Après l’entrée en matière, les entreprises innovantes et l’enseignement, voici la suite de cette série sur les clivages de la présidentielle 2012 sur le numérique et qui va sur le numérique dans l’Etat. Suivront ensuite dans une dernière partie le très haut débit, l’économie des contenus et la régulation.
Clivages #3 : le numérique dans l’Etat
Les syndicats professionnels et les grands partis politiques s’accordent sur le besoin de poursuivre la modernisation de l’Etat par le numérique. Les nuances sont dans le “comment” !
L’interminable chantier de la e-administration
Pour Bruno Vanryb du collège Editeurs de Logiciels du Syntec Numérique, la e-administration entrainera le reste et notamment l’équipement numérique des PME qui est toujours à la traine, notamment dans le commerce en ligne. Ce serait moins couteux que les incitations directes vers les PME, tel ce “crédit numérique” proposé par Syntec Numérique pour les encourager à investir dans le numérique.
Pour Emmanuel Le Chypre (L’Expansion) entendu lors de la table ronde du 15 février organisée par Syntec Numérique, la France est très en retard dans la réforme de l’Etat et de l’administration, même vis à vis des pays socio-démocrates scandinaves. La paye des fonctionnaires occupe 10000 personnes alors qu’un logiciel permettrait de passer à 6000 personnes. La saisie des rapports des policiers se fait au Royaume Uni avec des solutions mobiles françaises ! Mais pas en France, d’où les bien connues pertes de temps dans les commissariats et des policiers qui ne sont pas assez sur le terrain.
Certains en profitent pour promouvoir leur secteur d’activité. C’est le cas des industriels de la sécurité numérique qui demandent un programme massif d’équipement en outils de sécurité numérique, notamment dans la sphère publique (vu dans les propositions de la FIEEC). La ficelle est un peu grosse pour passer telle que mais le besoin est là !
Côté e-administration, Laure de la Raudière évoquait dans la table ronde de Syntec Numérique le verre à moitié plein : la Réforme Générale des Politiques Publiques et les 70% des procédures administratives qui sont maintenant dématérialisées, la plus connue étant la déclaration en ligne de l’impôt sur le revenu, adoptée par plus de la moitié des foyers. Le portail services-public.fr a été créé en 2001 et des dizaines de procédures administratives en ligne y sont disponibles. La France est par ailleurs plutôt bien placée pour son administration électronique dans les benchmarks, sans être dans le peloton de tête pour autant.
Laure de la Raudière fixe au passage un objectif majeur pour la prochaine mandature : le passage d’une logique de contrôle à une logique de service. De son côté, Fleur Pellerin dénonçait l’aspect purement comptable et aveugle de la RGPP, notamment dans la réduction des effectifs générée par le non remplacement d’un départ à la retraite d’un fonctionnaire sur deux. Le rapport d’exécution de la RGPP au niveau de Bercy montre qu’il faut nuancer ce propos : les évolutions impulsées dans la cadre de la RGPP ont aussi été qualitatives !
La e-administration comprend aussi l’Open Data et son impact à la fois pour la démocratie et les contre-pouvoirs et pour engendrer des opportunités de création de valeur avec les entreprises. Le PS milite pour une mise à disposition gratuite des données publiques sans autorisation préalable. Mais la mission ETALAB mise en place en 2011 par François Fillon est déjà sur la lancée, avec une pratique qui va dans ce sens, statuant que tout ce qui n’est pas initialement déclaré comme confidentiel devrait être libre d’accès dans le portail data.gouv.fr. Dans le débat politique, le PS critique le gouvernement pour ne pas être allé assez loin dans l’Open Data mais dans les faits, les blocages sont plus administratifs que politiques. Sans compter les collectivités locales qui sont aussi pourvoyeuses de données, mais encore très peu nombreuses : il n’y a à ce stade qu’un seul Conseil Général et quelques villes qui publient leurs données dans le portail de l’Etat. Elles sont moins avancées en général, faute de ressources suffisantes pour préparer et publier les données, sachant que très souvent, cela répond à des demandes ponctuelles de citoyens, médias, associations voire d’entreprises.
