Les périodes électorales sont toujours propices à la remise en cause du système politique en place. L’élection présidentielle qui s’annonce permet de remettre le couvert.
Les raisons sont bien connues. Un raz le bol du système politique existant, de sa difficulté à régler les problèmes, notamment économiques et environnementaux, du manque notoire d’exemplarité de certains politiques, soit individuellement soit collectivement quand les députés ou sénateurs s’octroient des privilèges parfois indus, un pouvoir perçu comme opaque, les présidents qui n’apppliquent pas le programme pour lequel ils ont été élu ou qui appliquent un plan qui n’était pas dans leur programme, la politique politicienne des partis qui cache les idées derrière les egos, le clientélisme local et la gabegie des deniers publics. S’y est ajoutée une série de scandales d’Etat divers associés au financement toujours aussi opaque des partis politiques et des campagnes électorales, malgré la loi du 15 janvier 1990 sur le financement des partis politiques. Les affaires Bygmalion et libyennes en sont des exemples visibles, mais pas isolés.
Ce désamour pour la politique n’est pas nouveau. Il a connu un pic en 1968, calmé ensuite. Il est souvent fait référence à l’ouvrage “La crise de la démocratie représentative en France” de Bernard Lacroix, publié en… 1994 mais difficile à trouver ! Aux USA, le désamour envers les dirigeants a été démultiplié par la guerre du Vietnam sous Lyndon B. Johnson entre 1965 et 1969 puis amplifiée avec la période Nixon se terminant par l’affaire du Watergate en 1974, ayant mené à l’élection de Jimmy Carter face à Gerald Ford. Ils ont eu l’affaire des Contras et “argent et armes contre otages” révélée en 1986 sous Ronald Reagan puis l’énorme tromperie ayant mené en 2003 à la seconde guerre en Iraq. Le tout dans un système politique de méfiance permanente envers l’Etat fédéral.
En France, la coupe déborde de toutes parts lorsque l’on s’attend à revoir François Hollande et Nicolas Sarkozy s’affronter lors de l’élection présidentielle face à l’inévitable Marine Le Pen. Et Alain Juppé qui est en position de battre Nicolas Sarkozy lors de la primaire des Républicains en novembre 2016 ? Il n’incarne pas un renouveau extraordinaire, ayant démarré en politique auprès de Jacques Chirac il y a quarante ans (1976), été Ministre il y a trente ans (1986) et Premier Ministre il y a 21 ans (1995-1997) sans compter sa condamnation en 2004 suite à l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de Paris.
Là-dessus, la société civile cherche une autre voie et se met à rêver d’un doux mélange de démocratie participative quand ce n’est pas de démocratie directe. L’idée sous-jacente est que les partis politiques traditionnels ont fait leur temps, étant trop hiérarchiques et construits autour d’un chef (ou de chefs pour le PS…) et qui ne sont faits que pour conquérir et gérer le pouvoir avec des élus qui sont loin de bien représenter la diversité de la société. Le numérique est alors brandi comme la solution qui peut accompagner la mise en œuvre d’une démocratie renouvelée. Il est paré de toutes les vertus de la modernité. D’où la création de nombreuses startups “civic techs” qui ambitionnent de promouvoir la démocratie participative ainsi que la démocratie directe, des concepts inventés bien avant Internet mais que ce dernier permettrait, en théorie, de mettre en place plus efficacement.
Qui plus est, le numérique est aussi utile pour réformer l’Etat en profondeur, le rendre plus efficace et moins coûteux. Et donc, au passage, de régler des problèmes économiques cruciaux : le poids de la dépense publique, la dette associée et la question du chômage endémique. Bref, le numérique est une boite à outils multifonction qu’un Etat moderne se doit d’adopter d’une manière ou d’une autre. Mal utilisée, elle peut aussi limiter les libertés individuelles par les excès de la surveillance électronique comme l’a révélé l’affaire Snowden aux USA en 2013.
