Comme pour chaque élection présidentielle, les candidats sont sollicités par nombre de lobbies professionnels et d’industries pour que leurs préoccupations et propositions soient intégrées dans leurs plans. Le numérique en fait partie. Il est progressivement devenu un enjeu des présidentielles, depuis au moins 2002. Au gré du développement des usages dans le grand public et de la compréhension du poids du numérique dans l’économie et sa compétitivité. Deux sujets ont été traditionnellement sur le devant de la scène : la couverture haut débit et très haut débit du territoire et la rémunération des auteurs, ce dernier ayant abouti à la création de la HADOPI. Mais il y en a d’autres !
Alors, le numérique est-il un sujet majeur de la campagne ? Non, si l’on en croit l’Express, du fait de la complexité du sujet qui verse facilement dans le débat d’experts. Mais on peut en dire autant d’un tas de métiers et industries qui se sentent pas assez bien traités dans les programmes des candidats qui privilégient des sujets très génériques comme l’emploi, la justice, la réduction des déficits ou l’immigration. L’épineux sujet de la réindustrialisation de la France fait cependant émerger l’économie de l’immatériel et le numérique dans les discussions. Le numérique est tout de même plus en vogue dans la campagne qu’en 2007. Il y a un Ministre qui en est en charge (Eric Besson) et deux plans successifs (France Numérique 2012 et France Numérique 2020) qui permettent de jauger de l’action gouvernementale. Malgré tout, vous n’entendrez probablement pas beaucoup parler de numérique dans les grands débats à la télévision avec les candidats ou leurs représentants.
Le numérique est cependant un outil incontournable de la campagne au vu de la présence des candidats dans les réseaux sociaux. La plupart des candidats ont leur compte Twitter, alimenté essentiellement par leurs équipes de campagne. La timeline Facebook de Nicolas Sarkozy est même devenue un sujet de polémique avec l’équipe de François Hollande. Ce n’est pas anodin !
Les propositions des fédérations professionnelles que nous allons analyser prêchent évidemment pour leur paroisse et leur métier. Elles font appel à la puissance publique pour être reconnues, pour bénéficier de financements, de grands projets, d’avantages fiscaux nouveaux et d’une stabilité dans la durée à cet égard. Certaines se focalisent sur les besoins en formation.
L’objet de cet article en plusieurs parties est de faire le point sur ces propositions et de les mettre en regard de celles des principaux candidats. Dans ce tour d’horizon, je vais me focaliser sur les propositions liées à l’univers entrepreneurial.
Les organisations professionnelles du numérique
Avant de rentrer dans le vif du sujet, essayons de de nous y retrouver dans le foisonnement des dizaines d’organisations qui représentent les différents métiers du numérique. Ce petit exercice nous sera utile à d’autres occasions !
On peut distinguer plusieurs types de structures représentatives :
- Des syndicats professionnels patronaux qui rassemblent les dirigeants des entreprises de secteurs spécialisés. C’est le cas du Syntec Numérique qui rassemble les SSII et les éditeurs de logiciels ou du moins connu Sitelesc qui rassemble les fabricants de composants électroniques.
- Des groupements et fédérations professionnels qui sont des conglomérats de syndicats professionnels représentant des branches d’industries. Il y a par exemple le Syntec qui comprend en plus des SSII et éditeurs, les sociétés de conseil, de recrutement, de formation et d’organisation de salons. La FIEEC rassemble les industries électriques, électroniques et du numérique, y compris l’AFDEL, qui est une autre association d’éditeurs de logiciels. Elle fait elle-même partie du Groupe des Fédérations Industrielles qui rassemble diverses fédérations industrielles comme celles de l’automobile, de l’aérospatial (le puissant GIFAS), du bâtiment ainsi que la fameuse UIMM (métallurgie). Les syndicats et fédérations professionnels patronaux négocient les conventions collectives avec l’Etat et les syndicats de salariés. On peut citer la convention de la métallurgie (UIMM) et celle des services (Syntec) qui sont les plus connues dans les industries du numérique. Ils interviennent aussi dans le paritarisme de la gestion des organismes sociaux.