Il subsiste aussi un débat un peu stérile sur les formats de données, dont certains sont encore propriétaires. Il s’agit surtout des données de l’INSEE dont le volume gonfle les statistiques du portail Open Data du gouvernement. Et encore, il s’agit de fichiers Excel “plats”. A vrai dire, un véritable Open Data devrait contenir des “APIs” disponibles sous forme de web services et pas seulement des fichiers accessibles sur des sites web. On n’y est pas encore ! Dans les faits, la vitesse d’avancée de l’Open Data dépend de celle de l’administration. C’est le rôle du politique et de l’exécutif que de l’accélérer, là encore, avec une logique pragmatique orientée vers les citoyens et les entreprises.
Deux exemples de lacunes: dans mon travail de recherche d’information pour rédiger cette série d’article, je n’ai trouvé aucune donnée sur le Crédit Impôt Recherche dans le portail Data.Gouv.Fr (cf illustration ci-dessus). Pour ce faire, il faut grappiller à droite et à gauche ces données dans les rapports parlementaires et ceux de la Cour des Comptes. Le second, soulevé par Gilles Babinet : Pôle Emploi qui s’obstine à ne pas vouloir publier ses données alors que cela permettrait à des entreprises du secteur privé de contribuer à fluidifier le marché de l’emploi.
Un Etat financeur ou client ?
Alors, faut-il un Etat client ou un état financeur de l’innovation ? La meilleure source de financement d’une PME innovante, ce sont ses clients ! L’Etat client peut être une bonne référence. Il peut impulser le déploiement d’innovations dans un tas de domaines en jouant mieux son rôle de client. En réallouant une partie de ses aides diverses à des projets d’investissements, il pourrait impacter plus positivement l’écosystème français de l’innovation.
Aux USA, l’Etat fédéral est plus client que financeur, notamment via la DARPA, leur équivalent de notre DGA, la NASA mais aussi la NSA qui est un énorme consommateur de technologies numériques de pointe. En France, l’Etat est trop financeur de R&D, sans que cela soit directement relié à ses propres besoins et projets. Comme l’Etat est aussi déficient dans sa conduite des projets numériques et qu’il est mauvais payeur, il joue mal son rôle de client. L’Etat doit donc mieux former ses agents à la conduite de projets complexes, adopter les méthodes “lean” et de “customer development” et aussi payer dans des délais raisonnables ses fournisseurs, ne serait-ce qu’en respectant la loi qui les fixe à un maximum de deux mois.
Comme cela ne mange pas trop de pain, les organisations professionnelles comme les partis politiques sont assez d’accord sur le besoin de développer les nouveaux usages qui relèvent des compétences du service public comme dans la e-santé et la e-éducation. Le programme de l’UMP de juin 2011 est particulièrement détaillé sur ces deux points. Comme pour la e-administration, les difficultés rencontrées sont opérationnelles plus que politiques. Il faut déjà faire avec les nombreuses professions qui peuvent être réticentes au changement, qu’il s’agisse des enseignants ou des praticiens de santé, mais aussi avec les préoccupations légitimes concernant la protection de la vie privée. Il faut ensuite bien conduire ces projets et le fameux Dossier Médical Personnalisé a montré que ce n’était pas le fort de l’Etat et des organismes de santé paritaires impliqués.
La sempiternelle question du Small Business Act revient à chaque élection. Tout le monde le propose, y compris le PS qui écrit “qu’une entreprise a d’abord besoin de clients”. Il faudrait privilégier les PME dans la commande publique, et notamment pour les PME. Qui cela pourrait-il concerner ? Essentiellement les éditeurs de logiciels spécialisés. Pour les SSII, les plus grandes sont mécaniquement favorisées par le lotissement “en gros morceaux” des projets. La Loi de Modernisation de l’Economie de juillet 2008 a introduit une clause permettant de favoriser les PME à hauteur de 25% des appels d’offres, mais sans que cela soit coercitif. Cela n’a donc pas eu d’effets notables. Comme de toutes manières, ce dispositif n’est pas appliqué de manière sectorielle, l’Etat peut se rattraper d’un secteur d’activité (BTP) sur l’autre (numérique). La pertinence d’un SBA à la française demanderait à ce qu’il soit un minimum sectorisé pour éviter ces effets de bord.
