Voici la suite et la fin de ce petit tour dans l’écosystème israélien des startups avec deux particularités opposées : d’un côté les liens structurels avec les USA et de l’autre, un grand retard dans l’infrastructure interne du pays. Dans les deux cas, avec une incitation très forte à exporter pour les startups israéliennes.
Les liens étroits avec les USA
Politiquement, militairement tout comme économiquement, la proximité d’Israël avec les USA est critique pour le pays.
Malgré tout, les exportations du pays sont équilibrées entre les USA (1/3), l’Europe (1/3) et le reste du monde dont l’Asie. Pour les importations, le poids des européens est plus fort. Mais la France pèse peu dans les importations : moins que la Belgique et la Suisse.
Au niveau de l’innovation, cinq liens rapprochent Israël des USA, qui s’alimentent les uns les autres :
- La proximité culturelle que nous avons évoquée dans le premier post.
- L’implantation du capital risque américain en Israël vue dans le second post, qui aboutit notamment à un grand nombre de startups cotées au Nasdaq.
- Le fait que les USA sont le premier marché visé par les startups israéliennes high-tech, surtout dans l’univers Internet et logiciels. Elles se tournent plus rarement vers l’Asie, notamment dans le secteur des semi-conducteurs.
- L’implantation en Israël de laboratoires de R&D de groupes étrangers et surtout américains, que nous allons détailler plus loin.
- Les acquisitions de startups israéliennes par des groupes américains. Ce avec des sorties impressionnantes, par exemple l’acquisition du spécialiste des tests logiciels Mercury par Hewlett Packard pour $4,5B en 2006, celle de M-Systems, à l’origine de l’USB Flash, vendu à Sandisk pour $1,5B aussi en 2006. Puis en 2009, celle du spécialiste des centrales solaires thermiques Solel par Siemens pour $418m et de Guardium, éditeur de logiciels de supervision de bases de données, par IBM pour $225m. Le nombre de sorties de plus de $200m dans la high-tech et dans le numérique n’a probablement pas d’équivalent en Europe, même si il a sérieusement diminué avec la crise financière depuis 2008. Un record avait été battu avec $11B d’acquisitions en 2006 sur 76 entreprises, tandis qu’en 2009, les montants sont retombés à $3,8B. En quatre ans, il y a eu pour $34,4B d’acquisitions d’entreprises de high-tech israéliennes. Sachant que la moitié du capital risque investit dans ses boites est étrangers, cela signifie tout de même que cela a apporté au pays environ $17B de capitaux. De quoi rentabiliser largement tous les investissements du “chief scientist” que nous avons couverts dans le premier article (environ $1,5B sur la période).
Revenons sur le ciblage du marché américain. La position des startups israélienne est avant tout pragmatique, surtout dans les industries du numérique. Le marché américain est le plus grand au monde en chiffre d’affaire et son effet d’entrainement sur le reste du monde reste majeur. Il est grand et relativement homogène. Il est plus facile à pénétrer car plus perméable aux innovations et à la prise de risque, sans compter l’homogénéité linguistique. Yosi Glick, le cofondateur de Jinni, m’indiquait même qu’il trouvait que les grands acteurs de son secteur (dans la TV) étaient plus innovants que les petits.
Malgré tout, les startups israéliennes doivent et savent se plier aux règles du jeu : les américains préférant acheter à des entreprises américaines, elles établissent très souvent leur siège social aux USA, de préférence dans la Silicon Valley. Elles recrutent rapidement un manager local ou, mieux, envoient aux USA l’un de leur fondateur. La R&D reste généralement en Israël, profitant des subventions et aides locales. Mais les startups israéliennes y trouvent aussi des compétences de “product management” que l’on trouve facilement aux USA et dans la Silicon Valley. Le “product management”, c’est le pont entre le marché et le produit. C’est la compétence de compréhension des besoins des clients et les spécifications des produits. Elle est plus rare en Israël (tout comme en France) où les ingénieurs ont une approche techno-centrée des problèmes.