- Le MEDEF et la CGPME sont les “têtes de réseau” de ces syndicats et fédérations professionnels dans les industries qui nous concernent. Le MEDEF représente la patronat toutes entreprises confondues, mais avec un poids historique fort sur les grandes entreprises tandis que la CGPME représente les PME comme son nom l’indique et fédère tout un tas de syndicats professionnels. Certaines fédérations professionnelles comme la FIEEC ou des syndicats comme l’AFIC (investisseurs en capital) sont à la fois membres du MEDEF et de la CGPME.
- Des associations diverses qui jouent un rôle de défense de leur secteur d’activité (ACSEL, IE Club, SNJV pour le jeu vidéo), du logiciel libre (AFUL, APRIL) ou de promotion de nouveaux usages (FING, Renaissance Numérique) par diverses actions de lobbying. Elles ne sont généralement pas affiliées aux fédérations professionnelles citées ci-dessus. Il faut aussi y intégrer les associations de collectivités locales qui se démènent sur le haut débit et le très haut débit comme l’AVICCA.
- Les syndicats de salariés, sachant que je n’ai identifié que le MUNCI qui soit spécifique aux métiers du numérique, au delà des syndicats de salariés et intermittents dans les métiers des médias. Il y a sinon bien entendu les syndicats nationaux comme la CGT, FO et la CFDT qui sont présents dans les entreprises du numérique, et surtout les plus grosses d’entre elles, le niveau de syndicalisation étant assez faible dans les PME du numérique.
Ce système de représentation est loin d’être unifié. Il présente notamment quelques redondances. Les entreprises sont souvent membres de plusieurs syndicats professionnels, surtout si elles sont à cheval sur plusieurs métiers (matériel, logiciels, services, télécoms). Nous avons ainsi dans l’univers des télécoms : l’AFORS (opérateurs télécoms avec SFR, Bouygues Télécom, mais ni Orange ni Free), l’AFA (fournisseurs d’accès à Internet, avec Orange, SFR, Bouygues Télécom, Numericable et aussi Google France) et la FFTelecom (avec encore SFR, Bouygues Télécom, Orange, et divers MVNOs). Dans l’édition du logiciel, nous avons le collège éditeurs de logiciels de Syntec Numérique et l’AFDEL, affiliée à la FIEEC. Les deux associations partagent quelques dizaines de membres communs sur plusieurs centaines. C’est pour cela que le Syntec Numérique a lancé un appel fin janvier 2012 aux associations professionnelles du numérique pour améliorer leur concertation dans le cadre de cette présidentielle. 12 ont répondu positivement, dont l’AFDEL et le SNJV.
Le schéma ci-dessous explique la structure en poupées gigognes des syndicats, fédérations et groupements professionnels nationaux. Il ne prétend pas être exhaustif… et je le complèterai ou corrigerai au gré des feedbacks (le schéma est téléchargeable en PDF pour faciliter sa lisibilité).
Ces différentes organisations ont à la fois des équipes de permanents et des membres actifs parmi les entreprises membres. Ces derniers font généralement partie des équipes de lobbying dites de “relations institutionnelles” de grandes entreprises. On les retrouve régulièrement dans les conférences tout au long de l’année, surtout celles qui sont organisées sous les auspices du gouvernement ou des représentations nationales (Assemblée et Sénat). Les lobbyistes sont souvent des juristes, des anciens membres de cabinets ministériels ou assistants parlementaires voire des professionnels de la communication et des relations publiques. Mais cela reste l’implication étroite des dirigeants des entreprises qui conditionne leur efficacité.
