Culture d’entreprise et innovation 4/6

Publié le 22 juin 2010 et mis à jour le 28 juin 2010 - 7 commentaires -
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Après la personnalité des dirigeants, la mission et les valeurs puis la culture produit et channel, passons à une autre dimension de clivage entre les trois sociétés étudiées, Apple, Microsoft et Google : le long terme et la recherche. Avec une leçon étonnante : le moins étant le mieux dans le marché grand public.

L’orientation long-terme et la recherche

L’investissement sur le long terme est une particularité de Microsoft en comparaison avec Google et surtout Apple. Mais nous allons voir que cela ne lui réussit pas tant que cela. Autant dans le business que du point de vue de l’image.

Logo Centre de recherche Microsoft INRIA

Des trois sociétés étudiées ici, c’est la seule qui dispose formellement d’une activité de recherche fondamentale et ce depuis une vingtaine d’années. Microsoft Research occupe ainsi plus d’un millier de chercheurs à temps plein, disséminés aux USA, à Cambridge (UK), en Israël, en Inde, en Chine, au Japon et même en France (dans un petit laboratoire conjoint avec l’INRIA). Ces laboratoires regorgent de “tronches” : médailles Fields et Turing, dont des inventeurs au passé glorieux (celui de l’imprimante laser, de QuickSort, de l’Ethernet, etc). Cerise sur le gâteau, Rick Rashid, le patron de Microsoft Research, est un ancien du MIT et créateur du légendaire micro-noyau Mach d’Unix.

Les travaux de ces chercheurs font penser à ceux d’un laboratoire public de recherche tel que l’INRIA : de l’intelligence artificielle, des réflexions sur les interfaces utilisateurs, sur le traitement de l’image, des techniques de programmation avancées, du “high performance computing”, mais aussi de la modélisation du vivant comme des travaux dans les sciences sociales. En moyenne, 15% des publications acceptées à la conférence SIGGRAPH proviennent de Microsoft Research (source : Wikipedia) ce qui est remarquable.

Sont issues de ces laboratoires des fonctionnalités sporadiques qui relèvent de l’innovation incrémentale dans les produits de l’éditeur : de nombreuses évolutions du cœur de Windows et du middleware .NET, traitement du langage dans Office, support multilingue dans Windows et Office, reconnaissance de l’écriture dans les Tablet PC, techniques de web sémantique dans Bing, certaines composantes de Natal/Kinect dans la XBOX 360, etc. Elles aboutissent cependant rarement à créer de nouvelles catégories de produits de grande diffusion.

Les chercheurs travaillent généralement sur des projets étalés sur de nombreuses années, cinq ou plus n’est pas rare. Ils sont évalués sur différents critères classiques dans la recherche : les publications dans les revues et congrès scientifiques, les dépôts de brevets mais aussi les réutilisations de leurs travaux dans les groupes produits.

Mais Microsoft Research n’échappe pas aux mêmes écueils que les laboratoires de recherche publics : une grande dispersion et une difficulté de l’entreprise à convertir les travaux de recherche en avancées industrielles. Pour en limiter les effets, Microsoft Research organise tous les ans une “TechFest”, sorte de foire aux inventions destinée aux groupes produits de l’éditeur. Les groupes produits – qui représentent l’essentiel des effectifs de la R&D du groupe – viennent aussi y exposer leurs besoins. L’événement qui est interne donne malgré tout lieu à une communication externe. Le contraire de la confidentialité à la Apple !

Microsoft Research Techfest

Au bout du compte, Microsoft regorge d’inventeurs assez prolixes mais a toutes les peines du monde à transformer leurs travaux en innovations de rupture matérialisées dans des produits marquant leur temps et le marché. Microsoft Research n’a pas encore créé l’analogue du PostIt de chez 3M ! Bref, inventeurs, mais pas innovateurs !

La difficulté se situe dans la transformation des briques d’invention en nouveaux produits. Alors que la recherche fonctionne plutôt bien, c’est l’aval qui est déficient. Ce qui cloche dépend des cas de figure : le “time to market”, la taille du marché choisi, le manque de focalisation, les lacunes dans l’orientation utilisateur, la non prise en charge du matériel, et enfin le marketing.