Une fois la tête de pont établie aux USA, il leur est plus facile d’entrer en contact avec les VC locaux pour financer leur croissance commerciale. Au fil de l’eau, un grand nombre de startups israéliennes deviennent au stade de la maturité de véritables sociétés américano-israéliennes. Parfois, l’origine israélienne est même savamment estompée dans toute la communication frontale de l’entreprise. Toutes ces règles s’appliquent d’ailleurs aussi aux startups françaises qui prennent la décision avisée d’approcher le marché américain.
L’Europe est un marché ciblé en général en second par les startups américaines, sauf lorsque le marché y présente des opportunités plus fortes. C’est le cas de TVinci, une startup du monde de la télévision numérique, qui se développe quasi exclusivement en Europe, et notamment en France, car le marché de l’IPTV y est plus dynamique qu’aux USA.
Le poids des startups israéliennes dans la Silicon Valley est impressionnant. 40000 israéliens travailleraient dans la Silicon Valley, autant dans des startups que dans les grandes entreprises high-tech type Google, SAP, Microsoft ou autres. Soit presque autant que de français qui il y a quelques années étaient 50000 dans la région.
Dernier point, l’implantation de laboratoires de R&D voire même d’usines de production de grands groupes américains, et dans une moindre mesure européens. Elle s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, le pool de talents que l’on y trouve, lié aux grandes universités technologiques comme le Technion de Haifa. Mais c’est aussi dû à l’installation en Israël de juifs qui viennent de ces sociétés, souhaitent émigrer en Israël et que ces dernières souhaitent garder chez elles. C’est pour cette raison que Microsoft a installé deux laboratoires de R&D en Israël.
L’équivalent français est bien rare. Pour la petit histoire, j’en ai un sous le coude avec le cas de Jean-Marie Hulot, qui avait travaillé chez Next avec Steve Jobs, puis Apple. Voulant rentrer en France, Steve Jobs a accepté de créer un petit laboratoire de développement logiciel à Paris pour conserver Jean-Marie Hulot chez Apple. Il y est resté quelques années et a ensuite quitté Apple pour créer Fotonauts devenu Fotopedia. Le laboratoire en question faisait moins de 20 personnes et je ne sais pas ce qu’il en est advenu depuis le départ de Jean-Marie Hulot.
Le cas d’Intel
C’est le cas le plus emblématique de l’investissement en Israël d’un grand groupe américain. Il rappelle dans ses proportions celui d’IBM en France qui y avait installé il y a des dizaines d’années de nombreuses usines (Bordeaux, Montpellier, Corbeil-Essonnes) mais les a fermées ou revendues pour la plupart depuis.
Intel est installé depuis 1974 en Israël et est dispersé sur quatre centres de R&D et deux sites de production :
- Le centre de R&D de Haifa créé en 1974 est le lieu de naissance du mythique processeur 8088 qui équipait les premiers IBM PC en 1981 mais aussi des Pentium et Centrino Mobile. Il héberge également les équipes commerciales et marketing du groupe dans le pays.
- Le centre de R&D de Yokneam est dédié aux composants graphiques et de communications tandis que celui de Yakum a en charge les chipsets pour mobiles, celui de Petach Tikva étant spécialisé dans les solutions Wimax.
- Le site de Kyriat Gat comprend deux lignes de production, la Fab 18 dédiée aux processeurs en technologie 90 nm (bientôt dépassée) et la récente Fab 28 de processeurs en 45 nm sur wafers de 30 cm qui a été terminée en 2009. Cette dernière Fab 28 qui est l’une des plus grandes usines au monde de construction de microprocesseurs a représenté un investissement conséquent de $3,5B. La survie d’un site de production dépend en effet d’investissements constants à chaque arrivée de nouvelle technologie de fabrication. La Fab 28 est censée tenir sur quatre générations consécutives de technologies de fabrication.