Cet inventaire à la Prévert ne serait pas complet sans citer le Conseil National du Numérique, une instance rattachée à la Présidence de la République, créée en mai 2011 et présidée par le très actif Gilles Babinet. Si ses membres ont été nommés par l’exécutif, ils ont semble-t-il conservé une assez bonne liberté d’expression. Leur représentativité a été contestée et elle est effectivement très teintée “Internet et commerce en ligne”. Les industries du matériel sont généralement sous-représentées dans ce genre d’instance et plus généralement dans les débats sur le numérique. Et pourtant, il y a fort à faire dans ce domaine où tout n’a pas disparu en France au profit de l’Asie.
Propositions des organisations professionnelles
Pour cette élection présidentielle, les associations professionnelles apparemment les plus actives dans le numérique sont celles qui représentent le logiciel (AFDEL, Syntec Numérique) et les industries matérielles (GFI, FIEEC). Les fédérations des télécoms sont plutôt en mode défensif, tentant de résister à la vague de taxation de leurs activités grand public qui ponctionne 0,9% de leur chiffre d’affaire pour financer les industries des contenus et notamment compenser le retrait de la publicité sur France Télévisions depuis 2009.
Voici un petit tour de leurs propositions sachant que nous allons revenir en détail sur les plus significatives plus loin :
- Les 20 propositions de l’AFDEL (éditeurs de logiciels) portent sur le financement des startups (FCPI, exonérations ISF), la stabilité des aides publiques et de la fiscalité d’encouragement à l’innovation, la création d’un guichet unique d’information pour les startups et PME (il y en existe pourtant un, il est ici), la diffusion des usages du numérique dans les entreprises et surtout les PME et une rationalisation de la gouvernance du numérique par l’Etat. L’ensemble est très orienté vers le financement et sur le développement du marché intérieur pour permettre aux startups de démarrer.
- Les 10 propositions de Syntec Numérique (SSII et éditeurs de logiciels) se focalisent sur l’encouragement des entreprises à développer leur capital humain et social (services obligent…), la création d’un guichet unique comme pour l’AFDEL, l’extension du Crédit Impôt Recherche à toutes les dépenses de R&D et de création de produits, un crédit numérique pour encourager les PME à investir dans le numérique (pour développer son business, pourquoi ne pas le faire subventionner par l’Etat hein ?), un développement des filières de formation du numérique, l’accélération de la modernisation de l’Etat avec le numérique, de la e-éducation avec du e-learning et la création d’un cadre juridique pour les travailleurs nomades. Le tout avec un chiffrage de créations d’emplois à la louche pour chaque mesure. Au passage, le Syntec Numérique aimerait bien que la réduction de charges sociales liée à la création en cours de la fameuse TVA sociale ne soit pas plafonnée à 2,5 fois le SMIC, qui correspond au salaire d’embauche des SSII. Vu que la moyenne des salaires dans les SSII est probablement supérieure d’au moins 50% à 100% de ce plafond, cela atténue la baisse des charges sociales du dispositif. Chose dont vont se plaindre toutes les sociétés qui emploient une majorité de cadres.
- Les 5 propositions du Livre Noir et Blanc du collège éditeurs de Syntec Numérique comprennent la création d’un statut d’éditeur de logiciel avec l’intégration de l’ensemble de leur R&D dans le dispositif d’exonération de charges sociales JEI, des aides et exonérations diverses sur la formation des collaborateurs de ces sociétés, la création d’une formation sur l’entrepreneuriat dans le logiciel financée par des sponsors, une filière de formation aux métiers du logiciel dont des cursus de double compétences écoles d’ingénieur et écoles de commerce en partenariat avec l’Education Nationale (le plus dur à mettre en place), un guichet unique croissance et innovation pour les PME du secteur “avec des gens compétents et bien payés”, la création d’un écosystème à la mission et au fonctionnement assez flous. Nombre de ces propositions sont extensibles à l’ensemble du numérique, voire au-delà. Bruno Van Ryb d’Avanquest qui présentait ces propositions regrettait que les financements aillent toujours aux mêmes dossiers qui savent les trouver et souhaiterait que l’Etat aille vers ceux qui en ont le plus besoin (ci-dessous, la réunion de présentation du livre noir et blanc du 15 février 2012 et le débat associé avec notamment Laure de la Raudière, Fleur Pellerin et Gilles Babinet).
