Du 19 au 21 septembre 2016, j’intervenais aux TechDays de Guyane organisés par l’agence GDI, Guyane Développement Innovation, l’agence régionale du développement économique et de l’innovation rattachée à la Collectivité Territoriale de Guyane. C’était une occasion de plus de découvrir de beaux territoires de l’Outre Mer après mon passage à la Réunion en mars-avril de la même année.
J’y venais pour intervenir dans trois conférences sur les tendances du numérique, les basiques de l’innovation (invention vs innovation, écosystèmes, plateformes) puis les fondamentaux de la création de startups. Y assistaient des porteurs de projets, des entrepreneurs, l’écosystème local de l’entrepreneuriat ainsi que des élèves de formations supérieures (BAC+2/3). J’ai aussi pu rencontrer quelques élus, représentants du patronat local et des entrepreneurs en 1/1.
Je devais à l’origine visiter la base spatiale de Kourou mais des contraintes logistiques diverses qui ne vous intéresseront pas m’en ont empêché. C’est bien dommage mais ce n’est que partie remise.
Voici un compte-rendu de ces trois journées bien rapides passées à découvrir l’écosystème entrepreneurial guyanais. C’est une belle leçon d’entrepreneuriat. Créer une startup à partir d’un tel endroit est bien moins évident qu’à partir de l’hexagone, et encore plus, des grands écosystèmes d’innovation tels que la Silicon Valley. Mais l’entrepreneuriat est comme le monde végétal : il peut pousser partout, même dans les endroits les plus extrêmes. Il a tendance à démarrer dans l’économie locale (commerce, services), puis dans les services numériques pour équiper les quelques 1200 entreprises locales et enfin, avec quelques véritables startups tournées vers les marchés extérieurs.
Guyane primer
La Guyane est la seconde région de France en superficie avec 83 846 km2, après l’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente, mais c’est la seconde la moins peuplée après Mayotte, hors immigration illégale issue des Comores. La Guyane est limitrophe du Suriname au nord et du Brésil au sud. Le sud de la Guyane est à environ 220 km au nord de l’équateur géographique, qui traverse le Nord du Brésil et l’Equateur (pays), situé sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud.
98% de sa surface de la Guyane est une forêt équatoriale dans le prolongement de l’Amazonie. Le climat est équatorial et très humide. Mon passage en septembre correspondait à la saison sèche… avec plus de 30°C à l’ombre et surtout, plus de 60% d’humidité ! Mais septembre est le mois de plus faible précipitations, la zone recevant près de 3 m d’eau par an. La Guyane est le pays où il pleut le plus en France derrière Saint Benoit de la Réunion. Dans l’hexagone, la pluviométrie est comprise entre 0,5 m (Bouches du Rhône) et 1,4 m (Biarritz) – source.
La région comprend 254 000 habitants, une population en augmentation rapide du fait des naissances et de l’immigration des pays avoisinants, le Brésil, le Suriname et Haïti via la mer. Contrairement à la Nouvelle Calédonie où la population totale est du même ordre de grandeur mais très concentrée à Nouméa, elle est ici plus répartie, sur les villes de la côte Atlantique avec Cayenne (58 000 habitants), Saint Laurent du Maroni (42 000), Matoury (30 000, où se trouve l’aéroport Félix Eboué) et Kourou (26 000, qui abrite la base spatiale). La Guyane ne comprend que 22 villes et la densité en habitants y est très faible dans la zone forestière. Les villes du littoral sont reliées par une route nationale, la RN1. Il y a très peu d’infrastructures dans la zone forestière.
Le Suriname voisin partage 500 km de frontières avec la Guyane. Il fut longtemps sous domination hollandaise et est devenu indépendant en 1975. Le pays est un peu plus grand que la Guyane et comprend 520 000 habitants. Il est moins protégé que la Guyane d’un point de vue écologique, du fait notamment d’un orpaillage plus répandu et de l’exploitation de la bauxite dans des mines à ciel ouvert.