Je me propose ici de décrypter ce phénomène, d’en relativiser l’importance par rapport à la démocratie représentative traditionnelle et d’étudier la manière dont il pourrait se développer.
Plan analogique
Je n’ai pas pu m’empêcher ! Au départ, je voulais faire un tour des civic techs et notamment de LaPrimaire.org et au final, j’ai étudié la question plus largement. Résultat : une nouvelle série multi-postée où je vais faire le tour de ce sujet de la manière suivante :
1) Etat des lieux
- Les limites de l’action traditionnelle de la société civile : pourquoi les relais d’opinion de la société civile sont insatisfaisants ?
- Qu’est-ce qui les distingue démocratie représentative, participative et directe ? Sont-elles exclusives ou complémentaires ?
- L’impact sociétal du numérique où comment les usages numériques ont changé les dispositions et aspirations des citoyens.
2) Applications du numérique en politique et dans le fonctionnement de la démocratie
- Comment fonctionne la démocratie participative à l’échelle locale ? Quelles sont les expériences les plus connues ?
- Le numérique en campagne électorale et l’émergence du populisme 2.0 : où il est plutôt utilisé pour le pire que pour le meilleur.
- Le numérique dans les programmes électoraux : comment a-t-il fait son apparition ? Comment les politiques s’en emparent ou pas ?
- La démocratie participative pilotée par l’exécutif : où comment elle est mise en œuvre à grande échelle ?
3) Tour des civic techs
- L’essor des civic techs : un plat de résistance avec une revue du marché et des startups du secteur. En intégrant celles qui visent à sélectionner des candidats pour les élections, notamment présidentielles.
4) Le rôle grandissant des GAFAMs dans les démocraties.
- Et le rôle émergent de l’intelligence artificielle au secours du politique : poursuite de la prospective dans ce domaine que j’avais déjà abordé il y a quelques mois. L’IA deviendra-t-elle une concurrente de la démocratie participative ?
5) Une conclusion circonstanciée sur la forme que prendra le leadership politique à l’ère du numérique.
Et comme d’habitude, les commentaires des lecteurs avisés me permettront de perfectionner l’ouvrage !
Les limites de l’action traditionnelle de la société civile
L’émergence de la démocratie participative à la sauce numérique n’est pas liée qu’aux déficiences des partis politiques et des élus. Elle est aussi causée par les dysfonctionnements de la société civile traditionnelle et de ses corps constitués.
Les formes existantes d’action politique sont en effet déjà nombreuses et variées avec les associations professionnelles, les syndicats de salariés, les Chambres de Commerce, les ONG, sans compter les personnalités du monde intellectuel et les chercheurs. Ces organisations défendent l’intérêt général, mais le plus souvent limité à celui de leur profession ou de leur cause. Les organisations associées emploient le plus souvent des lobbyistes à plein temps à même d’alimenter en contenus l’ensemble du pouvoir législatif et exécutif. Ces lobbyistes sont souvent d’anciens assistants parlementaires dotés d’un bon réseau dans les assemblées. L’entre-soi y fonctionne très bien. Tout le monde connait et comprend tout le monde. Cela a tendance à créer des blocages et des conservatismes.
Le pouvoir de ces corps constitués dépend de l’exposition médiatique et de ses effets de relais qui sont sélectifs. Cette visibilité est souvent proportionnelle à leur capacité de nuisance ou d’outrance. Cela explique pourquoi les élites scientifiques sont moins écoutées que les autres. Elles n’ont généralement ni l’une ni l’autre.
Les syndicats professionnels et les lobbyistes à temps plein ont plus de poids que les citoyens ordinaires et isolés. De fait, la parole des citoyens est mieux portée via des organisations qui les représentent. L’efficacité passe par la représentation, et pas par l’isolement. Et cela fonctionne mieux avec des leaders visibles et puissants à la tête de ces organisations qui font au passage de bons clients pour les médias.