- Les propositions de la FIEEC (industries électroniques, électriques et de communication, 98 Md€ de CA dont 48% à l’export, 3000 entreprises et 420 000 emplois) sont plus génériques et portent sur l’adoption d’une posture de stratégie industrielle, avec la création d’un pacte énergétique sur les économies d’énergie, le développement de la e-santé notamment pour les personnes âgées, le lancement d’un programme massif d’équipement en sureté numérique, le pilotage en mode projet transverse des grandes infrastructures de demain (très haut débit, cloud computing, électricité et smart grid), de manière stable dans le temps et en pensant Europe, le renforcement de l’attractivité et la formation des filières électricité/électronique/numérique. Le tout sous la coupe d’un Ministre de l’Innovation ! Le plan est chiffré avec un impact budgétaire positif comme il se doit.
- Le tout s’appuie sur les 12 propositions plus génériques du GFI (Groupe des Fédérations Industrielles), une branche du MEDEF, avec notamment : retrouver l’équilibre des finances publiques, développer une stratégie industrielle, financer la protection sociale par la fiscalité (TVA et CSG) dans la lignée de la TVA sociale, créer un Crédit Impôt Innovation dans la lignée du CIR comme le propose le Syntec Numérique, une orientation de l’épargne longue des français vers les PME et ETI, et, chose originale, lancer un plan au service de la qualité et de l’excellence opérationnelle.
- Le MEDEF a publié le 14 février 2012 un plaidoyer pour la présidentielle sous la forme d’un livre abondamment illustré de 260 pages en PDF “besoindaire” qui ne traite pas spécifiquement du numérique, mais de questions macro-économiques génériques. Il fait la promotion d’une Europe fédérale économique, d’investissements industriels concertés, de la baisse les charges salariales pensant sur les entreprises et d’un alignement de la fiscalité sur l’Allemagne (avec trois variantes de cette “TVA/CSG sociale”, diverses réformes du système de santé, un système de retraite unifié pour le régime de base (makes sense), une fiscalité des entreprises favorable aux PME ainsi qu’un meilleur partenariat entre grandes entreprises et PME, une flexisécurité du travail, une refonte de la formation professionnelle et de l’université. On note une suggestion intéressante de refonte des méthodes de management, mais qui ne va pas bien loin, se contentant d’évoquer la responsabilisation des salariés et d’une meilleure répartition de la valeur dans les rémunérations ! Le MEDEF s’est aussi permis de commenter les propositions de François Hollande ainsi que celles de François Bayrou. Evidemment, en n’approuvant pas les propositions d’augmentation des charges pesant sur les entreprises (FH). Et en faisant une remarque judicieuse sur la création d’une Banque Publique de l’Investissement : “OSEO remplit aujourd’hui sa mission de manière satisfaisante sur l’ensemble du territoire en relation de proximité avec les PME. Mieux vaut renforcer ses moyens que de créer une nouvelle entité.” . Le problème est que l’affichage politique est toujours plus efficace lorsque l’on crée un organisme que lorsque l’on en modifie un qui existe déjà !
- Renaissance Numérique n’a pas encore dégainé ses propositions comme en 2007, mais a déjà décrypté certains des enjeux de la présidentielle en juin 2011. L’ADEN devrait publier ses propositions en mars 2012.
- Dans ses propositions relatives au Plan France Numérique 2020 lancé par Eric Besson en novembre 2011, la FEVAD proposait une fiscalité encourageant l’équipement et la formation au numérique dans les entreprises, l’accélération de la dématérialisation des commandes publiques, une fiscalité stable de l’investissement dans les PME innovantes, une convergence des législations nationales au sein de l’Union Européenne et un encouragement au développement du business intra-communautaire.