Comme à la Réunion, la population est d’origine très diverse avec les Créoles guyanais (40% de la population), les descendants des Noirs Marrons (environ 25% de la population), les français originaires de la métropole (12%), les amérindiens (5%), les H’mongs (des cambodgiens arrivés en 1977 au moment de la révolution Khmer Rouge, 2000 habitants) et divers autres, notamment des chinois (18%). On observe d’ailleurs très bien cette diversité dans l’avion Orly-Cayenne. Cette diversité génère une grande richesse culturelle comme cultuelle. J’ai croisé des brésiliens, de nombreux français venus plus ou moins récemment de l’hexagone, des natifs de la Guyane passés par la métropole pour leurs études ou une partie de leur vie professionnelle, comme Bellemare James, de GDI, un natif de la Guyane qui a travaillé 30 ans en France après des études d’ingénieur agronome et est revenu en Guyane il y a 7 ans.
Pourquoi la Guyane est-elle française ? Elle fut d’abord découverte par Christophe Colomb en 1498. Le traité de Tordesillas de 1494 a fixé le partage de l’Amérique du Sud entre espagnols et portugais après une décision approximative du pape Alexandre VI (le pape de la série Borgia…). Les autres pays européens ont plusieurs tenté d’y prendre pied. Des français s’y sont installés en 1503 et leur implantation y est devenue définitive en 1673. La Guyane française fut occupée par les Britanniques pendant le règne de Louis XVI, de 1778 à 1783 et de 1785 à 1788 puis par les portugais à la fin de la Révolution française et jusqu’à la Restauration, de de 1793 à 1817. A ce jour, c’est la seule enclave européenne en Amérique du Sud.
La Guyane était connue comme lieu de détention de prisonniers divers. Les déportations politiques ont démarré aux débuts de la Révolution Française et à partir du Consulat. L’esclavage y est définitivement aboli en 1948. Le bagne est créé pendant le Second Empire, il héberge le capitaine Dreyfus à la fin du 19e, et ne sera fermé qu’en 1946.
La Guyane a d’immenses ressources naturelles, dont des ressources minérales qui ne sont pas encore exploitées. Elle recèle de l’or, qui a donné lieu à une ruée vers l’or dans la seconde moitié du 19e siècle, asséchant au passage la réserve de main d’œuvre allouée à l’agriculture. L’or est toujours exploité, mais de manière modeste.
La Guyane est devenue un département français d’outre-mer en 1946 puis une collectivité territoriale en 2010, agrégeant les prérogatives d’une région et d’un département. Son activité économique s’est historiquement faiblement développée. Les infrastructures y sont moyennement développées avec des routes concentrées sur le littoral et en 2 voies, alors que la Réunion dispose d’une 4 voies qui fait les 2/3 du tour de l’ile par l’Ouest. L’accès à la forêt est très difficile. Les lignes aériennes ne sont pas très nombreuses (Paris, Suriname, Belem, Martinique). Il y a deux vols par jour minimum de et pour Paris, opérés par Air France et Air Caraïbes.
Plus du dixième de l’activité économique de la Guyane est liée à l’activité spatiale de Kourou lancée par le Général de Gaulle en 1964 après l’indépendance algérienne. La Guyane est située à proximité de l’équateur, ce qui rend plus pratique le lancement de satellites géostationnaires. Le centre spatial de Kourou comprend trois pas de tirs : l’un pour Ariane 5, un second pour Soyouz et un troisième pour la fusée italienne Vega. Ils sont positionnés sur des charges d’emport complémentaires : Ariane 5 peut emporter de 5 à 10 tonnes, souvent réparties sur plusieurs satellites, Soyouz avec 3 à 5 tonnes et Vega avec de 1 à 3 tonnes. Un quatrième pas de tir est prévu pour Ariane 6 qui décollera d’ici 2020.
La base de Kourou occupe environ 1700 personnes en tout et plus de 2000 militaires pour sa protection. Les russes ne sont pas très nombreux pour gérer leur base. Ils ne sont qu’une dizaine hors période de lancements et une trentaine pendant. C’est lié au fait que les grandes installations et notamment le PC de lancement sont mutualisés avec les autres pas de tir. Les techniques de préparation des fusées et de leur alimentation en carburant sont cependant très différentes entre les Ariane et Soyouz. Chaque emploi qualifié de la base génère plusieurs emplois traditionnels dans l’économie locale.
