Il est souvent de bon ton de décrier les sociétés de capital risque (VC) et leurs pratiques dans l’écosystème des startups. Comme tous les métiers, on y trouve tout, du meilleur au pire. Qu’on le veuille ou non, les VC sont indispensables pour financer les startups dans leurs phases de croissance, là où des millions d’Euros sont nécessaires pour atteindre le stade de PME, voire de s’étendre à l’international.
Je vais profiter de ce compte-rendu des sixièmes rencontres XAnge Private Equity, du nom de ce VC, qui fait partie des dix plus actifs en France, pour évoquer quelques traits positifs que l’on peut trouver dans ce métier.
Un peu de positif en effet, à l’heure où le rôle même de VC en France est sérieusement remis en question. En effet, il se prépare la loi de finance 2011 qui pourrait, au nom de la chasse aux niches fiscales, voire rabotée ou disparaitre la notion même de FCPI, le principal véhicule d’investissement des VCs. L’Union Européenne met aussi en place des règles prudentielles financières applicables sans grand discernement aux VCs, et pouvant rendre impossible leur activité. Alors que les VCs ont déjà du mal à lever des fonds pour les années à venir (cf cet article), ces deux évolutions pourraient sérieusement déstabiliser l’ensemble du cycle du financement des startups. Au point de mener potentiellement à une forme de nationalisation du financement de presque la totalité de ce cycle, tout du moins pour ce qui est de la France. On marche sur la tête…
Quelques particularités de XAnge Private Equity
XAnge est un VC un peu atypique à plusieurs titres :
- Commençons par ces Rencontres XAnge, sixièmes du nom, organisées chaque année à l’Echangeur, rue des Archives à Paris. Elles durent une longue après-midi et attirent une grosse centaine de personnes : les sociétés financées par XAnge, qui viennent témoigner et réseauter, des VCs concurrents, et divers intervenants de l’écosystème des startups (conseils, leveurs de fonds, organismes publics, etc). Après avoir enquêté auprès des participants, il semble que XAnge soit le seul VC à organiser un événement de la sorte qui va au delà du pince fesses habituel concentré autour d’un cocktail et d’un speech de bienvenue d’une heure, pratiqué par quelques VCs parisiens.
- Il a constitué un porte-feuille de qualité dans l’ensemble. J’avais déjà eu l’occasion de le décrire l’année dernière. On y trouve des éditeurs de logiciels de plus de 10m€ de CA, ce qui est bien rare en France, tout comme des sociétés Internet qui font du bon vrai chiffre d’affaire (PurePeople, etc) ou de la bonne technologie (Stantum dans le multitouch). Du fait de l’une de ses filiations (avec le groupe La Poste), XAnge est assez focalisé sur la gestion de documents et les applications d’entreprises. On y trouve aussi pas mal de solutions ou sites de commerce électronique (comme Mix Commerce).
- Une activité tournée vers le capital risque. XAnge gère 350m€ d’actifs, dont 190m€ de capital risque, sur 65 sociétés. Ce ratio de 2/3 en venture est assez élevé dans la profession des sociétés de capital risque généralistes qui font aussi du capital développement, du LBO et du “fond de fonds”. En 2009, ils ont investi 20m€ sur 19 sociétés, ce qui donne des tickets moyens proches de l’amorçage. Même si la moitié des investissements de 2009 étaient des seconds tours pour eux, crise oblige. En termes de levées de fonds, XAnge est le réceptacle de divers fonds de placement ISF et FCPI issus du groupe La Poste ce qui lui a permis d’augmenter ses apports tandis que le marché était clairement à la baisse (-71% en 2009).
- Un encouragement des startups à s’internationaliser et notamment à s’installer aux USA. C’était le thème de l’une des tables rondes de l’après-midi. XAnge a un atout intéressant en la personne de Nicolas Rose qui présente la particularité d’être franco-américain, ce qui permet plein de choses, et notamment de décoder ce qui se passe lors de négociations avec des sociétés américaines. Il a ainsi pu mener à bien la sortie de VisualGlobe. XAnge a aussi fait entrer John Ball chez KXEN qui en devient le CEO en remplacement de son fondateur, Roger Haddad. C’est un américain venant de San Francisco qui a vécu en Allemagne tout en ayant été entrepreneur en France après avoit été diplômé de Supelec. Il est aussi passé chez Business Objects et SalesForce. Son feedback : on s’intéresse trop à la technologie en France et pas assez aux applications. Il manque aussi une culture “siège” et de marketing produit. Quelques conseils : bien se focaliser sur les recrutements, se présenter comme une entreprise internationale et pas comme française, mettre les moyens et y aller sérieusement, créer une confiance totale entre les équipes de management des deux côtés de l’Atlantique. Le mieux restant d’avoir un des cofondateurs aux USA qui y transfère la culture de son entreprise. Chez XAnge, on peut aussi citer les cas de Neolane (avec un bureau à Boston) et de Exo Platform dont le fondateur, Benjamin Mestrallet vient de s’installer à San Francisco. L’internationalisation de XAnge s’est aussi traduite par la création en 2008 d’une branche de XAnge à Munich qui en est pour l’instant à son troisième investissement. A contrario, XAnge a aussi créé un bureau à Lyon, et prévoit de le faire dans d’autres régions.
