Nous avons souvent eu l’occasion d’examiner les dispositifs de l’Etat pour accompagner et surtout financer les startups dans ce blog. Les régions jouent aussi leur rôle, notamment via les CRITT. Bouclons la boucle ici en faisant le tour d’une grande ville et pas des moindres : Paris.
L’implication sérieuse de la Ville de Paris autour des startups remonte à 2001, année de la première élection de Bertrand Delanoë à la Mairie. Sous l’impulsion de Christian Sautter, ancien éphémère Ministère des Finances du gouvernement Jospin (quelques mois en 1999-2000 entre DSK et Fabius) et Adjoint au Marie en charge du développement économique, de nombreuses initiatives ont vu le jour, la principale étant la création de Paris Développement que nous allons couvrir plus loin. Christian Sautter a aussi encouragé des initiatives privées telles que la création de Paris Business Angels.
Mars 2008 voit Bertrand Delanoë reconduit comme Maire de Paris. Il fait évoluer son équipe en intégrant Jean-Louis Missika (JLM pour faire court) à son équipe comme Maire Adjoint en charge de l’Innovation, de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. JLM avait juste avant été élu conseiller municipal dans le 12 eme arrondissement. JLM n’est pas un politique au sens classique du terme. Sociologue des médias, il a été notamment patron du Service d’Information du Gouvernement sous Rocard (1988-1991), DG de l’institut de sondages BVA, créateur de l’agence de conseil en stratégie de communication JLM Conseil revendue à Altedia. Il a été aussi membre du comité de sélection d’AXA Private Equity où il a soutenu des projets comme Iliad/Free et Modelabs. Enfin, il a été également business angel et d’ailleurs co-investisseur avec moi ULike.net et enfin, il enseigne à Science Po. Son expérience est donc à la fois dans les secteurs privé et public, ce qui peut aider à se mettre à la place des sociétés innovantes.
Dans ces changements, Christian Sautter reste en charge du développement économique, sans s’occuper des startups, et se coordonne donc avec Jean-Louis Missika lorsque nécessaire.
Le plan de la mandature 2008-2014
En arrivant dans l’équipe Delanoë, Jean-Louis Missika avait déjà rencontré un grand nombre d’acteurs de l’innovation à Paris et s’était fait une idée de ce qu’il fallait améliorer pour aider les startups et développer l’innovation en général dans la ville. Il s’était alors donné plusieurs objectifs clés :
- Attirer les entreprises françaises et étrangères à Paris et notamment leurs laboratoires de recherche. En profitant notamment de la capacité de la Ville à aménager son territoire urbain.
- Contribuer à améliorer le financement d’amorçage des startups parisiennes qui bloquent souvent dans cette étape de leur croissance, eu égard notamment aux faiblesses relatives de l’écosystème des business angels en France.
- Favoriser la préservation et la rationalisation du tissu des Universités, Grandes Ecoles et Laboratoires Publics situées à Paris. Des regroupements seraient les bienvenus pour faire atteindre la taille critique à certains établissements. JLM aimerait bien que l’Etat n’ait pas d’yeux que pour la Vallée de Chevreuse et Saclay.
- Mettre en place une plateforme d’expérimentation destinée aux entreprises et aux startups innovantes. C’est-à-dire, profiter des énormes besoins de la Ville de Paris comme donneur d’ordre, pour tester de nouveaux concepts, services et produits et en faire profiter les société innovantes, en leur apportant ainsi une belle référence. Et idéalement, en simplifiant le processus associé (code des marchés publics). Il souhaitait même créer une Agence Parisienne de l’Innovation pour piloter ces expérimentations en appui de la Ville de Paris. Elle s’appellera “Laboratoire Paris Région Innovation” (ou “Paris Lab”) et le recrutement de son Directeur est en cours de finalisation, avis aux intéressés potentiels !
Nous sommes un an et demi plus tard, et des progrès ont été accomplis sur les trois premiers objectifs tandis que le dernier est un peu en suspens, complexité administrative oblige. Le “Paris Lab”, s’avère plus difficile à mettre en place : forme juridique, financement, encadrement, partenaires, etc. Un long cheval de bataille, mais qui vaut le coup d’être tenté car les startups ont plus besoin de clients et de belles références que de subventions ! Quelques expérimentations ont cependant été menées en préfiguration du rôle du « Paris Lab » comme par exemple le projet Panames avec l’Institut de la Vision du Professeur Sahel, pour tester des services et produits innovants dans l’espace public pour les malvoyants et les malentendants, en partenariat avec la RATP, ou encore le “Quartier Numérique” dans le 2ème arrondissement, pour tester des écrans tactiles sur les Abribus, en partenariat avec Silicon Sentier et la société Jean-Claude Decaux. Le « Paris Lab » devrait être lancé d’ici la fin 2009 par une conférence de presse qui fera au passage le point sur ces projets en gestation.