Celle-ci comprend sinon de l’agriculture, un peu de pêche, l’extraction d’or qui subsiste, de l’exploitation raisonnée du bois et du BTP porté par les infrastructures et le logement. Plus toute l’économie traditionnelle des services publics et du tertiaire : le commerce de détail avec notamment deux hypermarchés, un Géant et un Carrefour et une bonne partie du commerce de détail tenue par des chinois, la santé, l’éducation, et un écotourisme bourgeonnant. Des gisements pétroliers à 150 km des côtes restent à exploiter.
Le département se distingue en creux par le niveau de délinquance physique le plus élevé de France, voisin du niveau du Brésil. Les disparités y sont assez élevées, entre des populations faiblement scolarisées et des cadres supérieurs concentrés dans l’industrie spatiale. Une bonne partie de la population, notamment les familles nombreuses, vit des allocations et du RSA. Le PIB par habitant de la Guyane serait le plus élevé de l’Amérique du Sud. Mais la région bénéficie de nombreux transferts de l’hexagone. A lui tout seul, le RSA est équivalent au PIB par habitant du Suriname voisin.
La population augmentant, la Guyane subit une crise du logement avec un rythme de construction de logements (800 par an) qui ne suit pas l’augmentation des besoins (5000 par an). Certaines prévisions anticipent que la population de la Guyane pourrait atteindre un million d’habitants d’ici 2050. Cela s’expliquerait par la natalité et l’immigration. Mais cela n’est pas forcément supportable économiquement.
Ce retard dans le logement est accentué par une situation particulière : plus de 90% du territoire appartient à l’Etat, notamment la forêt tropicale, organisée en parc nationaux et la base spatiale de Kourou. Une bonne part des terrains appartient sinon aux municipalités. Des rivalités nombreuses entre l’Etat et les collectivités peuvent ralentir le lancement de programmes immobiliers.
La région vit en grande partie sous perfusion de la métropole. Ses besoins sont couverts par des importations de matières premières et produits manufacturés comme alimentaires qui arrivent par containers. Ces biens sont couverts par un droit de mer, sorte de taxe d’importation qui alimentent le budget des collectivités locales. Il n’y a par contre pas de TVA applicable sur la vente de ces biens comme sur celle de services locaux. Une situation que l’Etat souhaiterait corriger, surtout dans la mesure ou ce droit de mer n’est pas compatible avec la réglementation européenne. Il n’y a sinon quasiment pas d’industrie locale.
Les atouts du département sont sa biodiversité, considérée comme l’une des plus riches du monde, du fait de la forêt tropicale. Elle comprend un parc national et six réserves naturelles.
L’électricité provient de plusieurs centrales électriques thermiques ainsi que du barrage hydroélectrique de Petit-saut d’EDF. La ville de Kourou a sa propre centrale, alimentant aussi la base spatiale associée.
Télécommunications
Comme partout en Outre Mer, le marché des télécoms est assez concurrentiel en Guyane. Orange est l’opérateur historique et dominant. Les opérateurs alternatifs sont Outremer Telecom, une filiale d’Altice, Guyacom, qui opère dans le fixe, CANAL+ Telecom (anciennement Mediaserv) et l’anglais Digicel, dans le mobile.
La Guyane est desservie en Internet par le câble sous-marin Americas 2 qui vient de Miami en Floride et alimente par plusieurs branches Porto Rico, Trinidad, la Martinique, le Vénézuela, la Guyane et le nord du Brésil. Ce câble sous-marin génère un débit de plus de 100 Gbits/s ce qui n’est pas bien énorme et explique la lenteur des débits constatés à Cayenne, situés souvent aux alentours de 500 Kbits/s.
Cela génère l’inconvénient d’être un tuyau espionné par la NSA à son départ des USA. Cela explique pourquoi, entre autres raisons opérationnelles, les communications de la base de Kourou passent par satellite. Les chalutiers coupent parfois le câble sous-marin Americas 2 et il faut au moins 15 jours pour le réparer, avec un navire câblier à faire venir sur la zone. Une panne d’accès à Internet est intervenue le premier jour de ma visite, entre 8h et 9h. Elle devait donc être mineure et pas liée à un problème de câble sous-marin, qui intervient très rarement.
