Deuxième étape de ce petit tour de l’écosystème israélien de l’innovation et des startups, dédiée au financement.
Le financement privé des startups
Au début des années 90, il n’y avait pas de fonds privés en Israël. Le pays était même moins avancé que la France à la même période.
Le gouvernement a alors créé un fond de $100m qui a ensuite incité la création d’autres fonds, privés, avec des mécanismes d’abondement qui rappellent le fonctionnement de France Investissement à la CDC, celui-ci datant de quelques années à peine. Les premiers succès des années 1990 ont permis d’amorcer la pompe. Il y a maintenant 20 fonds très actifs et 70 en tout. Le top 6 des VCs sont : Pitango (anciennement Polaris), Gemini, Giza, Carmel, Evergreen et JVP. Les partners de ces fonds d’investissement ont en commun d’avoir le plus souvent une solide expérience industrielle ou d’entrepreneur. Il y a bien moins de financiers que chez les VCs français.
Les VCs israéliens essayent de suivre l’ensemble du cycle du financement des startups. En amont, ils réservent 5% de leurs fonds pour de l’amorçage avec des tickets de l’ordre de $300K. Ils ont parfois leur propre incubateur comme nous l’avons déjà vu dans le post précédent. En aval, la tendance actuelle des VCs est de chercher à créer des entreprises plus grosses, avec des sorties industrielles plus tardives, histoire de générer de meilleurs rendements financiers. Ils souhaitent recréer les succès que sont devenus Amdocs (éditeur de logiciels pour les télécoms de $2,8B de CA) ou NDS (leader du middleware pour la TV numérique, 3000 personnes en Israël, mais avec leur siège à Londres). Pour ne pas sortir trop tôt les startups des portefeuilles, ils doivent donc s’allier à ces fonds américains.
Cela tombe bien puisque le financement des startups israéliennes est déjà largement alimenté par les fonds américains. Des liens forts se sont développés avec les VCs de la Silicon Valley dont les plus gros tels que Benchmark ou Sequoia ont une antenne en Israël et sont souvent impliqués dans les séries B et C de financement. Quelques fonds asiatiques, notamment dans les semi-conducteurs, sont également présents.
Les fonds israéliens ont un excellent “track record” avec de nombreuses sorties industrielles de très bon niveau avec par exemple nombre de startups acquises par Intel et Texas Instruments dans les semi-conducteurs, ou par Microsoft ou Google dans l’Internet et le logiciel. Ils ont aussi réalisé leur lot d’introductions en bourse au Nasdaq américain, plaçant Israël au second rang après les USA.
On peut au passage signaler le rôle marquant d’entrepreneurs ayant réussi et rendant la monnaie de la pièce à leur pays en y aidant les startups en tant que business angels, sans compter les entrepreneurs d’origine juive du reste du monde qui investissent aussi significativement en Israël.
Grâce à ses interventions décalées à la conférence Leweb depuis 2006 (ci-dessous en 2007), Yossi Vardi est le business angel israélien le plus connu en France. Dans son long parcours, il a financé Mirabilis – ICQ, cofondé par l’un de ses fils, qui a été revendu à AOL pour $400m. Il est aussi le créateur du “garage geeks”, une sorte d’incubateur installé à Holon dans la banlieue de Tel Aviv, dans un vrai garage délabré et accompagnant des projets un peu déjantés.
Le rôle de ces business angels est particulièrement critique en ce moment, la crise financière ayant sérieusement réduit la capacité de levée de fonds des sociétés de capital risque locales, tout comme leurs collègues américaines. Les startups israéliennes font ainsi le dos rond et apprennent un peu à l’européenne à se développer avec des moyens moins importants. Sans oublier que le meilleur investisseur d’un projet, c’est… le client qui paye !