- France Angels demande pour sa part une stabilité de la fiscalité de l’investissement dans les startups et tire la sonnette d’alarme sur le financement des FCPI mis à mal par les règlementations prudentielles, l’européenne Solvency II concernant les assurances et l’internationale Bâle III concernant les banques.
- En mars, l’APRIL a publié son questionnaire aux candidats au sujet des logiciels libres et notamment des brevets, des DRM et des ventes liées. Mais aussi, c’est nouveau, une question sur les standards ouverts dans la TV connectée (j’appaudis des deux mains). Avec les explications de texte, cela fait 131 pages, ce qui est un record dans les propositions issues de la “société civile” du numérique. C’est assorti d’un pacte que les candidats aux législatives 2012 peuvent signer pour s’engager à défendre les logiciels libres, un processus qui rappelle celui du pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot de 2007.
J’imagine que d’autres associations vont se remuer dans les semaines qui viennent, et continueront de le faire après la présidentielle. C’est en effet à ce moment-là que le lobbying va se démultiplier car on en saura plus sur les personnes qui auront en charge le numérique dans le prochain gouvernement !
Propositions des partis
Plus le parti qui soutient le candidat est important, plus grandes sont les chances que le numérique soit traité dans le cadre de la campagne. Gérer un pays est complexe et il est souvent bien désolant de voir comment certains petits partis proposent de le faire, avec des plans à l’emporte pièce.
Dans les 45 propositions de l’UMP publiées en juin 2011 sous la responsabilité de Laure de la Raudière (ci-dessous à gauche, cf son blog), Secrétaire Nationale en charge du numérique, on retrouve des morceaux de “Small Business Act”, la création d’un statut de JEI pour les PME du numérique, la création de nouvelles filières numériques universitaires et autres établissements d’enseignement supérieur, un gros effort sur le numérique dans les autres cycles de formation (primaire, secondaire), de la e-santé et notamment pour les personnes âgées, de la e-administration, de l’open data et du télétravail. Le plan couvre donc à la fois les usages, la e-citoyenneté et l’économie. La particularité des propositions de l’UMP est qu’elles s’appuient sur le bilan du quinquennat qui s’achève et qu’elles sont documentées avec beaucoup de données chiffrées. Côté Nicolas Sarkozy, c’est Nicolas Princen qui prend en charge la campagne sur Internet dans la lignée de ses responsabilités passées à l’Elysée, mais il aura surement son mot à dire sur le thème du numérique du fait de sa longue intégration dans l’exécutif.
Même s’il ne s’agit pas du programme de François Hollande, le PS avait publié ses propositions en juin 2011, avec notamment la création d’une banque publique d’investissement reliée aux régions, avec comme mission de faire émerger des “actions forts de l’Internet mondial”, l’orientation des achats publics vers les PME – qui ne concerne pas que le numérique -, des aides à l’innovation qui devraient aussi couvrir les innovations d’usage. Il y avait la fameuse licence globale et un financement encore plus “public” de la création culturelle accompagnée de l’abrogation de la HADOPI. François Hollande a depuis mis de l’eau dans son vin en transformant les propositions un peu radicales du PS en offre de concertation ouverte aux parties prenantes. Après la sélection de François Hollande à l’issue des primaires, c’est Fleur Pellerin qui a été choisie pour piloter le secteur numérique de la campagne (ci-dessus à droite, et cf son blog). Elle a lancé un travail de concertation, un appel au peuple et s’appuie sur une quarantaine de spécialistes pour construire le programme numérique du candidat qui à ce jour n’était pas encore disponible.