Il faut ajouter à cela l’intense activité associative en France avec son million d’associations 1901 qui emploient plus de 1,6 millions de personnes. Une bonne part d’entre elle est alimentée par les deniers publics soit nationaux soit locaux, avec des évolution à la hausse ou à la baisse pouvant dépendre des alternances politiques. Ce qui créé une forme d’assujettissement.
La démocratie participative existe aussi à l’échelon des habitations collectives avec les AG de Syndics ouvertes aux propriétaires. Les occasions de s’engager dans l’action collective ne manquent donc pas.
Les citoyens ne se reconnaissent pas toujours dans ces corps constitués pour agir sur la chose publique, qu’il s’agisse de l’échelle locale, régionale ou nationale. Nombreux sont ceux qui aimeraient s’engager politiquement au sens noble du terme mais en sont découragés par le fonctionnement des partis politiques. Celui-ci amplifie les querelles d’egos hypertrophiés, tout comme nombre d’organisations humaines, mais en pire. Faire de la politique est une activité difficile et engageante. Elle peut taper sur les nerfs. Il faut être solide pour résister aux coups de boutoir de ses collègues. Il est difficile d’y gagner une part de voix en étant un gentil et un sage.
C’est le paradoxe de la conflictualité. Certains se refusent à entrer en politique car c’est une affaire de combats de chefs. Mais les débats entre citoyens sur Internet amplifient naturellement la conflictualité des débats. La politesse et le respect sont des valeurs à géométrie variable. Elles diminuent lorsque l’on est éloigné physiquement de son interlocuteur. La démocratie participative, quelle que soit sa forme, est comme un réacteur nucléaire. Il lui faut disposer d’une masse critique de personnes engagées, mais des éléments modérateurs doivent en contrôler la température pour éviter les surchauffes.
C’est d’ailleurs l’un des écueils des solutions innovantes de démocratie participative. Lorsqu’elles sont testées à petite échelle, tout va bien. Comme elles ne le sont généralement pas à grande échelle, on n’a pas de “stress test” organisationnel permettant d’en valider la résistance. Un peu comme une centrale nucléaire sans combustible. Surtout dans la mesure où la démocratie participative a pour l’instant fait ses débuts de preuve qu’à l’échelle locale. Je crains fort qu’une démocratie participative fonctionnant à grande échelle reproduise peu ou prou les mêmes travers que la démocratie représentative.
Démocratie représentative, participative et directe
Les démocraties modernes fonctionnent déjà, de manière variable, avec un mix de démocratie représentative, de démocratie participative et de démocratie directe. Les trois sont complémentaires mais leur équilibre peut être revu.
La plupart des démocraties modernes panachent ces trois variantes. Elles fonctionnent toutes avec un mécanisme de représentation. Tout pays a un chef d’Etat et des Ministres qui gèrent l’exécutif. Dans les démocraties les plus avancées, l’exécutif est sous le contrôle d’un législateur et la justice est normalement aussi indépendante que possible de ces deux pouvoirs. C’est le principe de la séparation des pouvoirs, illustré par le système américain dit de “checks and balances” avec un Congrès tout puissant face au Président des USA, et une Cour Suprême à même de générer une jurisprudence ayant force de loi. Dans ce système, chacun des trois grands pouvoirs contrôle les deux autres. Et c’est sans compter la répartition des rôles entre états et l’état fédéral et une méfiance endémique du peuple américain, surtout conservateur, envers ce dernier.
Toute démocratie digne de ce nom comprend aussi un quatrième pouvoir, ou contre-pouvoir comprenant les média et les corps constitués. Ceux-ci ne jouent pas toujours correctement leur rôle : les difficultés économiques des grands médias les ont souvent mis dans les mains de grands industriels et réduit leur liberté de parole, elles ont aussi amputé leur capacité à enquêter. Qui plus est, le “click bait” qui sévit sur Internet nuit à la diffusion d’informations de fond. De leur côté, les syndicats de salariés ne représentent plus que l’ombre d’eux-mêmes, en tout cas en France. Restent les organisations patronales qui font un lobbying plutôt efficace mais jugé inapproprié par ceux qui trouvent que le gouvernement leur cède trop.
