Dans différentes enquêtes sur l’innovation que j’ai pu lancer (voir le Thermomètre de l’ARPU) ou que j’ai suggéré à mes étudiants à Centrale Paris, il est souvent nécessaire de consolider les grandes données économiques sur des startups. De quelles données parle-t-on ? Essentiellement, du chiffre d’affaire au minimum. Ensuite, des effectifs, de la marge nette, et pour les acteurs de l’Internet, de leur trafic – de préférence en visiteurs uniques par mois.
Pourquoi en a-t-on besoin ? Pour étudier la démographie des startups, leur évolution et estimer lesquelles d’entre elles atteignent la taille critique, pourquoi et comment. C’est d’ailleurs le thème d’une table ronde que j’anime le jeudi 12 juin prochain pour l’association Cyber-Elles et l’Echangeur-PME à Paris. L’objet est précisément “Comment passer le cap” et devenir une vraie PME.
Mais pour la plupart des startups, celles qui ne sont pas cotées en bourse, ces informations ne sont pas disponibles. Elles sont le plus souvent ou fausses – car les entrepreneurs mentent pour présenter une image plus positive de leur situation que la réalité – ou inexistantes, pour se cacher vis à vis de la concurrence, ou pour ne pas avoir à mentir. C’est une pratique acceptée dans l’industrie et elle n’est visiblement pas spécifique à la France. Cela aboutit parfois à des situations ubuesques avec des startups (Internet) qui sont devenues les chéries des médias avec un patron omniprésent dans la presse, présentées comme des “success stories” mais dont la réalité économique est bien sombre et cachée et que la trésorerie s’approche du fond !
Heureusement, je suis tombé un jour sur une exception. Dans les rencontres X-Ange, du nom de cet investisseur en capital risque qui rassemble ses partenaires en mars de chaque année. Pendant les présentations ainsi que dans une “Lettre” distribuée aux invités, et normalement téléchargeable sur leur site web (mais le lien semble cassé…), on y trouve le chiffre d’affaire de nombre de startups de leur portefeuille. Quelle aubaine ! En voici un extrait :
- Altaven, éditeur de logiciels financiers, 2,5m€ en 2007
- Delamaison.fr, site de ecommerce pour la décoration de la maison, 6m€ prévus sur 2008
- VoluBill, logiciel de facturation et d’analyse de flux de données, 8,3m€ en 2007
- Assima, logiciel de formation, 11,7m€ en 2007
- notrefamille.com, portail dédié à la famille (avec notamment, une fonction de généalogie), 9,7m€ en 2007. Mais l’entreprise a été introduite en bourse.
- Harvest, logiciel financier de simulation patrimoniale et fiscale, 11,3m€ en 2007.
- SideTrade, logiciels financiers, 7,3m€ en 2007
- A2iA, logiciels de reconnaissance et d’extraction de données, 8,2m€ en 2007
- Sefas, logiciels d’éditique, 9,3m€ en 2007
- Nexway, solution de téléchargement de logiciels, 18m€ en 2007
- Fimasys, logiciels financiers pour le crédit à la consommation, 11,4m€ en 2007
- Sinequa, moteur de recherche pour entreprise (un concurrent d’Exalead), 3,8m€ en 2007.
- Kxen, logiciel de datamining, $10,5m en 2007.
Pourquoi donc cette transparence ? Tout d’abord par ce que ces startups ont un revenu. Tout simplement. Ensuite, parce qu’elles sont en général dans le monde de l’entreprise et que leur modèle économique ne repose pas sur la création d’une audience suivie en différé de la mise en place d’un modèle publicitaire ou assimilé (affiliation, commissionnement). En gros, l’équation est la suivante : “éditeur de logiciel d’entreprise de quelques années d’existence = transparence” et “acteur de l’Internet non coté = pas de transparence”. Dans le cas des startups Internet vivant de la publicité, on peut éventuellement consulter les données de trafic dans les panels Nielsen et en déduire vaguement un revenu publicitaire. Pour les startups de commerce électronique, il est par contre très difficile d’extrapoler leur revenu à partir de données publiques.
Pour ce qui est des éditeurs de logiciels du portefeuille de X-Ange, leur taille est significative et devrait les faire rentrer toutes dans le top 100 des éditeurs français. Pourtant, elles n’apparaissent pas dans le Top 100 de Truffle Venture. Où est le lézard ? Ils n’ont simplement pas envoyé leur dossier…
De votre côté, connaissez vous d’autres investisseurs institutionnels qui publient ainsi le chiffre d’affaire des startups de leur porte-feuille ou dont les startups le publient ?
Cela permettrait de mieux connaitre le monde des startups de notre pays… et d’identifier celles qui sont devenues de véritables PME – sans avoir atteint la sortie industrielle ou introduction en bourse – et d’en tirer parti pour aider les autres.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
personnellement, je regarde societe.com pour me faire une idée sur le CA des entreprises de mon secteur… les plus belles ne sont pas toujours celles dont on entend parler…
Bonjour Nicolas,
societe.com est bien, mais cela ne te donnera pas le CA des boites qui ne le déclarent pas car elles ne sont pas obligées de le faire !!!
“De la transparence dans le private equity ! ” Une chimère ?
Bien sur dans toute la chaine de l’investissement, personne n’est très intéressé par donner des chiffres exacts. Que se soit les sociétés, qui cultive le secret, ou les fonds et fonds de fonds, qui distribue l’information avec parcimonie.
