Il fut un temps, aux débuts du web 2.0, ou tout plan marketing de startup Internet mettait en avant un aspect viral de l’adoption de son service. Plus généralement, la startup comptait sur du marketing viral pour se faire connaitre. Le tout permettant de faire de sérieuses économies en investissements marketing. Les investisseurs de leur côté recherchaient avec avidité l’aspect viral du produit ou du service dans l’espoir d’identifier un projet à croissance très rapide.
Avec le recul, on constate qu’à part quelques rares exceptions, la plupart des projets ne bénéficient pas de cet effet viral ou bien que, même s’il a lieu, cela n’affranchi pas de mettre en place des méthodes marketing plus traditionnelles pour développer le business.
Qu’est-ce donc que le viral? C’est en gros un phénomène de génération spontanée de notoriété ou d’usage d’un produit basé sur le principe du bouche à oreille. Ou de clavier à clavier… Il est souvent confondu avec le “buzz”, concept voisin lié à la propagation virale d’une bonne image donnant envie d’y goûter.
Certains services Internet se prêtent bien au jeu du viral. Notamment tous ceux qui relèvent de communication ou de réseaux sociaux. Mais cet aspect viral est souvent plus subi par dépit que voulu par les consommateurs. Les approches du viral sont ainsi souvent assimilables à du spam. Le viral du jour, c’est Facebook. Vous commençez par recevoir des invitations à vous inscrire à Facebook provenant de vos contacts si vous ne l’êtes pas encore. Le message que vous avez reçu n’a même pas forcément été généré de manière consciente par son émetteur. Facebook lui a discrètement proposé d’inviter tous les contacts de son carnet d’adresse et l’imprudent a accepté de spammer indifféremment tous ses contacts. Mais le phénomène ne s’arrête pas là puisqu’une fois inscrit dans Facebook, vous êtes spammés de la même manière par des applications développées pour Facebook. On reçoit ainsi des invitation à participer à des “Fun Wall” et autres bizarreries, sans trop savoir de quoi il s’agit. On est aussi spammé pour valider les modifications des informations relatives aux liens que nous avons avec nos amis. Ces méthodes s’appuient sur et étendent celles qui fonctionnaient déjà avec Plaxo et LinkedIn. Elles expliquent la croissance phénoménale de l’audience de Facebook. Ma liste “d’amis” sur Facebook a ainsi déjà la moitié de la taille de mes contacts dans LinkedIn alors que l’une a été créée en 3 ans et l’autre en moins de 6 mois, et par la même méthode : acceptation d’invitations externes.
Mais quand on interroge les uns et les autres sur l’usage qu’ils font de Facebook, on se rend compte qu’il est faible, qu’ils ont accepté d’y être parce que c’est dans le vent et qu’ils y ont été invités. Une très faible proportion d’utilisateurs de Facebook sont de véritables utilisateurs qui en tirent un quelconque bénéfice. On touche là à un point clé: comment faire en sorte que la viralité déclenche un véritable usage, et pas simplement une découverte passive? C’est là que la conception et la valeur d’usage du service intervient. Et il y a malheureusement souvent un gros décalage entre la viralité et cette valeur d’usage réelle.
Parfois le poids de la viralité a carrément pris le pas sur la valeur du service et sur sa pérennité. C’est le cas d’Imagini, ce site web proposant une sorte de décryptage de personnalité à ses utilisateurs en fonction d’un choix d’images. Qui génère un “VisualDNA”. Le site aurait réussi à récupérer ainsi près de cinq millions de profils utilisateurs avec leurs emails en quelques semaines, et alors qu’il n’était qu’en bêta. Mais pour quoi faire après? Certes, vendre cette base de données. Mais ensuite? Pour mettre en contact ces personnes ayant des profils similaires. Un réseau social de plus. Au bout du compte, un beau feu folet: énorme croissance, énorme chute, car les réseaux sociaux ne s’appuient pas que sur le matching approximatif de personnes ayant des goûts similaires (cf l’évolution du trafic en “reach” – pénétration – estimée ci-dessous avec l’outil de mesure d’audience Alexa). Le plus souvent, ce sont des services qui font correspondre le virtuel au monde réel du point de vue des relations interpersonnelles.
Dans la vraie vie, la plupart des startups ne mettent pas en oeuvre cet aspect viral à grande échelle. Tout juste commencent-elles par inviter les “friends and family” à tester le service. Ceux-ci s’exécutent de bonne volonté mais sont contraints plus par les bonnes manières que par l’intérêt réel du service. Et cela ne mêne pas très loin car au delà du cercle des proches, les bonnes manières et la bonne volonté se font plus rares et il faut en revenir à des méthodes plus traditionnelles.