La constitution de la Cinquième République française donne plus de pouvoir à l’exécutif face au législatif et le pouvoir judiciaire est très dépendant de l’exécutif. Le pouvoir exécutif est aussi étroitement lié à l’administration et à ses hauts-fonctionnaires. Nombreux sont en plus ceux qui sortent du même sérail, la fameuse Ecole Nationale d’Administration, créée en 1945. De leur côté, les élus n’incarnent plus la diversité socio-professionnelle du pays et encore moins sa diversité d’origines, notamment pour ce qui concerne le quart du pays qui est issu de l’immigration récente (cf cette vidéo pédagogique de Datagueule). L’Assemblée Nationale, le Sénat et le gouvernement comprennent une très faible proportion aussi bien d’employés et d’ouvriers que d’entrepreneurs. Ces deux facettes clés de l’activité économique y sont très largement sous-représentées.
Qui plus est, le monde politique s’est professionnalisé, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, à l’exception peut-être des petites communes. Tout ceci génère une impression d’entre soi avec une élite dirigeante déconnectée du peuple. Cela aboutit à un désintérêt pour la chose politique, à un abstentionnisme croissant et contribue aussi à développer le populisme incarné par les extrêmes droite et gauche en France ou par Donald Trump aux USA. Et l’abstentionnisme est plus important pour les élections locales alors que ce sont celles sur lesquelles ont a le plus de prise, via le contact direct avec les candidats et élus, la participation aux Conseils Municipaux et la capacité à intégrer des listes électorales qui sont généralement bien plus représentatives de la société.
La démocratie participative correspond à l’aspiration de citoyens engagés de reprendre le contrôle de la politique monopolisée par la démocratie représentative sur les longues périodes inter-électorales ainsi que par des experts techniques non élus. Cette aspiration porte souvent sur des sujets spécifiques comme les choix de politique énergétique, en particulier autour du nucléaire, les choix environnementaux, d’équipements ou d’infrastructures, les choix sociaux comme la création d’un revenu minimum garanti, et cela peut aller jusqu’à la politique économique. Par contre, ses revendications portent bien plus rarement sur les affaires étrangères.
L’idée est d’apporter du bon sens citoyen, notamment sur des sujets portant sur le long terme, un domaine où la démocratie représentative ne fonctionnerait pas bien, les élus pensant plus à leur futur personnel qu’à celui de la société. Même si rien ne prouve que le citoyen lambda, en moyenne, se soucie plus de l’avenir que les représentants politiques. Et pour cause, en matière d’allocation de temps, le citoyen lambda consacre bien moins de temps à la chose publique que l’élu, et qui plus est, que les politiques en charge de l’exécutif.
La démocratie participative vise à redonner du contrôle aux citoyens en leur permettant à la fois de s’informer, de devenir expert et de fournir des solutions aux grands problèmes de société. Elle peut être aidée par les usages du numérique et surtout par les sources d’information Internet couplées à l’open data quantitative et qualitative. Elles ont fait émerger des citoyens plus informés sur les enjeux économiques et technologiques d’actualité. D’où leur envie de prendre part aux débats.
L’excellent Guide Démocratie participative – Guide des outils pour agir de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme (59 pages) définit fort bien une quinzaine de méthodes de mise en place de la démocratie participative appliquée aux questions environnementales. Ces outils de la démocratie participative sont nombreux, en particulier pour les phases de consultation (théâtre forum, théâtre législatif, town meeting, forum communautaire, ateliers de scénarios, forum ouvert, sondage délibératif et collaboratif, world café). On en trouve moins pour la partie décision et elles sont concentrées sur l’échelon des collectivités locales. Il y a tout de même le concept d’assemblée constituante citoyenne, avec tirage au sort de ses membres. Aucun pays n’en a lancé à ma connaissance.