La situation géographique de ces deux unités de production de Kyriat Gat mérite d’être précisée. Elles sont à 3,6 km au sud d’une usine de concentré de jus d’orange, juste à côté de champs de coton, à 15 km de la Cisjordanie (à l’est), et surtout à 22 kilomètres de la bande de Gaza. Soit exactement la distance entre l’aéroport Charles de Gaulle et le centre de Paris. Sachant qu’avant 2008, la portée des roquettes Qassam du Hamas était de 11 km et qu’elle aurait atteint les 40 km avec l’arrivée de roquettes d’origine Iranienne. Les usines d’Intel de Kyriat Gat doivent donc avoir un petit malus au niveau des assurances ! Heureusement pour Intel, à ce jour, ni Kyriat Gat ni les usines d’Intel n’ont été la cible du Hamas. La menace est à relativiser car les roquettes du Hamas sont de faible charge explosive, de quelques kg seulement. Mais cette proximité d’une zone de conflit est tout de même surprenante. Le contraste économique l’est tout autant, Gaza étant l’une des régions à la fois les plus denses et les plus pauvres au monde. L’investissement dans cette unité de production d’Intel représente environ le double du PIB annuel de Gaza avec ses 1,5 millions d’habitants !
- Enfin, à Jérusalem – Har Hotsvim se trouve l’unité de production Fab 8 qui produisait des micro-contrôleurs, des contrôleurs réseaux et communications ainsi que des composants pour l’industrie automobile jusqu’en 2007. C’est la première usine Intel établie hors des USA, en 1985. Après avoir été fermée temporairement, elle a été reconvertie en usine de test et d’assemblage notamment après des pressions du gouvernement israélien qui a augmenté les exonérations fiscales et aides pour Intel. Au passage, cette usine est à 3,7 km du Saint Sépulcre, du Mur des Lamentations et de la Mosquée Al Aqsa ! Un beau télescopage temporel !
Intel Israël emploie 7000 personnes qui sont à comparer aux 79000 du groupe à l’échelle mondiale, dont 55% sont aux USA. Intel Israël emploie donc un cinquième des employés hors USA d’Intel. Il représente 8,5% des exportations industrielles israéliennes dans les industries numériques. C’est aussi le premier investisseur étranger dans le pays (suivi de Motorola et HP) tant par ses laboratoires et usines que par sa branche d’investissement, Intel Capital, très active en Israël.
La présence d’Intel génère de l’émulation. Un peu comme dans le pôle de compétitivité Minatec de Grenoble construit autour du CEA-LETI et de ST Microelectronics, Intel a attiré autour de lui de nombreuses sociétés dans les semi-conducteurs. Et l’américain en digère quelques unes de temps en temps.
Le cas de Microsoft
Microsoft est installé à trois endroits en Israël, deux pour la R&D et un pour la vente.
Le premier centre de R&D, à Haïfa, est proche de l’université Technion. L’autre, lancé en 2008, est à Herzliya (ci-dessous) dans la zone “high-tech” Pituach, au nord de Tel Aviv et qui ressemble à une zone industrielle comme aux Ulis ou à Vélizy Villacoublay. Ces deux centres se consacrent à différentes lignes produits à dominante entreprise : les outils de sécurité Forefront et Security Essentials, la technologie VPN DirectAccess issue de l’acquisition de gteko en 2006 (pour un peu plus de $100m), les SQL Server Data Quality Services, des briques de Windows Mobile 7, des plateformes serveurs pour le marché des opérateurs télécoms et enfin, des outils de ciblage de la publicité en ligne.
La filiale commerciale et marketing est située à Raanana, une ville proche de Tel Aviv.
Un peu comme pour Intel, le cas de Microsoft est intéressant car c’est l’un des rares pays au monde où les effectifs de R&D locale sont supérieurs aux effectifs de la filiale commerciale. Respectivement 600 personnes et moins de 200 personnes. En Angleterre, la filiale représente près de 2000 personnes tandis que le laboratoire de recherche situé à Cambridge en emploie environ une centaine. En France, les récents germes de l’investissement en R&D avec un laboratoire commun avec l’INRIA à Orsay et un laboratoire autour des services en ligne au siège d’Issy les Moulineaux ne représente pour l’instant qu’une cinquantaine de personnes au maximum.
J’ai rencontré Zack Weisfeld au labo de R&D d’Herzliya grâce à une mise en contact de Julien Codorniou de Microsoft France. Zack est en charge des relations avec les startups et est intégré à Microsoft R&D, pas seulement d’Israël mais aussi de la Corporation. Son objectif est de faire du “sourcing de technologies” pour les équipes produits de Microsoft. Il est donc très orienté fusions/acquisitions mais a aussi été à l’origine de partenariats technologiques avec des sociétés restées indépendantes. C’est le cas de PrimeSense qui a conçu l’ingénieux système de capture de mouvement utilisé dans Natal, qui va bientôt compléter la XBOX 360.