La bande passante Internet a un coût très élevé en prix de gros pour les opérateurs télécoms. Orange domine ce marché, suivi de deux opérateurs locaux : Guyacom et Guyane Numérique. Un nouveau câble est prévu en 2018 qui passera par le Nord du Brésil. En améliorant l’accès à Internet, cela permettra d’envisager de créer des datacenters en Guyane. L’avantage étant qu’il n’y a pas de tremblements de terre ni de cyclones. Mais il faut les refroidir et l’humidité de l’air peut accélérer le vieillissement des infrastructures !
Orange et Guyacom déploient de la fibre sur les villes de la côte. On retrouve en Guyane les mêmes affres qu’en métropole avec l’impact pas toujours positif d’Orange qui s’intéresse sélectivement aux déploiement dans les zones faiblement denses. Celles-ci seraient mieux couvertes par Guyacom, avec ses 50 salariés. La société créée par Christine Chung – que j’ai rencontrée – et Filip Van Den Bossche, s’appuie sur un mix de liaisons satellitaires et de Wimax. Il existe encore de nombreuses zones blanches fixes (non couvertes) dans la forêt.
Le GIX, ou Guyanix, du réseau Renater, est une infrastructure d’interconnexion et de routage entre les opérateurs locaux qui permettrait d’éviter que les communications entre abonnés de ceux-ci passent systématiquement par le câble Americas2 avec un aller et retour. Celui-ci est en effet congestionné par de la communication Internet locale, rendant par exemple difficile la création de chaines de WebTV locales. Orange trainerait des pieds pour l’utiliser mais je n’ai pas pu le vérifier. Les temps de latence trop également longs pour créer des solutions logicielles de cloud local.
Côté mobile, la Guyane est couverte par la 3G et la couverture comprend de nombreuses zones blanches mobiles, notamment sur la nationale du littoral. Les élus locaux et les entreprises s’en plaignent bien évidemment. La Guyane est couverte par Orange ainsi que par SFR Caraïbes et Digicel, un opérateur présent dans 23 pays de la zone des Caraïbes. Le roaming est possible dans les deux sens Guyane-métropole, comme pour le reste de l’Outre Mer et n’est plus facturable depuis janvier 2016. A savoir que l’usage de la 3G voix et data est intégrée dans son abonnement sans surcout. L’ARCEP a lancé l’appel à candidatures pour l’attribution de fréquences de la 4G début 2016. Il a été clôturé en mai 2016 mais la décision des attributions ne devrait tomber que d’ici fin 2016.
Enseignement supérieur
La GDI qui m’accueillait est située au milieu d’un campus universitaire généraliste avec beaucoup de disciplines de sciences sociales, notamment dans l’économie sociale et solidaire, une filière par défaut pour beaucoup de jeunes. La santé y est aussi couverte. Les technologies numériques sont insuffisamment enseignées dans le supérieur. Il existe un IUT à Kourou qui forme des techniciens (maximum BAC+3). Une filière licence informatique est également enseignée à l’Université de Guyane, notamment par Allyx Fontaine, chercheuse devenue enseignante au département sciences et techniques de l’Université. Elle y couvre les sciences de ingénieur, les mathématiques et l’informatique, avec 80 élèves qui sont originaires de Bac S, Pro et ES. Elle envisage d’y intégrer l’apprentissage de l’entrepreneuriat. En tout, l’enseignement technique supérieur représente environ 200 élèves par tranche d’âge, ce qui semble insuffisant pour couvrir les besoins locaux. A noter que l’enseignement supérieur comprend aussi l’Ecole de Gestion et de Commerce de la CCI Guyane.
Heureusement, de nombreux jeunes vont faire leurs études supérieures dans l’hexagone. Certains n’en reviennent pas mais la création d’une diaspora guyanaise peut avoir du bon sur le moyen terme. Comme partout en occident, le système d’enseignement supérieur ne produit pas assez de développeurs logiciels. Il n’y a pas non plus de formations BAC+5, ce d’autant plus qu’aucune école d’informatique privée ne semble présente en Guyane (Supinfo, EPITA). L’une des difficultés est de trouver des enseignants. C’est là que pourraient intervenir des modes de formation alternatif comme la formations en ligne ou des modèles basés sur le mentoring des élèves par des élèves pratiqué à l’EPITECH et l’école 42. Faute de filière BAC+5, il n’existe pas encore de filière ou option de formation à l’entrepreneuriat. Mais des initiatives sont en train d’être lancées dans le domaine pour des formations BAC+2/3. A l’initiative de GDI, le programme PEPITE délivre cependant le statut « étudiant-entrepreneur » avec des cours dispensés en partie par ses soins. L’agence intervient sinon sur l’accompagnement et la sensibilisation à l’entrepreneuriat et à l’innovation dans les différents établissements d’enseignement supérieur.
