Je vais commencer le retour sur ce voyage concernant le fond de la visite sur un thème qui m’est cher : le lien entre la structure des sociétés (culture du pays, système de valeur, organisation sociale) et la nature des innovations qu’elles sécrètent et adoptent. Les cas de la Corée et du Japon sont intéressants car très typés, et assez éloignés des référents habituels des pays occidentaux.
Le neuf génère du neuf en Corée
L’appétence pour les innovations numériques que l’on trouve en Corée s’expliquent par l’histoire récente de ce pays. Séoul a été détruit en 1950. Résultat : le parc immobilier est récent. Le pays a une culture et des traditions anciennes mais il sans socle matériel sur l’ancien. D’où l’intérêt pour les nouvelles technologies comme la domotique qui permettent de créer de la valeur dans les habitations.
Ce pays est donc vers le présent et vers l’innovation. Il est aussi tourné vers l’extérieur car son marché intérieur est trop petit pour faire vivre ces innovations. Samsung qui représente 20% du PNB du pays exporte ainsi 80% de sa production. Cette ouverture vers l’extérieur entraine un plus grand intérêt pour les standards internationaux qu’au Japon dont le marché intérieur est bien plus vaste. Les coréens parlent ainsi plus souvent l’anglais que les japonais. Les coréens disent d’eux-mêmes qu’ils sont les italiens de l’Asie.
Le pays vit à 100 à l’heure. Avec une culture du travail très forte, un sens du défi permanent qui est accentué par le poids des villes dans le pays. Tout va très vite, donc les technologies qui aident à aller vite comme tout ce qui tourne autour du mobile, prennent bien. Le versant de la médaille est un stress permanent au travail et un taux de suicide élevé.
Même la démocratie est nouvelle : elle a moins de 20 ans. Et elle se modernise dans ses pratiques à une très grande vitesse. C’est ce qui ressortait de la présentation faite par Jung-hee Song, la Directrice Informatique de la Ville de Séoul (ci-dessous à droite). Le plan u-Seoul – u pour ubiquitous – qui s’étale sur 2003 à 2010 vise à faire de la ville la meilleure du point de vue du “e-government”.
u-Seoul intègre un bel exemple de consultations populaires et votes sur décisions spécifiques en ligne grâce au Cyber Policy Forum (en plus des programmes Seoul Oasis et de l’UGC Service) qui associe les propositions et avis de citoyens avec le retour d’experts. C’est un moyen de d’apporter du rationnel à la politique locale avec des discussions basées sur les faits. Quelques milliers d’avis sur une trentaine de thèmes ont ainsi été collectés depuis la création du forum Cyber Policy en 2003. Sachant qu’il y a un petit cadeau d’offert aux huit contributeurs les plus actifs chaque mois. Cette approche de démocratie participative rappelle l’initiative indépendante “Comment on fait” d’Alexandre Jardin lancée pendant le printemps 2007 et avortée un an après. Ca a l’air de porter ses fruits à Séoul. Question de posture des politiques et de la haute administration ! Ont ainsi été préparées diverses décisions locales comme la construction d’espaces ouverts en face de la Mairie, le mode de circulation des bus et l’organisation des voies qui leur sont dédiées, et dans la promotion du tourisme.
On y trouve sinon en vrac dans e-Seoul : des cartes de réservation et de paiement en ligne pour le sport, le théâtre ou les expositions, les trajets et horaires de bus sur mobiles, des applications pour trouver le métro, les magasins et les lieux d’histoire les plus proches. Il y a aussi des bornes dans les parcs pour prendre une photo ou une vidéo avec une webcam et l’envoyer sous forme de carte postale, des vidéophones pour les séniors, le paiement des impôts en ligne sur mobile, la cartographie 3D de la ville, y compris à l’intérieur des grands hôtels, de la cartographie statistique pour les citoyens, des tableaux d’information multitouch dans les abribus déployés depuis 2005, et le e-Seoul Child Protection System, une solution de protection des enfants à base de géolocalisation et de télésurveillance lancée en mai 2008 qui limite les risques d’enlèvements !
Le paradoxe du management hiérarchique
Comment peut fonctionner l’innovation dans ces conglomérats très hiérarchiques ? Sur le papier, ces entreprises devraient être à la traine. Pourtant, elles s’en sortent bien, surtout en Corée.
