Nous traiterons dans cette partie de la visite de NKM au Japon de deux thèmes où ce pays est particulièrement en avance : les solutions de paiement sans contact et les applications de la RFID.
Paiement sans contact
Nous avons eu droit à deux réunions et visites liées au paiement sans contact : dans la distribution avec 7&i Holdings (dont la filiale IY Card Service gère la carte Nanaco) et dans le transport avec JR East, une compagnie de transport ferroviaire. Nous avons complété ces visites par une petite expérience pratique sur le terrain le jour de la visite à Akihabara.
Le paiement sans contact est standardisé au niveau matériel autour du composant Felica de Sony. Mais il est mis en oeuvre dans huit solutions incompatibles entre elles : cinq solutions de prépaiement (on paye un produit au moment de l’achat) et trois de postpaiement (on paye sa note de téléphone à la fin du mois). La carte Suica de JR-East et la carte Nanaco de 7&i sont respectivement les seconde et quatrième au Japon, derrière la carte Edy avec 24,3 millions, 7 millions et 45,2 millions d’utilisateurs. La troisième carte est la Pasmo avec 11 millions d’utilisateurs.
Lancée en 2007, la carte Nanaco de 7&i est supportée dans plus de 12000 points de vente des “convenient stores” 7-Eleven. Au total, 22572 points de vente étaient compatibles en janvier 2009 dont 9770 points de vente hors du groupe 7-&i.
Avec la carte Nanaco, on paye ses courses à la caisse (ci-dessous).
On gère ses points de fidélité, on paye ses photocopies, ses tirages photos ainsi que la réservation de ses places de cinéma (ci-dessous). Cela va jusqu’au paiement de ses factures d’électricité.
Sur les photocopieurs de 7-Eleven, le service proposé par Nanaco est encore plus large avec la recharge de monnaie électronique, le paiement de billets d’avion JAL, l’inscription à divers examens, l’inscription et le paiement d’assurances moto, le service de réception de produits achetés aux enchères sur Yahoo, très présent au Japon, le paiement des services locaux de la municipalité (expérimenté dans un quartier de Tokyo) et le paiement de centres de loisirs municipaux.
La carte Nanaco existe sous deux formes : une carte RFID classique, et une puce intégrée dans des mobiles associée à du logiciel. Un million des sept millions d’utilisateurs exploitent la carte au format “mobile”.
Chez JR East, la carte Suica (Super Urban Intelligent Card) suit le même principe. Dans le principe, c’est une combinaison du pass Navigo de la RATP, de la carte Monéo et de la carte bleue dans une seule carte RFID sans contact. La carte peut intégrer une photo de son possesseur pour améliorer sa sécurité. La carte Suica existe aussi dans un format pour mobiles, étant construite à partir du même composant Felica de Sony.
On peut l’utiliser avant tout pour payer le train et le métro dans les bornes d’accès ci-dessous qui présentent l’intérêt d’intégrer moins de pièces mécaniques par rapport à une borne avalant un ticket. La carte est reconnue par la borne en 200ms.
On peut effectuer ses achats dans les kiosques à journaux et de confiseries (ci-dessous) qui font partie des 40000 points de vente supportés qui intègrent aussi les casiers de consigne à bagage des gares, des parkings et certains taxis. Il existe par ailleurs des lecteurs de cartes Suica sans fil qui se connectent en USB aux micro-ordinateurs pour effectuer ses achats en ligne.
Les mobiles équipées de la carte Suica peuvent effectuer des réservations dans les trains, notamment dans le train rapide Shinkansen, ce depuis mars 2008. Et la carte comme les mobiles Suica sont alors reconnus dans les trains par les sièges pour valider que le passager est bien assis au bon endroit.
La panoplie des applications opérationnelles ou prévues avec ces cartes ne s’arrête pas là. Il y a aussi le verrou électronique pour rentrer chez soi, l’avertissement des parents que leurs enfants sont bien rentrés de l’école qui en est une application tout comme l’utilisation comme carte d’étudiant et pour emprunter des livres à la bibliothèque.
La compagnie JR East avait fournit à chaque membre de la délégation française une carte Suica chargée avec 2000 Yens (environ 18 euros). Je l’ai testée le dernier jour à Tokyo dans le déplacement vers Akihabara pour prendre le métro et acheter des bricoles dans un supermarché. Le solde de la carte est indiqué à la sortie du passage dans le métro et sur les tickets de caisse dans les supermarchés. Mais pas sur la carte, qui est passive.