François Bayrou n’a pas formalisé de plan sur le numérique mais s’est tout de même impliqué dans le sujet. Il intervenait dans une table ronde le 14 février 2012 sur le numérique en rappelant notamment son opposition à la loi HADOPI. Le reste était assez plat et pas très dense en propositions. Même si François Bayrou se targuait d’intervenir sans notes, on sentait qu’il n’était pas à l’aise sur un tas de sujets et se faisait même balader par certains des intervenants de la table ronde. Le candidat s’était fait remarquer un peu plus tôt en proposant aux business angels de déduire les pertes des startups dans lesquelles ils investiraient. Il s’agirait d’appliquer aux Business Angels la même règle qu’aux fonds d’investissements permettant de déduire fiscalement ses pertes d’investissements en cas de sortie “par le bas”. Comme aux USA, la fiscalité d’encouragement à l’innovation ferait en effet bien de mieux s’équilibrer entre l’amont (réductions d’ISF et d’IR) et l’aval (déduction des pertes, faible imposition des plus-values).
Quid d’Eva Joly ? Sur son site web de campagne, elle indique juste être contre ACTA. Il n’y a rien d’autre au programme qui est entièrement consacré à l’écologie et à l’environnement ! Le programme complet ne contient pas une ligne sur le numérique, ni même le mot “numérique”. Eva Joly a sinon rencontré Richard Stallman en décembre 2011, qui n’est malheureusement pas le plus expert pour parler d’économie numérique ou de compétitivité. Un certain Frédéric Neau est responsable du volet numérique de la campagne.
Chez Marine Le Pen, il n’y a pas non plus de programme spécifique au numérique. Par contre, le programme fait la part belle aux PME/PMI. On y trouve une proposition partagée avec le PS : “Le Crédit Impôt Recherche visera en priorité les PME/PMI innovantes et cessera de constituer une subvention non-justifiée aux très grands groupes qui délocalisent. Il sera conditionné au maintien intégral des centres de recherche et de développement en France” (nous y reviendrons). Le mot “intégral” montre une bien mauvaise compréhension des enjeux des grands groupes industriels qui se doivent de développer une présence mondiale dans ces domaines. On est bien contents d’attirer en France les laboratoires de R&D de sociétés comme Google et Microsoft grâce au CIR !
Chez Dominique de Villepin, on trouve la proposition 24 visant à jeter les bases d’une véritable stratégie industrielle. Et comment ça ? En créant un “Conseil National Stratégique”. On voit la patte de l’énarque ! Et la proposition 25 dédiée aux PME – dont celles du numérique – qui devraient bénéficier d’un effort de R&D publique et privée, du regroupement et de la réforme des pôles de compétitivité (mis en place alors qu’il était Premier Ministre…) et d’une relance de l’investissement en faveur des TPE et des PME. Tant que l’on n’explique pas comment on va faire tout cela, on ne risque pas de se faire d’ennemis ou d’enclencher quelque débat que ce soit !
Au NPA de Philippe Poutou, les entreprises sont des ennemies qu’il faut réguler et tondre. Il propose notamment le passage aux 32 heures (comme Eva Joly au demeurant…), la réquisition des moyens de production par les salariés et le démantèlement des institutions européennes. Ah, et puis, “la dette est illégitime”. On est bien avancés !
Enfin, chez Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière, pas besoin de programme ! Et encore moins de numérique ! Le programme ? Des affiches, des tracts et une brochure qui est en fait un ensemble de questions/réponses digne d’un cours de rhétorique communiste des années 1950 pour justifier le grand soir rouge où les salariés remplaceront les patrons. Les entreprises sont des ennemies qui ne sont pas créatrices de valeur, mises dans le même sac que les bien mal aimées institutions financières.
Au passage, le bouillonnement qui précède une élection présidentielle est toujours fascinant. Un nombre incroyable de corps constitués interpellent les candidats et ceux-ci répondent généralement volontiers pour s’en attirer les faveurs. Voici quelques exemples vus sur le site du Front de Gauche, qui n’a cure du numérique : les étudiants en STAPS (sport), le syndicat national des monuments historiques, le personnel de Météo-France… de l’Allier, le Maire de Vaux-le-pénil, l’appel des 44 pour la création d’un observatoire des suicides, le comité de lutte contre l’hypertension artérielle, le SNPL (pilotes de ligne) et les professeurs de langues anciennes de l’enseignement supérieur.
