Le thème de la conférence LeWeb 2010 est “les plateformes”. Une grande partie des intervenants représentent des sociétés dont les offres sont des plateformes extensibles leaders de leur marché, ou éventuellement challengers. Nous aurons notamment : Google, Microsoft, Yahoo!, Renault (les voitures aussi sont des plateformes…), Nokia, Orange, Facebook, MySpace, Foursquare, Twitter, Yammer, Blukiwi, EverNote, WordPress ! L’embarras du choix.
Occasion de se pencher un peu sur la question des plateformes et de leurs écosystèmes…
La notion de plateforme et d’écosystème est un peu la botte secrète du succès de nombre d’entreprises. Elle complète – mais ne remplace pas – la valeur apportée par la qualité des produits et leur usage. Mais dans de nombreux cas de figure, la valeur d’usage d’un produit dépend de plus en plus de la richesse des solutions tierces parties qui l’accompagnent. Un micro-ordinateur, une console de jeux, un iPhone et maintenant, une télévision connectée, ne servent pas à grand chose sans applications (sauf peut-être pour cette dernière). On a parfois des cas extrêmes de plateformes qui sont vraiment “nues” sans applications. C’est un peu le cas de Twitter qu’une majorité d’utilisateurs exploitent avec un client Twitter indépendant du service.
L’Internet et la mobilité ont pas mal changé la donne. Tout produit ou service est quasiment obligé de devenir une plateforme pour être extensible et survivre dans la jungle hyperconnectée de la toile. Le tout avec des mash-up (création d’une application rassemblant des briques d’autres applications) et du REST (pour faire simple, pour exploiter un service d’un site web à partir d’un autre site). Même les plus petites startups ont maintenant compris cette règle et exposent une partie de leurs services sous forme d’APIs.
Dans les plateformes mobiles, c’est la foire d’empoigne. De nombreux systèmes d’exploitation cohabitent avec leurs API propres. Les développeurs d’applications de mobiles s’arrachent les cheveux pour les supporter et font des choix favorisant les leaders actuels que sont l’iPhone et Android. Mais les services comme Google Maps, Facebook, Twitter, Foursquare, j’en passe et des meilleurs ont aussi leurs APIs.
Voyons maintenant quelles peuvent-être les conséquences de cette multiplicité de plateformes. Elles sont bien nombreuses :
- Les développeurs sont très courtisés pour supporter ces différentes plateformes. Il y a vingt ans, c’était un peu plus simple. On se battait pour les attirer qui sous Windows, sur le Mac, sous Unix. Et sur telle ou telle base de données. Sont arrivés les middleware qui ont compliqué la donne avec notamment Java, .NET & co. Mais aujourd’hui, la panoplie des APIs qu’un développeur peut et doit supporter est incroyablement diversifiée. Côté processeurs, c”était aussi assez simple avec la dominance d’Intel. Maintenant, la variété des consoles de jeux et l’étendue de processeurs embarqués (Qualcomm / Texas pour mobiles, Broadcom / STM / Sigma dans les set-top-boxes) associés aux usages numériques multi-écrans interpelle également les développeurs.
- Il y a plus de réutilisation dans le développement logiciel : les développeurs peuvent exploiter des composants au lieu des les redévelopper tout comme des données qu’ils n’ont pas créé. Pour peu que les conditions de leur emploi soient raisonnables, le mieux étant la gratuité pour eux. C’est ainsi le cas de la majorité des plug-ins pour les plateformes que sont WordPress, Drupal ou Joomla pour créer des sites de contenus, des médias et des blogs. Sans compter évidemment le rôle des briques logicielles open source qui charpentent une bonne partie des logiciels de l’Internet.
- Les développeurs doivent faire des choix drastiques de plateforme supportées quand le poids du logiciel dans leur solution est important, mais les choix sont moins drastiques lorsqu’il s’agit d’accéder à des contenus. Et ces choix ne sont plus exclusifs. Une application va ainsi supporter plusieurs réseaux sociaux, plusieurs standards de gestion d’identité, de moyens de paiements, etc. Un développeur va facilement supporter plusieurs plateformes de jeux, de mobiles, et maintenant, des télévisions connectées. L’adhérence aux plateformes s’amoindrit. Mais la bande passante des développeurs restant limitée, les leaders du marché sont tout de même favorisés : les Google (Maps, Android, Search, etc), Facebook, Twitter, Windows, iPhone et consorts. La création d’une plateforme et de son écosystème associé restent des barrières à l’entrée significatives face aux concurrents. Mais le marché semble plus flexible, plus adaptable. Il bouge plus rapidement. Le remplacement de MySpace par Facebook comme réseau social leader en est un bon exemple. MySpace avait pourtant un bon écosystème de contenus. Même si l’on pourra dire qu’il était moins orienté “logiciels”.