Les conglomérats (Samsung, LG, Hyundai) que l’on appelle les chaebols contrôlent l’économie de la Corée. Les 21 premiers représentent ainsi les deux tiers du PNB du pays ! Leur structure de management est extrêmement pyramidale. Les top managers décident et les autres exécutent. Le système se reproduit à chaque étage de la chaine de commandement. Il y a peu de remontées terrain spontanées de la part des “troupes”. Les top managers demandent des comptes et questionnent. Cela explique d’ailleurs le côté honorifique en apparence de ces postes de haut rang tandis que chez nous les top managers ou politiques ont tendance à beaucoup se mêler de l’exécution. Cette focalisation sur l’exécution dans les échelons intermédiaires a peut être un bénéfice : les gens se posent moins de questions et font plus de qualité.
A côté des chaebols, la société coréenne semble faire plus confiance aux scientifiques et aux ingénieurs. Le gouvernement a une politique très pro-technologies, il soutient la recherche et les expérimentations. La société coréenne présente ainsi moins de réticences et de frictions face aux nouveautés, est prête à les tester. Cela accélère l’adoption d’innovations dans le pays.
L’orientation très internationale des chaebols les aide ensuite à réussir à croitre tandis que les équivalents japonais, les zaibatsu, sont plus tournés vers leur marché intérieur. Le Japon est ainsi moins bien préparé à la mondialisation de l’économie et des échanges que la Corée.
Le Japon ou les risques d’une société fermée sur elle-même
On disait que c’était au sortir de la seconde guerre mondiale le pays de la copie. Cet attribut est passé à la Chine. Le Japon reste une terre d’innovations. Mais celles-ci semblent très tournées vers la société japonaise et ses choix parfois très spécifiques et différents du reste du monde.
La société japonaise est des plus traditionnelles. C’est un monde d’hommes (aux postes de responsabilités) tandis que les femmes sont surtout au foyer. La jeunesse subit une éducation rigoureuse et se défoule ensuite dans les jeux. Les composantes du mode de vie on entrainé une baisse de la natalité. Il est aussi surprenant de constater que la jeunesse japonaise ne parle pas du tout l’anglais. Un petit test dans la rue à Akihabara était très parlant. D’autant plus surprenant qu’en général, les geeks connaissent un peu mieux l’anglais que le reste de la population d’un pays puisque les innovations technologiques (logiciels, Internet) requièrent souvent la maitrise de cette langue.
Les investissements dans les robots sont présentés comme une solution à ce phénomène de société : le vieillissement de la population et la décroissance de la population liée à une faiblesse de la natalité, et au refus de l’immigration. Les robots sont donc un choix de société explicite alors que dans d’autres pays comme en Europe ou aux USA, on privilégie l’immigration choisie ou régulée. Et aussi les relations humaines, notamment pour s’occuper des personnes âgées. Car en France, les personnes âgées ne seraient pas prêtes intuitivement à être accompagnées par des robots humanoïdes comme celui ci-dessous du laboratoire IRT que nous avons visité. L’IRT est l”Information and Robot Technology research initiative de l’Université de Tokyo, établie sur un campus qui rappelle un peu celui du MIT. C’est un laboratoire public cofinancé par de grandes entreprises privées comme Panasonic, Toyota, mais aussi Sega et Olympus.
En robotique, les recherches vont tout azimut. La priorité semble donnée aux robots ménagers qui vont accompagner les personnes âgées dans leur vie quotidienne :
- Nettoyer le sol, mettre le linge dans la machine à laver et débarrasser la table (ci-dessus).
- Laver la vaisselle, ou tout du moins, la placer dans un lave-vaisselle situé à hauteur d’évier.
- Surveiller les allers et venues et la prise de médicaments.
- Aider à la déambulation dans une pièce avec ce système qui avance quand la personne se penche en avant ou latéralement, et se bloque dès que les pieds sont posés par terre.
- Aider à la déambulation en extérieur avec cette chaise roulante à deux roues utilisant le principe des Segway.
- Accompagner les personnes avec ces robots bipèdes que je n’ai pas pu voir, NKM ayant eu l’opportunité fortuite de les croiser dans une salle cachée à la fin de la visite. Elle les a appelés les “Goldoraks”.
- Plus généralement, l’appel au RFID pour identifier les objets alentours sera une solution plus élégante que la vision artificielle et les capteurs en tout genre.
