’en cas de victoire de François Hollande, elle soit sérieusement modifiée au niveau de l’ISF. Il semble qu’il souhaite revenir au minimum au barème de l’ISF d’avant la réforme qui entre en vigueur en 2012. Celle-ci supprime le bouclier fiscal et est accompagnée d’une baisse du barème d’imposition, qui réduit l’ISF pour les fortunes inférieures à une dizaine de millions d’Euros mais l’augmente au delà. Cette diminution de l’ISF pour la majorité des redevables aura cette année un impact négatif sur l’investissement dans les startups et les TPE, que ce soit en direct ou via des FCPI. Mais François Hollande n’a jamais indiqué s’il allait ou non maintenir les déductions fiscales ISF-TEPA pour encourager l’investissement dans les TPE/PME. On est ici dans le non-dit : il est probable qu’il conserve discrètement ces niches fiscales, mais sans trop en parler pendant la campagne car, politiquement, c’est un “cadeau aux riches”.
Côté UMP, rien à dire puisqu’il n’est pas question de revenir sur cette réforme de l’ISF. Mais l’exemplarité n’a pas été de mise pendant le quinquennat qui s’achève avec les nombreux soubresauts de la fiscalité tant au niveau du statut JEI qu’à celui de la loi ISF-TEPA, sérieusement mise à mal depuis 2010 par le gouvernement et Bercy, avec un impact matériel sur le financement d’amorçage par les business angels. Par exemple, il est devenu impossible de bénéficier de la réduction d’ISF via les clubs de business angels.
Pour l’instant, aucun des deux grands candidats et leur parti ne se sont engagés à reconduire en 2013 le dispositif des Jeunes Entreprises Innovantes. L’UMP propose bien la création d’un statut JEI spécifique aux entreprises du numérique. En quoi serait-il spécifique ? Ce n’est pas documenté ! Quid par exemple de la santé et les éco-technologies ?
Mobiliser l’épargne vers le risque
Comment mobiliser l’épargne vers le risque ? Le principal moyen serait de faire en sorte que le rendement de l’investissement soit attractif. Comme il ne l’est pas en général du fait de la difficulté de faire croitre nos startups, les solutions employées sont d’améliorer le rendement apparent des investissements à risque par une fiscalité favorable à l’entrée (cf supra sur ISF-TEPA) et par l’intervention de l’Etat via les fonds de fonds et en direct via le FSI et le FSN du grand emprunt.
C’est un autre cercle vicieux car on se satisfait trop de cette situation. L’Etat doit s’attaquer aux fondamentaux de la croissance et pas seulement de la fiscalité et du système de financement. Nos politiques doivent apprendre à parler le langage des entreprises et à s’éloigner de celui de la fiscalité et des financements. Ce langage, c’est celui de l’ambition, de la culture du risque, de la compétitivité, des grands projets, de l’exportation et de l’enseignement supérieur transdisciplinaire. L’Etat ferait mieux d’être un bon client qu’un bon financeur !
Et il y a ce côté schizophrène des politiques qui d’un côté ont mis en place (certes à l’échelle internationale) des règles prudentielles telles que Bâle III et Solvency II, en demandant aux institutions financières de mieux gérer leurs risques. Et d’autre part, en leur demandant d’investir plus dans le risque. Ah oui, avec une différence clé : dans l’économie réelle !
En attendant, il s’agit donc de protéger ou d’améliorer les incitations fiscales existantes. L’AFDEL propose ainsi des mesures techniques sur les FCPI, le véhicule d’investissement principalement utilisé par les sociétés de capital-risque (VCs) : allonger le délai d’investissement de 18 mois à trois ans – permettant de couvrir deux tours de financement – et augmenter en contrepartie la part dédiée aux PME innovante de 60% à 80%. Elle propose aussi de remonter l’exonération d’impôt sur le revenu des particuliers de 18% à 30% des investissements. Cela fait écho à la baisse de l’ISF pour la plupart des patrimoines (dans la loi de finances 2012) qui va diminuer d’autant la part des investissements dans les FCPI qui donne lieu à une réduction d’ISF. C’est une véritable usine à gaz car un investissement dans un FCPI donne lieu à une réduction de 50% de l’ISF pour la part investie dans les PME et de 18% pour la part investie dans le reste (30% avant 2011). Sur la décennie 1997-2007, les FCPI ont financé 800 entreprises à hauteur de 2 Md€, sachant que seulement 50% d’entre elles sont exportatrices.
