Depuis que le pétrole a dépassé les $100 le baril en début d’année, les médias, associations de consommateurs et politiques se sont enflammés pour dénoncer les profits des grandes compagnies pétrolières et notamment celle que nous avons sous la main en France : Total.
Tout y est passé: il faudrait taxer leurs “super profits scandaleux”, les utiliser pour financer un prix plus bas du pétrole pour certains consommateurs (pêcheurs, routiers, taxis, etc). Le comble a été cette déclaration de Ségolène Royal citée dans Le Monde du 7 juin qui a appelé à «prélever les profits de Total, qui sont un bien collectif», afin d’investir «80% de ces profits dans les énergies renouvelables» et de «préparer l’après-pétrole». Ce n’est pas la première fois que madame “yakafaucon” se lance dans ce genre de diatribe indigne d’un politique ayant une moindre connaissance des mécanismes économiques de ce bas monde. Et elle n’est pas seule.
Alors, je me suis dit qu’il était temps de creuser un petit peu. En dépiautant notamment les Rapports d’Activité 2007 des cinq plus grandes compagnies pétrolières mondiales dont Total fait partie. Et la position de Total est intéressante dans ce panorama.
Total est la cinquième plus grande compagnie pétrolière mondiale derrière deux américaines (Exxon, Chevron) et deux européennes (BP, Shell). Son chiffre d’affaire en fait de loin la première entreprise française avec 156 milliards d’Euros.
En termes de résultats nets, la profitabilité de Total est dans la moyenne, mais elle est dépassée par trois de ses concurrents.
Je me suis alors demandé si les profits de Total avaient significativement augmenté en 2007 du fait de la croissance du prix du brut, déjà bien entamée dès la moitié de l’année. Résultat ? Pas vraiment. On peut constater qu’en valeur absolue, le résultat net est relativement stable depuis 2004.
En pourcentage du chiffre d’affaire, le résultat net est même sommes toutes raisonnable, à 8,3% ! Beaucoup d’entreprises françaises ont une meilleure marge que celle-là. A titre de comparaison, L’Oréal et LVMH ont fait un résultat net d’environ 12% de leur CA en 2007, soit pour chacun, plus de 2 milliards d’Euros.
En pourcentage, ce résultat net pour Total s’est amélioré significativement à partir de 2003. Et le taux d’imposition a suivi le rythme. Plus Total gagne de l’argent, plus Total est imposé.
En consultant les données des rapports d’activité 2007, on apprend plusieurs choses intéressantes :
- Total est un groupe, dont la maison mère française Total SA génère un chiffre d’affaire artificiel de 9,6md€ pour un résultat net de 5,7md€. Enorme. Mais classique pour une maison mère qui enregistre les flux financiers du groupe.
- Total SA verse 1,5md€ d’impôts sur les sociétés en 2007 en France, à comparer à 2,4md€ en 2006 et 1,28md€ en 2005. C’est une belle contribution mais qui fluctue en fonction d’un grand nombre de paramètres… que je n’ai pas encore compris. En fait, l’essentiel du reste des impôts de Total, tout de même 12 milliards d’Euros, est versé aux pays producteurs de pétrole, où la taxation est très élevée, de l’ordre de 85% sur le prix du baril. Et ces 1,5md€ d’impôts sont à comparer aux 18md€ de TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers qui alimente le budget de l’Etat.
- 39% du résultat net de Total SA est distribué sous forme de dividendes aux actionnaires, dont seulement 31% sont français. Le reste a été utilisé pour des rachats d’actions (environ 1,5md€ en 2007) et pour alimenter la trésorerie. Rien que du classique. Le dividende est de 2€ par action, chacune valant environ 55€ pendant l’année 2007. Soit un rendement de seulement 3,6%, à peine de quoi alimenter un plan d’assurance vie pépère. Pas de quoi en faire un fromage ! A titre de comparaison, Exxon a versé $7,6B de dividendes en 2007 sur un résultat net de $40B, soit une rentabilité de 1,4% par action. Exxon a sinon racheté pour $31B d’actions ! De leur côté, Shell et BP ont versé l’ensemble de leur résultat net sous forme de dividendes, n’ayant pas besoin de racheter leurs actions pour soutenir leur cours. Résultat, Total est plutôt dans la bonne moyenne. Ils rachètent relativement peu de leurs actions et le rythme est en baisse, ils distribuent des dividendes corrects mais modestes pour une action qui évolue peu à la hausse pour l’instant.
- L’action de Total donne lieu à de la spéculation, mais elle est relativement stable dans la durée avec des fluctuations de +/- 20%.