- De par sa double filiation (groupe La Poste et la société Laser du groupe des Galeries Lafayette), XAnge aide ses startups à rentrer en relation avec des grands comptes. Divers exemples étaient fournis dans deux vidéos projetées lors des Rencontres : avec la RATP qui utilise les FlashCode de MobileTag (48 personnes, Neuilly sur Seine), ASK et ses systèmes sans contact (130 personnes), en partenariat avec Sagem Orga (basé en Allemagne), ou Laser qui utilise le moteur de recherche de Sinequa.
- XAnge a réalisé trois sorties en 2009 : Sefas, une solution d’éditique, cédée à Docapost, une filiale du groupe La Poste, Acticell, une solution d’externalisation de CRM cédée au family office de la famille Mulliez, et Vision Objects, une solution de reconnaissance d’écriture cédée à l’américain DoubleDay Holdings, un fond d’investissement spécialisé dans le domaine. Je ne sais pas trop dire si c’est une performance ou pas sur 2009.
- Enfin, XAnge est particulièrement actif dans la communauté française des VCs. Hervé Schrick, son président va d’ailleurs prendre la tête de l’AFIC en juillet prochain (Association Française des Investisseurs en Capital). Avec un gros boulot en perspective au sujet des évolutions fiscales et régulatoires déjà citées.
2020 : tout numérique ?
C’était le thème de cet après-midi, en ligne avec participations de XAnge qui sont toutes dans des sociétés du numérique ! Le thème est un peu fourre-tout car cette “seconde décennie digitale” sera effectivement très… digitale !
La vision 2020 présentée était sommes toutes assez classique. Les domaines qui leur semblent intéressants intègrent : la télévision numérique, le web sémantique, les agents personnels intelligents, les mondes virtuels, la mobilité, les réseaux sociaux fermés et sectoriels, et le commerce en ligne. Mais aussi l’Internet des objets, l’électronique “imprimée” (cf Plastic Logic et ses circuits souples pour ebooks), l’énergie pour les systèmes mobiles, l’impression 3D, les paiements sécurisés. On n’y a cependant pas entendu parler de l’impact du numérique dans la santé (XAnge n’investit pas dans les biotechs et medtechs).
Le thème était traité dans une table ronde de grandes entreprises en clôture de ces Rencontres. Nous avions notamment :
- Alain Weil du groupe NextRadioTV qui anticipe la fin des quotidiens papiers d’ici 2020. La Tribune aura son application iPad prête pour le lancement du 28 mai 2010. Avec une lecture du quotidien du soir au moment de son bouclage. L’iPad incarne le couteau suisse des médias numériques : accèdant à toutes les chaines TV du monde, il peut aussi devenir une radio. Alain Weil s’attend à l’arrivée d’alternatives à Apple, un peu comme le PC face au Macintosh. Il dit avoir formé les journalistes du groupe à l’image, avec au passage une augmentation de 6% des salaires.
- Yves de Talhouët de HP France qui rappelle que le seul système tout analogique reste l’être humain. Et de souligner le lieu commun : l’informatique de productivité est du passé, le coeur de l’innovation est tourné vers les utilisateurs et les particuliers depuis 10 ans et cela va continuer. Deux champs sont encore inexplorés pour lui : le très gros (systèmes complexes, gros volumes de données) et le très petit (nanos-technologies, petits capteurs). Une intervention qui avait la particularité de ne jamais citer un seul produit de HP.
- Marc Jalabert, de Microsoft France, qui n’en a pas fait autant, citant pèle mêle Office 2010 qui sort bientôt, l’offre serveur, et les investissements de MS dans le cloud mis à toutes les sauces et bien entendu, l’alternative à Google que constitue Bing dans le search et Windows Phone 7 qui contrebalance Apple et son iPhone. Et de terminer par l’importance de la création d’écosystèmes.
- Philippe Lemoine, président de Laser qui donne comme à son habitude dans la philosophie technologique : sommes-nous dans un monde plat ou neutre, ou gazeux aérien ? Et d’évoquer le débat sur la neutralité du net et sa langue de bois. Oui à la neutralité par rapport à l’emprise de l’Etat. Mais par rapport aux marchés ? Il faut des modèles économiques favorables au développement des infrastructures. Nous sommes dans une économie pollen, moins localisable avec un grand nombre d’innovations issues de la mise en relation entre acteurs hétérogènes qui travaillent ensemble. Il cite aussi des progrès importants dans la supply chain : les stocks étaient de 4 mois de PIB il y a 15 ans et sont tombés à 2 mois.