Les deux cartes sont rechargeables avec du liquide pour préserver l’anonymat ou avec carte de crédit, dans des distributeurs automatiques 7-eleven ou dans les caisses des magasins de l’enseigne. Le chargement est limité à 30000 Yens pour la Nanaco, soit environ 250 Euros, et à 20000 Yens pour la Suica. En cas de vol, on peut cependant faire opposition. Il n’y a pas de limitation d’âge pour son usage. Certaines cartes sont compatibles entre elles : c’est le cas de la carte nanaco (7 millions d’utilisateurs) et de la carte Pasmo (11 millions) qui est utilisée par les autres compagnies de chemin de fer et de métros. Elles sont compatibles depuis 2007. Il existe même des cartes régionales à fonctionnement hybride : avec les fonctions “commerciales” de la carte Nanaco, les fonctions régionales pour l’accès aux services publics, et les cartes à points de fidélité (expérience dans la ville de Kitakyushu). Enfin, il existe aussi des cartes Visa intégrant la puce Felica au format Suica (les banques ne sont donc pas entièrement effacées dans ce marché). Et elles peuvent aussi servir à contrôler l’accès aux bureaux. Dans ces cas là, la carte n’est plus anonyme du tout.
Au final, si la solution est séduisante par sa praticité, elle n’est ni moins bien ni vraiment mieux que notre système de paiement en carte bancaire qui fonctionne partout. C’est adapté aux petits montants d’achats, l’histoire n’indiquant d’ailleurs pas quelle commission doit payer le vendeur. L’éclatement du standard en pré-paiement sur cinq cartes différentes est-il gênant ? Difficile de se prononcer. En tout cas, ces cartes sont très largement adoptées dans le pays.
Pour ce qui est de la monétique, j’ai aussi retiré du liquide dans un ATM avec ma carte Visa. Les distributeurs ont deux petites caractéristiques qui les distinguent des DAB française : tout d’abord, il faut plonger la main dans un trou pour récupérer son liquide, sorte de boite de Pandore peu rassurante, et ensuite, en mieux, la carte est rendue avec son reçu juste dessus, ce qui est très pratique.
Applications de la RFID
Nous avons visité le YRP Ubiquitous Networking Laboratory du professeur Ken Sakamura, visiblement, la sommité japonaise des applications de la RFID. Sakamura est un précurseur de la domotique qui est à l’origine de la maison expérimentale “TRON Intelligent House” construite en 1984. A l’époque, chaque dispositif électronique nécessitait une station de travail pour être piloté. Maintenant, l’ensemble tient dans un circuit intégré. Sakamura a développé le concept de l’Ubiquitous Computing qui a un sens un peu différent de ce que nous avons vu en Corée (focalisé sur les usages des mobiles). En gros, la vision de Sakamura est proche du SaaS (Software as a Service) qui est à la mode aujourd’hui : chaque objet et capteur de la maison fournit des informations qui combinées permettant à la maison d’être intelligente dans son fonctionnement, d’être “context aware”. Ainsi, un capteur de présence empêchera qu’une fenêtre se ferme automatiquement parce qu’un autre capteur de vent a déterminé qu’il fallait “fermer les écoutilles”.
Sakamura nous a présenté deux technologies sur lesquelles il travaille : le système d’exploitation temps réel open source TRON et les applications du RFID avec le ucode. Ses travaux sont fédérés de manière communautaire dans le forum t-engine.
Le système TRON (The Real Time Operating System Nucleus) est utilisé dans de nombreux produits d’électronique de loisir : les caméras, appareils photos, automobiles, mobiles, imprimantes, photocopieurs et autres outils audio et vidéo. Mais il n’a pas l’air de percer hors du Japon, les marques l’utilisant étant toutes japonaises. Il doit entrer en concurrence avec des solutions comme QNX, Linux et Windows CE.
Le système ucode est une implémentation de RFID dans tous les objets permettant de les identifier. C’est une sorte d’équivalent RFID du système des codes barres, encodé en 128 bits, fournissant ainsi une capacité d’adressage “suffisante”. Sakamura nous a présenté une large panoplie d’applications de cette technologie.
