Pour ce 36e épisode des entretiens Decode Quantum, Fanny Bouton et moi-même recevons Simon Perdrix, qui est directeur de recherche à l’Inria et spécialisé d’une manière générale dans la dimension logicielle et outils logiciels du calcul quantique. Au-delà de sa spécialité assez pointue, il nous a permis de faire un tour de la recherche française dans le domaine des logiciels et algorithmes quantiques.
Comme le monde du quantique est tout petit, le parcours de Simon Perdrix croise celui de pas mal de lieux et de personnes déjà évoquées dans ces nombreux entretiens. À commencer par Grenoble où il a fait ses études d’ingénieur en informatique à l’ENSIMAG, puis à l’ENS Cachan, puis une thèse de doctorat. Il a aussi fait un post-doc à Oxford où il a découvert le ZX Calculus puis à l’Université d’Édimbourg sous la direction d’Elham Kashefi. Il est alors devenu chercheur attitré à Grenoble au CNRS au LIG en 2009 puis à Nancy à partir de 2013, dans le laboratoire LORIA, une unité mixte de recherche CNRS, Université de Lorraine et Inria. Depuis octobre 2021, il est Directeur de Recherche Inria, dans l’équipe MOCQA à Nancy.
Voici les points saillants de cet entretien :
- Question habituelle sur son sujet de thèse, soutenue en 2006 : Etude de modèle de calcul quantique : ressources, machines abstraites et calcul par mesure (197 pages). Il travaillait au Laboratoire Leibnitz de Grenoble, une UMR (Unité Mixte de Recherche CNRS) qui n’existe plus, avec une équipe informatique dirigée par Nicolas Balacheff, et où il y avait rencontré Philippe Jorrand, Directeur de Recherche au CNRS qui avait monté une petite équipe sur le quantique.
- Le sujet de sa thèse porte sur le calcul par mesure, que l’on appelle aussi MBQC pour Measurement Based Quantum Computing. C’est un modèle de calcul intéressant avec des qubits photons qui ne peuvent traverser qu’un nombre fini de portes quantiques. Le modle est notamment repris par la startup PsiQuantum (avec la variante du FBQC) et le sera aussi par la startup Quandela. C’est aussi intéressant d’un point de vue théorique car le modèle favorise le parallélisme du calcul quantique. C’est un modèle hybride du fait de mesures classiques qui sont réalisées pendant le calcul.
- Il raconte aussi ses passages comme post-doc dans les Universités d’Oxford et d’Edimbourg de 2007 à 2009. C’est à Oxford qu’il découvre le ZX Calculus, une méthode de programmation quantique graphique créée par Ross Duncan. Il a pu alors faire un lien entre le calcul par mesure (MBQC) et le ZX calculus.
- A Édimbourg, avec Elham Kashefi, il a continué à travailler sur le MBQC et le déterminisme.
- Il expose l’intérêt du ZX Calculus, qui peut servir au niveau d’un compilateur aussi bien qu’au niveau du calcul lui-même. Cela peut servir à prouver qu’un protocole est correct, comme celui de la téléportation quantique qui sert à transmettre l’état d’un qubit à un autre qubit.
- Il décrit ensuite ses débuts de sa vie de chercheur, à commencer par Grenoble au LIG (Laboratoire d’Informatique de Grenoble, maintenant intégré dans UGA, l’Université Grenoble-Alpes). Il y passe 4 ans, notamment avec Medhi Mallah. Il y encadre la thèse de Jérôme Jeandel sur le partage de secrets quantiques. Cela aboutit à des recherches sur les codes de correction d’erreur dans le calcul quantique aussi bien que sur la distribution de clés quantiques à plusieurs personnes.
- On passe ensuite par Nancy, dans le laboratoire d’Emmanuel Jeandel au LORIA, une UMR de l’Université de Lorraine, Inria et du CNRS. Il y travaille avec Renaud Vilmart sur des notions théoriques de complétude, utiles pour la mise au point de compilateurs. Au LORIA se trouve aussi Christophe Vuillot qui travaille sur la correction d’erreurs. . Ces équipes sont aussi intégrées dans l’équipe MOCQUA d’Inria.