Les banques sont évidemment accusées de ne pas investir dans le risque. Et pour cause, elles ne le font dans aucun pays ! Même aux USA, les banques ne prêtent pas aux startups et entrent encore moins dans leur capital ! Ce sont les fonds de pension qui le font dans une toute petite proportion et via les VCs. Les banque ne prêtent qu’aux entreprises solvables. Pour les particuliers, ce fut une autre histoire comme la montré la crise des subprimes! Comme le secteur privé n’investit pas assez dans le risque, l’Etat compense en investissant lui-même et en testant tout un tas de formules, la dernière en date depuis la création du Fonds Stratégique d’Investissement et du grand emprunt étant l’investissement au capital des entreprises innovantes.
En réponse à cette situation, François Hollande a proposé la création d’une “Banque d’investissement dans les PME”. Nicolas Sarkozy lui a coupé l’herbe sous le pieds en annonçant en janvier 2012 la création d’une banque d’investissement dans l’industrie aux contours voisins. A l’issue d’un débat télévisé tourné pendant les TechDays de Microsoft, j’ai vu Laure de la Raudière et Fleur Pellerin s’écharper sur le sujet (ci-dessous). Cette dernière dénonçait le montage en urgence de cette banque et la réallocation des 450m€ du FSN (numérique) du grand emprunt pour la financer. En évoquant le désarroi de certaines startups qui auraient vu leur dossier de demande d’investissement gelé à cause de cela. Pour la première, les montants réalloués étaient non utilisés et l’essentiel des interventions d’Oséo où sera situé cette banque sont dédiés au numérique.
Les faits ? La banque a été effectivement créé en urgence, la réallocation est un peu brutale, le « pipe » du FSN n’était pas suffisant à la Caisse des Dépôts qui le gérait et par contre, environ un tiers des sociétés financées par Oséo sont dans le numérique. Comme on ne connait pas le périmètre et les modalités d’intervention de la banque de l’industrie comme de celle qui est proposée par François Hollande, il est difficile de se prononcer ! Il faudrait connaitre les doctrines et modes d’investissement (niveaux d’investissement par société, avances remboursables ou prêts, prises de participation minoritaires ou majoritaires, abondement ou pas d’investissements privés) et le mode opératoire (appels à projets thématiques ou pas, quelles équipes analysent les dossiers, délais de réponse) ! Le plan des “Investissements d’Avenir” (grand emprunt) a bien montré que derrière une idée pas forcément mauvaise pouvait se cacher tout un tas de lacunes dans l’organisation et l’exécution (cf quelques éléments complémentaires chez 01Net) !
En filigrane de ces débats se situe la critique de la transformation d’Oséo en banque et qui ne prête qu’aux (entreprises) riches. L’intégration de l’ANVAR dans Oséo en 2006, dite “Oséo Innovation” a laissé de traces de pneus. Ses crédits ont baissé ces deux dernières années avec un transvasement vers les appels à projets divers, dont ceux de la DGCIS, des pôles de compétitivité et du grand emprunt. Le plus sage est d’éviter de créer de nouveaux organismes mais de modifier la mission de ceux qui existent déjà. L’affichage politique va malheureusement à contre-sens de ce bon sens. De même, François Hollande aurait indiqué vouloir lancer un grand emprunt tous les ans pour favoriser l’innovation et développer l’industrie. C’est absurde ! Tout d’abord, une grande part des “investissements d’avenir” ont été annualisés sur une période longue de plus de 5 ans. De plus, dans certains cas comme dans le numérique, ils étaient disproportionnés par rapport aux besoins, et notamment dans la ventilation entre intervention directe (le Fonds national de la Société Numérique) et indirecte (le Fonds National d’Amorçage, qui était un fonds de fonds)..
Enfin, en matière d’investissement vers le risque se pose la question de la sortie pour les investisseurs. Chez Syntec Numérique, on regrette que les investisseurs exigent de vendre trop tôt les entreprises dans lesquelles ils investissent, notamment à des grandes entreprises étrangères. En effet, ils gagneraient à faire grandir les entreprises investies plus avant, ne serait-ce que pour augmenter le rendement de leurs fonds. Le poids de l’Etat dans les fonds des VCs via ses fonds de fonds gérés par la Caisse des Dépôts ne peut-il pas influencer le terme des fonds d’investissements ?