Une grande majorité des startups Internet ne peuvent donc pas s’affranchir du marketing traditionnel même s’il revêt de nouvelles formes modernes aujourd’hui :
- Le “placement” est presque systématiquement incarné par le SEO (search engine optimization) qui va placer le site et son contenu en bonne place des résultats de recherche sur Google. Un petit tout dans Google Analytics montre le poids du SEO dans la génération de trafic d’un site : entre le tiers et les deux tiers selon la nature! Le volume de recherches aidant, plein de startups comptent juste sur Google et quelques autres grands sites (réseaux sociaux notamment) pour générer du trafic. Mais attention au choix du nom du site car il peut s’avérer désastreux si il n’est pas facile à reprérer sur Google. La seconde manière de générer du “placement”, c’est de développer son écosystème de partenaires et de produits complémentaires. Là, l’écrémage des startups est plus important car la création d’un écosystème est moins évidente que le SEO. Et cela coûte plus cher: du temps, de l’argent, une bonne architecture technique pour le service. Parfois, comme chez Facebook, cette création peut se faire au détriment du business model (ie: permettre à des tiers de placer de la publicité dans des applications intégrées à Facebook). Dans les sites de contenu, c’est la richesse de ce dernier qui compte avant tout comme l’attestent les évolutions de trafic toujours à la hausse de Dailymotion (ci-dessous) et YouTube.
- La “promotion” sous la forme de publicités Google AdSense ou de liens sponsorisés avec Google AdWords (ou leurs équivalents ailleurs). Et bien entendu un plan de promotion média, qui peut prendre la forme d’information vers des bloggeurs dits “influents”. Ce sont là de bonnes vieilles tactiques de publicité et de relations presse qui ont toujours existé et se sont adaptées à l’ère du web. Mais attention, alors que toutes les startups arrivent à peu près à faire parler d’elles dans les sites dits “influents”, peu savent entretenir ce phénomène dans la durée et c’est cela qui compte. Il est critique de générer des signaux répétés et complémentaires pour entretenir la notoriété d’une startup. Cela s’appuie sur une roadmap bien exécutée avec des évolutions du service, des partenariats, des seuils atteints, tous prétextes à une communication. Car n’oublions pas qu’un phénomène viral en remplace facilement un autre dans un marché où l’audience est jeune et zappe en permanence de nouvelle expérience en nouvelle expérience! Facebook remplace ainsi MySpace et SecondLife… (cf ci-dessous l’évolution de la pénétration de SecondLife qui montre qu’elle chute depuis que la presse généraliste en parle et que quelques grandes entreprises l’ont adopté même s’il n’y a pas forcément de corrélation entre ces événements…).
- Et puis bien sûr, pour reprendre les 4P classiques du marketing, le “produit“, qu’il ne faut pas oublier de définir avec une véritable valeur utilisateur dans un contexte où il ne faut pas de contenter de “nice to have” mais où il faut répondre à un véritable besoin non pourvu par l’existant. Le produit se distingue par ses fonctionnalités et la valeur d’usage associée, et par la qualité. Ce dernier point est souvent sous-investi. Il peut être utile de surprendre son marché avec une qualité bien au dessus de la moyenne: dans l’ergonomie et l’interface utilisateur, dans les informations fournies (pour le commerce électronique), dans l’aide en ligne et le mode d’emploi, ou encore dans l’interactivité. Tout doit être fait pour générer et faciliter l’usage. Pour transformer le viral et la notoriété en usage véritable. Dans la catégorie “produit”, la tendance à la mode est de s’appuyer sur les contributions d’experts et utilisateurs actifs pour enrichir la valeur du site, voire pour la créer intégralement. La tendance créée par Wikipedia et eBay est alors mixée par les uns et les autres avec plus ou moins de bonheur car il est difficile de motiver ces contributeurs, souvent sollicités de toutes parts.
- Enfin, le “pricing” est probablement l’aspect le plus négligé par les temps qui courrent puisque la majorité des services Internet destinés au grand public ont un modèle écomique publicitaire. Encore faut-il que cela fonctionne. Quel revenu publicitaire sera généré par utilisateur? Quelle sera la qualité du contexte des publicités sur le site? Sur quelle régie publicitaire s’appuyer pour vendre l’espace sur son site? Au delà de Google AdSense dont la rentabilité est très faible, sauf pour les sites web à très gros trafic. Pour générer un modèle rentable, il faut pouvoir capter au moins 5 mn à 10 mn du temps de plusieurs millions d’utilisateurs par jour. Alors que ces utilisateurs sont noyés sous une avalanche de services. Ou alors, la valeur du service est telle qu’elle peut devenir payante, comme chez Meetic.