- Total est la société pétrolière du Top 5 qui paye le plus d’impôts par rapport à son chiffre d’affaire. C’est peut-être lié à la taxation supérieure des pays où ils produisent ou plus simplement à leur meilleure rentabilité opérationnelle.
En évolution dans le temps, l’impôt sur les sociétés de Total groupe est relativement stable. Il a même baissé en 2007 :
Alors, faut-il taxer Total sur ses profits qui ne sont pas si exceptionnels que cela ? Pas si évident.
En 2006, les grandes banques françaises avaient aussi fait aux alentours de 5md€ de marge nette, comme Total SA cette année.
Quand on voit que 69% du capital de Total est détenu par des investisseurs étrangers, on comprend mieux pourquoi une sur-taxation serait délicate, surtout si elle ponctionnait 80% des dividendes comme Ségolène Royal le propose. Elle pourrait faire fuir les actionnaires et déstabiliser la société. Contrairement à ce qu’indique Ségolène Royal, les profits de Total ne sont donc pas “collectifs” à l’échelle française. Ils appartiennent la société et à ses actionnaires. Pas à l’Etat, ni à la France.
Quand à l’idée de taxer Total pour investir dans les énergies nouvelles, autant leur demander ou les inciter à investir plus dans ce domaine directement. Ils le font bien mais leur métier principal reste la chaine des hydrocarbures, de la production à la distribution en passant par la transformation et la chimie. De plus, les autres parties prenantes de l’énergie en France gagnent aussi bien leur vie : EDF et GDF sont profitable et peuvent aussi investir dans les énergies nouvelles. Il y a d’ailleurs une entreprise pour cela: “EDF Energies Nouvelles” dont EDF est un des actionnaires. Il serait par contre utile d’encourager le secteur privé à plus investir dans les énergies nouvelles d’autant plus qu’elles deviennent rentables avec l’augmentation du prix des hydrocarbures. Car, il y en a d’autres qui investissent à fond dans le secteur, notamment dans la Silicon Valley. Encore eux !
Au passage, la marge nette 2007 d’EDF est équivalente à celle de Total SA : 5,6md€ et ils ont payé 1,8md€ d’impôts sur les sociétés en France. EDF a versé pour 2,1md€ de dividendes aux actionnaires, soit la même proportion de son résultat net que Total ! Mais l’Etat a touché des dividendes. Normal : il est encore actionnaire d’EDF à au moins hauteur de 70%. Il n’a donc pas besoin de taxer exceptionnellement EDF pour piocher dans son résultat net. Il lui suffit de rester actionnaire (il a cependant revendu une petite part de son capital en 2007 pour financer la reconstruction d’universités). L’Etat est donc classiquement “capitaliste” pour ce qui est d’EDF.
D’où les deux poids, deux mesures dans le discours ambiant sur la taxation des super-profits !
En tout cas, les politiques feraient bien d’être plus raisonnables et informés dans leurs propos. Et les économistes pourraient dire ce qu’ils en pensent et évaluer l’impact de décisions politiques plus ou moins réfléchies.
J’ai trouvé tout de même quelques blogs qui documentent très bien le sujet sur le fond : sur Econoclaste et sur Ecocognito. On y discute également sur le blog de l’ancien Ministre Alain Lambert.
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Il est quand même tentant de corréler l’augmentation sensible des bénéfices de Total (doublement entre avant 2003 et après 2004) avec l’augmentation sensible du court du brent depuis 2004 (cf cotation du brent.
D’autres facteurs, industriels ou financiers, peuvent aussi expliquer cette augmentation ; ce serait intéressant de trouver la principale cause.
Bonjour M. Ezratty,
Je pense que vous me reconnaitrez vite en me décrivant comme un de vos élèves, en stage chez Total, qui plus est auprès d’activités de Trading…
Je vais commencer ces commentaires en vous remerciant pour le recul que vous pouvez prendre par rapport aux (trop) faciles critiques sur Total. Non, Total n’est pas la méchante entreprise capitaliste obnubilée par ses bénéfices. Elle doit certes répondre aux exigences du marché, mais je pense très sincèrement que c’est une entreprise beaucoup plus citoyenne qu’on ne peut le penser : elle accepte de payer ses impôts en France (alors qu’il lui serait assez facile de les payer ailleurs par quelque montage financier), elle a une réelle politique sociale orientée vers ses employés et je pense qu’elle se plie assez volontiers aux exigences du gouvernement.
De plus, à propos des bénéfices accumulés par Total, je rajouterai à votre commentaire que la grande majorité est réinvesti dans des projets de prospection de nouvelles nappes, recherches qui sont malheureusement de plus en plus coûteuses vu leurs difficultés croissantes, mais nécessaires tant que l’on aura pas de solution alternative aux hydrocarbures. D’ailleurs, contrairement à une idée trop souvent répandue, Total n’est pas responsable des cours du pétrole actuels, pas plus que les autres majors, et elle en subit elle-même les envolées récentes.