Zack Weisfeld ne gère qu’un à trois “deals” par an. Son exemple personnel est intéressant et emblématique de la mobilité dans la high-tech israélienne : le gars a vécu 10 ans dans la Silicon Valley, il a créé plusieurs boites en Israël et dans la Silicon Valley et il en est à son troisième passage chez Microsoft (entré trois fois, parti deux fois).
Dans la filiale de Raanana, Raya Volinsky gère quant à elle les partenariats avec les éditeurs de logiciels, des startups aux entreprises matures. On a donc deux logiques distinctes : l’une pour le sourcing, l’autre pour la construction d’un écosystème de produits tierce-partie et destinés à le rester. En France, l’équipe de Julien Codorniou de Microsoft est plutôt focalisée “écosystème” mais a tout de même été à l’origine d’au moins l’une des trois acquisitions de startups chez nous, toutes réalisées depuis 2006 juste après le lancement du programme IDEES (Screentonic, Motion Bridge, Musiwave). Coïncidence ? Peut-être pas !
Les autres américains
Google est établi depuis 2006 avec deux centres, un à Tel Aviv et un autre à Haifa, mais avec moins d’une centaine de personnes semble-t-il. Dans l’Internet, Google est l’une des entreprises qui a le plus distribué sa R&D géographiquement, avec cinq centres aux USA côte ouest comme côte est, six en Europe (Londres, Zurich, Suède, Dublin, Trondheim en Norvège, Aarthus au Danemark), et plusieurs en Asie (Tokyo, Shanghai, Singapour). Le centre de R&D de Shanghai n’a d’ailleurs pas été fermé après l’arrêt des activités commerciales de Google en Chine suite au hacking de ses réseaux. Et en fait, Google a déplacé sa filiale de Beijing à Hong Kong qui est jusqu’à preuve du contraire encore en Chine. La méthode de Google consiste à placer ses centres de R&D là où il y a concentration de matière grise. Et les développements logiciels dans le groupe sont organisés en petites équipes qui peuvent facilement supporter une telle répartition géographique.
De nombreuses autres sociétés américaines sont présentes en Israël avec un laboratoire de R&D : HP, Motorola, IBM, Cisco, Marvell, Kodak, BMC, Applied Materials. Des centres de R&D américains ont parfois été fermés, notamment ceux de Infineon et Analog Device. C’est assez rare, et souvent lié aux difficultés économiques des groupes concernés.
Une exception dans les grands acteurs américains : Apple qui n’a pas de présence en R&D en Israël. L’essentiel de sa R&D est concentré à Cupertino dans la Silicon Valley. Préservation du secret oblige…
La présence française
La présence française en Israël est pour l’instant modeste en matière de R&D :
- Alcatel Lucent est le premier groupe français à avoir établi un centre de R&D en Israël. Il est lié à deux acquisitions dont celle de Native Networks, un spécialiste de la fibre optique IP en 2005. Leur laboratoire est situé à Haïfa.
- France Telecom a créé un petit centre de R&D après l’acquisition d’Orca Interactive en 2008 par sa filiale Viaccess. Ils souhaitent tirer parti des nombreuses compétences sur place autant dans le middleware pour la télévision numérique que dans les composants pour les nouvelles interfaces utilisateurs.
Mais cela n’empêche pas les partenariats technologiques tout azimut. Dans mon avion de retour, j’ai ainsi croisé toute une équipe de Bouygues Telecom, assise à côté de celle de France Telecom.
Ce qui est reproductible en France
L’ultra-dépendance d’Israël vis à vis des USA n’est pas forcément un bon modèle. Cependant, la capacité des startups israéliennes du numérique à investir dans ce marché reste une bonne pratique dont nous devrions nous inspirer. On peut certes espérer la création d’un marché européen unique.