Ces différents types de marketing ont donné lieu à la transformation du marché du marketing avec l’émergence de nouvelles agences de presse ou des agences spécialisées dans le SEO, le marketing viral ou le “buzz marketing”. Les grandes agences de communication ont suivi le rythme et proposent également ces services. Les fusions/acquisitions ont également fait l’actualité de 2006 et 2007 au niveau “média planning” avec DoubleClick (Google), qQuantive (Microsoft) et une ribambelle d’autres acteurs acquis par les grandes agences mondiales de publicité (comme Digitas acquis par Publicis).
Pour conclure, le véritable viral est bien rare dans l’exécution du plan d’une startup. Il n’affranchit en tout cas pas d’un investissement marketing significatif dans les formes modernes du “placement”. Et donc, de la création d’un véritable plan marketing digne de ce nom.
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Concernant Facebook, je suis d’accord avec vous sur les faiblesses que vous évoquez. Mais ce service est aussi un réseau social de divertissement, et c’est peut-être sa vraie valeur pour l’utilisateur.
En ajoutant une couche “twitter”, en permettant à des sociétés externes de développer des applications, ce réseau fourni une foule d’amusements.
Celles-ci sont souvent inutiles, parfois horripilantes (souvent en fait) pour les raisons que vous évoquez, mais le fait est là, l’outil se développe vite et génère de nombreuses addictions. Et c’est bien là l’objectif de tout service, non, faire revenir ses clients ?
NB : Votre capcha dit “UMP J V”, c’est une pub cachée ou quoi ? 😉
Divertissement? Cela dépend des usages. Chez les jeunes peut-être. Mais tous ceux qui m’invitent à être leurs amis sont plutôt dans une logique de réseau professionnel à la LinkedIn. Cela dépend donc de l’audience.
Que Facebook soit utile ou pas, cela dépend donc. La frontière entre l’utile et le futile est bien floue. Mais c’est un fait que la viralité relève pas mal du spam pas toujours bien contrôlé par les émetteurs. Ils ont réussi un beau coup, c’est certain. Mais le monde des réseaux sociaux semble bien volatile. Et la viralité à la Facebook n’est pas à la portée de tous les sites. N’oublions pas aussi qu’ils ont levé $12m chez Accel en 2005 alors qu’ils n’avaient “que” 2 millions d’utilisateurs!
Le captcha utilise un générateur de texte aléatoire. Essayez encore une fois, vous obtiendrez peut-être PS FHVSR”… 🙂
Bravo Olivier pour cet excellent post, on a envie de dire “Comme d’habitude !” 🙂
Toute cette hystérie autour du viral dans la vague du Web 2.0 n’est pas sans me rappeler la grande époque de la bulle Internet.
A l’époque, il ne se passait quasiment pas un mois sans qu’un nouveau FAI prêt à conquérir 10 Millions d’utilisateurs français ne voie jour.
La question que ne se posaient pas suffisamment les investisseurs à l’époque, c’est la valeur d’un abonné (à supposer que les plans soient tenus) lorsque celui-ci peut disposer (gratuitement) de 10 FAI.
A mon sens, un client gratuit “en tant que tel” ne vaut pas grand chose. La seule chose qui vaut c’est d’avoir une certaine adhérence à cet abonné par les services qu’on lui fournit et/ou une connaissance approfondi de ses besoins.
Mais bon, les investisseurs ont les poches pleines en ce moment, il faut bien qu’ils aient leurs danseuses, et il y a assez d’attrape-gogos sur le marché pour entretenir le mythe. Et ce sans compter que les investisseurs eux-mêmes ne sont pas forcément dupes, mais espèrent surfer sur la vague pour refourguer des succès éphémères à des grands qui cèderont à la tentation du moment au prix fort. Au fait, que devient Kelkoo au sein de Yahoo ?…
Pour qui cherche réellement à développer ses affaires, le marketing viral est certainement un composant qu’il ne faut pas négliger dans une stratégie marketing 2.0 (bingo, j’ai réussi à le placer !) mais n’a de sens qu’après avoir travaillé les 3 piliers classiques du marketing direct :
– Un produit avec une valeur claire
– Une connaissance de sa cible
– Un message adapté pour convaincre la cible
A suivre donc…
Daniel
Je commence mon article au passé. En effet, les VCs sont devenus plus prudents dans leurs investissements. Le Web 2.0 n’est plus la coqueluche comme il y a deux ans!
Pour Kelkoo, on entend dire que Yahoo veut maintenant le revendre, après avoir progressivement dépouillé la structure en France (où elle s’est dépouillée toute seule). Dommage.
Autre société “bulle” à regarder de près en ce moment, c’est NetVibes. Audience qui stagne, équipe qui s’étiole, toujours pas de monétisation, concurrents qui ne sont pas inertes (surtout Google)…
Très bon article. Effectivement, il est très délicat de réaliser un bon buzz.
Cela nécessite un réel savoir-faire et le produit doit apporter une réelle valeur ajoutée, ce qui n’est pas toujours le cas…
Très bon article de synthèse, merci Olivier.