Enfin, sur l’aspect des énergies nouvelles, un gros effort est porté actuellement sur la branche Gaz & Énergies Nouvelles (à laquelle j’appartiens), qui s’emploie a promouvoir des énergies comme le nucléaire (cf. les récents accords avec Areva), le solaire et l’éolien.
Pour conclure, vous trouverez sans doute que je ne peux pas être objectif dans mon jugement (ou que le formatage de recrutement est très efficace), mais je crois qu’il est nécessaire de garder un certain recul face à la situation, et de se demander si le politique ne cherche pas à cacher son impuissance en pointant du doigt des responsables tous trouvés et dociles…
Jonathan
Bonjour Jonathan,
Oui, il est bon de remettre les pendules à l’heure.
Petit point de sémantique: quand tu dis que les bénéfices sont réinvestis là où là, ce n’est pas vrai financièrement. En effet, les investissements sont intégrés au compte d’exploitation. Et les bénéfices, c’est ce qui reste après avoir intégré tous les coûts – dont les investissements – et payé les impôts.
Les bénéfices d’une société vont en général dans trois directions:
– Des dividendes aux actionnaires (39% du résultat net de Total SA)
– Des rachats d’actions pour soutenir le cours de l’action et diminuer la partie “flottante” du capital.
– Alimenter la trésorerie pour parer au futur: acquisitions de sociétés en cash, plans de restructuration, gros investissements, etc.
L’équilibrage des trois destination est parlant de l’équilibre de la relation d’une boite avec ses actionnaires (les deux premiers points) et avec la préparation du long terme (le dernier point). Il est aussi lié à l’évolution du cours de l’action. Dans les boites en forte croissance de la high-tech, il n’y a pas beaucoup de versements de dividendes. C’est lorsque la croissance ralentit – et le cours de l’action avec – que les boites commencent généralement à distribuer des dividendes.
Maintenant, pour ce qui est de l’impact de l’évolution du prix du baril, lié à une forte spéculation sur les matières premières, il est significatif : le prix de revente du baril et des produits dérivés du pétrole est supérieur. Mais est-ce que les coûts d’approvisionnement augmentent autant ?
Le détail du mécanisme financier au sein d’un groupe comme Total mériterait un éclaircissement d’un spécialiste !
Olivier
Ce n’est pas la peine de tourner autour du pot : tant que l’opposition actuelle n’aura pas rompu avec le marxisme dans lequel elle est confite, les raisonnement seront impossibles. Total, ou les salaires des patrons, yaka, faukon etc etc. Tout ça pour endormir le bon peuple. J’ai vu Fillon ce soir en direct, je l’ai trouvé très bon, particulièrement face à Hollande.
Oui, il n’était pas mauvais, et posé comme d’habitude. Avec une maitrise des détails et des chiffres assez étonnante. On ne l’a pas vu trébucher là-dessus.
Mais il aurait pu répondre de manière plus directe sur le pourquoi du comment de l’équilibre de la pression fiscale vis à vis des gens qui entreprennent. Il y a toujours une gêne à appeler un chat un chat dans cette majorité.
Ce qui s’explique facilement : les réductions fiscales pour les plus aisés ne sont pas forcément assez bien ciblées sur ceux qui entreprennent ou qui les financent. La plus grosse erreur a probablement été cette modification du plafond d’exonération des droits de succession. C’était certes une promesse électorale. Mais franchement pas urgente car ses effets économiques induits sont mineurs.
Il faut dire que la fiscalité directe (autant l’IR que l’ISF) est devenue tellement complexe qu’il est difficile pour tout gouvernement d’en expliquer le sens.
Autre réponse que je trouve toujours timide: celle qui concerne le pouvoir d’achat. Il faut affirmer plus haut et fort que nous sommes dans une économie où il faut améliorer notre compétitivité, nos innovations, se bouger, pas juste “travailler plus” quantitativement. Que c’est le prix à payer (et à investir) pour augmenter le pouvoir d’achat. Et que cette augmentation sera un effet indirect d’une politique long terme. Et d’accepter de dire qu’en ce moment, oui, le pouvoir d’achat baisse du fait du marché mondial des matières premières, et de celui de l’immobilier, qui n’est pas encore à la baisse. Et que ce sera dur plutôt que de tourner autour du pot.
Cette proposition revient en somme a subventionner la consomation de petrole. Pas tres malin etant donne qu’on importe 99% du petrole qu’on consome.