En voici quelques exemples :

  • En 1998, Jim Gray (médaille Turing) lance la création d’une solution Internet de navigation dans les cartes satellites du globe, dénommée TerraServer. L’idée est de prouver que la base de données SQL Server tient la charge. Et cela fonctionne. C’est même une première sur Internet à l’époque. Petit détail : l’interface utilisateur du site qui est “live” sur Internet n’est pas très ergonomique : il n’est pas aisé de naviguer dans les cartes. C’est juste un outil sorti des laboratoires de recherche, un démonstrateur technique. Il n’a pas été pris en main par les équipes produits de MSN ni n’est censé devenir un véritable business. Le truc végète plusieurs années. En octobre 2004, Google fait l’acquisition de la startup australienne Keyhole qui maitrise l’affichage 3D d’images satellite et les effets de zoom dans les cartes. Au printemps 2005, le service qui était auparavant payant chez Keyhole est mis en ligne chez Google, et gratuitement. Couplé à Google Maps, il a fait de Google la principale destination Internet pour ce qui est de la cartographie et des services de “locales”, notamment dans la mobilité. Depuis, Microsoft galère pour rattraper le retard avec Live Maps et Virtual Earth.

C’est un peu la fable du lièvre et de la tortue, mais à l’envers. Microsoft est ainsi parti bien plus tôt que Google dans cette aventure et s’est retrouvé coiffé au poteau lorsqu’il s’agissait de transformer une avancée technologique en produit, ce qui est le propre de l’innovation.

Tablet PC

  • Depuis 2002, Microsoft s’évertue à promouvoir les Tablet PC, basés sur Windows et sur l’usage d’un stylet. De nombreux éléments technologiques de Windows pour les Tablet PC proviennent de Microsoft Research. Seuls quelques marchés de niche (assurance, etc) ont mordu à l’hameçon. Il ne vient pas à l’idée de Microsoft de cibler le marché grand public ni de produire un livre électronique alors qu’il en maitrise pas mal des aspects technologiques. Et Microsoft (en partie du fait de Bill Gates) s’entête dans la voie du stylet au détriment du tactile. Puis, c’est le projet de tablette Origami, abandonné car arrivé trop tôt par rapport aux capacités matérielles de l’époque. Et pendant que Apple préparait l’iPad, Microsoft sortait ses tables Surface, à plus de $10K l’unité. Sympa pour la démo et quelques applications sectorielles (agences dans le retail, casinos, restaurants, etc), mais pour quelle taille de marché ?

HP Tablet (1)

En janvier 2010 au Consumer Electronics Show de Las Vegas, Steve Ballmer présente bien une tablette tactile signée Hewlett Packard (ci-dessus). Mais elle tourne avec le bureau de Windows 7 qui n’est pas vraiment adapté à l’usage d’une tablette. C’est donc du travail bâclé : pas de véritable réflexion sur l’interface utilisateur, ni sur le design, ni sur le marché visé. Pas de démarche qualité, pas de solution de bout en bout. Trois semaines plus tard, Apple lance l’iPad en fanfare ! On objectera qu’avant l’iPad, Apple a aussi sorti le Newton en 1993, lui aussi basé sur un stylet et abandonné en 1998. Licenciés par Apple au début des années 2000, leurs créateurs avaient ensuite fondé PalmSource.

Le comble pour Microsoft, c’est qu’après avoir annoncé Windows Phone 7 qui est un système d’exploitation digne d’être aussi exploité dans une tablette tactile, Microsoft a récemment indiqué qu’il n’envisage pas de tablettes sous Windows Phone 7 ! Pourtant, celui de l’iPad reprend celui de l’iPhone…

Microsoft a bien tenté de créer une équipe intermédiaire entre sa recherche et les produits avec ses Live Labs. Mais le résultat est pour l’instant décevant avec trois services en lignes plutôt “accessoires” (Pivot, Seadragon et Photosynth). Finalement, à quoi bon mettre ses œufs dans des paniers différents si presque aucun ne peut aller au delà au poussin dans sa croissance ?