- La notion d’application a bien évolué. Les centaines de milliers d’applications développées pour Facebook ou l’iPhone n’ont pas grand chose à voir avec les applications que l’on développait pour Macintosh ou PC il y a vingt ans. Il s’agit plutôt de containers de données. La chaine de valeur est ainsi plus complexe : ce sont des marques qui demandent à des agences de communication de développer des applications qui intègrent les contenus des marques dans une couche logicielle applicative relativement standard. Il n’y a ainsi rien de plus ressemblant à une application mobile d’un média qu’une autre application mobile pour média.Le modèle est quasiment le même partout. Dans les faits, la valeur du logiciel est amoindrie et c’est celle du contenu qui a pris du poil de la bête. Le développeur se retrouve de plus à la fin d’une chaine de valeur et son travail est souvent délocalisé tandis que ceux des métiers des contenus et de la communication le sont moins.
- Force est de constater que tout le monde est dans l’écosystème de tout le monde. Mais certains sont les obligés des autres. Et il faut faire preuve de discernement pour distinguer les plateformes qui ont réellement le vent en poupe. On décompte alors le nombre d’applications tierces-parties, la couverture applicative minimale, le nombre de développeurs tierces-parties mobilisés, etc. Et la bataille est devenue mondiale. Créer un écosystème à l’échelle nationale est rarement payant sur le long terme. Tout comme négliger cette création. L’exemple de Skyrock qui s’est fait dépasser par le phénomène Facebook est intéressant. Au milieu des années 2000, le premier site de blogs européens avait choisi de ne pas favoriser l’ouverture de sa plateforme, pensant qu’il n’y avait que quelques applications clés à avoir et qu’il pouvait les développer en interne. Quand Facebook (et d’autres) sont arrivés, le temps des créatifs s’est déplacé sur ces plateformes ouvertes en même temps que celui des utilisateurs.
- Un grand nombre de fournisseurs de technologies et de services lancent leurs programmes dédiés aux startups. Et pour cause, nombre d’applications innovantes sur les nouvelles plateformes sont issues des startups. Les éditeurs comme Microsoft, Oracle ou Dassault Systèmes, les opérateurs télécoms, les grands constructeurs de composants ont tous plus moins mis en place des programmes plus ou moins structurés destinés aux startups. Ils aident les startups à la fois pour enrichir leur écosystème et pour entretenir ou améliorer leur image. Et l’on a vu fleurir ces dernières années des dizaines de concours de startups issus de grandes entreprises (SFR, Microsoft, Sun, etc), et pas simplement de mouvement associatifs ou d’organisations publiques et para-publiques (comme le Ministère de la Recherche ou la Ville de Paris). Symptôme du fait qu’une application se développe plus rapidement.
- Les fournisseurs de plateforme doivent apprendre à travailler avec les créatifs, les éditeurs de contenus et les développeurs. Cela nécessite d’avoir déjà une bonne architecture produit, orientée composants. Ensuite, un kit de développement, des API documentées, des exemples de code, un bon site web, des FAQ, un forum, des bases de connaissance, blogs et autres moyens de communication 1/many et 1/1. Il faut aussi alimenter leurs communautés respectives qui se structurent indépendamment autour de la plateforme. Adopter de telles pratiques ne s’improvise pas. Certains industriels achètent littéralement le développement d’applications auprès de développeurs et éditeurs de contenus car la motivation marketing ne suffit pas, faute de part de marché. Ce, d’autant plus que le modèle économique des applications relève fréquemment du financement par la publicité ou du fremium, bien loin des licences logicielles du monde de la micro-informatique.
- Les startups dont le produit ou le service est aussi une plateforme extensible n’ont pas les moyens des précédents. Les développeurs ne s’engagent généralement que si la plateforme est déjà bien diffusée ou est très prometteuse car lancée par un grand acteur de l’industrie. Les startups doivent donc ruser pour attirer des développeurs. Avec un dilemme entre investir dans le produit ou dans l’écosystème lorsque les ressources sont limitées. Il y a un effet d’œuf et de poule entre la valeur utilisateur du produit et la valeur de l’écosystème. La priorité doit rester de créer une plateforme dont les fonctions de base sont satisfaisantes pour attirer des utilisateurs et qui soit bien architecturée pour être extensible par des éditeurs de contenus et des développeurs tiers. La création d’outils pour facilement paramétrer des contenus dans sa plateforme sans nécessiter de développement logiciel est un plus.
