J’ai assisté au premier “Hub Forum” organisé à l’Institut Léonard de Vinci à la Défense par Vincent Ducrey, l’auteur du “Guide de l’influence”. L’idée étant de reprendre sa méthodologie en sept étapes et de les traiter une par une avec des témoignages et pratiques. C’était aussi évidemment une occasion de mise en réseau des acteurs du domaine. Dans la salle, nous avions donc pas mal d’agences de communication et relations publiques ainsi que des responsables marketing d’entreprises moyennes ou grandes. Et quelques bloggeurs dont je faisais partie.
Comme l’atteste cet événement tout comme le site associé à la démarche, Vincent Ducrey s’applique à lui même avec brio sa stratégie de l’influence, avec une présence médiatique d’un très bon niveau. L’événement qui n’en est qu’à sa première édition semble avoir attiré moins d’une centaine de personnes, comme quoi les entreprises ne se sont pas encore assez senties concernées par le sujet. Pourtant, le marketing et l’influence sont une discipline en pleine évolution avec l’explosion et la fragmentation des médias et avec le rôle croissant – quoique parfois survendu – des réseaux sociaux et autres blogs.
La conférence d’une journée était dans l’ensemble intéressante, même si quelques interventions étaient un peu hors sujet. Il faut aussi dire que la formule des tables rondes classiques était un peu aménagée. Chaque intervenant avait des transparents pour sa présentation introductive ! Une façon de procéder qui enlève un peu de la spontanéité aux débats. Au point que dans l’agenda, chacun des 35 intervenants faisait un “Keynote”.
Dans l’ensemble, sachant que je n’ai pas vu la fin de la conférence, trois interventions m’ont marqué : l’introduction de Jacques Séguéla, celle de Nicolas Bordas de TBWA et celle d’Alec J Ross, le conseiller en innovation d’Hillary Clinton au Département d’Etat.
Jacques Séguéla
Séguéla est capable du meilleur et du pire dans ses simplifications outrancières et c’en était une bonne illustration. Nous avions en face de nous un papy modernisto-rétrograde capable à la fois de remettre en cause son métier de pubard face à la déferlante des réseaux sociaux et du consommacteur roi, tout en réclamant des mesures punissant sévèrement les passages de ligne blanche : médisante, calomnie… et mensonge, parce que l’impunité du net le rend dangereux ! Cela se gâte en démocratie lorsque l’on cherche à punir les mensonges car les pouvoirs en sont généralement les premiers des porteurs !
Quelques extraits choisis de son intervention :
- Sa définition métaphorique de la publicité : “Quand la neige fond, ce qui reste, ce n’est pas de l’eau, mais l’arrivée du printemps”… Verstanden ?
- Les pubards en ont lourd sur le cœur. Ils ont cru inventer une société de communication alors qu’ils ont créé une société de solitude. Il les qualifie même de “Petits Goebbels”. Depuis 5/10 ans, le consommateur a maintenant droit de cité.
- Cette révolution oblige l’univers de la publicité à se remettre en question. Le pouvoir de la publicité s’envole, car il est récupéré par le consommateur. Ce consommateur branché en continu sur l’information mondiale, devenu copropriétaire des marques qui perdent leur fond de commerce et le contrôle de leur image. Elles se font progressivement déposséder de l’âme de leur marque.
- On passe de l’affichage à l’influence. Pour lui, la communication est même devenue un “loto”, ce en quoi il exagère un peu.
- Les idées étaient verticales. Elles sont maintenant circulaires et rayonnent pas ondes concentriques. Les médias qui étaient des tapis de bombes sont devenus des cyclotrons. Les idées prennent leur énergie dans la friction avec chaque média. La propagande ne mène à rien. On passe à la démocratie participative. Avec de nouveaux métiers associés : dialogue, service, street marketing, etc. Rien que chez RSCG, il y a plus de 40 métiers différents pour maitriser tout cela.
Alec J Ross, conseiller d’Hilary Clinton
C’était l’un des temps forts de cette journée. Alec J Ross est un des gars qui ont piloté les innovations hightech dans la campagne électorale de Barack Obama en 2008. Agé de 39 ans, il a notamment piloté le cercle de conseillers techniques d’Obama qui comprenait entre autres Eric Schmidt de Google. Il est ensuite passé de la “eDemocracy” à la “eDiplomacy” en applliquant certaines de ces recettes à la diplomatie américaine, pour le compte d’Hillary Clinton dont il est Senior Advisor. Un symbole : entre sa prise de fonction dans l’administration Obama en avril 2009 et septembre 2010, la base installée de mobiles est passée de 4,1 à 5 milliards ! Hillary Clinton n’utilise pas Twitter mais en comprend l’importance, d’où le rôle qu’elle lui a confié.
