En compilant quelques sources d’informations diverses, je vous ai conconté deux graphes sur le financement comparé de l’innovation entre la France et les USA. Ils parlent d’eux-mêmes et permettent de comprendre la différence clé dans ce financement : fortement public en France (et en Europe) et à dominante privé aux USA (avec des aides publiques indirectes).
Je vais compléter cela en survolant l’impact des différents Small Business Act américains sur les aides à l’innovation. Le tout avec quelques pointeurs de référence intéressants sur le sujet.
Recherche et innovation
Quand on compare la France, les pays européens et les USA, la France n’est en fait pas si en retard que cela en termes d’investissements dans la R&D. Le principal décalage provient de la R&D du secteur privé, trop faible en Europe et en France. L’investissement en R&D public est assez voisin entre la France et les USA en termes de % du PIB (voir à ce sujet cet article intéressant de Jakouiller).
Par contre, le financement de “l’innovation”, à savoir des PME innovantes, est lui sacrément plus faible au regard du PNB. En gros, il est quatre fois plus important aux USA qu’en France, et probablement qu’en Europe. Il faut aussi tenir compte du fait que les USA dépensent énormément de R&D dans le secteur de la défense. Donc, si on ne conserve que l’investissement dans le civil, le ratio investissement dans les PME innovantes sur investissement en R&D civile est encore plus défavorable à la France…
Cela me conforte dans le point que je mets souvent en avant dans ce blog : la recherche n’est pas automatiquement génératrice d’innovations au sens économique du terme. Et augmenter le financement de la recherche, publique ou pas, est loin de suffire pour faire grandir nos PME innovantes. Nous n’avons pas le bon équilibre en France.
Origine du financement de l’innovation
Là encore, le contraste entre les USA et la France est saisissant.
En gros, aux USA, le financement des PME innovantes est pour moitié réalisé par des business angels, et pour moitié par des VCs. Avec une faible part provenant de prêts bancaires privés garantis par la Small Business Administration.
En France, les business angels financent une très faible part de l’innovation, le tout étant comblé en grande partie par les aides publiques. Avec on le rappelle un total qui est quatre fois plus faible qu’aux USA en proportion du PNB.
Le financement public pour les USA et la France dans ce tableau est malgré tout très approximatif. J’ai pris pour les USA 10% des prêts garantis par la SBA, en considérant que c’était la proportion des PME innovantes. 10%, c’est assez large. Pour la France, j’ai ajouté 200m€ au financement des PME innovantes assuré par Oséo. Il manque peut-être les financements européens mais la France ne doit pas en récupérer énormément. Au plus $100m. Donc, même s’il en manque du côté français, le point reste le même: le financement public est à peu près à la hauteur du financement privé.
Conséquence? Relativement simple : les décideurs dans le public n’investissent pas leur propre argent, donc la sélectivité est moindre que lorsque ce sont des personnes physiques (Business Angels) ou des fonds d’investissement de capital risque.
L’impact du Small Business Act
Pourquoi les business angels sont-ils si actifs aux USA ? C’est le résultat d’un véritable cercle vertueux déjà évoqué sur ce blog au sujet de la Silicon Valley.
On a souvent tendance à mettre en avant l’impact du Small Business Act de 1953 aux USA sur l’investissement dans l’innovation. Ce fut même un sujet fort de la campagne présidentielle de l’année 2007. Poussé notamment par François Bayrou, et repris par l’actuel gouvernement qui planche pour un SBA à la française… tout en faisant évoluer Bruxelles sur la question.
Le SBA voté par le congrès en 1953 a aboutit à la création de la Small Business Administration, une agence indépendante en charge des PME reliée au Département du Commerce Américain.
Son activité regroupe plusieurs champs et surtout :
- La principale consiste à garantir des prêts pour les PME à hauteur de 75%. Ces prêts sont accordés par les banques privées et sont surtout utilisés pour des acquisitions immobilières pour les PME (magasin, boutique, entrepos). Les prêts étant garantis, ils sont ensuite “titrisés” par les banques par le biais des “Colson Securities Corps”, au même titre que les “subprime mortgages”, mais avec un risque plus faible, le taux de défaillance des PME aux USA étant assez faible. Plus de 200000 prêts étaient en cours et représentaient $45B en 2007.