Sinon, le rectorat est en train de mettre en place l’enseignement du numérique et du “codage” dans l’enseignement primaire et secondaire. Il n’y a pas encore d’environnement numérique de travail opérationnel. Le plan numérique de l’école de 2015 est déployé, avec la fourniture de tablettes et de portables aux élèves dans les lycées et collèges.
Les briques de l’écosystème entrepreneurial
L’écosystème entrepreneurial de la Guyane est un peu l’analogue de la bactérie artificielle la plus simple qui soit, créée par Craig Venter et une équipe de chercheurs, avec ses 473 gênes. Cet écosystème est l’un des moins développés qui soit dans les régions françaises. Mais il comprend les principales composantes, pour une part nationales et pour d’autre part liées aux collectivités locales ou associatives.
Les services de l’Etat sur place comprennent ceux de BpiFrance. Les entrepreneurs hightech se trouvent parfois dans une situation que l’on rencontre aussi en régions de l’hexagone : il est difficile de trouver un chargé d’affaire qui peut comprendre l’intérêt marché d’une solution innovante. Pour l’aide à l’exportation, Business France et la Coface sont représentés par Patricia Calut, une correspondante faisant partie de la CCI.
A l’échelle locale, GDI est l’agence du développement économique et de l’innovation de la Guyane, rattachée à la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG). On en trouve des équivalents dans les autres régions de France. A la Réunion, leur homologue est l’agence Nexa que j’avais rencontrée lors de mon déplacement là-bas en mars/avril 2016. La GDI est installée dans des locaux agréables contenant une pépinière accueillant une dizaine de TPE innovantes, certaines seulement pouvant être qualifiées de startups car la plupart ont un modèle de service ou de produit faiblement scalable. Le bâtiment rappelle en plus petit ceux du BIC de Montpellier qui accueillent près d’une centaine de startups et TPE innovantes.
Le lundi de mes trois jours à Cayenne avait lieu l’inauguration formelle du Numlab de GDI, un fablab numérique situé dans leurs locaux. Il est positionné comme un mix de fablab classique et de fablab numérique, en gros une plateforme dédiée au développement logiciel. C’est le second fablab en Guyane sachant qu’un troisième est en préparation. Il y en aurait plus de 700 dans le monde. Les locaux du Numlab font 80 m2. On y trouve une salle pour expérimenter des applications de réalité virtuelle, deux imprimantes 3D classiques et des postes de développement logiciels. C’est encore rudimentaire. L’outil semble surtout destiné à servir à l’acculturation de l’écosystème local.
Ce numlab a été inauguré par divers officiels locaux : le Président de l’Université de Guyane (Richard Laganier) qui veut encourager les jeunes à s’intéresser aux sciences et technologies, le Recteur qui interpelait le MEDEF local en réclamant ce qui peut s’apparenter à de l’innovation ouverte, le Conseiller Territorial délégué à l’aménagement numérique du territoire, Jocelin Ho-Tin-Noé, assez fort en verbe et en sous-entendus. Le Numab a été financé par des fonds divers, le FEDER européen, le CNES ainsi que les Programmes d’Investissements d’Avenir. J’ai noté un montant total supérieur à 1m€. Ce qui fait pas mal.
Dans le milieu associatif, on compte notamment Guyane Pionnières qui comprend un incubateur de projets porté par des femmes entrepreneurs. On peut aussi compter sur les antennes locales du Réseau Guyane Entreprendre et Initiative France (avec trois antennes locales) qui proposent des prêts d’honneur et de l’accompagnement. Cela concerne toutes les formes d’entrepreneuriat, la partie numérique et startups en représentant la portion congrue.
Il existe aussi un fonds d’amorçage local, Alyse Guyane, lui même alimenté par Bpifrance, le FEDER européen, la région ainsi que par le CNES et qui propose des tickets d’amorçage aux alentours de 100K€. Les secteurs d’activité couverts sont très variés, dont certains sont très liés à l’économie locale : agro-alimentaire, agriculture, pêche et BTP. Il est complété du fonds Alyse Venture, un FCPR capable d’investir plus de 200K€ par projet.