Il explique pourquoi Obama a enregistré il y a quelques mois un discours à l’attention des Iraniens pour communiquer au delà des gouvernements, car les gens sont plus raisonnables que les gouvernements. C’est probablement le cas en Iran ! 60000 blogs iraniens ont relayé le contenu du discours ! Cela relève cependant de l’expérimentation, une approche très américaine de la prise de risque dans un monde nouveau et incertain. Il explique aussi le poids de la symbolique du martyr de Neda en Iran, cette jeune étudiante tuée par balles dans une manifestation après l’élection contestée de M.A. (dont l’impact a peut-être été surévalué d’ailleurs en occident). Un discours à la fois fascinant et un peu dérangeant car on sent un mélange d’idéalisme, de modernisme et de manipulation dans le propos.
Il positionne la diplomatie américaine comme étant maintenant moins imposante et plus à l’écoute, un changement impulsé fortement par Barack Obama, pas toujours bien compris par son propre pays. Ce qu’il appelle “21st Century statecraft”. Il y a bien du travail ! Et de terminer en rappelant que les idées sont plus puissantes que les armes. En oubliant peut-être que les mauvaises idées aussi sont plus puissantes que les armes. Pas seulement les bonnes ! Sans compter les mauvaises idées avec des armes…
La publicité et les médias façonnent-ils encore l’opinion
Le premier intervenant de cette table ronde était Nicolas Bordas, ci-devant président de TBWA France. président de l’association des agences conseil en communication, auteur de “L’idée qui tue”, professeur à Science Po, bloggeur et grand utilisateur de Twitter. C’est l’un des rares patrons d’entreprise – et a fortiori d’agence de communication intégrée – qui a assemblé ainsi toute la palette de l’influence. Nicolas Bordas insistait sur un point clé : la valeur de l’idée prime sur la plomberie pour la faire circuler. Et d’insister sur le besoin de mise en cohérence entre le “Brand belief” et le “brand behavior”, ou autrement dit, de la communication qui dit vs la communication qui prouve. Un thème bien connu, celui du “marketing de la preuve”. Et d’évoquer l’exemple ultra-classique d’une bonne exécution dans le domaine, celui d’Apple. Qui fait la différence non seulement dans ses produits, mais dans son modèle de vente. Nicolas Bordas fait une utile distinction entre les médias que l’on possède (son packaging, son patron, son site web, …), ceux que l’on achète (la publicité qui se porte bien à la TV merci, tout le monde y achète de l’espace même Google), les médias que l’on créé ex-nihilo (la SNCF qui créé une radio), et ceux que l’on mérite (en gros, les réseaux sociaux et caisses de résonnance Internet). L’équilibre a changé car les médias que l’on mérite requièrent un changement d’attitude. Il souligne d’ailleurs que médiatiser le patron peut être la pire des idées ! Et de recommander de faire attention aux risques d’arrogance. Cela demande rigueur et honnêteté, sinon on est démasqué rapidement. On pourrait rembobiner l’affaire de l’antennagate de l’iPhone pour vérifier si Apple s’est bien comporté. En l’occurrence, pas vraiment au début, mais le constructeur s’est rattrapé à la fin, en offrant le bumper à ses clients.
Il y avait aussi David Lacombled, directeur de l’antenne et des portails d’Orange, aussi ancien Directeur des Relations Institutionnelles de France Télécom. J’ai bien aimé sa métaphore de la ballade en forêt pour justifier la profusion et la profondeur d’information de son portail. On aime bien s’aventurer pour découvrir les zones inexplorées. IL soulignait la forte présence de la télévision dans les sujets de conversation des réseaux sociaux. Et que du côté de l’information, il y avait une énorme redondance entre les supports, que l’information était malaxée et remalaxée au risque de perdre en saveur. Et pour finir, que “Twitter est un apéritif à un bon repas” mais pas plus.