La démocratie participative peut aussi être un instrument politique de la conquête du pouvoir comme l’avait tenté Ségolène Royal en 2006 et 2007. Elle visait dans une certaine mesure à court-circuiter symboliquement le fonctionnement traditionnel du Parti Socialiste de l’époque, dont les ténors n’avaient pas prévu son ascension.
Certains se mettent aussi à rêver d’une démocratie utopique plus horizontale, sans élites et sans hiérarchie. Le kolkhoze ou le kibboutz géant en quelque sorte. Au pire rêve-t-on d’une société toujours hiérarchique mais où la méritocratie fonctionnerait à plein dans la sélection de ses élites.
Une démocratie participative fonctionne sur la base de consultation des citoyens, d’une concertation bien orchestrée, de collaboration ou co-conception de projets, puis de référendums ou de décisions exécutives, ou via les Assemblées.
La démocratie directe est dans la lignée de la démocratie participative et s’oppose à la démocratie représentative. Elle vise à faire prendre les petites voire grandes décisions par les citoyens, notamment dans le cadre de référendums. Ce modèle ultime est celui où l’exécutif n’est qu’un orchestrateur de la consultation populaire, et sans l’influencer. C’est évidemment un vœu pieu, tout système politique et toute organisation faisant émerger des leaders et une hiérarchie humaine. Cela peut aussi intégrer la notion de jurys citoyens chargés de remettre en cause les élus en cours de mandat. Cette idée avancée par Ségolène Royal en 2006 n’a heureusement pas fait long feu. Elle s’inscrit dans une mouvance à penchant révolutionnaire, tout comme le phénomène de la “Nuit Debout” du printemps 2016.
L’impact sociétal du numérique
La société numérique est devenue la panacée de la modernité. Qui n’est pas numérique est dépassé. Ainsi, la pensée d’un Alain Finkielkraut est-elle facilement remise en cause parce que ce dernier n’est pas un Internaute convaincu, au-delà de son positionnement interprété comme réactionnaire et conservateur.
L’Internet a permis l’expression directe de mouvances idéologiques et politiques sans passer par le filtre des médias traditionnels qui ont perdu leur rôle d’intermédiation, surtout pour les opinions les plus extrêmes. C’est un excellent véhicule du volet information de la démocratie participative. Quand il est bien utilisé, il permet la vérification approfondie des faits, comme en phase de campagne électorale. A l’inverse, l’Internet permet aux esprits mal intentionnés de facilement véhiculer les mensonges, contre-vérités et force théories du complot. Y sont perméables les lecteurs qui manquent de recul et de culture et sont prêts à tout gober.
L’Internet et la mobilité ont aussi transformé notre relation au temps et fait de nous des gens à la fois plus pressés et plus angoissés. Nous sommes abreuvés d’un flux continu d’informations, souvent anxiogènes. Ceci d’autant plus que les réseaux sociaux peuvent accentuer cette impression en l’amplifiant. Les algorithmes de Facebook auraient cet effet de provoquer de l’entre-soi entre amis et opinions convergentes. Je le constate en observant le flux de relais de news concernant les malversations des politiques. Elles entrainent des réactions épidermiques mettant l’ensemble des politiques dans le même sac des pourris à balayer d’une bonne Révolution.
Est-ce que les citoyens sont plus instruits grâce au numérique ? Lisent-ils plus ? Sont-ils plus exposés qu’avant à la pensée complexe ? Il semblerait que ce qu’Internet permet en théorie ne soit pas appliqué pour la majorité. De nombreux jeunes utilisateurs passent plus de temps dans les jeux vidéos que dans la lecture et les séniors continuent de regarder la TV. L’Internet permet aux citoyens de propager une pensée simpliste, parfaitement illustrée dans les commentaires des articles publiés dans la presse ou dans ce qu’il reste des blogs. Il permet la propagation aussi bien des jugements à l’emporte pièce que des études fines de la situation. Mais ces dernières sont peu lues.
