Dans ce dernier épisode de mon tour d’horizon d’une semaine passée au Japon et à visiter notamment le salon CEATEC, nous allons traiter des “usages”, un terme bien générique qui couvre les applications particulières de technologies dont certaines sont spécifiques au marché japonais. Cet article couvrira aussi un petit rapport d’étonnement sur des choses vues à Tokyo et aux alentours.
Ces usages présentent trois lignes de force :
- Une interface utilisateur déficiente selon nos critères, très encombrée d’idéogrammes et assez faible graphiquement. Nous l’avons vu dans la TV, c’est aussi vrai dans les mobiles. Mais ce qui est “beau” dans notre repère occidental ne l’est pas forcément dans le repère des japonais. Et réciproquement. Il faut donc se garder de porter un jugement de valeur sur leurs interfaces utilisateurs.
- L’approche des réseaux sociaux semble moins développée qu’aux USA dans ce que l’on pouvait observer au CEATEC, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne le soient pas couramment.
- Les japonais entretiennent une meilleure relation de confiance avec les objets et le numérique en général. Que ce soit au niveau des robots ou de capteurs en tout genre, ou bien avec les services en ligne, pour lesquels ils se posent visiblement moins de questions métaphysiques sur la protection de la vie privée.
Usages mobiles
Sur les stands des opérateurs télécoms DoCoMo et KDDI se trouvaient tout un tas de solutions correspondant à des usages assez originaux, une grande partie étant liée à la forme physique et à la restauration.
Un traducteur de menus de restaurants chez DoCoMo. C’est une application Android disponible en beta qui traduit les menus du Japonais en anglais, et aussi à partir du Coréen et du Chinois. C’est impressionnant d’efficacité, d’autant plus que l’application a l’air de fonctionner en local sans la connexion 3G. Ci-dessous, elle est testée “en vrai” dans un “vrai restaurant” par un “vrai utilisateur”, Franck Lassagne de Giiks.com. Et ça marche très bien !
Toujours pour ce qui est de la restauration, une application mobile aussi vue chez DoCoMo qui exploite la caméra des smartphone set tablettes pour estimer la valeur nutritive d’un plat. L’application a l’air de fonctionner pour les plats standardisés du pays. La question qui n’a pas été posée est : est-ce que cela fonctionne avec la version en plastique du plat ?
Un capteur de mauvaise haleine et aussi qui détecte si l’on a trop bu, toujours chez DoCoMo. Et un autre capteur qui détecte la faim et s’il est raisonnable de manger après avoir soufflé dans une petite pipette (ci-dessous).
Un capteur de masse graisseuse, que l’on trouve habituellement dans les balances, mais qui prend la forme d’une coque pour smartphones avec deux électrodes. Il a l’air d’utiliser un composant vu chez Murata.
Un capteur de rayons gamma également vu chez DoCoMo, sous forme de coque de smartphone. La mesure des rayons gamma permet d’avoir une idée de la radioactivité ambiante. Curieusement, le service ne prévoit pas une collecte globale de l’information captée par ces appareils, à l’instar du concept de la montre verte de la FING qui collecte les données de pollution à l’échelle d’une ville. On trouvait de tels détecteurs de rayons gamma, mais standalone, chez Nuclear Green Solutions, un nom bien curieux de société.
Autres usages
Sur le stand d’Intel se trouvait un miroir “magique” permettant de personnaliser le choix d’un tee-shirt avec une interface gestuelle. La technologie utilisée semblait très rudimentaire, exploitant un t-shirt vert. L’insertion dans le miroir de couleurs différentes exploitait donc la technique du chroma utilisée couramment en vidéo et même en analogique. Je n’ai par contre pas vu de miroir magique temps réel pour le maquillage. Ce genre d’application ne saurait pourtant tarder car on commence à être capable de reconstituer en temps réel un visage en 3D avec une simple webcam.
Toujours chez Intel, une démonstration de réalité augmentée qui ne mène pas loin et qui semble équivalent à ce que Total Immersion faisait il y a 5 ans. Si cela se trouve, la démonstration a été réalisée par Total Immersion ! Cela relève plus de l’événementiel que d’un véritable usage même si la visioconférence et les jeux peuvent exploiter cette technologie.
Chez Intel, toujours, une présentation de robots exosquelettes de la marque Cyberdyne (du nom de la société qui est à l’origine de l’apocalypse nucléaire dans Terminator 2). Il y a les bras, les jambes ou le corps tout entier. Cela peut à la fois faire un peu peur, mais génère beaucoup d’espoir pour de nombreux handicapés. C’est parait-il disponible. Dans la même veine, il y avait aussi un robot pour se laver les cheveux chez Panasonic, une cane électrique pour seniors chez Murata. A part cela, je n’ai pas vu beaucoup de robotique sur le CEATEC.