Mais ca fait plaisir aux gens d’entendre dire “on va prendre de l’argent aux grosses companies pour vous le donner”. Tres tres demagogique.
Bonjour Mr EZRATTY
Concernant le pouvoir d’achat,je suis tout à fait d’ accord avec vous;il ne suffit pas de travailler plus quantitativement.Il faut pouvoir créer et créer en france avec une fiscalité complexe et aussi variable d’ année en année (elle a changé 1800 fois l’année dernière source BFM..),avec des démagogues politiques qui veulent encore menacer ceux qui réussissent ou prennent des risques de redistribuer sans arrêt le fruit de leur travail et des tribunaux des prudhommes aussi partiaux avec des jugements si peu prévisibles,vous devez reconnaître qu’il s’ agit là de voeux pieux.Actuellement, parmi les professions médicales,nous voyons de nombreuses créations de SELARL (SARL médicales)plutôt qu’en nom propre pour pouvoir justement s’ajuster aux variations fiscales.Malgré le déficit de professionnels médicaux,devant l’insécurité légale et réglementaire,nous embauchons bien moins que nos voisins.Cela reflète exactement la réaction d’un “entrepreneur” face au risque d’un environnement instable juridiquement.(il faut reconnaître que les professionnels de santé sont loin de souffrir d’une pénurie de travail).Cet exemple parmi d’ autres démontre bien le poids de l’insécurité réglementaire et juridique dans la volonté d’ investir.La démagogie sur la taxation des profits “scandaleux” de TOTAL ne rend pas service à la nation car de telles inepties sont peu enclin de rehausser la confiance des investisseurs.POurquoi demain ne serait il pas injuste de gagner plus de 4000 euro ?
Bonne chance aux politiques s’ils espèrent relancer la croissance avec de tels propos.
Bonjour M. EZRATTY
Vais poser une question de candide. Durant les deux semaines de blocage, de la Guyane, les politiques locaux ont argumenté, afin de ne pas lâcher les 20cts/l qui devaient compléter les 30/l cts concédés par les pétroliers actionnaires de la SARA (raffineur), que l’Etat devait lui les cèder puisqu’il était actionnaire à 30 % voir à 50 % (selon le politique au micro) dans le groupe TOTAL.
A vous lire, j’ai pas l’impression, où alors vu les impôts que Total verse à la France,les politiques prennent ça pour de l’actionnariat.
l’ETAT est-il toujours actionnaire du Groupe Total ou sont-ils entrain de nous raconter des histoires ?
L’Etat peut-il être actionnaire dans ceux qui sont appelés institutionnels par l’entremise de la Banque de France par hasard ?
Je vous remercie de votre réponse
Marie Guyane Française
A ma connaissance, l’Etat n’est pas actionnaire significatif du groupe Total. La SARA semble être une exception.
Mais je ne suis pas un spécialiste du domaine et n’ai pas eu l’occasion de creuser cette curieuse affaire de la Guyane qui intervenait alors qu’en métropole, le prix de l’essence est revenu en dessous du niveau de 2006/2007…
Bonjour M. Ezratty
Je vous remercie d’avoir répondu si rapidement à ma question.
Vous avez parfaitement raison, La SARA est réellement une exception. Toujours dans ma fonction Candide au pays des pétroliers, j’arrive difficilement à comprendre comment plusieurs enseignes peuvent se regrouper en S.A. et vendre au même prix le carburant à la pompe sans que ça ne ressemble pas à une entente illicite.
Si la préfecture fixe le prix du carburant à la pompe, il fixe la somme à ne pas dépasser, s’il existait une réelle concurrence, les enseignes de la SARA pourraient choisir de baisser ne serait-ce de 1,2,3 cts en laissant le consommateur choisir à laquelle aller.
Faire jouer une réelle concurrence. Là, elle n’existe pas puisqu’ils vendent tous le carburant au même prix.
Excusez moi si “j’encombre” votre site, mais la situation ici, est aussi sombre que le pétrole au sortir du derrick.
Nous sommes des milliers à nous poser des dizaines de questions depuis deux semaines, et y’a pas trop de volontaires fiables de surcroit pour y répondre.
Encore merci
Marie Guyane Française
Vous ne répondez pas à une question toute simple: En quoi l’augmentation des cours du pétrole est responsable de ces super profits ?
Si total achète du pétrole plus cher, et le revend plus cher, en quoi les marges augmentent ? La seule explication est qu’ils ont profité des hausse des cours pour augmenter leurs prix de manière “totalement” disproportionnée, réalisant ainsi de super profits.
Désolé, mais votre raisonnement est orienté en faveur de Total et de ses actionnaires (dont vous faite probablement partie). La pseudo-science économique donne toujours raison aux plus riches. Bizarre non ?