Dans l’industrie informatique, la notion de plateforme et d’écosystème a toujours été la clé de la réussite. Elle le reste mais la donne s’est complexifiée, le marché s’est diversifié et ouvert. Etre un fournisseur de plateforme est devenu banal. Ce n’est plus vraiment une stratégie différenciatrice mais un simple “must have” devenu commun. La notion de logiciel et d’application s’est de plus effacée en grande partie derrière le packaging de contenus. Les plateformes sont devenues des supports de médias ! Et comme toujours, c’est la qualité de l’exécution et sa persistance qui font la différence.
Voilà pour l’apéritif ! Je vous donne rendez-vous après LeWeb 2010, mi décembre, pour en faire un compte-rendu et identifier d’autres angles de vue sur cette question des plateformes ! Nous pourrons notamment observer les variations utilisées par les uns et les autres pour promouvoir leur plateforme.
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J’explique ce phénomène comme une tendance vers la nouvelle forme d’offre web (3.0) : Les systèmes d’exploitation du web. C’est-à-dire, un système destiné à héberger/gérer les interactions entre les utilisateurs, les applications et les ressources.
Une démo disponible sur http://demo.onjanirina.com/ permet de voir un premier essai de ce système émergent.
Bravo pour cet article. Pouvez-vous expliquer un peu plus la notion que vous avez ébauché sur le rôle des créateurs de contenus issus des médias, du marketing… (créateurs de valeur d’après ce que je comprends) par rapport aux développeurs (exécutants techniques, donc délocalisables) ? Quel est le rôle des marques dans cet écosystème ? Ce sujet me semble particulièrement pertinent dans l’économie numérique actuelle. Si cela vous intéresse, je peux vous fournir des liens.
Pour rebondir sur la remarque de Fago, il me semble qu’il faut faire attention au raccourci développeur = exécutant technique délocalisable.
Particulièrement avec l’évolution de la notion d’application dans l’univers mobile, ce qui fait la valeur d’une application, c’est l’imbrication du contenu et du fonctionnement technique au sein d’une “expérience utilisateur”.
On le voit bien avec la myriade d’applications utiles pour iPhone. Dans ce contexte, je ne suis pas sûr que ce type de développement soit particulièrement délocalisable de manière efficace.
Mes 0,02 cents.
J’ai peut-être forcé le trait sur la délocalisation plus facile du développement logiciel. Mais c’est un fait aujourd’hui à l’échelle mondiale. Même s’il a des limites bien connues sur la gestion des projets, la réactivité et la qualité, des écueils. Problèmes que rencontrent nombre de startups qui sous-traitent à l’étranger tout ou partie de leurs développements.
De plus, le développeur est de plus en plus un intégrateur de briques logicielles, d’interfaces utilisateurs et de contenus. Cela peut à la fois le valoriser et le banaliser, selon les cas de figure. Il sera valorisé s’il est capable de bien gérer les couches supérieures de l’application (ergonomie, contenus). Il pourra être dévalorisé si la taylorisation du projet l’écarte de ces domaines et le cantonne à la “plomberie”.
S’il reste bien entendu des développeurs qui vont “du lourd”, des applications de gestion, des briques logicielles ou du middleware, un grand nombre d’entre eux font de la commodité, en particulier dans le monde du web et du mobile, et cela pourrait devenir le cas dans la TV connectée. C’est au moins vrai statistiquement quand on compte les applications. Les plus de 250K applications de l’iPhone et les centaines de milliers de Facebook ont probablement demandé bien moins d’années hommes de développement que l’héritage des applications d’entreprise et bureautiques sur Mac et PC.
Un signe indicateur : les prix (très bas) pour se faire créer un site sous WordPress. Les prix pour le développement d’une application mobile restent cependant élevés pour l’iPhone, semble-t-il à cause d’une pénurie de développeurs formés sur la plateforme. Et peut-être aussi parce que le marché n’est pas encore transparent et éduqué sur la vérité des coûts et donc des prix.
Justement, ma question est de savoir si sur des applications de type mobile, facebook, etc… il y a beaucoup de délocalisation du développement.
Je suis loin d’en être certain car ce sont de petites applications et il y a beaucoup de lien avec le contenu justement.
Donc on ne peut pas réellement off-shoriser le développement dans un cas pareil me semble-t-il.
J’aimerais bien avoir des statistiques là-dessus en tout cas.
Excellente synthèse