- Simon évoque aussi le Groupement de Recherche (GDR) InfoMath qui rassemble les spécialistes du logiciel quantique (algorithmie, compilation, langages, vérification, certification, optimisation de circuits, correction d’erreurs). Il cite la grosse quinzaine de laboratoires de recherche publics et dans le privé concernés par ces sujets en France :
- CNRS IRIF (Frédéric Magniez, Sophie Laplante, Iordanis Kerenidis).
- CNRS LIP6 (Elham Kashefi, Damian Markham).
- CNRS LMF avec l’équipe QUACS (Laboratoire des Méthodes Formelles) à Saclay (Benoit Valiron, Pablo Arrighi, Renaud Vilmart).
- Inria Lyon (Omar Fawzi, hébergé à l’ENS Lyon).
- UGA LIG (Medhi Mallah).
- Inria Grenoble (Alastair Abbott).
- Inria Rennes (équipe PACAP avec Caroline Colange, sur le classement de qubits)
- Femto-ST à Nancy.
- CEA-LIST à Palaiseau (Sébastien Bardin, Christophe Chareron), et aussi Nicolas Sangouard (CEA DRF à Saclay) et Xavier Waintal (CEA IRIG à Grenoble).
- Inria Paris Cosmiq (Anthony Leverrier sur la PQC, post-quantum cryptography).
- Inria Paris Quantiq (Mazyar Mirrahimi).
- Atos (Cyril Allouche, Simon Martiel, Thomas Ayral).
- EDF R&D (Marc Porcheron).
- Quandela (Shane Mansfield).
- Université de Bordeaux (Cyril Gavoille et Gilles Zémor).
- Université Aix-Marseille (Giuseppe Di Molfetta, Pierre Clairembault).
- Il décrit les travaux en cours avec Alexandre Clément, thésard sur le thème du PBS Calculus qui consiste à faire du calcul avec des Quantum Switches à base de composants optiques de type PBS (polarizing beam splitters). Cela permet de réaliser de la programmation quantique conditionnelle et de résoudre des problèmes plus efficacement.
- Nous évoquons les outils de développement du ZX calculus : Quantomatic, un assistant de preuve (ancien) et plus récemment, avec PyZX créé par Aleks Kissinger de l’Université d’Oxford.
- Puis les collaborations internationales au-delà d’Oxford et Édinbourg avec l’Autriche, l’Argentine (avec Alejandro Lascaro qui a fait sa thèse à Grenoble) et Singapour (avec Joe Fitzsimmons, créateur de la startup Horizon Quantum Computing).
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J’ai cru comprendre que le plan national quantique français arrivait plusieurs années après celui de Singapour ou du Royaume-Uni.
Est-ce un retard?
Singapour a créé un labo consolidé en 2007, le CQT.
Le Royaume-Uni a effectivement lancé son plan fin 2013.
Les Allemands ont lancé leur plan en septembre 2019.
Les USA en décembre 2018.
Et la France en janvier 2021.
Les Pays-Bas en avril 2021.
etc.
Sachant néanmoins que cela ne veut pas dire que ces pays ne faisaient rien avant ces plans. La recherche française comme ailleurs était déjà bien active avant le plan quantique national.
Les services de renseignements disposent ils déjà d’Ultra geeks péchés à la sortie des universités en matière de technologies quantiques (calculs, cryptographie post quantique…)
Peut-on parler pudiquement de “guerre quantique” ?
Sachant que les services de renseignements disposent de technologies ayant plusieurs années d’avance sur celles civiles.
Les Artistes peintres ont-ils un rôle/devoir dans la vulgarisation ?
[@jetleparti (instagram, N.Y) dont les peintures sont des théorèmes “quantiques”]
L’histoire de l’art regorgeant d’artistes scientifiques, dont le plus fameux est toujours exposé au Louvre.