D’autres approches existent qui vont au-delà de la relation Etat / PME. Il y a par exemple l’association Pacte PME qui agit dans le développement des partenariats entre grands groupes et PME. Contrairement à ce que certains imaginent, le Small Business Act américain ne régit en rien les relations entre PME et grandes entreprises privées ! Il ne couvre d’ailleurs que l’Etat fédéral, et pas les services publics des 50 Etats !
Enfin, les 25% de commandes publiques fédérales alloués aux PME ne sont qu’un tout petit aspect du Small Business Act américain ! Et elles sont rarement utilisées par les entreprises innovantes du numérique. Le reste est toujours éludé par nos politiques et même par les associations professionnelles, tels les fonds d’amorçages SBIC garantis par la Small Business Agency ! La Small Business Administration garantit aussi les prêts privés aux PME à hauteur de 75%, mais nous avons déjà l’équivalent en France avec la garantie Oséo.
Quelle stratégie industrielle ?
En matière de réindustrialisation, le rôle de l’Etat fait débat. L’Etat peut-il avoir une stratégie industrielle dans tous les domaines ? Doit-il lancer des projets pharaoniques dignes de l’ère gaullo-pompidolienne ? S’il en faut certainement pour ce qui concerne les infrastructures clés comme le très haut débit ou sur des prérogatives régaliennes comme la Carte d’Identité ou le Passeport numériques, c’est moins clair pour le reste qui relève beaucoup du processus foisonnant de l’initiative privée et des entrepreneurs. Là encore, c’est le rôle d’acheteur de l’Etat qui reste le moteur clé. Mais la stratégie industrielle se pilote aussi via la régulation sur laquelle nous reviendrons et parfois sur l’influence dans la création de standards et normes, notamment à l’échelle européenne.
La FIEEC propose la création d’un Ministre d’Etat chargé de l’Ambition Nationale et des grands projets. Elle propose une logique de construction de consensus en faisant appel à “la base” des entreprises et aussi à une meilleure coordination entre les ministères. Une coordination que les syndicats professionnels doivent parfois faire eux-mêmes tant les cabinets ministériels ont du mal à se synchroniser.
Il faut dire que les cabinets ministériels sont bien légers en effectifs pour mener à bien toutes leurs missions. Cette partie clé de l’exécutif a été laminée en juillet 2010 lorsque après l’affaire des cigares de Christian Blanc et autres histoires d’avion, les effectifs des cabinets ministériels ont été réduits. Cet effet d’annonce qui relevait surtout du populisme et de la symbolique a eu un effet indirect pervers dans certains endroits : les cabinets Ministériels, surtout dans les Secrétariats d’Etat, ont beaucoup de mal à soutenir l’activité de leur Ministre et de piloter les projets et les administrations. Si on prend le cas du cabinet d’Eric Besson qui est Ministre “plein”, il ne comprend que trois à quatre conseillers pour piloter tout le secteur du numérique. Pas facile dans ces conditions de piloter à la fois les projets nationaux “très haut débit”, les initiatives autour du cloud, les initiatives autour de l’entrepreneuriat, l’enseignement du numérique et tout le reste ! Ces restrictions d’effectifs ont eu pour effet de déplacer le centre de gravité du pouvoir de l’exécutif vers l’administration. Il reste donc à réinventer la manière de la piloter, notamment dans le cadre de projets complexes qui mettent en jeu les administrations dépendant de plusieurs Ministères, sans compter les nombreux établissements publics rattachés aux différents Ministères (Oséo, CEA, etc).