La question se pose également du manque d’acquisitions par des groupes français qui ne savent pas innover en faisant l’acquisition de PME innovantes. Même si le secteur du numérique est fragilisé de ce point de vue du fait de grands acteurs en santé vacillante (comme Technicolor et Alcatel-Lucent) ou trop situés dans les services (télécoms, SSII), la situation se retrouve dans tous les secteurs d’activité. L’explication est très culturelle, liée au fonctionnement des élites dirigeantes et aux pratiques managériales associées. Et au fait, la principale alternative à la revente est l’entrée en bourse. Pourquoi il y en a-t-il si peu ?
Un Etat plus “business friendly”
Comment rendre l’Etat plus “business friendly” ? C’est là un clivage clair entre droite et gauche, au moins dans les discours. Pour Patrick Arthus, entendu lors d’un diner de l’ADEN au sujet de la présidentielle (ci-dessous, il est à droite), “la France est une société de conflits dont l’administration n’aime pas les entreprises”. Pierre Gattaz (FIEEC, second à droite) renchérissait en trouvant que “la France est un pays piloté par sa DRH et sa DAF. Que les directives européennes sont durcies contre les entreprises lors de leur transposition dans le droit français tandis que les Allemands se demandent toujours comment favoriser l’emploi dans leur législation”.
François Hollande promet d’augmenter les charges des entreprises, surtout les grandes, ne serait-ce que pour finance un retour en arrière sur les réformes des retraites. Les grandes entreprises ont le bon dos ! Si on les fragilise, que nous restera-t-il ?
A droite, le discours est plus favorable aux entreprises mais pas toujours les actes. Combien de taxes tournées vers les entreprises ont-elles été inventées ces dernières années, notamment sur les opérateurs télécoms ? Combien de startups ont été redressées après avoir bénéficié du Crédit Impôt Recherche ? Combien de temps celles-ci perdent dans les différents contrôles fiscaux associés ? Les seuls qui ont réellement bénéficié d’une simplification des procédures sont les autoentrepreneurs, et encore, non sans risque de requalification par les administrations sociales. L’une des pistes du “comment” réside dans la poursuite du développement de la e-administration que nous évoquerons plus loin.
Quid aussi de la sempiternelle plainte sur la complexité des aides à l’innovation ? Faut-il un guichet unique ou pas ? Les syndicats professionnels comme Syntec Numérique et l’AFDEL militent pour sa création en faisant état de 500 aides différentes qui sont disponibles. Pour Bruno Vanryb, il ne s’agit pas de regrouper les différents organismes concernés mais plutôt de consolider l’information les concernant sur un site web et de proposer des interlocuteurs formés et bien payés pour aiguillonner les entrepreneurs. L’AFDEL propose de son côté la création d’une Agence Française de l’Innovation qui serait une structure d’accueil au niveau des régions pour orienter les PME innovantes vers Oséo, le FSI, la CDC, la Coface et UbiFrance. L’UMP propose pour sa part la création d’un site Internet créé par les CCI pour disposer d’une information juridique (sous-entendu : sur le JEI et le CIR) permettant de se passer de cabinets de conseils. C’est peut-être un peu réducteur comme périmètre !
De toutes manières, un guichet unique est difficile à mettre en place, ne serait-ce que parce que les modes de financement associent étroitement le secteur public et le secteur privé. Dans les faits, les financements publics sont articulés pour l’essentiel autour d’Oséo qui est un peu la plaque tournante des aides. Il faut distinguer la coexistence de plusieurs guichets pour le même type de financement – comme ces quelques dizaines de K€ que l’on peut obtenir chez Oséo ou dans les régions lors du démarrage d’un projet – des guichets correspondant à des aides ou services différents. Rares sont les entrepreneurs qui savent par exemple qu’Oséo peut les financer sur l’export et la propriété intellectuelle, la Coface, UbiFrance et l’INPI étant des prestataires de services payants.
Au passage, je continue à mettre à jour régulièrement le Guide des Startups depuis 2006 et prépare sa 16ième édition ! Il balaye l’ensemble de ces fameux guichets mais je n’en maitrise pas l’ensemble des détails. Mon expérience est que la consolidation de toutes ces informations serait délicate pour tout fonctionnaire car elle nécessite une expérience terrain qu’il aurait bien du mal à acquérir et surtout entretenir dans la durée. Par contre, la simplification des procédures serait la bienvenue. L’une d’entre elles, pas évoquée par les politiques, consisterait à renforcer les financements génériques (Oséo Innovation) plutôt mis à mal actuellement et à réduire ceux qui sont sectoriels, trop nombreux et complexes à obtenir pour les startups.