Les Rencontres étaient alors clôturées par Jean-Paul Bailly, PDG du groupe La Poste qui nous ramenait sur terre en plein dilemme de l’innovateur : à souhaiter que le monde ne soit pas tout numérique car cela signifierait la fin du courrier. Et de se rassurer en évoquant le rôle du multicanal et du marketing direct qui accroit l’efficacité campagnes marketing. Le papier aiderait à décider. Il segmente son marché en quatre cases : ce qui part en papier et arrive en papier (le traditionnel), ce qui part en numérique et arrive en numérique (qui leur échappe), et ce qui part en numérique et arrive en papier ou l’inverse (opportunité pour eux). Et d’insister sur le rôle que peut jouer La Poste : celui de tiers de confiance à l’heure où l’on craint pour sa vie privée. Pas facile de diriger une entreprise qui perd 5% par an de son activité traditionnelle et de manière durable, même si elle arrive à le faire, c’est notable, sans licenciements collectifs ! Le paradoxe d’XAnge est ainsi d’être chapeauté par une grande entreprise qui n’est pas une grande incarnation de la notion d’innovation !
Nouvelles participations
Quelques mots pour terminer sur quelques nouvelles participations de XAnge :
- Phoneandphone.com, un distributeur de mobiles en ligne, concurrent de sociétés comme MeilleurMobile.com, et qui couvre la totalité des offres opérateur et 300 mobiles et couvre tout le cycle de vie des mobiles jusqu’à leur recyclage. Une société rentable de 29m€ de CA en 2009 qui se distingue par la personnalité de son créateur, Warren Barthes, un autodidacte qui a démarré l’entrepreneuriat à 16 ans. 2010 est pour eux une “année de consolidation” et de développement sur le marché européen (Espagne, Allemagne, UK).
- Exo Platform, déjà citée, créée par Benjamin Mestrallet, un ingénieur en informatique. Il s’agit d’une société qui propose des briques logicielles en SaaS pour enrichir le site web et les portails internes des entreprises et y ajouter notamment des fonctions “sociales” et de gestion documentaire. C’est un projet étudiant open source devenu une entreprise virtuelle de 140 personnes, créée en 2003. Son premier client a été le Pentagone, qui les a contactés sujet à une publication dans un magazine technique en ligne américain ! Leur application a servi à faciliter la collaboration des forces armées entre l’Iraq et la Virginie. Le DoD a ainsi été un des premiers investisseurs dans le projet, … sans equity ! Les développements logiciels sont répartis dans des bureaux situés en France, en Ukraine et au Vietnam. Leur activité s’est accélérée en 2009 grâce à un partenariat avec RedHat qui distribue leur solution sous sa marque. Benjamin est maintenant à San Francisco, il a un board advisor américain, son site web a été refait par des experts de la Silicon Valley pour coller aux standards du marché. Le modèle open source ? Surtout un positionnement marketing dans la mesure où l’essentiel des développements est réalisé par les équipes de Exo Platform et où la solution est ensuite commercialisée en mode SaaS (ou “Paas” pour platform as a service) avec une licence par utilisateur.
- Compario, est un moteur de “searchandizing” commercialisé en marque blanche qui permet aux sites d’aider les Internautes à choisir produits et services. Créée en 2004, la société a 30 clients et faisait 2m€ de CA en 2009, ce qui montre une croissance relativement lente. La solution est déployée dans 10 pays, du fait de l’activité internationale de nombre de ses clients. Cinq segments sont visés : la vente en ligne (3Suisses), la banque et l’assurance (Axa), les télécoms (Avenir Telecom), le tourisme (projets dans le pipe) et l’industrie. Les clients comprennent des sociétés qui ne vendent rien en ligne comme l’UFC QueChoisir ou le Tour de France. Le pitch de la société était bien construit avec notamment des données de retour sur investissement pour ses premiers clients : +55% de ventes de produits blancs aux 3Suisses et +38% de produits bruns, l’amélioration de taux de rebond, l’amélioration de la satisfaction client, etc. Techniquement, la société propose des briques logicielles en SaaS pour créer des guide, de la recherche de produits multifacettes, des catalogues filtrés et personnalisés, la sauvegarde de comparaisons produits. Elles sont “Green IT” car la solution est économe en ressources serveurs. Citons un best practice à reprendre : la startup partage régulièrement trois années de roadmap avec ses clients dans un processus dit “d’innovation ouverte”.
La semaine prochaine, je couvrirais encore une panoplie de startups après avoir assisté à l’événement BizSpark de Microsoft, qui comprend une intervention d’une des icones mondiales du marketing : Guy Kawasaki.
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L’internationalisation de XAnge […] A contrario, XAnge a aussi créé un bureau à Lyon
Lyon n’est-elle pas une ville internationale ? 🙂
Oui, mais c’est encore en France…
Oui oui j’avais bien compris votre propos. Mes attaches particulières avec Lyon m’ont poussé à vous taquiner sur le sujet. Rassurez vous cela n’a pas perturbé mon attention lors de la lecture de cet intéressant article.
Ce qui est formidable avec tes compte-rendu ezrattesques, c’est que l’on y apprend des choses même si l’on a participé à la même conférence que toi ! Merci 🙂