De son côté Stéphane Rozès, président de Cap, Conseils Analyses et Perspectives et ancien DG du CSA soulignait que les entreprises avaient tendance à plus communiquer sur leurs valeurs que sur la qualité de leurs offres. En écho au propos de David Lacombled, il trouve que les gens ne vont pas très loin dans la forêt en général. Il faut des sentiers battus, des repères pour se sécuriser. Comme Nicolas Bordas, il rappelle le besoin de cohérence les messages émis par les marchés sur la politique sociale et environnementale des entreprises et leur modèle économique dominant fait de pression et de court terme.
Autres tables rondes
Il y avait bien d’autres tables rondes que je ne vais pas couvrir en détail et qui couvraient des aspects plus pratiques du marketing de l’influence. J’ai noté en particulier :
- Gilles Babinet (Eyeka), le serial entrepreneur par excellence qui a créé 7 startups et qui présentait une bonne pyramide de segmentation des Internautes par niveau d’influence. Et d’insister sur le concept de co-création. Normal ! Le business de sa dernière startup, Eyeka, est de créer des communautés de co-création avec les marques.
- Andrew Arnold (LEGO), en charge des relations publiques et des communautés, détaillant tout l’attirail communautaire autour de la marque aux briques en plastique : un site web avec 39 millions de hits par mois, des événements communautaires pour 80 clubs d’utilisateurs, 275000 vidéos publiées sur YouTube avec divers exploits réalisés en LEGO. Et un processus qui permet aux concepteurs indépendants de créer leur propre jeu en Lego. Intéressant, mais finalement, un modèle communautaire qui ne s’appuie pas tant que cela sur les réseaux sociaux.
- Emmanuel Chain (Elephant & Cie, TF1) qui rappelle l’impact de la puissance du média TV. Mais la TV doit être cross-média et savoir investir dans des supports qui ne rapportent rien directement car les grandes chaines ont intérêt à avoir des marques fortes.
- Christine Kerdellant (L’Express et L’Expansion) qui lui fait écho en décrivant la synergie papier/web pour L’Express, même lorsqu’un même texte est publié à peu près simultanément sur les deux supports. Dommage cependant qu’elle n’ait pas évoqué la manière dont évoluait le métier des journalistes et comment et par qui ils étaient eux-mêmes influencés.
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Le Général Vincent Desportes (ancien directeur du Collège Interarmées de Défense) qui était parait-il excellent mais que je n’ai pas pu entendre.
Finalement, que retenir de tout cela pour les entreprises qui doivent communiquer à l’ère de l’Internet, des réseaux sociaux et du cross-média ? Le besoin de cohérence entre les valeurs, les idées, les offres et les pratiques de l’entreprise. Une stratégie de communication cross-médias qui sait accélérer le cyclotron de l’information et de la bonne image. Une évolution de l’entreprise vers la notion d’entreprise-média qui sait créer et propager des contenus riches autour de son activité et aussi de son écosystème. L’intégration de très nombreux métiers internes et externes à l’entreprise. Reste à creuser probablement les détails du fonctionnement des différents acteurs de la chaine de propagation de l’information, l’évolution de leur métier et de leurs méthodes de travail (des journalistes aux bloggeurs en passant par tous les autres).
Rendez-vous début octobre sur le site du Hub Forum pour visualiser les vidéos de l’événement.
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Excellent compte-rendu, merci ! J’apprécie également la distinction entre ” les médias que l’on possède, ceux que l’on achète, les médias que l’on créé ex-nihilo, et ceux que l’on mérite” même si les médias que l’on crée croisent ceux que l’on possède.
Bravo pour cet super article ! Excellente conclusion aussi!
“J’ai bien aimé sa métaphore de la ballade en forêt pour justifier la profusion et la profondeur d’information de son portail.”
On est effectivement vite perdu sur les sites d’Orange qui ne brillent ni pour leur simplicité ni leur ergonomie vis à vis de l’utilisateur grand public.
Mais cela a peut être pour racine une vieille stratégie maison qui consiste à perdre le consommateur dans des offres difficilement décryptables et à lui imposer des chemins balisés qui ne sont pas forcément les siens.
A l’ère de Itune et Google, c’est très dangereux comme stratégie internet surtout si c’est conscient…
Comme d’habitude un super avis
L’idée est intéressante pourriez vous nous donner quelque sources
Excellent compte-rendu, merci