Pendant la campagne électorale de 2008, Jean-Louis Missika s’était vu affublé du sobriquet “Monsieur un milliard”. Lors de la campagne de 2008, Delanoë avait en effet fait le compte du budget que la Ville de Paris pourrait consacrer à l’innovation pendant sa seconde mandature et le total approchait le millard d’Euros. De quoi attirer quelques convoitises. Si incrément budgétaire il y a certainement eu, il est cependant moins impressionnant dans la réalité.
Lorsqu’incrément il y eu, il concerne : le cofinancement de projets de recherche dans les laboratoires publics situés à Paris (3m€ / an), la création et l’extension d’incubateurs et pépinières (55000m2 de prévus pendant la mandature en cours, 200m€ en tout), le cofinancement d’immobilier universitaire, ainsi que celui des pôles de compétitivité comme Cap Digital, et enfin le fond créé avec Oséo (2m€ par an au total sur la mandature, la moitié venant de Paris).
La Ville de Paris est sinon impliquée de plusieurs manières dans l’accompagnement des startups de son territoire. Son principal instrument est l’agence Paris Développement qui gère notamment incubateur et pépinières. Mais la ville est également partenaire et cofinanceur d’autres opérations que nous allons ici parcourir.
Incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises
Paris Développement est une agence de développement économique construite comme une “joint venture” entre la Ville de Paris (56% du financement en 2008) et la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris (9% du financement) avec une soixantaine d’adhérents privés (13% du financement) et divers sponsors publics (Ubifrance, Conseil Régional, Conseils Généraux, Europe). Elle est animée par trente cinq permanents.
Elle est organisée en deux branches : le développement de l’attractivité internationale (qui fait de la prospection à l’étranger et gère l’implantation des entreprises à Paris) et l’innovation (incubateurs et pépinières), pilotée par Philippe Le Cam.
Les incubateurs et pépinières de Paris Développement accueillaient 90 entreprises en 2008, dont 38 nouvelles choisies parmi plus de 300. Ils sont organisés selon deux pôles technologiques :
- Le pôle numérique avec un incubateur presque entièrement consacré au numérique (rue d’Uzès), et deux pépinières (boulevard Masséna et rue des Haies).
- Le pôle design avec la pépinière de la rue du Faubourg du Temple.
La Ville de Paris est par ailleurs partenaire et cofinanceur d’autres pépinières et/ou incubateurs :
- Dans la santé avec l’incubateur Paris Biotech, la pépinière Paris Cochin, les pépinières de l’Institut de la Vision et de l’Institut du Cerveau et de la Moëlle à la Pitié Salpétrière et l’hôtel d’activité Paris Biopark dans le 13eme.
- Dans les éco-innovations avec diverses contributions au pôle de compétitivité Advancity et au SPL (système de production locale) Durapole.
- Avec le pôle du cinéma et du multimédia avec la pépinière du boulevard Ney.
Le dispositif parisien est complété de nombreux hôtels d’entreprises comme celui de la rue Raymond Losserand qui abrite Aldebaran Robotics, le concepteur et constructeur des robots Nao, qui les assemble sur place ainsi à Paris, ce qui est assez surprenant. Il y en a bien d’autres comme rue de l’Est (20ème) et dans le quartier en rénovation de Brûlon-Citeaux (12ème, dédié aux métiers de la création et de la hightech). Ces hôtels hébergent des entreprises après le stade de la pépinière, avec des surfaces proposées qui s’étalent entre 70m2 et plus de 500m2. L’investissement de Paris est concentré dans les arrondissements nord et est, pour des raisons politiques, sociales et aussi parce que c’est là que l’immobilier bouge le plus avec des quartiers entiers qui sont rénovés.