Conclusion sur les PME innovantes
Pour conclure cette longue partie sur l’environnement des entreprises innovantes, il faut souligner la complexité du sujet. Bâtir un écosystème favorable repose sur un tas de conditions et sur la durée. Une Silicon Valley à la française ne se décrète pas ni la création d’un Google français ! Le diable est dans les détails de la conception et de l’exécution et aussi dans la “culture” d’un pays. Les politiques doivent apprendre à raisonner au-delà du couple recherche/financement, à insuffler de l’ambition, notamment en terme de compétitivité et d’export, et à intégrer les différentes discipline de l’innovation. Ce qui nous amènera naturellement au sujet suivant… l’enseignement, pour le prochain post !
Suite…
Episode suivant… le numérique dans l’enseignement !
La liste complète des articles de cette série :
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 1 : cartographie et position des syndicats professionnels, et des candidats.
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 2 : l’environnement des entreprises innovantes
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 3 : l’enseignement du numérique et de l’entrepreneuriat
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 4 : le numérique dans l’Etat
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 5 : le haut débit et le très haut débit
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 6 : l’économie des contenus et la régulation
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Bravo Olivier : c’est vraiment remarquable !
D’accord avec les analyses sur la mobilisation de l’épargne, mais il semble que sur longue période, que ce soit en France ou aux US, le early stage reste non rentable –même avec des Zakouskis fiscaux à l’entrée.
et l’une des qualités des Zakouskis en question, c’est tout de même de nous débarasser des fonctionnaires qui tentent, parfois, d’avoir un avis sur un investissement à risque. on ne peut rêver pire contradiction dans les termes !
enfin, tu devrais dire un mot, un de ces jours, sur les PEE, les Pôles entrepreneurs-étudiants, qui tentent de sensibiliser l’ensemble des étudiants à l’entrepreneuriat sous différentes formes. Avec des moyens minuscules, on arrive tout de même à quelques résultats –ça reste de la sensibilisation, mais quand tu vois 50 doctorants CIFRE “sciences dures” faire des projets en équipes en “24 h chrono”, le nom de l’une de nos opérations, ça fait chaud au coeur ! On agit très loin du business : sur la culture… mais on peut supposer que ça portera quelques fruits !
Merci Benoit pour l’info, je ne connaissais pas ce dispositif ! Je l’ajoute dans l’article suivant qui traite de l’enseignement !
Ici : http://t.co/iBx8nryW RT @CDelphes “Tous les candidats … sont d’accord sur le besoin de dynamiser le tissus des PME françaises”
La suite +1 “@olivez: 2nd partie des “Clivages de la présidentielle sur le numérique” sur les entreprises innovantes: http://t.co/GNeZllRN”
Super lecture: RT @olivez: partie 2 “Clivages de la présidentielle sur le numérique”, sur les entreprises innovantes: http://t.co/rjSm408D
A lire, mieux qu’1 benchmark des prop. des candidats sur le #numerique chez @olivez le 1. http://t.co/LkfpWydc et le 2. http://t.co/WM1ChYN2
Les français ont une aversion pour le risque et l’incertitude et pourtant Eric Ries définit bien la start up en ces termes:
“A startup is a human institution designed to deliver a new product or service under conditions of extreme uncertainty. ”
Dans ces conditions il faut travailler plus pour faire évoluer
les valeurs de la société française dans son ensemble que rajouter une énième étage à un édifice qui ne fonctionne pas si mal avec OSEO ou le CIR…
En effet, c’est la composante culturelle d’une nation ! Les politiques peuvent-ils l’influencer dans le bon sens ? Je pense que oui, à petites touches impressionnistes…
Bravo Olivier,
Les conditions ne sont-elles pas : des usages afin de créer l’écosystème vertueux.
Les utilisateurs ne poussent-ils déjà pas les “Google” français dès lors qu’ils y trouvent un bénéfice : Coyote, Parrot….
Ont-ils eu besoin de l’Etat pour découvrir les Smartphones et autres terminaux intelligent ? non. Dans leur grande majorité les français sont technophiles y compris la célèbre Madame Michu.
La France a les moyens et les talents.
Au pays de Colbert, l’Etat a joué, joue et jouera un rôle capital.
Une grande impulsion de l’Etat ne doit-elle pas porter sur l’infrastructure suivie de relais locaux permettront la création de cette mutation.
