Le soir du lundi 30 novembre avait lieu la remise des Grands Prix de l’Innovation de la Ville de Paris à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Paris – La Villette. Cinq startups étaient récompensées d’un prix – significatif – de 15K€ et d’un trophée sous la forme d’un morceau de la Tour Eiffel. Et dans les catégories suivantes : numérique, santé, services innovants, design, et éco-innovations.
Il se trouve que je faisais partie du jury, aussi, sans trahir de secrets, je me propose de partager avec vous cette expérience intéressante après avoir listé les gagnants. Le concours avait été organisé avec l’aide de Paris Développement, notamment dans le traitement des dossiers de candidature.
Nous traiterons sinon rapidement du PRIT et des pôles de compétitivité à la fin de ce post.
Les gagnants
Il y avait environ 300 candidats, dont 106 dans la catégorie la plus représentée, le numérique. Voici les gagnants de chaque catégorie :
- Catégorie Numérique : la société PlugNSurf avec son Wobe, un “hotspot personnel” qui permet de connecter l’ensemble de ses terminaux nomades, comme son laptop, son livre électronique ou encore sa console de jeu, à Internet en situation de mobilité, en sélectionnant automatiquement le meilleur réseau sans fil : Wifi, 3G ou Wimax, disponible là où l’on se trouve, et sans avoir à paramétrer à chaque fois son terminal. Le projet est porté par David Remaud (ci-dessous), polytechnicien et cela fait plaisir d’en voir dans cette posture d’entrepreneur, ce qui change des grands Corps de l’Etat ! La société avait deux possibilités pour gérer ce problème de connectivité : créer un logiciel décliné pour un tas d’OS et d’appareils différents, ce qui est assez ingérable. Ou mettre ce logiciel dans une boite noire, développé une fois pour toutes. C’est ce dernier choix qui a été retenu pour créer la solution. Cette boite qui tourne sous Linux est toute petite (ci-dessous) et contient un emplacement pour y attacher sa clé 3G. Le projet hébergé dans l’incubateur de ParisTech Telecom rue Dareau est très intéressant mais comme toute aventure dans la création d’une combinaison matériel+logiciel, l’accès au marché est un défi de taille. En tout cas, la valeur d’usage est là.
- Catégorie Eco-innovations : SmartGrains, est un service permettant de guider les conducteurs vers les places disponibles dans les parkings. Le système s’appuie sur des capteurs de présence des voitures à basse consommation placés sous chacune des places du parking et d’une signalétique à LED orientant les conducteurs vers ces places. Une solution qui vise à améliorer la qualité de service, la rentabilité et le bilan carbone des parkings. La startup portée par Aymeric Puech (ci-dessous) se positionne comme intégrateur pour mettre en place la solution, et comme développeur de la solution logicielle associée.
- Catégorie Santé : Biospeedia, une entreprise de biotechnologie issue de l’Institut Pasteur qui a créé des Tests de Diagnostic Rapide (TDR) pour les maladies infectieuses basés sur des anticorps monoclonaux. L’idée est de raccourcir les délais d’obtention de résultats de plusieurs jours à quelques minutes. Ce qui peut être très utile lorsque les infections en question évoluent très vite. Le projet est porté par Yves Germani et Evelyne Bégaud (ci-dessous).
- Catégorie Design : Jessiko, le robot poisson porté par Christophe Tiraby (ci-dessous) de la startup Robotswim. Il s’agit d’un petit “robot poisson” qui peut nager de manière autonome et avec plusieurs congénères en formant des chorégraphies aquatiques et lumineuses. Un produit destiné à un marché de niche : les parcs d’attraction et pour l’événementiel. A terme, il devrait aussi être proposé au grand public pour égayer les piscines privées. Marrant, mais d’utilité discutable.
- Catégorie Services innovants : Kwaga, un service en ligne qui enrichit les messageries existantes en aidant les utilisateurs à décider quels mails lire et dans quel ordre les lire. Il sera disponible sur différents webmails ou clients de messagerie via un plug-in asynchrone. Un autre projet numérique ! Il est porté par Philippe Laval (ci-dessous) et est aussi hébergé dans l’incubateur Paristech Telecom.