Du côté événementiel, on est encore loin des Web2day (Nantes) et autres Blend (Lyon) ou GEN (Metz).
Du côté événementiel, la GDI avait lancé ces Techdays, une première. Etalée sur trois jours, la conférence comprenait plusieurs types d’interventions : celles de Thierry Ferrari de l’ADIT, une société d’intelligence économique qui présentait un plan d’opportunités technologiques pour la Guyane basé sur les drones et sur le numérique, celle de Ollivier Tamarin, un chercheur venu de Bordeaux présentant des projets de recherche collaboratifs entre l’hexagone et la Guyane, accompagné de Idris Sadli, le Directeur de l’IUT de Kourou, et les miennes, sur trois séances, faisant un point sur les tendances technologiques du numérique, sur les basiques du fonctionnement de l’innovation et enfin, sur ceux de la création de startups. Mes slides sont téléchargeables ici.
Des entrepreneurs commencent à se prendre en main pour poursuivre le développement de l’écosystème local. C’est le cas de Rachelle Baissi qui est en train de mettre en place des espaces de coworking, Bees Work. Elle est lauréate du concours Orange & Elles de la Fondation Orange, et intègre l’Orange Fab du site de la R&D de Chatillon dans les Hauts de Seine, mais évidemment à distance. Orange est définitivement partout dans l’écosystème d’innovations ! Elle en est au stade des financements et prévoit d’installer le premier espace dans la ZAC Hibiscus de Cayenne qui est en plein développement. L’espace sera complété d’ateliers de développement personnel pour les entrepreneurs.
Il ne manque plus que d’organiser des Startup Weekends, les plus proches sont organisés en Guadeloupe avec une édition en 2015 et une autre de planifiée pour octobre 2016. Mais une variante de ces Startup Weekends a déjà été organisée sous une forme dédiée au spatial, les AtctInSpace.
L’opportunité des drones
L’ADIT était une société dont l’Etat possédait des parts mais elle est maintenant sous le contrôle d’investisseurs américains. Elle travaille pour l’Etat et les collectivités locales. La présentation de Thierry Ferrary détaillait les opportunités du marché civil des drones, segmenté en trois parties: pour les vols haute altitude et longue endurance (20000 pieds, 24 à 48h d’autonomie), de moyenne altitude et longue endurance (14000 pieds, 24 à 48 heures) et enfin, à basse altitude et faible autonomie (2 heures… on est dans le marché professionnel). Il a identifié 40 constructeurs de drones civils en France et 400 opérateurs représentant 5 à 7000 emplois, e qui semble un peu exagéré. Les principaux usages sont dans la captation vidéo professionnelle, puis l’industrie et l’inspection d’infrastructures. Il ne cite pas la société nantaise Pilgrim Technology et oublie que Parrot propose aussi des drones professionnels, via diverses acquisitions comme celle de deux sociétés suisses issues de l’EPFL, SenseFly (ailes volantes, en 2012) et Pix4D (traitement d’images) puis du français Airinov (drones agricoles, aussi en 2012).
Les atouts de la Guyane mis en avant sont sa superficie, des sites inaccessibles par voies traditionnelles, de vastes frontières à surveiller, un climat équatorial humide, une très grande diversité du milieu naturel. Mais ce n’est pas qu’un marché intérieur. C’est un marché où l’on peut mettre au point et expérimenter des drones pour ces applications pour les vendre dans les autres zones du monde qui ont besoin de drones tropicalisés. Comment développer ce marché ? Thierry Ferrari proposait de créer un évènement, de développer les capacités d’essai (c’est envisagé à l’aéroport Felix Eboué, mais la DGAC veille au grain) des offres de formation, de développer et financer la R&D. Reste comme d’habitude à se développer côté business et marketing, à trouver de bons modèles économiques qui ne reposent pas trop sur le service et permettent de générer des économies d’échelles, ce qui est loin d’être évident sur ce marché.
Rencontres avec des entrepreneurs de Guyane
Dans l’enceinte de GDI, j’ai pu rencontrer en 1/1 quelques entrepreneurs.