- La gestion d’un fond d’indemnisation des PME pour les catastrophes naturelles. Il rembourse le drugstore qui s’est envolé après Katrina !
- Diverses aides et mesures favorisant les PME créées par des entrepreneurs issus des minorités. Cela fait partie de la “discrimination positive” tant décriée en France.
- Une action de sensibilisation et de formation pour les PME.
On évoque souvent le poids de la commande publique fédérale qui doit porter au minimum à 25% sur les PME. Mais celui-ci n’a pas de réel impact sur les PME innovantes qui bénéficient bien plus largement de la grande taille du marché intérieur privé américain.
A vrai dire, le dispositif qui compte le plus aux USA pour aider les PME innovantes n’est pas forcément le SBA ! C’est du côté de l’Investment Company Act de 1958 qu’il faut se pencher pour comprendre le poids de l’investissement privé dans les PME innovantes aux USA. Cet ICA a créé les “Small Business Investment Company“, des sociétés d’investissement qui doivent démarrer avec un minimum de $5m. Ces sociétés investissent sur le long terme dans les PME innovantes et avec des incitations fiscales importantes. Les SBIC peuvent emprunter de l’argent aux banques jusqu’à $108m et à hauteur de trois fois leurs fonds propres. Ces emprunts sont garantis par la SBA, tout comme les emprunts des PME garantis par la Small Business Agency. Les SBIC sont en gros des fonds d’amorçage qui couvrent le trou de financement entre les business angels et les VCs. Mais ils couvrent l’ensemble des PME, pas seulement ce que nous appelons en France les “PME innovantes” (le plus souvent en hightech, cleantech, biotech).
Les dispositions fiscales favorisant l’innovation aux USA sont très fortes pour les VCs, pour les “SBIC” et pour les business angels. Les plus-values (“capital gains”) sont notamment très faiblement taxées pour ces investissements dans les PME innovantes, avec un effet de levier bien plus fort que les dégrèvements d’impôt sur le revenu en France, et d’ISF de la loi TEPA. Les pertes dans les investissements peuvent être de plus déduites des revenus des particuliers investisseurs !
Et l’impact économique est certain : ces incitations fiscales sont plus que recouvertes par les recettes fiscales générées par les SBICs eux-mêmes ! Dans un facteur 3 à 4 (lu dans “Les Echos” du 15 mai 2008 dans un article de Bernard Zimmern de l’IFRAP : “Au delà du Small Business Act”). Ce qui montre un effet de levier de l’aide publique bien meilleur que les fameuses “dépenses fiscales” de nos budgets de l’Etat en France (les “dépenses fiscales” sont les exonérations diverses d’impôts ou charges sociales associées aux programmes des Lois de Finance, depuis 2006). L’effet de levier des exonérations de charges sociales sur les heures supplémentaires de la loi TEPA sont ainsi au mieux de 1,3 il me semble. On est donc loin d’un facteur 3 à 4 !
Par contre, le congrès et les présidents (Républicains) américains ont régulièrement passé à la question la Small Business Administration et revu à la baisse ses crédits et ressources. Au point qu’il n’est pas toujours facile de comprendre ce qui est encore en vigueur !
Au sujet du manque de business angels, vous pouvez également lire cet intéressant article de Jean-Michel Yolin (qui travaille à Bercy, qui publie mais ne blogge pas). Il associe étroitement le manque de PME “gazelles” au trou de financement des business angels. Ce manque n’explique pas à lui seul le trou démographique de PME “gazelles” en France car même le capital risque n’arrive pas facilement à générer des gazelles, ces PME à forte croissance de taille critique (>100 employés). D’autres facteurs entrent en jeu : des entreprises pas assez tournées vers les exportations, des produits trop orientés niches, une culture très teintée “ingénieurs”, les lacunes correspondantes en marketing, et plus généralement une lenteur dans l’exécution comparativement à nos concurrents américains et maintenant asiatiques. C’est une raison pour laquelle je pense que les lacunes du financement n’expliquent pas à elles seules notre retard dans les PME innovantes. Il serait bon également de réorienter les investissements des grandes fortunes vers le futur plus que vers le passé. En France, on exonère les oeuvres d’art de l’ISF, mais pas les investissements dans les PME innovantes (sauf pour leur créateur) ! C’en est une bonne illustration.