Les quatre autres finalistes en lice dans le numérique étaient :
- Un écran pour visualisation tridimentionnelle porté par Kamel Djidi. Pendant la soutenance, je n’ai pas très bien compris comment cela fonctionnait. En gros, il s’agit d’un système qui envoie des micro-gouttes d’eaux à haute fréquence (par le haut, gravité oblige) et d’un éclairage stroboscopique et en couleur (mais de nature non précisée) permettant de visualiser un objet en trois dimensions dans l’espace, l’objet pouvant être animé. Le projet n’a pas encore atteint le stade du prototype : c’est pour l’instant un concept pouvant s’appuyer sur des composants qui existent plus ou moins sur le marché (les diffuseurs de gouttelettes, que l’on trouve dans l’événementiel). Le porteur cherche le financement pour créer son prototype. On est donc bien loin de la commercialisation !
- Une clé USB pour sécuriser les accès au web, EtherTrust. L’idée est de fournir une identité numérique sécurisée aux Internautes. La société a créé le logiciel Java qui tourne sur les cartes à puce du marché et l’infrastructure de sécurité (clés SSL, serveurs d’identité). Ils avaient eu l’occasion de présenter leur solution dans la conférence JavaOne en 2007. Encore un projet issu de Telecom. Son marché parait énorme mais dans la pratique me semble destiné à être concentré sur quelques domaines : les jeux en ligne, l’équipement des entreprises soucieuses de leur sécurité, les services de sécurité, etc.
- La solution Pixy Paris Spectacles de Milpix permet aux utilisateurs d’iPhone de photographier une affiche de spectacle et d’obtenir directement les informations associées. C’est l’une des nombreuses applications d’un algorithme de reconnaissance d’images un peu spécialisé. La solution devrait être expérimentée sur Paris, et normalement, pas que sur les iPhone.
- La plateforme web Ac-Knowledge vise à mettre en relation les entreprises avec les chercheurs. C’est une sorte de place de marché de chercheurs qui exploite un moteur de recherche sémantique. Les entreprises définissent leur problème et le moteur trouve les chercheurs (à l’échelle mondiale) qui ont travaillé dessus. La société joue le rôle d’intermédiateur qui gère la relation entre les chercheurs et les entreprises clientes. Reste à prouver que cela peut fonctionner dans la vraie vie !
Pour ces projets comme les 16 autres non décrits ici, vous pouvez vous référer au Book des finalistes. Un book qui permet de découvrir l’objet du nouveau “Paris Innovation Lab” : “L’expérimentation grandeur nature sur le territoire métropolitain, l’émulation de l’innovation urbaine et la veille stratégique et la promotion de l’innovation”. Visiblement, un moyen de faire le lien entre les sociétés innovantes et les besoins d’une grande ville. Une approche intéressante à suivre de près.
Le processus de sélection des lauréats
Dans le numérique, 106 candidats étaient évalués dans un premier temps par deux membres du jury par paquets de 25. Chaque membre du jury évaluait 25 sociétés selon une grille d’évaluation constituée de six critères: la forme du dossier, l’origine du dossier, l’innovation (technologique ou de service), le projet et les dirigeants, la crédibilité économique et la dimension parisienne (utilité pour les parisiens). Le processus était géré en ligne, of course. Et donc, sur dossier. Ce processus de répartition des dossiers permet aux membres du jury de passer un peu plus de temps par dossier. Dans la Startup Academy de Sun, chaque membre du jury évalue et note plus de 100 projets, ce qui peut être un peu stakhanoviste mais présente l’avantage de l’absence de biais de binômes de membres du jury.
La compilation de ces évaluations a permis de dégager cinq finalistes qui ont ensuite eu l’occasion de présenter leur projet de vive voix dans une soutenance devant les membres du jury. Après les présentations de 40 mn chacune, le jury a débattu pour faire ressortir le gagnant en reprenant les mêmes critères que pour la présélection initiale.
Le qualitatif entre alors beaucoup en jeu : est-ce que le service rendu est réel, est-ce proche de la commercialisation, est-ce que l’équipe est crédible, est-ce que le modèle économique tient (vaguement) la route ? Il s’agissait de critères de sélection sommes toutes assez classiques et ressemblant à ceux que je vois ailleurs, comme chez Scientipôle Initiative.
La remise des prix
La cérémonie de remise des prix était présidée par Jean-Louis Missika, ci-devant adjoint au Maire de Paris en charge de l’innovation. Elle était honorée de la présence de Claudie Haigneré, la présidente de la Cité des Sciences et de l’Industrie qui me donne toujours l’impression de se lancer dans une thèse de philosophie à chacune de ses interventions (cf sur le grand emprunt), même si cela ne dure que trois minutes.
Chaque président de jury présentait le gagnant avec un sponsor (PagesJaunes, RATP, l’APCI, La Poste). Il y avait notamment Daniel Kaplan de la FING et Gérard Feldzer, le président du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Connu comme intervenant régulier des plateaux de télévision au moindre incident ou accident aérien, c’est aussi un militant associatif actif dans l’écologie.