Quels sont les “grands projets numériques” qui relèvent d’une stratégie industrielle pilotée par l’Etat ? Il n’y en a pas beaucoup dans les faits. L’un d’entre eux émerge toutefois : le projet Andromède, de “cloud computing” à la française, lancé dans le cadre du plan d’investissement d’avenir. On voit là que l’absence de démarche entrepreneuriale et la logique partenariale entre acteurs qui ont des intérêts divergents pose problème. La participation au projet semble surtout motivée par la subvention. La bagatelle de 135m€ de fonds publics a été allouée au projet – avant même la création d’un business plan – à un triumvirat composé d’Orange (pour les data centers), Thalès (pour la sécurité) et Dassault Systèmes (pour… ?). Ce dernier s’étant retiré du projet fin 2011 et ayant annoncé le lancement d’un projet concurrent, il doit être remplacé, ATOS semblant être sur les rangs. Le projet Andromède a été annoncé en 2009 ! En trois ans, ce que s’est-il passé ? Pas grand chose, alors que le marché a évolué à la vitesse Grand V ! Tout cela ne dit rien qui vaille !
L’association EuroCloud France aimerait faire parler les candidats sur le sujet et dénonce cette approche. Elle propose la création d’un fonds pour les startups du cloud et l’obligation de stocker les données en France dans les appels d’offre publics. Il faudrait s’assurer que cela peut se faire en respectant les règles communautaires de la concurrence. Visiblement, c’est le cas en Allemagne donc pourquoi pas. Pour ce qui est d’un fonds, la création de fonds spécialisés fait partie de la logique du grand emprunt et elle est trop rigide. L’innovation, par principe, ne vient pas souvent de là où on l’attend !
Logiciels libres et propriétaires
Voici un débat qui avait court dans les élections précédentes et qui est un peu passé sous le radar depuis : le rôle du logiciel libre vis à vis des logiciels propriétaires dans l’équipement de l’Etat. Les associations du logiciel libre (APRIL, FSF, etc) semblent avoir plus de mal à se faire entendre. Elles ont été dispersées dans leur élan par d’autres sujets tels que la HADOPI et la Neutralité du Net. Mais comme vu dans la mise à jour du premier article, l’APRIL a publié début mars 2012 son cahier de doléances pour les candidats.
Eva Joly s’est emparée du sujet après avoir rencontré Richard Stallmann. Mais son propos est comme sa vision d’ensemble économique, avec notamment sa proposition de passer aux 32 heures de travail hebdomadaire : quelque peu éloignée des réalités économiques.
Le très activiste Fabrice Epelboin qui intervenait dans la table ronde sur le numérique avec François Bayrou le 14 février 2012 mettait en exergue la perte de souveraineté générée par l’usage des logiciels propriétaires étrangers (sous-entendu : Microsoft en premier, suivi d’Oracle et autres) et de formats propriétaires. Un sujet qui n’est pas nouveau puisque cette dépendance a des racines multi décennales. L’UMP propose d’ailleurs que l’open data gouvernemental s’appuie sur des formats de fichiers ouverts et interopérables (ce que sont devenus les formats Office depuis la version 2007 si je ne m’abuse alors que ce n’est pas le cas pour les versions 2003 et antérieures).
La souveraineté d’un pays concerne surtout sa diplomatie, sa défense, sa police, sa justice et son économie. Pour les quatre premières, les logiciels propriétaires ne la remettent pas en cause dans les faits. Etablie il y a plus d’une dizaine d’année et dépendante du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN, nouveau nom du SGDN depuis 2010), l’ANSSI contrôle la commercialisation en France de tous les dispositifs numériques intégrant des mécanismes de sécurité et de chiffrement. Elle dispose des codes sources des logiciels propriétaires comme Windows. Elle définit les certificats de sécurité utilisés par l’Etat pour ses usages sensibles (défense, renseignement, etc). Elle certifie les systèmes de sécurité et de chiffrement exploités par les systèmes critiques de l’Etat et notamment de la défense nationale et du renseignement. On y trouve un grand nombre de logiciels d’origine française (Arkoon, Sagem, ATOS, Alcatel, etc). L’Etat dispose aussi des moyens de déchiffrer les données des utilisateurs, notamment à l’occasion de la saisie d’ordinateurs réalisées dans le cadre d’enquêtes judiciaires (les commissions rogatoires permettent également de mener des interceptions du trafic au niveau des opérateurs télécoms pour la voix comme pour la data). Ces moyens sont fournis par les éditeurs de logiciels qui commercialisent leurs produits en France, qu’ils soient français ou étrangers. Dans chaque pays, l’Etat définit le niveau acceptable de chiffrement des données que les civils peuvent utiliser.