Je vous épargne Cheminade, Dupont Aignan et Nihous dans cet inventaire un peu affligeant. Au final, je constate que le traitement du thème du numérique est un marqueur parmi d’autre des “partis de gouvernement” qui bénéficient du travail et du réseau de leurs permanents et de leurs élus.
Next ?
Finalement, cette longue mise en bouche n’a fait qu’effleurer les clivages de la campagne sur le numérique. Alors, promesse non tenue ?
Non non ! Dans la suite de cet article, nous allons y venir, thème par thème en se focalisant sur :
- L’environnement des PME innovantes.
- L’enseignement du numérique et de l’entrepreneuriat.
- Le numérique dans l’Etat.
- Le très haut débit.
- L’économie des contenus et la régulation.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Les clivages de la présidentielle sur le numérique 1/2 http://t.co/OEUK2ksd #innovation
@lauredlr et @fleurpellerin : cf “Les clivages de la présidentielle sur le numérique” sur http://t.co/AYfRUCzw
RT @olivez: @lauredlr et @fleurpellerin : cf “Les clivages de la présidentielle sur le numérique” sur http://t.co/AYfRUCzw
RT @olivez: “Les clivages de la présidentielle sur le numérique 1/2” http://t.co/LExl91c3 ” < super et consternant
Super boulot mais j’ai pas vu trop de clivage RT @olivez: “Les clivages de la présidentielle sur le numérique 1/2” http://t.co/FbB8mv1P
Partie 2 ! RT @ndebock: Super boulot mais j’ai pas vu trop de clivage RT “Clivages … sur le numérique 1/2” http://t.co/Buq8vRBZ
Énorme travail de synthèse, bravo! @olivez Les clivages de la présidentielle sur le numérique” sur http://t.co/Pctn1vGR
RT @bvanryb: Énorme travail de synthèse, bravo! @olivez Les clivages de la présidentielle sur le numérique” sur http://t.co/Pctn1vGR
Maintenant que le décors est planté on attend la 2eme partie avec impatience!
Une chose est sûr quand on a fait voter les lois dadvsi, loppsi et hadopi, … difficile d’être crédible sur les questions liées au monde numérique.
En tout cas, ces lois ont eu un impact désastreux indirect : elles ont consommé trop de bande passante de tout l’écosystème du numérique en France, au détriment du reste. Le reste ? Ce sont les secteurs les plus prometteurs en termes de croissance et de compétitivité. Comme un parfum d’erreur stratégique !
Les contenus c’est bien pour l’exception culturelle et pour les maisons de production, mais ils présentent la caractéristique d’être à la fois le plus petit business du numérique en volume et celui qui est le moins rentable. Bref, en s’occupant des losers des migrations de valeur en cours, on a oublié les véritables sources de croissance. Pendant ce temps là, les américains et autres créent les plateformes qui aspirent la valeur de toute l’industrie du numérique.
La concurrence dans le numérique tourne autour des batailles de plateformes, pas des contenus ! Et contrairement à ce que certains croients, les jeux ne sont pas faits partout ! Cf par exemple le cas de la TV connectée : http://www.oezratty.net/wordpress/2011/strategie-europeenne-de-la-tv-connectee/.
Le plus ironique dans l’histoire, c’est qu’une simple procédure judiciaire du FBI associée à l’application des conventions sur les extraditions (affaire Megaupload) a été visiblement bien plus efficace qu’HADOPI… et à l’échelle mondiale !
Les clivages de la présidentielle sur le numérique http://t.co/ErCsnkJs Les propositions de Villepin sont également évoquées! @villepinstaff
Et @Villepin précisera bientôt son projet numérique… RT @ludovict: Les clivages de la présidentielle sur le numérique http://t.co/o6dAeZVi
Article très intéressant, j’attends notamment la partie sur “L’enseignement du numérique et de l’entrepreneuriat”
Étant au stade de la recherche d’un M2 dans ce domaine il n’existe que peu de formations… pire pour les années précédentes ou l’enseignement du numérique n’est pas au niveau.