L’investisseur final n’a donc qu’une vue partielle de son investissement.
Cependant cette pratique nuit à l’industrie elle-même. En effet le Private Equity donnerait beaucoup d’argent pour avoir de vrai benchmark des secteurs dans lesquelles il pourrait situé leur propres investissement, et l’investisseur serait plus a même à investir s’il était informé de l’impact de son investissement.
Peut-être que les fonds qui vont imposer des pratiques de transparence au secteur, sont ces fonds social ou de dévellopement durable, en plein boom actuellement, et qui ont ont un intérêt certain à jouer la transparence.
Je salue quand même l’acte de transparence de X-Ange, je suppose néanmoins que les informations divulgées étaient sélectionnées.
Cordialement
Elles étaient sélectionnées oui, car le CA n’était pas fourni pour certaines sociétés dans lesquelles les investissements étaient récents. Mais dans l’ensemble, c’est pas mal. Et cela témoigne peut-être de la bonne santé du fond et de la qualité de leurs sélections. Encore que je ne sois pas suffisamment bien informé pour me prononcer de ce point de vue là.
Je suis moi aussi très sensible au sujet et à un sujet connexe, l’actionnariat d’une entreprise. J’ai beaucoup cherché des données et il n’existe rien de systématique pour les sociétés non cotées. Societe.com est même assez exceptionnelle, car on y trouve tout de même de nombreux bilans.
Olivier quand vous dites que certaines sociétés ne sont pas obligées de publier leurs chiffres est-ce une certitude? Il me semblait que dans pas mal de pays, l’audit annuel était obligatoire et à fournir à l’administration pour la fiscalité et en général disponibles moyennant paiement.
Ainsi, je me suis amusé à suivre l’histoire de Kelkoo et contre environ €50, j’ai bâti l’évolution de l’actionnariat de la société (voir
http://www.startup-book.com/2008/05/06/cap-table-kelkoo/)
Par contre quand j’ai voulu faire le même exercice pour Skype (Luxembourg) ou mysql (Suède) ce fut la galère.
Je ne crois pas que le problème soit software contre Internet mais vraiment côté contre non-côté. J’ai par exemple retrouvé tout l’historique de Intel ou Microsoft ou de dot.com côtées et plus récentes. Mais si la société est privée, il semble qu’ils aient droit de rester très pudiques…
Oui, le côté vs non côté est le premier biais qui explique la transparence ou pas des comptes.
Mais de manière non régulatoire, l’Internet a un impact. Les logiciels ne sont pas concernés. Ce sont les startups Internet qui vivent de la publicité qui en général ne sont pas transparentes. En effet, elles peuvent passer pas mal à de temps à générer une audience avant d’acquérir la capacité de la monétiser. Elles communiquent donc volontiers sur l’audience car celle-ci est auditable (Alexa, Compete, Nielsen). Mais pas sur leur CA, trop modeste quand ce n’est pas inexistant pendant longtemps.
Pour ce qui est de l’obligation de publier des comptes pour les sociétés non cotées, aucune idée. Et si publication il y a, il y a-t-il aussi “publicité” ? Ou est-ce juste destiné aux SIE (Services d’Imposition des Entreprises) ?
Je viens de passer 15 minutes sur societe.com et toutes les societes dont tu as mentionne les chiffres 2007 y fournissent l’historique de leurs bilans et CA en 2006 et avant jusque leur date de creation. Les chiffres 2007 n’y sont pas (encore). Et les societes du style netvibes y sont aussi. Tu as raison, il ne s’agit pas de publicite, mais bien d’obligation legale, il faut donc aller chercher les chiffres. Ce qui est utile mais pas toujours connu.
Autre question que je me pose: je ne suis pas sur que les USA soient aussi transparents. Avions nous acces aux chiffres de Google en 2001, 2002, 2003, auquel cas nous aurions peut etre ete plus sensibles a ce qui etait en train de se passer…
Il est obligatoire en France de publier ses comptes pour les SARL et SA.
Cela dit dans la pratique de nombreux dirigeants choisissent de ne pas les publier. Les amendes ne sont pas dissuasives car rares et peu élevées.
Oui et c’est pour cette raison que les informations ne sont disponibles que pour les sociétés cotées : elles ne peuvent pas du tout se soustraire à l’obligation de publication de leurs résultats. Il y a matière à assainir un peu tout cela!
Mais les bilans sont disponibles pour tous les investisseurs et financeurs qui le demandent. Les entreprises peuvent être obligées de fournir ces bilans avec l’aide d’un expert comptable certifié. Quand on souhaite obtenir des chiffres on peut en avoir (lorsque l’on finance soit même l’entreprise). Les startups internet dépensent largement plus qu’elles ne gagnent. Faut il pour autant bannir ces entreprises ? Ces entreprises sont des cas vraiment à part. Elles devraient être adossées à des entreprises qui par ailleurs font des résultats. Comment apprécier une startup internet : sur son compte de résultat ou sur sa valeur intrinsèque ? C’est le genre de boîte à mentors et business angels qui veulent financer pour voir… Mais pour un investisseurs institutionnel ou une banque, ce n’est pas une entreprise facile.
Je parlais surtout de transparence pour une étude externe du marché des startups, pour mener des analyses macro-économiques, etc.
Bien entendu, un investisseur aura accès aux données économiques d’une startup…