IBM et AT&T avec ses Bell Labs ont connu les mêmes affres. Leur R&D a été longtemps emblématique dans la high-tech. Mais la transformation en avantage industriel sérieusement érodée avec le temps. Et ne parlons pas du fameux Palo Alto Research Center de Xerox dont la société mère a quasiment tout loupé de la valorisation de ses travaux, exploités ensuite par Apple ou Cisco. Bref, le modèle du laboratoire de recherche intégré n’est peut-être plus optimal. “L’open innovation” et le lien avec les laboratoires de recherche publics et ceux des industriels des composants est peut-être une meilleure approche.

Au contraire de Microsoft, Apple est un excellent innovateur mais pas forcément un inventeur contrairement à sa bonne image dans le domaine. Chez eux, pas de recherche fondamentale ni de dispersion des efforts de R&D ! Il y a bien eu un “Apple Multimedia Lab”, mais il n’a vécu qu’entre 1987 et 1992, malgré une prolixité certaine. Lorsque Steve Jobs est revenu aux commandes en 1997, il a non seulement réduit la complexité de la gamme produits de l’époque (les Macintosh), mais il a également coupé les ailes de nombreux projets sporadiques dont certains relevaient de la recherche. Tout doit être plus simple et plus focalisé chez Apple. Il y a essentiellement six gammes de produits : les desktops, les laptops, l’iPod, l’iPhone, l’iPad et l’Apple TV, seul ce dernier étant un succès mitigé. Le tout est complété des systèmes d’exploitation associés ainsi que d’iTunes et QuickTime.

Steve Jobs aurait même mis pas mal de temps à se décider à lancer l’iPhone, ses collaborateurs ayant eu du mal à le convaincre que le business de l’iPod était menacé à terme par les téléphones de plus en plus multifonction. Une fois décidé, le projet de l’iPhone a mis environ un an et demi à aboutir. Apple a-t-il inventé les interfaces tactiles multi-touch pour autant ? Loin s’en faut car cette technologie existait dans les laboratoires depuis quelques temps déjà et les constructeurs de matrices capacitives proposaient déjà une solution.

Apple a surtout créé un produit, une solution de bout en bout, en se mettant à la place du consommateur et en se focalisant sur la qualité d’exécution, tant du matériel que du logiciel. Même si la première version n’était pas parfaite (pas d’ouverture applicative, pas de 3G, etc), l’iPhone était une véritable avancée. Le tout  couplé à un marketing grand public très efficace avec création d’effets d’attente, d’annonce, de rareté, et s’appuyant sur l’acquis de l’iPod, qui lui-même n’était pas le premier baladeur numérique du marché.

On ne peut pas dire que l’approche d’Apple a été initialement “long termiste”. Ils ont été très pragmatiques, ont attendu le bon moment pour se lancer, notamment en terme de disponibilité de composants matériels adéquats, et ont ensuite mis le paquet. Il en va de même pour l’iPad. Ca parait simple, mais peu d’acteurs industriels le font ainsi. Apple est finalement un innovateur qui sait parfaitement bien intégrer les inventions des autres, faire de la qualité, en particulier au niveau du logiciel, et avec la bonne sauce marketing au dessus.

Et Google ? Leur approche semble plus voisine de celle de Microsoft, tout du moins dans la dispersion des projets. On peut le voir à la floraison de services proposés par les Google Labs. Nombre d’équipes projets chez Google se battent pour obtenir des ressources pour les faire décoller. S’il n’y a pas formellement de recherche fondamentale chez Google, il héberge de nombreuses équipes dont les travaux peuvent s’apparenter à de la recherche : dans le web sémantique, dans les architectures massivement parallèles. Google est aussi l’un des plus grands constructeurs de serveurs au monde, pour ses propres besoins.

L’avantage clé de Google réside dans son accès au marché qui se passe de tout intermédiaire. Il y a certes quelque déperdition dans la grande panoplie des services en ligne proposés par Google, mais le coût des échecs est assez modéré. Google peut-il se targuer d’être “innovant” pour autant ? Ca se discute : il produit beaucoup d’innovations incrémentales, par association d’idées (comme dans Buzz ou Wave), par la forme de la monétisation (les AdWords du search), par la qualité de l’exécution (la home page de Google Search était la plus légère à son lancement et l’est restée depuis) et aussi par le nombre de ses acquisitions (nous couvrirons cela dans le dernier article de la série). Il est très efficace dans la rapidité de la mise en ligne de ses nouveaux services. Mais, son approche expérimentale lui fait essuyer quelques plâtres comme avec Buzz, Wave, Orkut (hors du Brésil) ou Checkout, surtout si, comme Microsoft, il est plutôt dans le sillon de leaders établis (Checkout vs Paypal par exemple; ou face aux tornades Facebook et Twitter).