A l’IRT, nous avons assisté à une démonstration qui ne relevait pas à proprement parler de la robotique. Le jeune homme ci-dessous était équipé de la tête aux pieds de capteurs divers pour faire ses exercices et l’affichage en face de lui présentait l’état d’avancement de son exercice physique et de ses muscles.
Le tout est basé sur des travaux de recherche pointus sur l’électromyographie et la modélisation du fonctionnement des muscles et des articulations menés notamment par Gentiane Venture, une jeune associate professor française du laboratoire (ci-dessous) passée avant par le CEA et PSA, et sortie de Centrale Nantes.
Les défis sont de taille pour la recherche robotique. Il faut d’abord que cela fonctionne dans toutes les circonstances. Et au vu des démonstrations, il semble que le manque de fiabilité de nos outils informatiques d’aujourd’hui soit une paille par rapport aux risques de défaillance de ces engins. Il faut ensuite que cela tienne la route économiquement. Au delà du coût des robots, lorsque l’on voit l’infrastructure à installer (ci-dessous, au plafond), on peut se poser la question !
Le tout repose sur des technologies qui évoluent très lentement. Ce sont toujours des objets de laboratoire et d’expérimentation. Il n’empêche que ces travaux de recherche qui portent à la base sur toutes les techniques d’intelligence artificielle : reconnaissance des formes, systèmes d’aide à la décision, traitement linguistique, auront des applications diverses et pas seulement pour s’occuper d’une population vieillissante. C’est donc aussi dans les dérivés inattendus de ces recherches que le Japon pourrait trouver une nouvelle source de compétitivité à l’échelle mondiale.
Pour terminer sur cette partie liée au sociétal, nous pouvons aussi citer l’idée d’utiliser les voitures comme groupes électrogènes en cas de tremblement de terre. Le Japon est le pays développé le plus sujet à ce genre d’événement naturel !
Cette focalisation sur des besoins internes spécifiques et une forme de refus du monde extérieur est un symptôme de déclin dans l’histoire de l’humanité. La Chine a régressé au moyen-âge et jusqu’à la première moitié du vingtième siècle car elle n’était pas assez ouverte vers le monde. En se fermant ainsi, le Japon risque aussi une régression. Mais je n’irai pas jusqu’à relier cela aux difficultés économiques actuelles du pays. Dans les années qui viennent, le Japon sera amené à revoir certaines de ses stratégies. Le marché intérieur ne suffit plus. Il sera obligé de se tourner plus vers le monde et d’adopter des standards plus ouverts. Cela a commencé en apparences avec l’adoption de logiciels libres embarqués. Mais cela devra s’étendre à la téléphonie mobile (comme avec les standards LTE pour les mobiles de prochaine génération) et à la télévision numérique (via l’IPTV).
Les risques sur la vie privée
Avec l’usage croissant de solutions basées sur le RFID dont nous parlerons dans un autre post, avec la télésurveillance, avec les différentes applications des mobiles et de l’Internet, grands sont les risques sur la vie privée.
Mais la société tant en Corée qu’au Japon semble moins soucieuse de ces risques qu’en occident. Est-ce lié à un conformisme sociétal plus fort ? A une confiance plus forte dans son voisin du fait d’une plus faible criminalité ? A une société assez ouverte comme en Corée ?
Au Japon, nous avons tout de même senti chez les élites des craintes au sujet de la RFID.
Nous avions un diner avec des responsables scientifiques de haut niveau dans les TICs ou la santé : le très distingué Professor Kiyoshi Kurokawa du National Graduate Institute for Policy Studies, Professor Jiro Kokuryo, de la Faculty of Policy Management, Professor Masuo Aizawa (ci-dessous), du Council of Science and Technology Policy qui reporte au premier ministre, et Hiroyuki Yoshikawa, président du Advanced Industrial Science and Techology et ancien président de l’Université de Tokyo).
Premier étonnement : des personnalités très ouvertes sur le monde, parlant parfaitement l’anglais et très affables.
Second étonnement : leur admission que la compréhension du monde actuel leur échappe, qu’ils ne voient pas comment l’on va sortir de la crise, et que l’on ne maitrise pas du tout la dimension temps dans la prospective.
Troisième étonnement : leur volonté affichée d’améliorer la gouvernance technologique à l’échelle de la planète. Que ce soit pour le stockage des montagnes d’information via l’Internet et les mobiles ou sur les usages des RFID qui menacent la vie privée. Et de proposer par exemple la limitation du nombre d’objets RFID liés à une personne pouvant être surveillés.