Les réussites américaines en matière d’aides à l’innovation sont très intéressantes. Elles ne s’appliquent évidemment pas à toute l’économie des USA qui subit les effets négatifs de la mondialisation comme en Europe avec la baisse d’activité des entreprises industrielles traditionnelles, et le pays vit lui aussi au dessus de ses moyens. Cela montre en tout cas la meilleure efficacité des leviers fiscaux pour augmenter les investissement tournés vers le futur, par rapport aux dépenses publiques directes.
En deux mots, l’innovation a dans tous les cas besoin de l’aide de l’Etat, mais probablement autrement que de la manière dont il procède aujourd’hui en France. Et il faut trouver le moyen d’enclencher un cercle vertueux. Un meilleur financement y contribuera, mais les changements d’attitude des grands clients, la capacité à attirer les talents vers l’entrepreneuriat, l’amélioration des aptitudes en communication et en marketing, le dynamisme de l’exportation, l’accélération des processus de création et de développement des entreprises sont autant de pistes à creuser en complément !
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J’apprecie beaucoup cette analyse car mon experience personnelle est la suivante: le SBA semble surtout aider les “lifestyle” companies, des societes qui ont un savoir faire qui n’a pas velleite a devenir produit: nombreux sont les americains qui m’ont confirme cette utilisation du SBA. Par contre les start-up “high-potential” me semblent recourir beaucoup plus souvent aux business angels puis au capital risque (souvent conforte par les business angels qu’ils connaissent) ou directement au capital-risque. Mais je n’ai pas d’exemple en tete de VC-backed companies qui ont aussi fait appel au SBA. C’est un sujet qui me semble un peu biaise en Europe, mais j’ai l’impression qu’aux USA, les deux outils ne s’adressent pas aux memes types d’entreprises. Ai-je tort?
Si il fallait faire une analogie, les prêts bancaires garantis par la SBA ont comme équivalent ceux des Réseaux Entreprendre ou de France Initiative, et couvrent toutes les PME. Ces organisations sont souvent aidées ou financées par des collectivités locales (et une agence fédérale pour les USA avec la SBA).
Par contre, les SBIC américains n’ont pas vraiment d’équivalent. Ils concernent la partie du financement d’amorçage mal couverte par les business angels: les tours entre 200K€ et 1,2m€.
Autre différence, la structure de la fiscalité qui encourage les PME innovantes qu’il serait bon d’étudier et comparer plus en détail.
Très bonne analyse de fond sur la situation. Mais ce faible décalage entre la R&D française et américaine est peut etre aussi du au fait que l’Etat Français subventionne et soutient la R&D par différents dispositifs nationaux et régionaux.
Il me semble qu’il existe de grosses différences dans le financement de la recherche:
– L’Etat fédéral américain finance beaucoup la recherche privée sous contrats, en particulier dans le secteur de la défense. Les grandes agences de recherche financent les labos des universités – privés comme publics – et des labos privés.
– L’Etat français finance plutôt des établissements publics de recherche qui à leur tour financent de manière dispersée des labos de recherche d’universités (publiques). Il n’est pas rare de voir des labos d’université financés par trois à cinq organismes de recherche, eux-mêmes publics.
Mais je n’ai pas les données sous la main pour étayer cela. Un peu de recherche est nécessaire…
En gros, le public finance le privé aux US tandis
qu’en France, le public finance plutôt le public. D’où un bouclage plus difficile avec le privé pour le financement de l’innovation (les boites privées qui diffusent les nouvelles technos en volume).