Hâte de voir les parties suivantes de l’article
Benjamin
A lire, mieux qu’1 benchmark des prop. des candidats sur le #numerique chez @olivez le 1. http://t.co/LkfpWydc et le 2. http://t.co/WM1ChYN2
RT @jr_roy: A lire, mieux qu’1 benchmark des prop. des candidats sur le #numerique chez @olivez le 1. http://t.co/LkfpWydc et le 2. http://t.co/WM1ChYN2
Il semble que les propositions du Munci soient imminentes d’après http://www.journaldunet.com/solutions/emploi-rh/presidentielle-2012-le-munci.shtml
Merci de l’information, toute récente. Je vais intégrer cela dans une révision de l’article ou bien dans une version PDF de la série complète que je vais probablement créer après le dernier article.
Les propositions du MUNCI méritent le détour. Il y a le meilleur et le pire dedans ! Le moteur de recherche européen, entre autres…
“Le moteur de recherche européen, entre autres…”
Et ca fait partie du pire ou du meilleur pour vous ?
Parce que pour moi c’est probablement l’idée la plus pertinente et la plus courageuse que j’ai pu lire parmi toutes les propositions des organisations aux candidats à la présidentielle dans le domaine du numérique !
Je n’image pas un instant qu’il puisse continuer à y avoir un seul un moteur de recherche privé (avec toutes les dérives que l’on connait) pour l’avenir de la société de l’information… il y a bien trop d’enjeux !
Il y en a d’autres vous me direz, mais ils sont bien moins pertinents, et Google ne l’est pas tant que çà déjà (…)
Désolé, c’est dans le pire pour moi. Il vaut mieux se battre sur de nouveaux enjeux que sur les anciens. Contrer un produit dominant planétaire par un projet piloté par la bureaucratie de plusieurs pays a peu de chances de réussir.
L’exemple de Microsoft avec Bing doit faire réfléchir. Microsoft y a consacré maintenant plus de $10B (7 milliards d’Euros) et a bénéficié de ses divers travaux de recherche fondamentale (chez Microsoft Research, un laboratoire de très bon niveau), mais sans résultat très probant, surtout hors des USA. Et ses gains de parts de marché sont surtout liés au partenariat avec Yahoo!
La barrière à l’entrée est énorme et va bien au delà des moyens que l’Europe peut consacrer à ce genre de sujet. Ensuite, il faut être très innovant pour contrer Google, pas juste faire la même chose. Il y a certainement plein de bonnes idées en Europe, mais bon, pas toujours suffisamment en rupture.
Lisez aussi cet article que j’ai pondu il y a quatre ans sur Quaero. Même topo sur le projet français de Cloud Andromède qui n’a pas l’air de partir sur les bons rails non plus avec seulement trois partenaires !
Visiblement, la reproduction des conditions du succès d’Airbus, l’un des rares grands projets industriels européens qui ait réussi, n’est pas évidente. Il y a plein de raisons à cela. Mais je vois une différence clé entre Airbus et le numérique : les cycles industriels sont bien plus longs. Il faut entre 5 et 10 ans pour concevoir un avion et il vit plusieurs décennies. Google est devenu leader mondial en même pas 5 ans !
Pour reprendre la proposition du Munci, compte-tenu de la difficulté du sujet, elle gagnerait en crédibilité en exposant un peu plus en détails la manière de s’y prendre : les acteurs concernés, l’innovation, la gouvernance, le budget nécessaire, la dimension temps du projet, le lien entre ce projet et ceux du cloud, etc.
Je pense justement que ca fait partie des “nouveaux enjeux” car il y a beaucoup à faire encore dans ce domaine…
Sur le reste, je vous rejoins mais je pense néanmoins que cela n’a rien d’impossible même si cela doit prendre de longues années.
Mais attendons d’en savoir plus sur les propositions du MUNCI (pas encore publiées sur leur site).