L’évolution des réseaux sociaux
C’est un sujet que nous n’avons pas pu couvrir véritablement.
En Corée, nous avons entendu parler de Cyworld, une filiale de SK Telecom par le biais d’une créatrice de startup Internet locale, Agnès Jiyong Yun. C’est le Facebook local qui domine largement son marché avec plus du tiers de la population coréenne l’exploitant. Le site est généraliste, avec le blogging (ci-dessous), le partage de médias, la gestion des amis, le support des mobiles et un monde virtuel 3D à la Second Life. Le site utilise sa propre monnaie virtuelle pour échanger des biens immatériels, notamment médias. C’est un modèle économique voisin de celui du Minitel qui semble bien fonctionner en Corée.
Nos interlocuteurs Coréens spécialistes de l’Internet évoquaient les difficultés à étendre ce genre de service dans le reste du monde. Cyworld est certes établi dans d’autres pays d’Asie (Japon, Chine, Taiwan, Vietnam) et aux USA depuis 2006. Mais il a du mal à y percer, notamment face aux leaders établis que sont Facebook et MySpace. Chaque pays a un leader différent comme le montre la carte ci-dessous (lien).
Quand aux japonais, ils privilégient les usages “ptop” et sont plus soucieux du partage d’informations privées. D’où une relative discrétion sur les blogs et le partage de photos.
J’ai l’impression qu’en matière de logiciels et de services en ligne, les Coréens comme les Japonais ne comprennent pas bien la manière de créer des écosystèmes avec des développeurs de solutions tierces. Ils appliquent souvent des réflexes d’intégration verticale à leurs stratégies alors que les stratégies d’écosystèmes sont souvent horizontales. Il n’y a que dans les jeux que les Japonais ont compris ces stratégies et réussissent plutôt bien, tout comme le coréen NC Soft que nous avons rencontré.
Dans le prochain épisode, nous aborderons les contenus et la télévision mobile.
A lire également au sujet du voyage de Nathalie Kosciusko-Morizet en Corée et au Japon :
Jusqu’où peut aller la Politique 2.0 ?
Avec NKM en Corée et au Japon
La délégation
Le voyage et le séjour
Télévision mobile et autres contenus
Smart objects
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Bonjour,
Je suis amené à travailler et aller au Japon depuis quelques temps, et ton analyse de la société japonaise, quoique compacte, résume bien les grandes problématiques.
Même si les choses bougent, c’est surprenant de voir à quel point des avancées qui semblent acquises partout dans le monde(anglais, rôle des femmes, importance du terrain/client/marketing, …) évoluent très lentement au Japon – sachant que c’est encore moins vrai dans les nombreuses vallées reculées du pays!
Félicitations pour avoir capté cela en si peu de temps sur place,
TB
Pour compléter ton propos sur le style de management coréen, je dirais que les managers coréens font beaucoup de micro-management dans la mesure où les échelons inférieurs ont peu de latitude (et d’initiative) pour prendre des décisions. En revanche, les managers coréens ne veulent surtout pas paraître mettre les mains dans le cambouis, donc évitent à tout prix d’exécuter des tâches qui sont censées relever des échelons inférieurs.
Lorsque tu m’as interrogé à Séoul sur le mystère de la réussite d’un Samsung alors que son organisation semble rigide et pyramidale, bref peu propice à une culture de l’innovation, je t’avais dis qu’une partie de la réponse se trouvait peut-être dans la redondance des ressources d’ingénierie de Samsung, ce que je tiens de mes sources chez Samsung.
J’ai trouvé un article qui le confirme:
http://blog.sina.com.cn/s/blog_52fa3cab0100b4l2.html
Les grands (dont Nokia) travaillent sans doute tous à des projets qui ne seront jamais commercialisé, mais chez Samsung seulement un quart des téléphones portables développés sont mis en vente! Comment expliquer que les coûts de Samsung n’explosent pas dans ces conditions? Je vois deux raisons: 1) Le surplus considérable d’heures travaillées par an en Corée (de tête 2500h contre 1500h en France) 2) en plus de ce contexte, Samsung est en Corée un employeur très désirable qui peut se permettre de presser ses employés comme des citrons…
Bonjour Sylvain,
Merci de rappeler cet élément, en effet. C’est à mon sens un facteur parmi pas mal d’autres. Si tu prends le cas des mobiles, Samsung se distingue aussi des japonais par un design et une meilleure compréhension du rôle du logiciel (en tout cas récemment). Et Samsung a une agressivité commerciale (comme LG) plus efficace que celle des japonais, au moins aux USA. Les coréens parlent l’anglais ce qui n’est pas le cas des japonais, cela aide aussi dans le monde des affaires. J’avais aussi remarqué au CES de Las Vegas une propension des Coréens à faire plus de qualité que les japonais dans leurs présentations presse, dans leur stand et dans leur marketing en général. Ils ont aussi des stratégies de partenariat plus ouvertes et multipolaires que les japonais, trop refermés sur leur marché intérieur.