Un exemple personnel sur l’évolution logique d’une start up vers la réussite:deux ingénieurs des grandes écoles réalisent un moteur de recherche impressionnant au sein d’ une start up.Les premières années de galère pour la réalisation du programme se déroulent en même temps qu’un emploi de cadre en France (pour gagner sa crôute).Lorsque le système est en place et qu’il faut passer à l’ étape de croissance proprement dite, après avoir chacun démissionné de leur poste de cadre sup, ils partent pour LOndres.Pourquoi ? Il fallait embaucher 15 personnes et la France ne permet pas de licenciement
facile et rapide.Londres s’impose malgré un immobilier prohibitif et une fiscalité pas si avantageuse que ça.Par contre, l’administration vous aide et les charges sociales personnelles sont ridiculeusement plus faibles qu’en France.
Maintenant, depuis 2 ans, l’ entreprise comporte 30 informaticiens,et elle rapporte donc de l’ argent à la Grande Bretagne.
Question: les problèmes français sont connus depuis trés longtemps.A quoi sert il d’ avoir des grandes écoles s’ il nous est impossible d’ empêcher 40 % des diplômés de faire les beaux jours de nos voisins ?
A quoi cela sert il de faire des commissions alors que les problèmes sont posés et qu’il ne faudrait pas grand chose pour devenir trés performant?
Alors, allons-y pour les propositions !
Qu’est-ce qui aurait précisément empêché ces deux ingénieurs de partir à Londres pour créer cette entreprise ? Le changement du droit du travail ? A quel niveau exactement ? En France, on peut très bien licencier rapidement et facilement. Mais le coût peut en être prohibitif. Là est le problème !
Au passage, quelle est la source de ce 40% de départs des diplômés (je suppose… “créateurs d’entreprises”) ?
Non seulement le côut peut être prohibitif mais surtout le passage devant les prud’hommes est consommateur de temps et les jugements sont trop variables d’un lieu géographique à l’autre.
Ils auraient préféré rester en France mais c’est leur sécurité financière qui était en jeu.
40 % :de leurs promotions et on obtient à peu prés le même résultat avec une promotion d’ HEC (28 %)
De toute façon, seuls les plus motivés pour entreprendre partent et la France va surtout manquer de preneur de risque.
L’administration est plus à l’ écoute en GB même si la fiscalité semble ne pas être si avantageuse.
(sauf pour les charges sociales).
Pour rétablir la compétitivité de la France, il faut absolument remettre en cause le monopole de la sécu
qui côute trop cher au citoyen.
La france a les honoraires médicaux parmi les plus faibles d’ europe avec les cotisations maladies les plus élevées du monde.(cf site AMARIZ pour réaliser une simulation)
Il me semble que dans les projets du gouvernement sur les révision du droit du travail, il y a des points qui traitent de cette question.
Il y a aussi quelques dispositions favorables à l’entrepreunariat intégrées dans le projet de loi de modernisation de l’économie (voir le dossier de presse). Notamment: nouveau régime fiscal pour le capital risque, l’atténuation des effets de seuils financiers du nombre d’employés des PME, réduction des délais de paiement. C’est pas énorme, mais cela va dans le bon sens.
La plus grande marge de gain pour tous est sans contexte la fin du monopole de la sécu.
Je m’ explique:-l’ europe rend obligatoire l’ inscription de chaque citoyen à une assurance santé, retraite et prévoyance.
-les tarifs médicaux sont fixés par l’ Etat
-la solidarité nationale intervient pour les citoyens qui ne peuvent cotiser
-par contre,dans ces conditions, pourquoi devrait on subir le monopole d’une instance pléthorique?
Il faut savoir que si on attribue les ratios assuranciels (couverture du risque et cout du risque), les français devraient se couvrir pour 2500 euros environs par an.Actuellement, un smicard dépense 3300 euros par an pour être couvert……
Rajoutons que les cotisations patronales appartiennent au salarié.(du coup, tout le monde verrait son pouvoir d achat augmenter.
Une économie de 25 % au niveau des hopitaux correspond à 75 milliards d’ euro environ…..
J’ habite dans un département de 300000 hab qui possèdent 5 hopitaux……Les mêmes dérives se trouvent sur tout le territoire avec des hopitaux qui servent plus à diminuer le chomage qu’à soigner dans des bonnes conditions.
Je possède des documents que je peux vous faire parvenir si vous le désirez.