Net net, comment résumer tout cela ? L’approche long terme de Microsoft semble lui permettre de consolider l’acquis de ses plateformes dominantes (Windows, serveurs, Office) et surtout dans le domaine de l’entreprise, mais ne l’aide pas vraiment à créer des innovations de rupture et de nouvelles catégories de produits dans son activité grand public. Apple se focalise sur le court et moyen terme et sur la création de nouvelles catégories de produits pour créer de la croissance. Et cela fonctionne très bien depuis 2001. Quand à Google, ils ont un processus de R&D et de mise sur le marché continu de nouveaux services du fait de leur activité 100% Internet, mais avec des hauts et des bas selon leur “time to market”.

——————————————–

Le prochain et avant dernier épisode de cette saga sera consacré aux méthodes de recrutement et à certains aspects du management

Tous les billets de cette série :

Culture d’entreprise et innovation 1/6 : les dirigeants
Culture d’entreprise et innovation 2/6 : la mission et la codification des valeurs
Culture d’entreprise et innovation 3/6 : les produits et le channel
Culture d’entreprise et innovation 4/6 : le long terme et la recherche
Culture d’entreprise et innovation 5/6 : le management, les ressources humaines, le recrutement, la géographie de la R&D
Culture d’entreprise et innovation 6/6 : les acquisitions, le bilan économique, conclusions

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Publié le 22 juin 2010 et mis à jour le 28 juin 2010 Post de | Apple, Google, Innovation, Logiciels, Microsoft | 20472 lectures

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Les 7 commentaires et tweets sur “Culture d’entreprise et innovation 4/6” :

  • [1] - herve a écrit le 22 juin 2010 :

    Tout ton travail semble indiquer que R et D ne font pas forcément bon ménage. A se demander, si on ne devrait pas comptablement séparer les deux; le D semble presque faire partie du cost of sales, ou peut-être du amortissement du cost of sales alors que le R n’a finalement pas grand chose à voir avec les produits, que ça soit de la recherche fondamentale ou appliquée. C’est en tout cas, un peu ce que tu dis dans la difficulté à convertir inventions en innovations.

    C’est aussi une question assez fondamentale pour le monde universitaire où je travaille. Il y a une tendance assez lourde à croire que les résultats académiques sont les semences de l’innovation, qu’il suffit par un processus bien huilé par des incubateurs, capitaux-risqueurs et autres pôles de compétitivité de transformer en jeunes pousses ou licences à l’industrie. Bien que je reste sceptique quant au modèle, il y a sans doute pas mal à apprendre de l’efficacité d’Apple. Mais Apple profite-t-elle des inventions de tiers pour innover? Que se passerait-il si on diminuer fortement le R académique, R qui a fortement diminué chez les Bell Labs, Xerox et autres.

    Note que le problème est le même dans la biotech où l’innovation est aussi partiellement en crise. Mais là c’est un autre sujet, quoi que…

  • [2] - Olivier Ezratty a écrit le 22 juin 2010 :

    Je ne sais pas s’il s’agit d’un problème comptable…

    Mais en effet, on a trop tendance à confondre le processus de la recherche et celui qui conduit à “inventer” et celui qui consiste à innover, à savoir créer des produits ou services qui s’appuient dessus (ou pas), qui changent la donne, et trouvent leur écho sur le marché.

    Pour toute innovation, on peut remonter dans le temps une généalogie complexe d’inventions et d’innovations.