Toutes les photos de l’événement sont ici.
Le PRIT 2009
La cérémonie se tenait à la fin du "Paris Région Innovation Tour", un événement annuel rassemblant les sept pôles de compétitivités franciliens et leurs homologues européens (et oui, le concept n’est pas que français !).
J’ai pu assister à une table ronde fort ennuyeuse rassemblant les responsables de ces sept pôles (l’objet de l’ennui ci-dessus… et le signe de l’ennui ci-dessous dans la salle). RAS.
Le clou du spectacle était un speech de 40 minutes de Christian Estrosi, Ministre de l’Industrie et Maire de Nice. Il a commencé par raconter qu’au moment du lancement de l’initiative des pôles de compétitivité (Nicolas Sarkozy étant à l’époque ministre des finances), l’idée était d’en créer une dizaine. Puis, alors que le même Sarkozy était redevenu Ministre de l’Intérieur, et lui-même, Estrosi, Ministre de l’Aménagement du Territoire, ils ont reçu plus d’une centaine de candidatures ce qui a aboutit à labelliser 67 pôles. Ils sont maintenant 71 et le gouvernement s’apprête à labelliser de nouveaux pôles (dans les écotechnologies, l’eau et les énergies). Bref, ils savaient qu’ils allaient faire une grosse bêtise et ils l’ont tout de même faite et ils persévèrent ! Mais Estrosi assume en indiquant que ces pôles ont permis de sauver des pans de l’industrie, de créer des emplois, et même parait-il de “gagner des parts de marché”.
Le vrai problème avec Estrosi, c’est qu’il s’emmêle facilement les paluches dans son discours : il mélange chiffres d’affaires et parts de marché, compétitivité et innovation, industries traditionnelles et innovation, etc. L’exemple marquant était l’évocation du rôle des pôles de compétitivité dans le sauvetage des entreprises de décolletage, et notamment dans la vallée de l’Arve en Haute-Savoie. A son crédit, il arrive à sortir le nez de son discours écrit pour improviser. Et il met en avant le besoin d’orienter les pôles et leurs membres vers l’international. Il recommande d’éviter le saupoudrage des aides. Mais sur 2006-2008, on a une belle loi de Pareto du financement avec 88% des financements concentrés sur 50% des pôles. Le plus petit pôle, CapEnergie, a obtenu 300K€ de financements alors que le plus gros, Systematic, avait obtenu 118m€ sur la même période.
Le pompon se situait dans la fin de son intervention ou, approche volontariste aidant, il proposait de créer des “clusters de pôles de compétitivité”. Bref, un méta-machin d’un machin dont l’utilité reste encore à prouver même si le bon sens qu’il évoque consisterait à choisir Saclay, Lyon, Grenoble, Toulouse, Nantes et, of course… Sophia Antipolis, et que l’on se retrouverait ainsi peut-être avec la configuration imaginée au départ en 2004 ! Cf le politically correct rapport du BCG et les rapports plus récents de la Cour des Comptes et de l’Assemblée Nationale cités ici.
Avec la pantalonnade en préparation dans le cadre du grand emprunt qui s’apprête à distribuer encore de l’argent à qui mieux mieux sans traiter les problèmes de fond de l’innovation en France, on voit qu’il y a encore du pain sur la planche pour faire comprendre au gouvernement les tenants et aboutissants d’une véritable stratégie d’innovation pour le pays !
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“les tenants et aboutissants d’une véritable stratégie d’innovation pour le pays”
pouvez vous (désolé au risque de vous répéter) nous communiquer ou rappeler les principaux tenants d’une telle stratégie ?
Je propose quelques pistes ici, là ou là en me focalisant sur les industries du numérique.
Une stratégie, cela commence par avoir une vue d’ensemble de là où l’on veut aller et comment. Et aussi de diagnostiquer les problèmes, difficultés et obstacles. Il est bien rare qu’une initiative gouvernementale traite de manière cohérente et globale de l’innovation.
Le problème de fond est comment sortir de l’impasse (étatique) française qui ne traite de l’innovation qu’au travers de trois prismes principaux : la R&D, le financement et les grandes infrastructures. L’Etat a compris qu’il n’y avait pas assez “d’ETI” (grosses PME de croissance). Mais il réagit par une approche “financement”. Le problème n’est-il que là ?