Nathalie Kosciusko-Morizet déclarait ainsi dans le Monde du 4/6/2010 :
“Il nous faut surtout un “small business act” à l’européenne et il est important de créer un véritable marché numérique commun. Une des raisons pour lesquelles les start-up françaises partent aux Etats-Unis, c’est la trop faible taille du marché. Nous avons en Europe 27 petits marchés : il faut que nous aboutissions à un véritable marché commun.”
A mon sens, le volontarisme politique pourrait aboutir à harmoniser et homogénéiser la gouvernance du numérique (sur la vie privée, sur la neutralité des réseaux, sur la propriété intellectuelle, etc). Mais il aura bien du mal à le faire pour les marchés ne serait-ce que du fait des langues, des pratiques sociales, des réseaux de distribution et des opérateurs télécoms qui y sont tous locaux et non globaux. L’homogénéité du marché américain vient de ce que dans de nombreux secteurs, ils est couvert par des acteurs économiques qui couvrent tout le territoire ou de vastes régions (Est ou Ouest). C’est par exemple le cas dans la grande distribution et dans le câble et le satellite. Il serait donc bon que certains des acteurs du numérique se consolident à l’échelle européenne. Même si elle en a froissé quelques uns en France, l’acquisition de Business Objects par SAP va ainsi dans le bon sens.
Voici en tout cas quelques pistes :
- Revaloriser la promotion de l’export vers les USA dans les diverses aides publiques à l’innovation tout comme au niveau des investisseurs privés. Cela fait un bout de temps que j’écris cela dans ce blog. Un véritable changement de mentalité est nécessaire : plus d’ambitions, plus de risques, plus de moyens, plus de produits transversaux, etc.
- Le Crédit Impôt Recherche a aussi pour but d’attirer les laboratoires étrangers en France. Cela commence à porter ses fruits, mais avec beaucoup de retard. La présence de Christine Lagarde lors de l’inauguration des nouveaux locaux de Microsoft en France en octobre dernier (cf les photos) entrait dans cette démarche et ses mots à l’adresse de Steve Ballmer visaient à lui faire augmenter ses encourageants mais encore bien maigres investissements en R&D en France. Les acteurs politiques et économiques de ce pays doivent aussi réfréner leurs craintes. La peur du pillage économique et intellectuel du pays est assez courante. La volonté d’indépendance tout autant.
- Enfin, pourquoi pas fusionner Ubifrance et l’AFII ? Pourquoi avons-nous ainsi deux agences publiques, l’une chargée d’aider les entreprises françaises à l’étranger, et l’autre, d’attirer les entreprises étrangères en France, la même dichotomie étant de plus souvent reproduite dans les régions ? De grandes synergies devraient exister entre les deux approches. Nos amis anglais avec UK Trade & Investment ont un seul organisme pour assurer ces deux missions. Le gouvernement pourrait s’en inspirer.
Le paradoxe du retard du marché israélien
Mes différents interlocuteurs m’ont tous souligné que le marché israélien est en retard au niveau des infrastructures numériques par comparaison aux USA ou à l’Europe.
Cela concerne le câble qui est en retard d’une génération, du haut débit DSL qui traine à 1,5 mbits/s en ville, de l’absence d’offres triple-play, et au passage d’IPTV. La mobilité va mieux, mais avec des offres 3G classiques, encore un peu chères.
Le marché de la TV payante est partagé entre le câble (60% des abonnés) qui est dominé par l’opérateur Hot et le satellite (40% des abonnés) dominé par l’opérateur Yes. Sachant qu’il y a une part du marché qui n’est pas “adressable” : les 12% de juifs orthodoxes qui ne regardent pas la télévision.
Depuis 2008, 45% de l’opérateur Hot appartiennent à Patrick Drahi, le fondateur de Numéricable. Il y est représenté par Michael Boukobza, l’ancien DG de Iliad / Free, dont l’objectif est de moderniser l’offre de l’opérateur.
Côté Internet, en plus de Hot, l’accès est aussi fourni par Bezeq Telecom avec des offres dual play IP+voix. Le débit Internet est en partie limité par l’existence d’un seul câble sous-marin optique reliant le pays au réseau Internet. L’accès Internet à 1,5 Mbits/s est à 20€ par mois. Il monte à 60€ pour l’accès à des contenus TV premium en mode hybride (via le câble ou le satellite, pas en IPTV). Comme le haut-débit n’est pas au rendez-vous, le marché de l’IPTV comme celui des solutions dites “over the top” est très limité.