Enfin, citons ce curieux “Cloud-Based Management of Information on Pets in Disaster Areas” qui permet de retrouver l’animal domestique que l’on a perdu après une catastrophe naturelle. Le Tsunami est dans les esprits et a généré une floraison d’applications spécifiques pour le disaster management.
Autres choses diverses vues sur le salon
Une application de cartographique par hélicoptère chez Mitsubishi qui exploite les données GPS et accélérométriques de la caméra et permet de créer une cartographie précise et en 3D d’un terrain. Ils proposent aussi une application de suivi de cible… pour la police, comme dans 24 Heures Chrono.
Pas très consumer mais vaut tout de même le détour, cette Dolly originale de Viewston qui s’enroule à la base vue chez Nottv. Elle aurait eu sa place à l’IBC 2011 d’Amsterdam mais qui n’y était visiblement pas.
Le consortium et le standard TransferJet risquent de faire parler d’eux dans les mois et années qui viennent. Il s’agit d’un ensemble de protocoles de réseau sans fil permettant le transfert de données entre deux appareils par une simple mise en contact ou mise à proximité de quelques centimètres. Cela peut être par exemple un appareil photo et une tablette, mais aussi un moyen de faire de l’info-fueling, consistant à remplir son appareil mobile (tablette, smartphone) avec de l’information sur une borne par un simple contact.
On peut imaginer une application évidente pour la visite d’un salon : un stand d’un exposant ou un de ses produits vous intéresse et hop, vous toucher un panneau explicatif ou une borne avec votre tablette et la documentation est immédiatement chargée dessus. Cela peut aussi fonctionner avec une imprimante ou pour lancer des tirages photos dans un kiosque idoine.
Le standard est prévu pour atteindre un débit de 570 Mbits/s. Il s’appuiera sur une transmission dans la bande des 4,48 GHz, compatible avec les fréquences utilisables au Japon, aux USA et en Europe. Le système fonctionne sans chiffrement des données transmises. Ce n’est donc pas plus ou moins sécurisé que l’usage d’un câble USB. Le standard a été adopté par l’Européen ECMA en juin 2011. Le stand de Transfert Jet présentait des kits de développement matériels et logiciels ainsi que des produits de Seiko et Sony le supportant, ce dernier en ayant fait les premières présentations au CES 2009 ou 2010 il me semble.
L’URCF (Ultra Realistic Communications Forum) créé en 2007 mérite quelques mots. Il s’agit d’une initiative visiblement pilotée par la recherche publique japonaise, y compris celle de la NHK, qui vise à fédérer les efforts de l’industrie, de la recherche et de l’enseignement supérieur pour promouvoir et standardiser les développements de technologies et solutions de communication ultra-réalistes. Cela comprend entre autres les développements de la vidéo Super-Hi-Vision évoquée sur ce blog via l’IBC 2011 et 2010, l’ensemble des technologies liées à la 3D, le son surround multicanal et les technologies multi-sensorielles.
Conformément à leur habitude, les élites japonaises ont ainsi planifié les évolutions technologiques à un horizon de 15 ans, pas moins, et se mettent en ordre de marche pour les mettre sur le marché. On pourrait qualifier cela de méga-pôle de compétitivité à l’échelle du pays tout entier, qui favorise la recherche et le développement en mode collaboratif. Cette approche ne marche pas à tous les coups, mais elle est associée à une véritable vision des évolutions technologiques à venir et à leur impact sur la société. Elles s’appuient sur des éléments technologiques prévisibles : l’augmentation du débit des réseaux, de la résolution des caméras et des écrans, des capacités de stockage. Le tout pour conquérir des marchés qui peuvent nous sembler bien lointains. Le bon exemple est la vidéo 4K aussi évoquée à mon dernier retour de l’IBC 2011.
Les japonais ne se posent pas de question : le marché va adopter cette technologie et ils s’y préparent. Par rapport à nos pôles de compétitivité, cette initiative semble apporter une vision plus focalisée des nouveaux usages et aligne mieux les intérêts et l’agenda des parties prenantes concernées.
Tokyo et alentours
J’ai passé deux jours à visiter Kamakura et Nikko avec Rodrigo Sepulveda. Ce sont de magnifiques endroits avec un nombre incroyable de temples Shintos et Bouddhistes qui datent pour certains du quatorzième siècle et sont très bien préservés. L’un d’entre eux, à Nikko, est dans un grand sarcophage de protection et est en cours de restauration (ci-dessous).