L’Internet est neutre : il laisse tout passer de manière indiscriminée. Avec lui, le filtre de la communication s’est largement déplacé de l’amont à l’aval de la chaîne de la communication. Pour reprendre le propos polémique d’Alain Juppé sur “les réseaux sociaux sont la poubelle de l’univers” publié dans le Journal du Dimanche : non l’Internet n’est pas une poubelle, mais la poubelle y est. Parfois, elle est dans l’entrée voire le salon de l’appartement – et peut en occuper tout l’espace – et le contenu de qualité est dans le grenier. C’est une question d’agencement, un choix qui est encore laissé à l’Internaute ! Il peut encore choisir de mettre la poubelle au fond de l’appartement !
Certains politiques en font aussi une excellente démonstration, comme Nicolas Dupont-Ignorant qui ne s’est pas renseigné sur le nombre de réfugiées syriens accueillis par les pays limitrophes. Il pourrait par exemple s’intéresser au cas du Liban qui a accueilli plus de un million de réfugiés pour une population à peine supérieure à 4 millions d’habitants ! Un coup de Google Search et l’information tombe toute crue !
Loin de moi l’idée de diaboliser Internet pour autant. Ce n’est qu’un instrument. Et il n’est pas utilisé de manière optimale par une majorité de la population. Comment elle alloue son temps, comme elle gère ses priorités, comment elle équilibre ses pulsions voyeuristes, sa volonté d’apprendre et de découvrir, et ses velléités d’agir. S’y ajoutent l’illettrisme qui touche 7% de la population adulte française et la fracture numérique côté équipement et accès Internet. Un bon gros dixième des adultes est exclu de fait des nouvelles formes de débats démocratiques.
L’impact du numérique concerne aussi l’organisation économique en général. En redessinant un paysage où les entreprises proposant des services immatériels ont plus d’influence, de valeur, d’économies d’échelle et de marge que les entreprises fordistes traditionnelles. Un paysage où les plateformes agrègent la valeur des utilisateurs et de leur écosystème. Une économie où du travail gratuit est fourni par les consommateurs qui alimentent ces plateformes. Une économie où le premier qui arrive à monétiser son offre emporte souvent la partie pour une longue période. Et une économie où l’automatisation des tâches aussi bien manuelles qu’intellectuelle est galopante, accélère le processus d’innovation destructrice et créatrice de valeur à un tel point que le volet de la création peut tarder à arriver.
Les politiques ont du mal à appréhender ces révolutions. Ils passent par plusieurs étapes : l’ignorance, le déni, puis la réaction pavlovienne consistant à vouloir créer un Google français, un Cloud souverain, à empêcher Uber de gêner les taxis ou Airbnb de se développer à Paris et enfin, longtemps après, à comprendre qu’il est vain de résister et qu’il faut au contraire encourager à la fois la recherche scientifique et l’entrepreneuriat technologique pour ne pas rater les vagues qui se préparent. Et en filigrane, la question sociétale de l’appétence pour les progrès scientifiques et techniques. Elle nous distingue encore plus des USA et de la Silicon Valley que la fiscalité ou le droit du travail.
L’âge joue un rôle. Les outils modernes de l’Internet qui rendent la société plus fluide sont adoptés en priorité par les jeunes générations. C’est leur effet de levier. Les générations X et plus âgées ont du mal à l’appréhender. C’est la “perfect storm” démocratique en mouvement.
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Après cette entrée en matière, nous traiterons dans la seconde partie de cette série des nombreuses applications du numérique en politique et dans le fonctionnement de la démocratie.
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Voici toutes les parties de cette série d’articles :
Partie 1 : les limites de l’action traditionnelle de la société civile, démocratie représentative, participative et directe, l’impact sociétal du numérique.
Partie 2 : la démocratie participative à l’échelle locale, à l’échelle nationale, le numérique en campagne électorale et le populisme 2.0, le numérique dans les programmes électoraux.