La prise de risque est bien plus grande en Israël pour les investisseurs : les entreprises sont pour la plupart orientées “produits” et souvent dans des couches basses. Elles ne peuvent pas facilement se rabattre sur des stratégies de services comme c’est souvent le cas en France. Il y aurait environ 40% de “casse” dans les startups financées par les VCs. Mais la prise de risque et l’échec n’étant pas pénalisés comme en France, les entrepreneurs peuvent facilement rebondir. Il est d’ailleurs fréquent qu’ils fassent des allers et retours entre startups et grands groupes israéliens ou américains.
Un seul VC français semble représenté en Israël : le Crédit Agricole Private Equity, par le biais de Bernard Nabet qui a quitté la France il y a quelques années. Il a démarré son activité de financement par une activité de “fonds de fonds” en partenariat avec les VC locaux. C’est le moyen d’entrer dans l’écosystème et d’être connecté au “deal flow” des bons projets.
Un mot enfin sur la fiscalité. En Israël, les plus-values mobilières (capital gains) sont taxées à 20% ou 25% selon les cas ce qui est assez classique. Les incitations fiscales les plus fortes concernent les investisseurs étrangers, avec un impact certain comme nous le verrons dans le prochain post. Evidemment, pas d’équivalent de notre loi TEPA puisqu’il n’existe pas d’impôt sur la fortune, sauf sur les terrains non bâtis et sur l’immobilier non loué.
Ce qui est reproductible en France
- Peut-être imaginer une évolution de la fiscalité des FCPI poussant les VCs à investir une part de leurs fonds dans le véritable amorçage (tickets de moins de 500K€). Mais les FCPI sont déjà bien mis à mal avec les évolutions de la réglementation européenne et de la fiscalité française à venir.
- S’il était possible d’augmenter la part des anciens entrepreneurs dans les équipes de partners des fonds français, cela pourrait améliorer la situation et la qualité de l’accompagnement. Mais comment faire ? La situation s’améliore cependant avec la création de fonds d’amorçage “professionnels” animés par des entrepreneurs, tels que Kima, ISAI ou Jaina.
- Tout ce qui permettrait de rééquilibrer en faveur du privé la structure des investissements dans les startups en France serait aussi le bienvenu. La perversité de notre système fiscal qui incite “à moins perdre” plus “qu’à gagner plus” et qui fait fuir les grands patrimoines nous met bien loin du compte. J’avais évoqué quelques pistes dans “Le chamboulement en cours du financement de l’innovation”.
- Les liens avec les fonds américains existent, mais plutôt au stade de la reprise, de la prise de contrôle en “later stage” et du LBO (souvenez-vous de Gemplus et de TPG). L’attractivité de l’écosystème des startups françaises s’améliorerait si ces fonds remontaient un peu plus en amont du financement. Peut-être serons-nous aidés par les actions de visibilité telles que celles qui sont menées par Microsoft avec ses initiatives IDEES ou Bizspark, tout comme grâce à la dynamique et enthousiaste Roxanne Varza qui promeut nos startups locales dans Techcrunch.
Dans le prochain et dernier épisode : les liens de l’écosystème israélien de l’innovation avec les USA et les grands groupes industriels, puis le retard du marché intérieur en termes d’infrastructures et son incidence étonnamment positive.
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Très intéressant ! Merci pour cet article ! J’ai hâte de lire le volet 3/3 !
Bonjour,
Idem que Ribo. Intéressant d’avoir un autre sujet d’analyse que la Silicon Valley.
En apparté, je trouverais aussi intéressant d’avoir votre “lecture” des points évoqués dans cette interview http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/06/05/pour-nkm-l-europe-doit-prendre-position-sur-la-gouvernance-d-internet_1367523_651865.html
Vous citez que chez nous la fiscalité Tepa/FCPI devrait être revu pour ressembler un peu à ce qui se pratique en Israel avec succès. Quel chamboulement attend les FCPI exactement ? Que se passe t-il avec la réglementation européenne ? Que pensez vous du système de labellisation actuel ? Que pensez vous du label “entreprise innovantes” des pôles qui a été annoncé cette semaine ?