Un grand nombre de classes d’élèves du secondaire visitent ces temples et ont droit à une photo de classe traditionnelle. Les photographes professionnels prennent leurs clichés avec un appareil argentique “à l’ancienne” double format Fuji (ci-dessous), une manière d’aligner les traditions sur une autre tradition.
Côté vie pratique, signalons l’usage généralisé de la carte de paiement sans contact Suica, très pratique pour payer le métro et faire ses courses dans pas mal de magasin. Mais il est très difficile de trouver des distributeurs de liquide supportant la carte Visa ce qui est extrêmement frustrant. Les seuls endroits connus où on en trouve sont les convenience stores 7-Eleven et les bureaux de poste.
Notons que les japonais sont friands de signalétique précise, notamment dans le métro. Aux correspondances dans les stations, les distances sont indiquées vers les autres lignes (ci-dessous). Il faut dire que parfois, il y en a bien pour un kilomètre, comme dans la station “Tokyo”, sorte de “Chatelet” de la ville. Dans le plan des lignes sur les quais, le temps de parcours jusqu’à toutes les stations est indiqué. Et évidemment, un affichage sur écran TV est présent au-dessus de chaque porte dans une majorité des métros et trains. Avec non seulement le parcours de la ligne, la prochaine station, les temps estimés de parcours, mais également la météo. Et bien entendu, un peu de publicité au passage.
Petit détail à Tokyo : y coexistent des trains publics et privés, un métro et une sorte de RER (de la compagnie de trains JR East). A ceci près qu’ils ont des plans séparés. Comme si le plan du métro de Paris ne comprenait pas les stations de RER ou réciproquement ! Pas très pratique !
Côté usages dans le métro, les passagers utilisent évidemment leur mobile pour consulter leurs réseaux sociaux, pour jouer, pour voir vidéo voire TV mais pas pour parler à voix haute. Mais jusqu’à un tiers d’entre eux dorment dans les rames pour rattraper le sommeil, notamment ces cadres en costume qui rentrent tard chez eux après le travail ou après les soirées avec les collègues !
J’ai pu voir sinon du Wifi – payant – dans le bus (à Nikko) mais pas dans le métro. La couverture 3G étant très bonne, le Wifi semble moins répandu qu’aux USA et en Europe dans les lieux publics.
Toutes ces impressions complètent celles que j’avais pu recueillir pendant mon premier – très court – voyage au Japon avec NKM en février 2009 ou j’avais surtout évoqué la visite du quartier geek de Akihabara, dont je me suis passé cette fois-ci.
Epilogue et remerciements
C’en est terminé pour ce compte-rendu de visite au Japon et au CEATEC. J’ai surement oublié plein de choses, que vous retrouverez notamment dans mes photos.
Il me faut remercier ici Cédric Ingrand (de l’émission Plein Ecran sur LCI) qui m’a chaudement suggéré de participer à ce voyage au CEATEC et toujours avec son comparse Guillaume Delalande, Takashi Nakanishi, qui m’a invité dans ce “CEATEC Media Tour” et gère cela avec une efficacité japonaise redoutable et Rodrigo Sepulveda, infatigable globe-trotter et Leica fan-boy qui m’a aidé à découvrir Tokyo et ses environs (voir ses photos). Il me faut aussi citer Baptiste Michaud d’Orange et FrAndroid, croisé par hasard sur le stand de KDDI et qui m’a fourni quelques éléments intéressants sur le marché japonais ainsi que mes compagnons de voyage : Fanny Bouton et Franck Lassagne de Giiks.com (voir leurs articles sur le CEATEC), Alexandre Laurent de Clubic (ses articles sur le CEATEC), et Olivier Levard de TF1 News (sa couverture du CEATEC).
Côté photos, j’ai tout publié dans ce portfolio dans les galeries de ce blog, organisé en sous-portfolio par thème. Vous y trouverez notamment celui qui concerne cet article, un autre sur Kamakura, puis sur Nikko, sur Tokyo et enfin sur les people et les girls du CEATEC.
Retrouvez la série complète des articles sur ce retour du CEATEC 2011 :
Retour du CEATEC 2011 – 1/7– Tour d’horizon
Retour du CEATEC 2011 – 2/7 – Affichage
Retour du CEATEC 2011 – 3/7 – TV
Retour du CEATEC 2011 – 4/7 – Mobilité
Retour du CEATEC 2011 – 5/7 – Composants
Retour du CEATEC 2011 – 6/7 – Smart Anything
Retour du CEATEC 2011 – 7/7 – Usages
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Petite précision.
Tokyo Metro tout comme JR sont des compagnies privées, sauf la TOEI ( Bureau des Transports de la Métropole de Tōkyō) est publique.