Partie 3 : l’essor des civic techs, les mouvements associatifs citoyens, les civic techs de la démocratie participative, petit tour aux USA.
Partie 4 : quand la démocratie participative se veut représentative avec notamment un passage en revue des candidats de LaPrimaire.org et d’autres initiatives du même genre.
Partie 5 : les grands du numérique privatisent-ils la démocratie ? L’intelligence artificielle au secours du politique ? La constructions citoyenne de plans structurés. L’arbitraire séparation entre citoyen actif et politiques. De la démocratie participative au leadership 2.0.
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Hate de lire la suite ! Le numérique peut-il améliorer les démocraties ? – 1 https://t.co/ba5jQICt0r
Qu’attendons nous pour créer un bureau “des geeks”.
Il serait en charge d’harmoniser toute l’informatique du gouvernement. Moins de 100 personnes, élites du développement et de la simplification numérique.
Des boites comme Twitter gère des millions de transactions par seconde. Nous devrions pouvoir faire aussi bien avec nos informations citoyennes. La sécurité et confidentialité en plus.
Imaginez déjà les économies si tous les services publics fonctionnaient avec la même base!
Je n’y crois pas une seconde et cela me semble un peu court et prétentieux sur les bords.
Essayez déjà de régler le problème de la paye de l’armée en allant bosser chez Sopra et après on en rediscutera ! Ou en essayant d’accélérer le déploiement du DMP.
La complexité de ces systèmes d’information vient de toutes les règles complexes qu’ils doivent respecter et de la complexité de l’administration. Twitter est extrêmement simple à gérer à côté. Il y a de gros volumes d’information mais des règles très simples. Le MCD de la base de Twitter doit être simplissime à côté de n’importe quelle implémentation de SAP.
Pour simplifier les SI de l’Etat, il faudrait commencer par simplifier les règles de gestion sous-jacentes. Et ce n’est pas une affaire de geek, pas encore en tout cas. Il ne faut pas oublier non plus que certains systèmes sont cloisonnés pour protéger les citoyens côté vie privée. Tout du moins en théorie.
Les projets “clean state” sont toujours plus faciles à penser que ceux qui intègrent un existant complexe.
Le pays qui a fait cela très bien est l’Estonie, avec un système d’information intégré et une architecture unifiée. C’est un pays de 1,4 millions d’habitants qui a tout remis à plat en 1992.
“Le numérique peut-il améliorer les démocraties ? – 1” Bonne lecture https://t.co/tLdF7mi1hA
Si qqn est prêt à nous monter un think tank, conference etc… avec @olivez et @Authueil je suis prêt à suivre https://t.co/7e5mWAZVgd
Bonjour Olivier,
Excellent article que je lis avec minutie et “pleine conscience” savourant chaque idée nouvelle.
Avez-vous entendu du World Forum Democracy (http://www.coe.int/fr/web/world-forum-democracy) organisé par le conseil européen et la ville de Strasbourg.
Démocratie et égalité : que peut l’éducation ?
Strasbourg, 7-9 novembre 2016
“Le Forum mondial de la Démocratie 2016 appréhendera toutes les dimensions des relations entre éducation et démocratie. L’éducation est essentielle pour les sociétés démocratiques. Les écoles, universités, organisations de la société civile et autres établissements d’enseignement devraient encourager l’acquisition et la pratique des valeurs et des compétences essentiels pour la démocratie.”
On y rencontre toute l’humanité discuter de solutions concrets. Si cela t’intéresse, moi j’y vais pour les trois jours pour discuter de elearning avec des écoles de sciences politiques de l’europe de l’est.
J’avais entendu parler de cet événement qui a l’air pas mal en effet. Il tombe pendant le Web Summit de Lisbonne où je serais pendant toute cette semaine-là !
Olivier
Passionnante analyse d’@olivez sur le numérique et la démocratie (en 5 parties), à lire absolument https://t.co/db10MKVglO