Par contre, maintenant que le chiffrement est autorisé au delà de 128 bits, cela peut poser des problèmes de souveraineté. Plus les clés de chiffrement sont grandes (notamment au delà de 256 bits), plus les services de l’Etat ont du mal à casser les clés en cas de besoin.
L’ANSSI est aussi avertie en avance de phase de la découverte de vulnérabilités dans les logiciels propriétaires. Enfin, pour ne prendre que le cas de Microsoft, les formats de stockage de sa suite bureautique sont publics et documentés si ce n’est standardisés. On peut même utiliser la suite Office en ne stockant ses données qu’avec les formats libres OpenDocument issus de la suite OpenOffice.
Alors, quels problèmes de souveraineté se développent ou perdurent ? Le principal est d’ordre économique. Le poids économique des logiciels importés d’éditeurs américains est significatif. Mais c’est le jeu normal des échanges. Si on considère que notre souveraineté est mise en cause, que dire de tous les industriels du monde entier qui utilisent CATIA et les solutions de PLM (product lifecycle management) de Dassault Systèmes pour concevoir la totalité de leurs produits (avions, automobiles, etc) et qui fonctionnent en réseau ? En termes économiques, notre principale vulnérabilité reste celle de l’énergie, avec un solde commercial négatif d’environ 40 Md€, sans comparaison avec les quelques 4 Md€ de logiciels importés !
La question de pose plus pour les logiciels en SaaS dont les données peuvent être stockées à l’étranger et notamment aux USA (et ne parlons pas du jour où elles le seront en Chine). Ce d’autant plus que la NSA américaine filtre à des fins de renseignement tout le trafic Internet dans les nœuds de réseau situés aux USA chez les grands opérateurs télécoms tels que AT&T, Verizon et Sprint. Elle le fait sur le trafic impliquant des citoyens américains, de manière pour l’instant illégale, et sur le trafic notamment international impliquant des étrangers, de manière légale (vu des USA). Il en va de même au Royaume-Uni qui demande aux opérateurs d’archiver toutes les conversations téléphoniques, dans les réseaux sociaux et emails sur un an.
D’un point de vue industriel, le logiciel open source a été très utile dans les infrastructures serveur et dans les systèmes embarqués. Il est aussi dominant dans les technologies serveur de l’Internet (Linux, Apache, MySQL, PHP, Zend, Drupal, etc). Mais l’open source ne semble pas avoir été un agent de la compétitivité économique de la France dans le logiciel au niveau des éditeurs de logiciels. Il y a bien eu la création d’un groupe thématique logiciels libres dans le pôle de compétitivité Systematic, mais au delà de quelques PME, il regroupe surtout laboratoires et grandes entreprises qui sont utilisateurs de briques open sources dans leurs travaux. Cela n’en fait pas un pôle de compétitivité économique.
L’ironie veut d’ailleurs que les recettes qui ont permis aux acteurs français de l’open source de se développer globalement sont les mêmes que pour le logiciel propriétaire classique : s’établir aux USA ! Les deux grands succès économiques de l’open source français à ce jour sont JBOSS, créé par Marc Fleury et revendu aux alentours de $400m à Red Hat en 2006, et Talend, maintenant établi aux USA après avoir levé $61m, un record pour une startup logicielle d’origine française sur ces 10 dernières années. Et pour les éditeurs de logiciels de l’open source restés en France comme Mandriva, Nuxeo, Linagora, Nexedi ou XWiki, il est bien difficile de trouver un poids lourd ! Le modèle économique de l’open source qui fait la part belle aux activités de service limite leur capacité à devenir des acteurs régionaux ou mondiaux. Autre ironie, même si elle n’est qu’anecdotique : l’une des sociétés phares de l’open source français au début des années 2000, IdealX, devenue depuis OpenTrust et racheté par Keynectis, a abandonné le modèle open source pour revenir au modèle propriétaire classique.