Pour le wifi on est trouve aléatoirement dans les stations, ça depend beaucoup des lignes de metro par exemples, les stations de la Marunouchi line sont plutôt bien équipées.
Merci pour cet article
Il n’y a pas de compagnies de train privées ?
Justement si, le Japon et Tokyo dans le cas présent montre le succès de la privatisation des transports.
JR, Tokyo Metro, Seibu sen, etc sont des compagnies privées ce qui explique en partie la présence de ses très grandes zones commerciales dans les gardes comme Ikebukuro ou Shinjuku.
Seul la TOEI qui depend du “Bureau des transports de la métropole de Tôkyô” est une compagnie publique
Pour ceux que cela peut intéresser voici quelques précisions pour mieux comprendre la différences d’usages entre occidentaux et japonais.
Point 1: Les japonais n’ont pas du tout la même conception du “pratique” que les occidentaux, il suffit pour cela de voir la différence en terme d’expérience utilisateur des smartphones entre occidentaux et japonais. Par exemple l’opérateur Softbank publie un guide d’utilisation pour l’iPhone qui est régulièrement proposé lors de l’achat (petite anecdote, je n’ai jamais vu un conseillé le proposer à un étranger). Autre point qui joue beaucoup dans ce rapport surtout en téléphonie mobile, la massification de l’internet a commencée, au Japon, par l’internet mobile avec Docomo et “l’Imod” alors qu’en occidentaux cela a commencée par le pc/mac. Donc si nous occidentaux avons pour modèle la page web taillé pour un écran de 13’ et plus, les japonais ont eux pour références une pages tenant sur quelques pouces. Qui plus est, le sens d’écrire des kanjis rend l’organisation de l’information plus flexible. En effet nous écrivons en suivant le sens «gauche-droite/haut-bas» alors qu’au Japon en plus l’occidentalisation, il est possible de «gauche-droite/haut-bas» , «haut-bas/gauche-droite» (peu utilisé, sauf pour une ligne), «haut-bas/droite-gauche».
Il y a encore beaucoup de points mais ceux sont les principaux.
Point 2: Les réseaux sociaux bien qu’en progression ont plus de mal car Mixi (le facebook local) est très bien installé bien qu’en perte de vitesse. En plus, ces plateformes souffrent d’un déficit de confiance lié directement à l’organisation de Mixi (beaucoup de pervers). Il y a aussi un détail très important, je m’appuierai sur le cas de Facebook pour l’expliciter. Les japonais sont très assistés (ne pas le voir comme péjoratif), or, nombreux sont les réseaux sociaux qui manquent de clarté, Facebook en premier lieu. Il est commun d’entendre dire venant d’un japonais «je ne comprend rien à Facebook», «l’utilisation est difficile»… déjà que nous avons du mal! D’ailleurs si Apple est venu au Japon chercher l’inspiration les équipes de Facebook pourrait en faire de même, elles ont beaucoup à apprendre.
Le réel succès au Japon n’est pas Facebook mais Twitter. Oui, les japonais «tweetent» et «tweetent» beaucoup. Pourquoi? simplicité et minimalisme des fonctions (message court, photo, partage de site) qui se prêtent très bien au mobile. Rappelons que Facebook est un réseau social et Twitter un site de «micro-blogging», voici une différence qui est fondamentale de souligner. De plus les blogs sont légions au Japon.
Point 3: L’explication est culturelle, religieuse et sociale.
Je me concentrerai sur les robots. On peux trouver l’explication dans la religion. En effet nous, Occidentaux Judéo-Chrétiens, avons des religions qui présentent le corps comme la «plus belle création» divine. Or créer, un robot, n’est-il pas d’un certain point de vue se prendre pour le créateur?
Au Japon rien de cela, tel qu’il est expliqué dans le «Kojiki» (sorte de Bible du Shinto, même si ce n’est pas comparable) le Mythe de la Genèse ne présente pas le corps comme une création divine, mais plus comme une conséquence des actes divins. Ainsi, Amateratsu née lors qu’Izanagi se lave (pour se purifier) après sont retour du pays des morts. Il y a donc pas de contrainte morale sur le fait de vouloir «se prendre» pour un quelconque créateur»
Cependant une question se pose et montre que le statut que du «robot» en tant que machine humanoïde n’est pas claire. En effet, en langue japonaise, le vivant et l’objet sont distingués par les verbes d’état «iru» pour le premier et «aru» pour le second. Or, les japonais utilisent alternativement l’un ou l’autre dans le cas du «robot».
Le marché japonais reste très particulier et l’observer est constructif. En espérant que ses précisions aideront les plus curieux à mieux comprendre ce marché.
Encore merci pour cet article.