L’innovation résulte d’un creuset complexe. Ce n’est pas une science exacte. C’est le résultat d’une alchimie humaine et historique rare, telle que celle qui a fait germer il y a plus d’un siècle la Silicon Valley (son histoire démarre avec la création de l’université de Stanford en 1891…). Améliorer la situation relève de la même approche que celle du peintre qui exploite une large palette de couleurs et de textures.
La dimension “soft” de l’innovation reste ignorée ou incomprise par les gouvernants. Elle pêche notamment au niveau des compétences, surtout “business” qui manquent à nos créateurs d’entreprises. Elle pêche aussi du fait du fonctionnement et du rôle des élites économiques (grandes écoles, Grands Corps de l’Etat, etc). Il y a aussi l’environnement économique et régulatoire des entreprises, le rôle des grandes entreprises, le rôle des écosystèmes d’innovation, des alliances, des standards, et l’orientation vers l’international (un bon point du discours d’Estrosi).
Pour prendre un exemple concret et terre à terre : comment va-t-on intégrer des compétences non scientifiques dans le pôle de Saclay ? Ce n’est pas le tout de concentrer les ressources scientifiques et techniques dans une zone géographique. Il faut aussi que ce mix de compétences soit le bon pour faire émerger des réussites économiques, et pas seulement d’hypothétiques prix Nobel. Combien de facs ou écoles de “sciences molles” sont intégrées dans ce dispositif à part HEC – qui est d’ailleurs bien distant du coeur de Orsay/Gif/Palaiseau/Saclay ?
Ayant assisté à la cérémonie, je me permet de faire l’écho des quelques commentaires entendus dans la salle: “scandaleux” revenait le plus souvent. Je pense que l’adjectif visait le peu d’ambition des projets sélectionnés. Personnellement, je pense effectivement que cette sélection ne met pas très en valeur le tissus de l’innovation en France. Ou alors, tel que vous le rappelez, que les mesures mises en place pour détecter l’innovation en France ne sont pas toujours très adaptées et efficaces.
Intéressant, c’est toujours bon d’avoir ce genre de ressenti !
En fait de sélection, elle s’appuie sur les projets qui sont candidats. Sans aller jusqu’à dire que les meilleurs projets n’y sont pas forcément présents, c’est un biais dans la mesure de la qualité des projets. Après, que ceux qui ont été sélectionnés soient ou pas les meilleurs, c’est une appréciation qui ne peut être faite qu’en passant quelques heures à examiner 300 dossiers… :). Le “public” n’est pas encore invité comme pour Miss France à mener cette évaluation. Un jour peut-être… Il faut aussi noter que le nombre de candidats était très variable selon les catégories. La plus importante était le numérique avec 106 candidats. Après, je ne sais plus, mais cela descendait à une vingtaine.
Ce ressenti était aussi très fort pour le résultat des appels à projets web 2.0 et serious gaming de l’été dernier. Cf http://www.oezratty.net/wordpress/2009/rsultats-de-lappel-projets-serious-gaming-et-web-2-0/. Notamment de la part des porteurs des projets non sélectionnés.
Par honnêteté vis à vis de vis de vos lecteurs, je présentais un projet, certes ambitieux, mais trop vert pour être retenu: http://www.mnemosine.fr. Ma stratégie étant de participer sans espoir de remporter ce prix, je ne crois pas avoir de ressenti particulier. Et pour éviter toute polémique, je ne critique ni les choix du jury, certainement très compétents, ni les projets sélectionnés, à qui je souhaite sincèrement de réussir.
Cependant, en organisant ce prix, la ville de Paris, la région Ile de France, les pôles de compétitivité, le ministère de la recherche et de l’industrie, les grandes entreprises partenaires, se font d’une certaine manière les ambassadeurs de l’innovation parisienne, qui est un concentrateur en France.
C’est donc un contexte particulier. La question que je me pose est: est-ce le bon endroit pour sélectionner un projet proposant un robot poisson à mettre dans une baignoire, ou proposant un lecteur de mail ? C’est une question qu’on devrait poser aux investisseurs présents dans la salle ce jour là. Mais peut être également aux porteurs de projet, parce que cela est susceptible d’affecter l’image du prix.
Bonjour,
Très bon blog.
Quels étaient les critères d’acceptation d’un dossier ?
Nicolas
Tous les dossiers ont été acceptés et traités.
Les critères sont documentés sur le site du concours.
Les infos sont là : http://www.paris.fr/portail/Economie/Portal.lut?page_id=169&document_type_id=2&document_id=68264&portlet_id=20420
En plus des critères classiques sur l’innovation, etc, il y avait l’intérêt pour les usages pour les citoyens dans Paris.