    J’évoque souvent ce point avec mes étudiants à Centrale : le fameux débat sur l’invention de l’interface graphique et la généalogie du Macintosh. La pensée commune consiste à croire qu’Apple a inventé l’interface graphique. Et au passage, que Microsoft les a copiés. En fait, Apple s’est largement inspiré des travaux du PARC, et du premier produit qui l’implémentait en 1980, le Star de Xerox (un produit qui n’a pas trouvé son marché). Le tout ayant été conçu, inventé, imaginé au milieu des années 1960 par des chercheurs au Stanford Research Institute, alors que la technologie matérielle ne permettait pas de créer les produits correspondants. Il y a eu donc un alignement de planètes : l’invention initiale, le produit sédimentaire (Star), les leçons de son échec, puis les évolutions matérielles (processeurs, écrans graphiques) et enfin, la touche marketing, et un peu de chance (le Mac a été un peu sauvé grâce à deux éditeurs de logiciels : Adobe avec Pagemaker et Microsoft avec Excel).

    Il n’y a pas seulement une migration des idées entre les labs et les industriels, il y a aussi une migration des hommes. L’équipe initiale du Mac comme celle de Windows comptait des anciens du PARC. C’est aussi le cas de l’actuel patron du logiciel d’Apple, le français Bertrand Serlet. Jean-Marie Hulot vient de l’INRIA et a sévi chez Next et Apple. Tout comme Jean Paoli, l’un des créateurs du standard XML en 1996, qui est chez Microsoft Corp depuis cette date.

    Comme tous les industriels du secteur, Apple a besoin de tous ces travaux de recherche fondamentale, surtout dans les composants matériels. L’iPad n’existerait pas sans les travaux sur les batteries plates LiIon. Les disques durs d’aujourd’hui existent grâce à un prix Nobel français (Albert Fert). Dans le logiciel, c’est moins évident, mais de nombreuses avancées sont liées à des travaux de recherche sur la programmation orientée objets, etc.

    Autre exemple : la recherche d’IBM invente la base de données relationnelle (Edgar Codd, 1970) et la teste dans le System-R, un SGBDR expérimental qui valide le concept (l’équivalent du TerraServer de Microsoft…). Mais c’est Oracle qui commercialise le premier SGBDR vers 1977.

    A la source des innovations, il y a toujours des morceaux disparates de recherche fondamentale et appliquée. Mais très souvent des discontinuités dans les bénéficiaires. Et aussi beaucoup de déchets, ce qui est normal.

  • [3] - herve a écrit le 23 juin 2010 :

    ah ah… tu touches à un autre sujet qui m’est cher. Migration des idées ou migration des personnes. J’ai en effet beaucoup de mal (au moins par intuition, mais aussi par expérience) à penser qu’il suffit de migrer les idées, i.e. de trouver des personnes “business” qui prennent le relais des inventeurs (ou chercheurs) peu motivés à la commercialisation de leurs idées. Sans migration des personnes (ou peut-être sans leur implication initiale mais majeure dans le développement), j’ai la conviction que l’innovation se fait difficilement. Evidemment, statistiquement, on trouvera sans doute autant d’exemples en faveur de l’éloignement de l’inventeur que du chercheur. Intel dans les premières années ne séparait pas vraiment les équipes R&D et les équipes produit tant les unes avaient besoin des autres. Apple semble capable d’innover sans inventer, mais peut-être parce que c’est plus un intégrateur et quand le besoin de sait sentir la société en arrive à concevoir ces chips comme tu l’as dit. Dans la biotech, par contre, les inventeurs universitaires semblent rarement quitter leur labo alors que dans l’IT, les petits jeunes de la Silicon Valley, jeunes chercheurs, deviennent (souvent?) entrepreneurs…

    • [3.1] - Olivier Ezratty a répondu le 23 juin 2010 :

      Et oui, il faut tracer autant les idées que les hommes !

      Dans la SV, les jeunes chercheurs deviennent plus facilement entrepreneurs pour au moins trois raisons :
      – Le métier de chercheur y est plus valorisé qu’en France dans la formation supérieure. C’en est une évolution naturelle. En France, ça l’est moins et surtout pour les élèves ingénieurs des grandes écoles. Aux USA, la recherche a plus lieu dans le privé que dans le public. Même si le public finance sous contrat beaucoup de recherche privée.
      – Le jeune américain a naturellement une culture “business” plus forte que son homologue français. Question d’environnement (Stanford est privé !) et de culture locale, le rapport à la réussite économique, à l’argent, etc.
      – La densité de l’écosystème de l’entrepreneuriat et la valeur d’exemple de ceux qui ont réussi, notamment les deux créateurs de Google.