La star locale qui a créé ce qui peut s’apparenter à une startup est Vincent Reboul de BITWIP. Venant de l’hexagone, il est en Guyane depuis 14 ans. Au départ, sa société créée en 2012 était une agence de développement mobile. Elle a ensuite développé le système MOBAPI, qui permet de gérer de manière optimale les échanges de données entre applications web et applications mobiles, avec des mécanismes de synchronisation de données. La société est donc en train de muer progressivement d’une activité de services vers une activité produits. Elle exposait même en 2016 au MWC de Barcelone dans la zone French Tech. C’y était la seule startup de l’Outre Mer. Pour l’instant, la société ne fait que 4 personnes mais l’Internet n’a pas de frontières et elle pourrait très bien se développer et grandir au-delà de 10 salariés.
J’ai aussi rencontré Jessica Lefort, une guyanaise venant de l’expertise comptable en métropole et en Guyane, qui lance une l’application mobile Jolotte dans la cosmétique et la santé. L’application gère les dates de péremption des produits cosmétiques, ce qui permet d’éviter les risques d’allergies et septiques. Elle gère la date de fabrication et d’expiration des produits et leur date d’ouverture. Elle gère aussi une sorte de trousse de toilette virtuelle. Se pose la question du marketing pour se faire connaitre et de l’aspect peut-être un peu trop spécialisé de l’application. Mais il faut bien commencer quelque part, quitte à enrichir ensuite l’application. On est encore dans le domaine de la startup.
GDI héberge aussi la société SecurIT qui développe une sonde de suivi en temps réel d’éventuels défauts d’installations. Elle est installée à Cayenne et à Nantes. Il y a aussi Calalou, une société qui propose la mise en relation de propriétaires et locataires. D’autres entreprises technologiques sont présentes en Guyane, comme Altoa qui conçoit et fabrique des sondes topographie laser aéroportée adaptée à la cartographie aérienne de forêts. Ils sont notamment présents en Côte d’Ivoire. Ses fondateurs ont d’origine libanaise. Enfin, Solamase conçoit des lampadaires à LEDs alimentés par énergie solaires, les Luzeko. 80% de la production est exportée.
Les autres entrepreneurs que j’ai pu rencontrer étaient plutôt dans l’univers des services. Gladys Epailly de Inextair lance une agence de décoration d’intérieur et d’extérieur HQE. Elle va ouvrir un showroom connecté pour vendre du mobilier et des accessoires technologiques et dépolluants, notamment des solutions végétales dépolluantes et des outils d’audit de la qualité de l’air intérieur. C’est un mix de la notion de concept store et d’agence. Elle vise les marchés grand public et professionnels. Aéroprod Amazonie est une société de service de pilotage de drones professionnels, BWATAKOM INOV est une agence de communication et marketing opérationnel, Guyane Forest Initiative créé des systèmes agroforestiers permettant d’alimenter des centrales électriques en biomasse combustible, Martin Meryll de Phronesis propose du conseil aux porteurs de projets de solutions de développement durable en Guyane. GDI héberge sinon diverses sociétés de conseil en gestion de projet et en communication.
Next
Voilà ce que j’ai pu retenir de ces trois courtes journées de visite de Cayenne. Y entreprendre n’est pas des plus évident. Mais l’esprit entrepreneurial s’y développe bien, de l’entrepreneuriat social et solidaire jusqu’à l’entrepreneuriat technologique. D’abord, pour l’économie locale. Mais les premières startups visant l’international commencent à voir le jour. Le numérique, les logiciels et le cloud s’y prêtent bien. Les bonnes pratiques comprennent la mise en place de ponts avec d’autres pays ou avec l’hexagone. Avec des outils comme les French Tech Hubs, les startups de Guyane comme de tout l’Outre Mer pourront plus facilement prendre pied dans les grands écosystèmes d’innovation mondiaux.
De grands défis restent à relever pour la Guyane : moderniser ses infrastructures télécom et Internet, élever l’enseignement supérieur technique au niveau BAC+5 et se rapprocher des pays d’Amérique Latine, notamment par des liaisons aériennes. Rêvons un peu : et si la Guyane devenait le Dubaï de la région ? La prochaine fois que je passerais, l’écosystème sera sans-doute plus développé et je pourrais enfin visiter le centre spatial de Kourou !