Les investissements de Samsung dans plusieurs projets en parallèle sont à la fois un moyen de ne pas mettre tous ses oeufs dans un même panier, mais en même temps une source d’inefficacité. Dans les exemples donnés sur les mobiles, il s’agit d’éviter de s’engager sur des composants spécifiques (Broadcom, Qualcomm) car le risque est grand d’avoir des problèmes avec. C’est donc plus un contrôle de l’amont industriel que des variations réelles de design produits. D’ailleurs, les téléphones Samsung se ressemblent tous. Et même chez Nokia qui ne pratique pas le même “hedge your bet exercice”, il y a de quoi s’y perdre dans leur gamme de mobiles. A l’envers, Apple a réussi à conquérir le marché avec seulement deux modèles en deux ans. Comme quoi…
Bonjour, et merci pour ce reportage tout à fait passionnant !
Concernant le japon, j’ai travaillé une année dans le service R&D d’une entreprise de taille moyenne (Mita, rachetée depuis par Kyocera).
C’était il a presque 20 ans, et je n’en ai vraiment pas retiré le même sentiment d’enfermement que tu décris.
Au contraire, j’ai souvenir d’une entreprise totalement orientée vers le reste du monde, et d’ingénieurs avides de connaître les attentes et la perception de leurs clients étrangers. Lors de mes premières heures avec mes nouveaux collègues, j’ai ainsi subi un feu roulant de questions (d’autant plus que je venais d’une boite concurrente et leader du marché…?).
Certes, leur problème avec l’anglais (oral, pas écrit) était un réel handicap. Encore qu’après 2-3 bières, une fois les inhibitions effacées, beaucoup de japonais parlent couramment anglais !
Mais j’avais été impressionné par leur capacité à passer de la copie sans vergogne, à l’innovation débridée. Et par conséquent à dépasser leurs modèles.
L’une des clés est d’ailleurs la responsabilité directe des ingénieurs dans cette recherche de l’innovation : ce sont eux qui proposent les nouveautés, pas les marketeurs.
Pour mémoire, même si les grandes boites japonaises ont quelques difficultés actuellement, elles ont quand même su s’imposer sur de très nombreux marchés. La photo, chère à Olivier, n’est qu’un exemple… On peut aussi citer l’anecdote de Back to The Future 2, quand le héros tente d’expliquer au Doc des années 60 qu’à son époque (les ’80), tout ce qui est nouveau vient du japon !
Par contre, il est vrai qu’ils ont toujours su s’appuyer sur leur marché intérieur, qui bénéficie en priorité (et quelquefois en exclusivité) des innovations. C’était une force au 20ème siècle, peut être une faiblesse maintenant.
Enfin, je confirme la faiblesse dans les sujets abstraits (dont le logiciel) : les japonais ont plus une culture du « physique », de ce qui se « touche ».
Pour compléter l’aspect sociétal, j’avais aussi noté une capacité surprenante (surtout pour un français) à échanger l’information : de façon formelle et très transparente pour l’information descendante ; de façon informelle pour l’autre sens (, avec une collecte par la hiérarchie durant les pauses-thé…).
Enfin, ayant fait quelques (trop rares) voyage au Japon, j’ai noté de sacrés évolutions depuis 1990, en particulier dans la relation à l’étranger : par exemple, un gaijin (non-japonais) qui rentre dans un magasin ou un restaurant ne fait plus fuir tous les vendeurs/serveurs…
@Alain, c’est un éclairage très intéressant. Il fait plus que compléter mon propos très simplificateur. Je cherchais surtout à créer un contraste dans le peu que j’avais pu observer entre la Corée et le Japon. Une Corée dans l’ensemble plus tournée sur le monde que le Japon.