      Dans l’IT, je serais cependant curieux de savoir quelle est exactement la proportion de créateurs d’entreprise qui ont été chercheurs sur plus d’une année ou deux, voire anciens chercheurs dans l’absolu. Cela ne doit pas être si énorme.

      • [3.1.1] - herve a répondu le 23 juin 2010 :

        Je ne sais pas si je vais répondre à ta question par le lien que je donne plus bas. Je viens de présenter un papier (slides sans commentaire, désolé) à une conférence sur l’entrepreneuriat où j’analyse les start-up issues de Stanford. Je n’ai pas fait la part des choses entre bachelor, master et PhD; par contre on y voit aussi les profs. Il y a notamment des slides (22 et 23!) qui montrent le nombre d’années entre le diplôme ou l’activité professionnelles à Stanford et la création de start-up. Je suis toujorus impressionné par cette masse… Maintenant, tu as raison d’ajouter que la SV est très particulière. En tout cas dans mon labo à Stanford, les chercheurs devenus entrepreneurs étaient (relativement) incroyablement nombreux [chapitre 2 de mon livre sur les start-up; bon là ça fait un peu pub pardon, mais je peux envoyer ce chapitre en pdf à ceux que ça intéresserait]. Le lien:
        http://www.startup-book.com/2010/06/18/high-growth-and-profits/
        puis cliquez sur l’image de mon talk.

  • [4] - Philippe a écrit le 23 juin 2010 :

    Très intéressant.

    En filigrane, insinues-tu que la recherche fondamentale, les cerveaux et la disparité qu’elle engendre n’a rien à faire dans une compagnie comme Microsoft ?

    En tout cas d’un point de vue boursier, nombre d’analystes (ce n’est pas forcément la panacée) trouvent que le poids de cette R&D et bien trop important en regard de ce qu’il en ressort en application.

    En caricaturant et en reprenant un article du WSJ je crois, ces 10zaines de milliards engloutis pour cette image de commodité, quelle gabegie…

    “…Right now, the investors are concluding that Microsoft will gradually become the equivalent of a technology utility–a boring but necessary provider of the software that runs the world’s business community…”

    • [4.1] - Olivier Ezratty a répondu le 23 juin 2010 :

      Non, pas de telle filigrane.

      Je pense que la déficience n’est pas dans la recherche chez Microsoft (qui est d’ailleurs plus appliquée que fondamentale) mais plus les groupes produits et dans le processus de décision stratégique de la société et aussi dans son modèle OEM qui présente des limites dans les business grand public. Le saupoudrage ne fonctionne pas bien. Reprenons l’exemple de TerraServer. Ce qu’a fait Jim Gray était très bien. Mais après quelques années d’expérimentation (disons 1998-2003, le temps que le haut débit se déploie), il y aurait du il y avoir quelqu’un chez MSN pour dire “ce truc peut intéresser beaucoup d’Internautes, pourquoi ne pas en faire un vrai produit, un véritable business en intégrant cartographie, vues satellite, informations commerciales, etc ?”. Mais la cartographie à l’époque chez Microsoft, c’était MapPoint (pour les entreprises) et Street & Trips (Autoroute Express en France; pour le grand public), des business de vente de DVD qui ont peut être résisté à la vague du online. Le fameux dilemme de l’innovateur ! Il serait intéressant d’avoir des points de vue sur les frustrations internes dans la R&D chez Microsoft pour mieux comprendre ce qui ne va pas. Ma vision est maintenant externe, étant parti de MS il y a cinq ans.

      Les travaux de MSR sont par ailleurs bénéfiques à l’ensemble de l’industrie. Ils font avancer l’état de l’art. Il y a des publications, du partage, même quelques projets open source, des partenariats public/privés. C’est une forme d’open innovation qui mérite d’exister quand l’entreprise peut se la payer.

      Pour ce qui est du poids de la R&D chez Microsoft, il est devenu presque normal. Moins de 14% du CA (il est déjà monté à 17% du CA) n’est pas bien énorme ! Surtout quand les couts de production sont faibles (pour la partie purement logicielle du business). Et Microsoft est encore le plus profitable des trois entreprises ici étudiées !




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