Sinon, quatre opérateurs mobiles se partagent le marché en 2G et 3G. Il n’y a pas de 4G à l’horizon, ni de Wimax. L’un des opérateurs est Partner Communications, qui opère sous la marque Orange ! Mais il ne fait pas partie du groupe France Telecom. C’est le résultat d’une histoire compliquée : Orange a été créé au Royaume Uni par le groupe Hutchison basé à Hong Kong, qui est le premier grand investisseur dans Partner Communications. Orange a été acquis par France Telecom en 2000, mais en laissant l’exploitation de la marque au vendeur sur le marché israélien.
Cette situation nous rappelle un peu celle de la Silicon Valley qui n’est pas très bien équipée en accès Internet. Tandis que la France est bien équipée. Nous avons donc deux zones économiques plutôt en pointe côté création de richesses et d’exportations dans le numérique mais mal équipées. De l’autre côté, la France est bien équipée mais sans que cela soit vraiment bénéfique aux exportations dans le secteur. L’existence d’un marché intérieur limite en effet les appétits d’exportations. On m’a aussi fait remarquer avec justesse qu’un marché intérieur avec de bonnes infrastructures pousse à créer des applications, qu’on appelle les “usages” dans le jargon politique. Avec une tendance à développer des usages locaux qui ne s’exportent pas facilement. Sans marché d’usage, les startups s’orientent plus facilement vers les couches basses, les composants, les briques technologiques et donc, les marchés extérieurs et ceux qui présentent de forts effets de volume.
La France est d’ailleurs regardée de très près pour l’excellence de ses infrastructures télécoms et le dynamisme de son secteur IPTV. Une opportunité commerciale ! Oui, certes. Mais comme nos opérateurs télécoms ne sont pas des “industriels”, le bénéfice économique est à relativiser. Les opportunités sont en tout cas à saisir pour les startups et PME de ce secteur d’activité. C’est ainsi que la société Nantaise Wiztivi est partenaire de la startup israélienne TVinci dont nous parlerons dans un prochain post.
Un petit mot sur la Cisjordanie et Gaza. Comme dans la plupart des pays dits “en voie de développement”, c’est le mobile qui domine les usages. Avec plus de 1,3 millions d’abonnés, à comparer à 350000 utilisateurs d’Internet via le fixe. L’opérateur principal est Paltel (Palestinian Telecom). Et il n’y a qu’une seule chaîne de télévision locale.
Ce qui est reproductible en France
En termes d’infrastructures numériques, nous n’avons pas du tout à rougir. Le déploiement de la fibre optique, même s’il est en apparence en retard, pourrait décoller rapidement en France. Le câblage des villes est bien avancé. On bloque juste à l’entrée des immeubles, et pour des considérations non techniques. L’équipement des banlieues des grandes villes devrait bientôt démarrer.
Maintenant, il faut éviter de tomber dans ce que j’appellerai le “piège des usages”. A savoir, d’investir tellement dans les usages locaux que l’on en oublierait les “usages globaux” et les technologies sous-jacentes, les seules qui couvrent les marchés mondiaux. Il en va de même de notre fameuse “exception culturelle française” qui mérite certes d’être défendue, mais nous enferme de facto dans un marché de niche à l’échelle mondiale.
C’est un équilibre délicat qui devra notamment être géré dans le cadre du Grand Emprunt. NKM va annoncer les modalités des investissements concernant son volet numérique le lundi 7 juin 2010. Cela sera une sorte de méga-appel à projets, les domaines prioritaires n’ayant pas changé :
- Dans le scalable à marché potentiellement mondial : cloud computing, technologies de base numérique (ça tombe bien : c’est un fourre tout…), réseaux électriques intelligents, sécurité et résilience des réseaux, systèmes de transports intelligents.
- Dans les projets à connotation plutôt locale : numérisation des contenus, e-santé, ville numérique et e-éducation.
Une ventilation à 2/3 et 1/3 des investissements et autres aides serait plutôt bien équilibrée pour éviter d’enfermer nos startups dans des marchés trop locaux.