Les démonstrations commençaient par un lecteur intelligent qui reconnait une bouteille de vin et lit un texte décrivant le terroir d’origine. La bouteille utilisée pour la démonstration était un Vosnes-Romanée 1992, excusez du peu !
Le ucode peut servir à gérer la traçabilité alimentaire en général, encore à l’état expérimental à ce jour.
Une application logicielle associée permet d’identifier les incompatibilités entre plusieurs médicaments. Une autre indique la compatibilité entre une cravatte et une chemise, toutes les deux équipées du ucode.
Il y avait aussi le guidage au sol pour les aveugles : la canne (ou le mobile) lit des codes placés dans la chaussée et indique la direction de manière vocale à l’aveugle (tourner à droite, à gauche, revenir sur ses pas, etc). La solution est en pilote dans le quartier Guinza de Tokyo. Une variante permet la localisation des enfants le long de tout le parcours qui mène de la maison à l’école.
Dans la nouvelle version de la “smart house TRON”, une télécommande universelle reconnait les objets alentours et les pilote intelligemment, avec une interface utilisateur qui évolue en fonction de l’endroit où l’on se trouve dans la maison. Plus d’une centaine de types d’objets différents sont identifiés grâce au ucode dans cette maison pilote.
Du point de vue matériel, l’ucode s’appuie sur des nanotechnologies, les puces RFID que l’on appelle aussi “smart dust”. Leur taille est minuscule comme vous pouvez le voir dans le flacon ci-dessous. C’est impressionnant et en même temps inquiétant : le risque est énorme sur la vie privée et il avait l’air d’inquiéter les sommités scientifiques que nous avons rencontrées le soir du premier jour à Tokyo.
A la fin de la présentation, Sakamura faisait un petit appel du pied pour la ville de Paris, mais NKM n’était pas forcément le bon interlocuteur !
Pour conclure cette partie, les applications de la RFID sont innombrables et les japonais sont assez prolixes dans l’imagination de scénarios applicables. Reste à identifier ceux qui sont économiquement viables et comment réguler l’ensemble pour ne pas créer un système trop kafkaïen. C’est le lot commun pour toute innovation technologique ! En matière d’écosystème, Sakamura est déjà parti sur une approche saine qui peut rassurer quelque peu avec le le t-engine forum : un forum industriel international, des standards et formats ouverts en voie de normalisation et des solutions logicielles open source pour les mettre en oeuvre.
A lire également au sujet du voyage de Nathalie Kosciusko-Morizet en Corée et au Japon :
Jusqu’où peut aller la Politique 2.0 ?
Avec NKM en Corée et au Japon
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Par pitié, Stop!
On a aussi du travail et votre production est trop rapide et trop dense pour être lue.
Preuve en est le peu de commentaires.
Je vous comprend, mais en même temps ne vous force pas à lire. Surtout si cela ne vous intéresse pas ! Les articles longs et en profondeur restent une spécificité de ce blog.
Quand aux commentaires, ils dépendent du sujet et de l’audience des articles. http://www.oezratty.net/wordpress/2009/alerte-oso-asphyxie-les-startups/ a beaucoup de commentaires car les entrepreneurs s’expriment plus facilement que les lecteurs de grandes entreprises. C’est aussi le cas pour les articles un peu polémiques.
Quel toupet ce Marc-Antoine! S’il y a peu de commentaires, c’est tout simplement que les lecteurs sont estomaqués par une telle qualité vs. le reste de la blogosphère. Il n’y a pas grand chose à redire si ce n’est qu’on lit, qu’on apprend plein de trucs, et qu’on en redemande, des compte-rendus comme celui-là. Olivier démystifie les voyages officiels à l’étranger, et décortique les approches culturelles de l’innovation. Si c’est trop rapide pour être lu pour vous Marc-Antoine, allez donc voir là-bas: http://www.skyrock.com/blog/
Bonjour Olivier,
Merci beaucoup pour ces articles très détaillés.
Pourrais-tu mettre en ligne une version PDF de tes posts.
Je te remercie.
Oooh là, on se calme…
@Jeremy,
“S’il y a peu de commentaires, c’est tout simplement que les lecteurs sont estomaqués par une telle qualité vs. le reste de la blogosphère”
C’est une flagornerie digne d’Achille Talon.