En ce qui concernent les incubateurs et les écoles, ils catalysent déjà tout ce potentiel avec des moyens ultra limités. Les réussites sont nombreuses, elles ne demandent que plus de facilités.
Merci pour ta synthèse.
Suite a decoder RT @olivez: 2nd part. Clivages de la présidentielle sur le numérique”, sur les entreprises innovantes: http://t.co/JJD5B8nA
Depuis plusieurs années, nous sommes quelques uns à défendre l’idée qu’il ne faut pas essayer de copier la Silicon Valley en France en créant un nième mécanisme intermédié qui magiquement permettrait de “cloner” l’écosystème tout entier de la Vallée, mais qu’il faut plutôt saisir la prochaine vague et savoir construire sur un nouveau paradigme.
Depuis tout ce temps, le financement participatif est passé d’une idée, à des faits, et aujourd’hui à une véritable solution alternative.
Pour permettre à cette nouvelle solution de montrer tout son potentiel, il nous faut maintenant amender des lois qui ont été conçues dans un contexte où l’Internet et les communautés n’étaient pas envisagés. Un groupe rassemblant de très nombreux acteurs du financement de projets vient de produire un manifeste http://bit.ly/xkigff – Nous organisons le 26 mars au Palais Brongniart un évènement pour présenter des amendements qui permettraient de lever les contraintes freinant l’essor du financement participatif en France.
Olivier, tu es bien sûr le bienvenu, et espéré, pour nous faire profiter de ta participation.
Le financement n’est qu’un des aspects de l’innovation et le financement participatif n’est qu’une facette du financement, qui couvre plutôt l’amorçage et les petits tickets. Bravo pour ces initiatives et aussi pour le travail sur les blocages législatifs associés. Maintenant, en quoi est-ce un nouveau paradigme qui pourrait transformer le jeu concurrentiel entre pays ?
oui, et au delà du manifeste, il y a quelques chiffres –à suivre !
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 2 http://t.co/rXLXUUkW via @oezratty – Très complet et instructif
Le financement participatif opère plutôt sur des petits tickets – pour le moment – mais avec déjà des levées supérieures à £1M au UK.
Par rapport au modèle géographique de proximité physique de la Silicon Valley, il permet une réorganisation des hommes et des fonds encore plus rapide, et bien plus diverse. Une nation, ou une communauté de nations, qui saura offrir le cadre juridique suffisamment souple pour permettre ces modes d’organisation accélérés aura un avantage compétitif certain dans le nouveau paysage de production du XXIème (si l’on veut admettre que la maîtrise et l’exploitation de la connaissance en sera un des enjeux fondamentaux)
RT @olivez: 2nd partie des “Clivages de la présidentielle sur le numérique”, sur les entreprises innovantes: http://t.co/iBx8nryW
Olivier,
En tant que créateur d’entreprise dans le secteur numérique (hors internet) la mesure la plus efficace pour nous est clairement le statut JEI car les dépenses principales sont bien souvent les salaires. Malheureusement, comme tu le soulignes, il été raboté en cours de route…
Je doute de l’efficacité du CIR qui demande tout de même une avance de trésorerie, est très mal distribué (d’ailleurs Google a t-il vraiment installé une partie de sa R&D en France à cause principale de ce dispositif comme tu le dis Olivier?) est maquillé (tu le décris très bien) et est bien souvent récupéré en partie par des cabinets de conseils (sinon paperasse sans fin).
Bref, JEI pour (presque) tous et on supprime une bonne fois pour toute cet usine à gaz de CIR. Mesure simple mais surement efficace!
Oui, l’avantage du JEI est qu’il réduit les dépenses “upfront” alors que le CIR les déduit après… les dépenses ! Il faut donc des fonds propres pour les engager.
Pour ce qui est de Google et de Microsoft, oui le CIR fait partie de l’équation de la présence R&D de ces acteurs américains en France. Ce n’est pas la seule raison, mais c’en est une d’assez convaincante. Comme certains aiment à le dire, la France est un paradis fiscal pour la R&D. Chacun son paradis !
Je suis en tout cas d’accord sur le besoin de rééquilibrer le dispositif avec moins de CIR pour les grands groupes et plus de réduction de charges génériques pour les PME innovantes via le JEI.
Pas de fonctionnaires à Oseo en tout cas. Google à choisi la France surtout pour l’attrait de Paris sur l’Europe. Et pas pour le CIR. Vive la Ville de Paris et ses startups!!!