Suite…
En fait, je n’ai pas terminé mon petit tour de l’écosystème d’Israël. Mon prochain et dernier post sera dédié au marché de la télévision numérique. Si le marché intérieur israélien est plus que poussiéreux, il reste très dynamique à l’international, à commencer par leur mastodonte local qu’est NDS.
Et début juillet 2010, direction Shanghai et Beijing dans un voyage d’études organisé par l’IE Club. De quoi continuer d’alimenter ces lignes… !
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Une excellente synthèse comme d’habitude. Reste pour moi les questions fondamentales: qu’est-ce qui fait le succès de cette région et qu’est-ce qui est reproductible ailleur? En simplifiant à l’extrême, est-ce que finalement ce n’est pas cet esprit entrepreneurial qui est critique et l’infrastructure est secondaire? D’ailleurs tu indiques un certain retard d’Israël dans certaines dimensions de cette infrastructure. Le second point critique semble être la proximité (culturelle et) économique avec les USA. Pour appuyer sur ce point, d’autres pays tels que Singapour, Corée ou Finlande ont fait des efforts remarquables avec des résultats plutôt mitigés. Je sais bien que l’on ne module les aspects culturels que sur une génération et que c’est difficile, mais bon… donc quand tu écris “L’ultra-dépendance d’Israël vis à vis des USA n’est pas forcément un bon modèle”, tu as peut-être raison, mais c’est peut-être la vraie explication du succès.
La Corée du Sud, un succès mitigé ? Ca se discute. C’est un peu l’Israël de l’Asie. Petit pays, peu de ressources naturelles, entouré d’ennemis (au moins la Corée du Nord, et auparavant, l’Union Soviétique). Un esprit entrepreneurial fort. Un pays tourné vers le monde d’un point de vue commercial. Les grands acteurs que sont Samsung et LG semblent conquérir la planète et notamment les USA avec leurs produits numériques. Au détriment du Japon qui n’est pas assez tourné vers l’extérieur, tant dans la conception produit que dans le marketing et la vente.
Taïwan est un autre “Israël” d’Asie, avec des caractéristiques voisines de celles de la Corée du Sud. Et des liens économiques très forts avec la Chine continentale.
Singapour ? Très forte croissance tout de même, soutenue par la high-tech et les biotechs. Même si ils accusent le coup du fait de la crise financière.
La Finlande ? Les USA sont leur quatrième pays en masse d’exportations. Ils sont plutôt tournés vers leurs voisins immédiats (Russie, Suède, Allemagne)…
Oui tu as raison sur ton analyse. Je pensais à l’aspect innovation par les start-ups, voire innovation high-tech tout court. Évidemment les résultats d’un LG, Samsung, ou TSMC/UMC à Taiwan ou même Chartered à Singapour sont impressionnants, comme d’ailleurs l’est de manière similaire celui de Airbus ou STMicro en France, Nokia, en Finlande, Infineon en Allemagne, Philips au Pays Bas et aussi ARM et CSR au UK. Mais du point de vue purement entrepreneurial, le modèle américain et aussi israélien me semblent assez uniques et c’est la que je parlais de resultats plus mitigés. Le mot mitigé est tout relatif, nous sommes d’accord!
Des différents pays que l’on cite, la Corée semble avoir quelques startups intéressantes. Pour les autres, je ne sais pas trop. Mais les grands groupes ne se fournissent pas qu’en interne pour leurs innovations.
Cf d’ailleurs : http://techcrunch.com/2010/06/01/geeksonaplane-in-korea-12-demos-from-local-startups/.
Concernant la R&D en Israel, il y a bien u le “cas” Dassault Systemes, avec l’acquisition de Smarteam (150 personnes) en 1999, désormais fusionnée dans la marque ENOVIA.
Concernant l’usine Intel de Kyriat Gat, j’ai eu l’occasionde visiter la Fab 18 avec Ekoz, alors que la 28 était en cours de finition. C’est très impressionnant, et mériterait sans doute un article en soi, comme toute usine Intel. Quelques francophones y travaillent.
Bravo pour l’habituelle excellente couverture du sujet.