Enfin, citons le cofinancement d’une grosse vingtaine d’autres incubateurs liés à des Universités comme Agoranov (trois sites à Paris) ou à des grandes écoles comme celui de Telecom Paristech (rue Dareau dans le 14eme), de Science Po Paris. L’année dernière, la Ville de Paris avait lancé un appel d’offre pour la labellisation d’incubateurs. La plupart des réponses portaient sur des extensions d’incubateurs existant, à la recherche de budgets. Les meilleurs projets retenus au début de 2009 – aux alentours de 25 – bénéficieront ainsi d’un financement de ces extensions ou créations.
Pour revenir à Paris Développement, on peut également citer l’animation de formations et de coaching. L’agence a également créé il y a plus de deux ans le programme Paris Mentor qui vise à faire coacher dans la durée (18 mois) des startups prometteuses par des chefs d’entreprise ou anciens chefs d’entreprise. Une dizaine de startups sont actuellement intégrées dans le programme.
Partenariat avec Oséo Innovation
Ayant été impliqué dans le cycle du financement des startups, JLM avait donc en tête de répondre à une demande courante : améliorer le financement d’amorçage. Les dispositifs ne manquent pas, aussi fallait-il éviter de créer trop de doublons.
D’où l’annonce de la création en juin dernier d’un partenariat Oséo / département de Paris pour la création d’un fond de 2 m€ de financement d’amorçage des startups : “Paris Innovation Amorçage”. Ce fond constitue une sorte d’abondement de 100% de subventions et avances remboursables d’Oséo Innovation (donc, de 1m€ pour ce dernier) allouées à des startups parisiennes. Les startups éligibles proviendront des incubateurs et pépinières gérés par les incubateurs parisiens. Il y aura au passage mutualisation des ressources d’analyse de dossiers de Paris développement et d’Oséo Innovation. Et il s’agit de 1m€+1m€ par an, jusqu’à la fin du mandat actuel de Delanoë en 2014.
Le dispositif s’appelle “Fond”, mais c’est une dotation budgétaire pour des prêts et subventions. Le fonds ne prend pas de participation au capital des startups financées. Il s’agit juste d’apports en compte courant. Il est financé par le Département de Paris et pas par la Ville de Paris. Nuance statutaire liée à la structure administrative de la capitale qui est à la fois une commune et un département, l’exécutif (Maire et ses adjoints) pilotant les deux simultanément, avec des budgets séparés liées aux prérogatives relatives aux communes (5md€) et départements (2md€). De nombreuses opérations autour de l’innovation de la Ville de Paris sont également cofinancées avec le Conseil Régional de l’Ile de France, comme le futur “Laboratoire Paris Région Innovation”.
Nombre de ces outils : incubateurs, pépinières numériques, Paris Mentor et Paris Innovation Amorçage sont gérés par le même organisme : Paris Développement. Cela simplifie grandement les parcours pour les startups, surtout dans le secteur du numérique. Paris Développement se source généralement en projets de manière directe (candidatures spontanées) et via ses relations “en réseau” avec l’écosystème local : les grandes écoles et universités et leurs incubateurs, les associations comme Scientipôle Initiative, ou les associations de business angels comme Paris Business Angels. Mais Paris Développement n’est pas le seul acteur en piste dans la Ville de Paris comme nous l’avons vu puisqu’il est notamment complété par de nombreux incubateurs liés aux universités, laboratoires de recherche ou grandes écoles.
Grand Prix de l’Innovation
Jusqu’en 2007, la Ville de Paris organisait un grand nombre de concours et prix divers autour de l’innovation. Dont un Grand Prix de l’Innovation, dont le dernier a eu lieu en 2007. Campagne électorale oblige, il n’a pas eu lieu en 2008, mais il est relancé cette année.
Ce Grand Prix vise à identifier, récompenser et valoriser une entreprise dans les six secteurs suivants : biotech, greentech, numérique, design, services innovantes, et propreté (de la ville) ! Plus de 300 entreprises se sont portées candidates début juillet, dont 106 pour le secteur numérique. Le prix pour les six élus ? 15K€ de prix et une place dans un incubateur à Paris. C’est plus substantiel et motivant que beaucoup de concours organisés deci delà.
Notons que c’est l’agence Paris Développement qui assure cette année la logistique de ce Grand Prix. La remise des prix aura lieu à la Cité des Sciences de la Villette le 30 novembre 2009. Reste à donner un peu d’écho médiatique à cet événement car c’est l’un des besoins des startups qui concourent.