Un grand merci au passage aux équipes de GDI sous la responsabilité de Franck Roubaud qui m’ont accueilli sur place.
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Petite précision.
MEDIASERV a été rebaptisé cette année sous le nom de CANAL+ Telecom.
OK, je corrige. Il faudrait aussi le faire sur le site de Mediaserv… : http://www.mediaserv.com/guyane/accueil-client.html !
.@ISTOMingenieur L’écosystème entrepreneurial de la Guyane” : agro-alimentaire + agriculture +pêche 19% https://t.co/qBFB1eEqqO via @olivez
Plutôt que Dubaï, j’aurai dit: “…et si la Guyane devenait une nouvelle petite Floride?” L’industrie spatiale est en train de se révolutionner complètement et va certainement connaître un développement énorme durant les prochaines décennies.
Pour encourager les entreprises à venir en Guyane et pour créer de la prospérité, il faudrait aussi un système fiscal attractif. Regardez les taux de croissance de l’Ile Maurice sur ces dernières années…
D’autre part, il faudrait également mettre le paquet sur le tourisme. Il y a un potentiel énorme, totalement sous exploité… Combien d’européens partent en vacances en République Dominicaine? N’y aurait il pas quelques petites parts de marché à grignoter?
Sinon, bravo pour cette page… Jamais lu une page aussi complète sur la Guyane…
La Floride est-elle un bon exemple ? Attention au mirage de Cap Kennedy. C’est un centre de lancement mais les industries associées sont ailleurs aux USA, surtout en Californie. C’est lié au fait que, comme pour les industries militaires, les Présidents américains depuis JFK ont saupoudré les investissements industriels dans plusieurs états pour s’en attirer les faveurs.
Il en va de même pour Kourou qui occupe à peine 2000 personnes, ce qui est une goutte d’eau par rapport aux industries amont, pour la construction des éléments des fusées et des satellites, et sur l’aval, dans l’exploitation desdits satellites.
La Floride est surtout connue pour être un Etat pour les retraités et, en effet, aussi pour le tourisme (Orlando et Disneyland, Key West, Everglades…). L’agriculture est la seconde activité. L’activité militaire avec 24 bases contribue plus à l’économie locale que l’industrie spatiale.
Le tourisme vert est en effet un gisement potentiel intéressant pour la Guyane. La fiscalité est déjà avantageuse en Guyane mais pourrait probablement l’être un peu plus.
Dubaï me semblait un exemple approprié car ce petit état a beaucoup investi dans ses infrastructures pour en faire une plaque tournante dans le transport, la finance et divers autres domaines.
J’ai assisté, ainsi que quelques étudiants de L’EGC Guyane à un de vos ateliers Techdays à GDI. Passionnant ! Il est bien dommage toutefois que vous n’ayez pas fait mention ici de l’Ecole de Gestion et de Commerce de la CCI Guyane qui fait pleinement partie du paysage de l’enseignement supérieur en Guyane. Presque 100 % de réussite à l’examen national chaque année. Des diplômés EGC Guyane qui vont faire leur Master à HEC Montréal ou à la SKEMA Shanghai… de futurs créateurs de Startups qui participent aux Hackatons organisés par le CNES/Centre Spatial Guyanais. Mais peut être une prochaine fois ? En tous cas, merci pour votre présentation de notre belle région.
Désolé de cet oubli. Je me focalisais sur les formations techniques dans mon propos.
c’est un excellent article M. Marcel Sembat !
excellent article M. Marcel Sembat !
Bonjour, arrivé sur ce site à la suite d’une recherche google je souhaite mentionner une erreur.
AMERICAS2 à une capacité de plusieurs terabits, en 2000 à sa construction il opérait déjà 8 longueurs d’ondes à 2,5Gb sur 4 paires de fibres.
Aujourd’hui AMERICAS2 permet l’accès à plusieurs longueurs d’onde à 100G en Guyane. ORANGE et outremer telecom disposent chacun de plus que la capacité citée sur ce câble.
Côté exploitation le câble a été gravement coupé une fois en 17 années d’exploitation, on compte quatre ou cinq coupures de durée inférieure à une journée réellement dues au câble sous-marin. Depuis 2010 ORANGE protège ce câble via un câble proche SGS-CS et un parcours terrestre.
Merci pour les précisions. J’ai corrigé l’article pour en tenir compte.