Pourquoi nos VCs auraient ils eu moins de chance ces dernières années? Il y a eu des fonds d’amorçage abondés par l’Etat depuis longtemps chez nous. Je crois que c’est le cas d’un fonds comme i-source (et ce depuis le début des années 90, grâce à Allègre qui a décliné aussi cela sur les incubateurs). Il y a forcément eu des réussites mais qui ont été déplacées ailleurs (rachat, déplacement vers les USA…)
Le seul bémol que je trouverais sur le modèle israélien, c’est sa très grande dépendance avec les USA. Israël serait-il une annexe de ce grand pays ? Devons nous nous aussi nous annexer aux Etats-Unis pour réussir ??? Ne pouvons nous pas avoir un modèle européen dans le secteur numérique ?
Pour les FCPI, explications dans ce post : http://www.oezratty.net/wordpress/2010/siximes-rencontres-xange/.
Je ne recommande pas d’imiter Israël pour la fiscalité puisque n’ayant pas d’ISF, ils n’ont pas de dispositifs d’incitation à l’investissement permettant d’obtenir des exonérations d’ISF. Je me demande simplement s’il n’y aurait pas moyen d’intéresser les VCs à s’impliquer un peu plus dans l’amorçage.
Le label “entreprise innovante des pôles de compétitivité” ? Je n’en pense pas du bien. Pousser les startups à faire de la R&D collaborative amont les éloigne plus qu’elle ne les rapproche des clients. Il y a bien entendu des cas où cela peut marcher, on entend des feedbacks positifs anecdotiques sur la mise en réseau des startups. Mais comme les grands industriels du secteur numérique sont plutôt des losers, je suis dubitatif.
Le travers des VCs ? Ils n’ont pas assez encouragé le développement international de leurs pousses. Et ont peut être cédé à des sorties trop rapides. Quand je vois le nombre de sorties de plusieurs centaines de millions de $ en Israël et dans le numérique, il y a de quoi baver pour un VC français.
Oui, le modèle israélien dépend fortement des USA, c’est l’objet de mon post suivant. Sans aller jusqu’à cet extrême, il est cependant nécessaire de bien cibler ce marché très structurant du marché mondial du numérique. Notamment dans le btob.
Et le rachat d’Exalead en France par Dassault Systems ? Vous en pensez quoi ? Les grandes entreprises font leur marché en Israël comme en France ou ailleurs… Les nouveaux “champions” seront plutôt le carburant des anciens… Pas de renouvellement en perspective
C’est pour protéger les résultats du programme collaboratif QUAERO (A2I,Oséo-ISI), une sorte de consortium de recherche. Il vaut mieux que ce soit racheté par un Français, parce que la startup Exalead (le “google français”) était fragile financièrement et ne pouvait pas s’étendre à l’international comme ça. Dassault va pouvoir faire maintenant. Pour 135 millions d’euros, c’est une affaire.
http://www.lexpansion.com/economie/actualite-high-tech/pourquoi-dassault-systemes-s-offre-le-google-francais_233817.html
Vu de DS, le rachat présente effectivement une logique certaine.
Mais pour un tas de raisons, le prix payé est un peu cher. Exalead et les intermédiaires du deal ont visiblement bien joué la négociation.
Par contre, je doute un peu de l’intérêt pour DS des recherches sur l’indexation des médias liée à Quaero. Certes, ils peuvent continuer de récupérer les subsides du programme qui courent encore je crois trois ans.
Ce qui compte avant tout, c’est de transformer cette acquisition en ventes supplémentaires de logiciels autour de l’offre de PLM Enovia. Comme Exalead ne vendait pas assez hors de France, la forte présence internationale de DS devrait aider.
Fabien, effectivement les acquisitions se font partout. Et DS nous a déjà pas mal habitué à une croissance externe soutenue. Y compris par l’acquisition d’ISV israéliens comme américains.