Un autre débat qui date de près de quinze ans et est remis sur la table par le PS est la dénonciation des ventes liées entre PC et systèmes d’exploitation… Windows. Le Mac n’est pas concerné, alors que pourtant, on peut en théorie installer Windows et Linux dessus nativement puisqu’il s’agit d’ordinateurs tournant sous processeurs Intel. Des consommateurs et associations du logiciel libre ont régulièrement dénoncé ces ventes liées et mené des actions en justice pour les contrer ou se faire rembourser du prix des logiciels associés à leur PC. Mais d’un point de vue pratique, ces ventes liées subsistent, et il y a plein de raisons à cela. Devrait-on débundler iOS de l’iPhone et de l’iPad ? Et l’Android des smartphones et qui n’ont pas forcément d’équivalent sous d’autres OS ? Là, l’association entre matériel et logiciel est telle, sans compter les magasins d’applications, que la question ne se pose même plus. Le PC était bien une exception à la règle… ! Bref, le statu-quo risque de perdurer !
Pour finir, les prises de position des associations du logiciel libre en faveur de l’interopérabilité méritent le détour. Cela concerne tout un tas de domaines, dont celui de la TV connectée, et la question devient encore plus aiguë maintenant qu’un grand nombre de logiciels fonctionnent en mode SaaS avec le risque de mise en silos que cela comporte.
Conclusion
Pour synthétiser l’essentiel, le numérique au sein de l’Etat requiert …
- Un Etat qui doit apprendre à être innovateur et bon client plutôt que simple financeur de la R&D des entreprises innovantes.
- Un Etat qui doit être exemplaire dans son usage du numérique, à la fois pour être plus efficace, mais aussi pour générer un effet d’entrainement dans les TPE/PME.
- Un Etat qui doit apprendre à mieux gérer ses propres projets et bien équilibrer les rôles de l’exécutif, de l’administratif et des établissements publics.
- Un Etat qui doit être coordinateur et facilitateur plutôt que stratège dans tous les domaines. Il doit veiller à faire évoluer la régulation pour permettre aux innovateurs du secteur privé de prospérer et de se développer, même si parfois, cela relève d’une approche Schumpétérienne de destruction/création de valeur.
Bon, va pour l’Etat.
Le prochain épisode de cette série sera consacré aux infrastructures du haut débit.
La liste complète des articles de cette série :
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 1 : cartographie et position des syndicats professionnels, et des candidats.
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 2 : l’environnement des entreprises innovantes
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 3 : l’enseignement du numérique et de l’entrepreneuriat
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 4 : le numérique dans l’Etat
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 5 : le haut débit et le très haut débit
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 6 : l’économie des contenus et la régulation
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
excellent (comme les 3 autres) RT “@olivez: n4 “Clivages de la présidentielle sur le numérique” le rôle de l’Etat : http://t.co/rv0eL7nB”
bien vu, mais peu être complété
les ressources humaines de l’Etat restent faibles et très disséminées dans chaque ministère.
en région, elles se limites à un, je dis bien 1, seul, chargé de mission par région !
pour les réseaux, les services et les usages,
c’est peu, très peu, trop peu
sans parler des budgets qui y sont consacrés sur le terrain: on est bien loin des discours !
cela me rappelle le thème de l’environnement:
pendant des années, tout le monde en parlait, sans coordination, donc personne n’en faisait !
il aura fallu la création d’un ministère d’Etat chargé de ce sujet pour qu’enfin il prenne l’ampleur qu’il mérite
combien d’années faudra t il encore pour que les discours sur l’enjeu capital du numérique sortent du périphérique parisien, et se concrétisent sur le terrain ?
En effet, le parisianisme est une plaie pour les régions.
Quel est ce chargé de mission unique par région ? Quelle est sa fonction ?