Le Japon est plein de paradoxes. C’est un pays culturellement, géographiquement, démographiquement et linguistiquement très insulaire. La taille de son marché intérieur renforce ce point. Les entreprises japonaises semblent avoir développé une capacité à absorber le savoir faire externe tout en protégeant le sien. Il semble que ce partage soit un peu à sens unique. Ce qui explique en partie une faiblesse dans la création d’écosystèmes dans leurs stratégies.
Une autre observation : j’ai été très frappé du contraste entre les élites que nous avons rencontrées un soir (issues plutôt de l’université: ancien président de l’université de Tokyo, membre du conseil technologique du premier ministre, etc) et les responsables de deux entreprises (7-i, et Panasonic). Les premiers étaient “internationaux” au sens: maitrise de l’anglais, connaissance du monde, réflexes assez occidentaux (notamment sur la protection de la vie privée et les risques du RFID), j’ai même échangé avec l’un d’entre eux par email et il a un blog (http://www.KiyoshiKurokawa.com) ce qui est moins courant au Japon. Les seconds, assez fermés et très protocolaires. Mais c’est peut-être la même différence que nous aurions en France entre éminences universitaires et patrons de grandes entreprises…
La photo est une étude de cas intéressante. C’est un marché dominé presque sans partage par les entreprises japonaises, Canon, Nikon en tête. Il n’y a que dans le très haut de gamme (Hasselblad, Leica) que d’autres pays (européens) arrivent à sortir du lot. Et dans les compacts, les coréens et évidement et les chinois qui produisent des appareils de commodité. Pourtant, des entreprises comme Canon restent assez fermées dans leur communication. Il n’y a qu’à voir la difficulté qu’ils ont eu à réagir aux défauts découverts dans certains appareils récents. L’autofocus d’un des EOS Mark III, et plus récemment, les points noirs de l’EOS 5D Mark II, qu’ils ont un peu mieux géré. La communication avec leurs communautés d’utilisateurs restent encore très préhistoriques de l’ère du web 2.0.
Bonjour et merci pour cet article !
Je suis étudiante en LP GRH à Paris 13 et votre article m’a beaucoup intéressé.
Vous dites que le Japon est une société fermée sur elle-même et que la Corée est plus ouverte. En effet, le Japon est une île et est détachée de l’Asie. Est-ce que cette situation géographique ne pourrait pas expliquer ce cloisonnement par rapport à la Corée ?
De plus, en accord avec Alain, les japonais ont été souvent leader, avant l’apparition des entreprises coréennes sur le marché. Est-ce que le fait d’entendre plus parler des coréens aujourd’hui, nous laisse penser que les japonais gardent leurs savoir faire ? Je ne pense pas !
Enfin, je voudrais ajouter que les japonais sont connus pour être très patriotique. En mars 2011 par exemple, après avoir été victime d’un violent séisme, les japonais ont arrêté de voyager, et d’importer des produits (je travaillais dans une compagnie aérienne en Nouvelle-Calédonie et le marché japonais était l’un de nos marchés les plus importants-fret, voyage…). Nous avons vu nos chiffres baissés et nos interlocuteurs japonais nous disaient qu’ils devaient relancer l’économie de leur pays.
Mais, il est vrai que l’exemple de la Chine est flagrante et que si le Japon continue à se renfermer, le pays du soleil levant cour à sa perte.
Je voudrais revenir sur le management pyramidal coréen. Je trouve ce système intéressant, cela voudrait dire que les managers ont une confiance totale en leurs exécutants ce qui doit donner à ces derniers un sentiment de responsabilité. Bravo ! Impliquer son personnel dans le processus de fabrication en n’intervenant d’aucune manière dans la phase d’exécution, est une logique bénéfique que toutes entreprises devraient adopter.
En vous remerciant pour toutes ces réflexions,
Bien cordialement.
Merci beaucoup pour ces compléments et partages d’expériences.
Mon article datait d’il y deux ans et demi (février 2009) ! Mais les propos restent valables dans l’ensemble. Ils sont complétés par un tour plus récent au Japon qui date d’octobre 2011. Cf http://www.oezratty.net/wordpress/2011/retour-du-ceatec-2011-1/.
Une question qu’il serait intéressant de creuser est la manière dont les startups émergent et se développent au Japon, qui a une culture “corporate” très forte. Au CES où je suis en ce moment, je croise pas mal de startups coréennes, mais très peu de japonaises. Il en existe pourtant.