Autres implications
La Ville de Paris est impliquées dans un grand nombre d’opérations liées à l’innovation et aux startups, généralement comme sponsor et co-financeur. On peut citer par exemple :
- Futurs en Seine, cette opération d’une semaine fin mai et début juin 2009 qui valorisait de nouvelles créations et solutions numériques. Organisée par le pôle Cap Digital et financée principalement par la Région Ile de France, il s’agissait de sensibiliser le grand public au numérique et à ses usages par des manifestations disséminées dans la région parisienne.
- Le Paris Region Innovation Tour, une conférence qui rassemble les pôles de compétitivité de la région Ile de France dont la prochaine édition a lieu le 30 novembre 2009 et donnera lieu à la remise des Grand Prix de l’Innovation de la Ville de Paris.
- La participation au financement de “La Cantine”, ce lieu de rencontre incontournable des startups situé près des grands boulevards qui est animé par les équipes de Silicon Sentier. Une belle opération qui pulse avec l’organisation incessante d’événements communautaires divers dans le secteur du numérique.
Les liens avec l’Etat
Le sandwich de responsabilités et de budgets entre ville, région et Etat rend souvent les politiques de l’innovation illisibles. Dans le cas présent, un grand nombre d’opérations sont cofinancées par ces trois principaux étages de la puissance publique : le fonds avec Oséo, les investissements dans la recherche et l’enseignement supérieur, et les pôles de compétitivité. S’y ajoutent quelques partenariats public-privés qui concourent notamment au fonctionnement de Paris Développement. Le parcours de la startup reste relativement balisé. Il est préférable de commencer par se faire accueillir par un incubateur qui ensuite vous aiguille vers les bonnes sources d’aides et de financement.
A ce jour, on peut qualifier l’investissement de la Ville de Paris d’honorable. La création du laboratoire “Paris Région Innovation” devrait à terme assurer une certaine cohérence et éviter la multiplication des guichets. La Ville joue en tout cas plutôt bien son rôle au niveau de l’immobilier avec ses dizaines de milliers de m2 de surface disponibles – et en croissance – pour les incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises.
Dans ce tableau, il reste deux actions clé à développer pour la ville : son rôle d’acheteur à valoriser dans le cadre du laboratoire “Paris Région Innovation” et peut-être aussi jouer un rôle plus visible de sensibilisation destinée aux parisiens sur les innovations et notamment le numérique. Histoire d’équilibrer un peu la visibilité par rapport aux opérations telles que Nuit Blanche ou Paris Plage et de moderniser un peu le discours…
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Bravo pour avoir détaillé les actions de la Ville de Paris pour les startups. Au moins, c’est clair pour les créateurs parisiens désormais et bien foutu. Pour une fois.
Oui c’est pas mal. Mais quand même c’est de pire en pire. Le nombre de portes qu’il faut ouvrir maintenant pour créer une boîte. Tout ceci est trop politisé. Dommage.
En effet, c’est bien sympa, tout cela, mais on s’y perd encore.
Ou trop, ou pas assez…
Perso, je me sens totalement inapte à savoir à quoi j’ai droit ou non.
35 ans, salarié et chef de projet informatique dans une grosse boîte, voilà 2 ans que je monte lentement, avec mes moyens de salarié et sur mon temps libre, ma start-up. Car j’ai beau aller de site en site, ce n’est jamais très clair.
OSEO semble bloqué sur des aspects industriels, alors que mon site est un service en ligne.
Les incubateurs semblent n’exister que pour des projets sortis de la fac (que j’ai quitté il y a longtemps…), et puis, j’ai besoin de payer mon loyer et les écoles de mes filles…
Du coup, je crée le prototype par mes propres moyens, idem pour le BP et BM.
C’est long, c’est cher, mais je ne vois pas du tout quel aide peut faire émerger un Google français (non, mon service web n’a rien à voir, mais c’est juste un exemple).
Là, j’ai besoin de 10.000€ pour finir une partie du prototype que je ne peux faire ou financer seul, et ce n’est pas simple.
Quant à la Love Money, ce n’est pas clair non plus : je dois donner quoi en échange à ces personnes qui m’aiment et croient en mon projet??? :/
Ne reste que les BA, que je rencontrerai en début d’année prochaine, je suppose :/
Dommage
A noter que, non, je ne suis pas seul. On est bien deux associés et on va certainement en prendre un, voire deux autres (cf Le cas difficile de l’entrepreneur isolé)