“Si c’est trop rapide pour être lu pour vous Marc-Antoine, allez donc voir là-bas”
C’est mal élevé.
@Olivier,
Je ne critiquais pas la longueur de vos articles, ni ne signifiais mon peu d’intérêt pour celui ci mais je demandais une pause pour justement avoir le temps de lire et de commenter.
Je pense qu’un nombre conséquent de vos lecteurs est composé d’entrepreneurs qui trouvent dans ce blog un moyen d’être informé sur le monde numérique et les startups, une tribune pour partager des idées et un passe-temps. Bref, il joint l’utile à l’agréable.
Mais vous venez de poster 6 articles en 5 jours d’une longueur moyenne de 8 mn. Comme vous revenez d’un voyage, vous avez une masse importante d’informations à nous communiquer. Je vous demandais simplement d’espacer ces articles dans le temps afin que ce soit plus confortable pour nous, que nous puissions les lire et les commenter tranquillement.
Mon commentaire fut particulièrement contreproductif puisque j’ai dû répondre à ce barrage et n’ai toujours pas eu le temps de lire l’article.
De plus, j’ai raté mon train parce que trop pressé, j’ai soumis le commentaire sans renseigner la captcha et j’ai tout perdu, snif !
Bon, c’est presque terminé. Je n’en ai plus qu’un seul sous le coude !
Les cartes me font plutôt penser à Monéo. Mais c’est vrai que nos cartes bleues embarquent parfois le système et qu’elles permettent certains micro paiement sans avoir de code à faire (genre payer le parking).
D’ailleurs, je vois plutôt l’avenir dans le micro-paiement sans code que dans des solutions où il faut remplir un porte-monnaie virtuel. Les banques devraient peut-être imaginer une CB avec la puce classique pour les grosses transactions avec utilisation du code et une puce RFID qui fonctionnerait pour les mini transactions sans contact.
Mais… s’il y a autant de commerçants qui acceptent les cartes, c’est qu’ils ne se font pas de black là bas?
Pour les objets context aware, ils s’éclatent pas mal au MIT aussi :
http://link.brightcove.com/services/player/bcpid1813626064?bctid=10280440001
@Marc antoine: c’est le principe du blog d’être à la fois interactif et asynchrone. le blogueur et les lecteurs peuvent s’y rencontrer à leur propre rythme, d’autant plus que les commentaires restent ouverts très longtemps après publications des billets. J’ai par exemple lu puis laissé un commentaire sur un billet 3 semaines après qu’il soit publié et il y en a eu d’autres après le mien auquel Olivier a répondu.
@Olivier: quel est le business model des cartes Nanaco et suica, entre commercant et consomateurs qui paie combien et a qui?
en quoi est ce différent de ce que Moneo proposait. Le micro paiement n’a pas pris en France a mon avis pour des raisons culturelles et economiques qui ne sont pas pret d’évoluer quelque soit la technologie (les petits commerces ne peuvent pas se permettre des moyens de paiement qui les forcent à tout déclarer..)
Le business model des cartes de paiement semble assez simple :
– Elles sont mises en place pour leurs besoins propres par les sociétés que nous avons visitées : chemins de fers ou distribution de détail. Pour réduire les coûts d’exploitation et fidéliser les clients.
– Ensuite, l’infrastructure informatique distribuée créée à l’occasion est mutualisée et commercialisée comme un service à d’autres acteurs économiques, avec un modèle proche de celui du groupement Visa : la commission. C’est une variante du SaaS d’Amazon (EC2).
bonjour,
ayant parcouru le japon durant tout décembre 2010, il m’a bien semblé que l’utilisation des CB n’était pas très répandu. D’ailleurs, on m’avait conseillé d’y aller qu’avec du liquide.
C’est là toute une différence entre le Japon et la France, car, si en France on paye au macdo avec une CB, au Japon c’est plus rare, on le paye en liquide ou avec le RFID de son téléphone.
Si le pass Suica marche si bien, c’est pour les points suivants:
– rapidité d’acquisition de la carte (en 3 minutes j’en avais une)
– rapidité de recharge
– crédit de départ faible : 1000 yens je crois (environ 10 euros)
– multi usage: tabac, convenience stores, metro, …
Pour le métro, c’est génial, c’est comme un navigo. Etant donné que plusieurs réseaux privés se partagent le métro, le pass Suica facilite notamment les correspondances entre stations.