Bulle ou pas ?

Publié le 31 mai 2007 - 9 commentaires -
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On est un peu en plein “Houh fais moi peur” au sujet de l’éclatement de la bulle 2.0. Cela me rappelle la peur de se retrouver une fois encore avec Le Pen au second tour de la dernière présidentielle…

“20 Minutes” vient de publier un dossier dans l’ère du temps sur le Web 2.0. J’y suis justement interrogé sur l’éventualité de l’éclatement d’une bulle. Voici le PDF complet de ce dossier d’une vingtaine de pages, fort bien fagoté pour un gratuit et pour vulgariser un tel sujet! Ce blog est l’occasion de compléter en détail les quelques citations de mes propos reprises dans ce dossier.

Thèse, antithèse, synthèse…

Il y a effectivement quelques signes de l’existence d’une bulle “web 2.0” et surtout de sa déflation:

  • Tout d’abord, il y a eu une véritable inflation d’usage de l’appellation Web 2.0, mis à toutes les sauces et devenu à partir de 2004 un “gimmick” incontournable. Même si il y avait quasiment autant de définitions du Web 2.0 que d’individus en faisant la promotion (cf l’ensemble de la sémantique rattachée au web 2.0 ci-dessous, trouvée notamment ici). L’un des points clés se situe  cependant dans la notion de création de valeur par les utilisateurs avec de fortes économies de réseau (la valeur du service croit exponentiellement avec le nombre de ses utilisateurs et surtout de ses contributeurs). Cela s’est calmé depuis la mi-2006. On a découvert que le temps disponible des contributeurs était fini (au sens “limité”) et qu’il n’était pas si simple de créer de la valeur en faisant bosser les Internautes ! Il y a donc bien eu une bulle et elle s’est en partie dégonflée.

  • La vague de création de startups Web 2.0 a connu un pic entre 2005 et 2006 et elle commence à se calmer. Dans chaque domaine du Web 2.0, il s’est créée des dizaines d’acteurs, avec un fort phénomène de suivisme. On a ainsi connu des “sous-bulles”: avec les blogs, le social networking, le partage de vidéos, la mobilité et plus récemment le social shopping ou la gestion de la publicité en ligne. On rentre dans une phase de consolidations, personnifiées par les nombreuses acquisitions, notamment chez Yahoo, Google et Microsoft. Elles sont aussi liées au fait que nombre de startups Web 2.0 sont des “feature companies” qui proposent une fonctionnalité qui prise isolément n’a pas beaucoup de valeur, mais en a une fois intégrée dans un service global. Cela explique des acquisitions comme MyBlogLog chez Yahoo.
  • Les modèles économiques souvent bancaux de nombre de ces startups. Ils sont très souvent fondés sur la publicité mais ce modèle ne fonctionne correctement qu’avec un très gros trafic.  Or, il y aura peu d’élus. Donc il y aura des morts. Mais c’est normal dans tout cycle d’innovation. A-t-on parlé d’éclatement des bulles de l’automobile ou de l’aviation lorsque ces industries qui occupaient des centaines de constructeurs se sont consolidées dans la seconde moitié du 20eme siècle.
  • On constate un phénomène de saturation dans certains recoins du web 2.0, notamment au niveau des blogs. Leur nombre s’approche de la stagnation selon TechnoRati. Mais il ne faut pas assimiler les blogs à l’ensemble du Web 2.0. Cette saturation suit un ralentissement de la croissance des connections Internet. Il est lié au fait que la proportion de contributeurs est toujours assez stable dans une population donnée d’utilisateurs (aux alentours de 5% de véritables contributeurs). Cette saturation aboutit notamment à un élargissement paroxystique du marché des blogs avec cette mode complètement hystérique du microblogging, intermédiaire entre le blog et la messagerie instantanée pour “dire à sa tribu ce que l’on fait toute la journée” personnifié par Twitter.

  • Le buzz du web 2.0 est largement sorti du microcosme des spécialistes de l’entrepreneuriat et est entré dans le grand public. C’est souvent un signe qu’une nouvelle vague se prépare. Tout phénomène médiatique est amené à être remplacé par un autre car il lasse.
  • Enfin, le web 2.0 n’excite plus les investisseurs. Il fait même plutôt peur. Malgré tout, il reste des pépites à trouver et de belles choses à faire. Il suffit juste de ne pas les associer au Web 2.0, même si il y a des morceaux d’Ajax et de contributions utilisateurs dedans!

Mais la grande frayeur de l’éclatement de la bulle du web 1.0 n’a pas vraiment lieu d’être pour le web 2.0. Car s’il y a bien une bulle 2.0, elle n’a ni l’ampleur ni l’impact financiers de celle du Web 1.0, surtout lorsqu’elle / si elle explosera. Le nombre d’entreprises et d’investisseurs touchés par l’éclatement du web 2.0 est bien plus faible qu’en 2000 :

  • Tout d’abord, il n’y a pas d’inflation boursière car très peu de startups Web 2.0 ont été introduites en bourse. Elles sont plutôt rachetées par de grands acteurs comme Google. Sauf exception, pour pas cher, même si le rachat de YouTube par Google fait toujours rêver. Ce sont les fonds de capital risque qui sont concernés et leur risque est généralement dillué dans des portefeuille financiers équilibrés chez les particuliers ou institutionnels qui en possèdent des parts.
  • Il n’y a pas eu d’inflation boursière des majors de la high-tech comme en 2000. La bulle qui a éclaté à cette époque concernait l’ensemble de la high-tech avec un fort impact sur le secteur des telcos: Microsoft (premier touché en avril 2000 mais à cause de son procès antitrust et de la menace de démantèlement), Sun (le “dot de .com“…) et Cisco (tous deux très dépendant des telcos), HP, Dell, les grands de l’Internet, les équipementiers et opérateurs télécoms. On est assez à l’abri de ce point de vue là car les ratios boursiers sont devenus assez sains pour ces entreprises là. Les fameux “Price/Earning Ratios” ou PER, qui dépassaient allègrement les 70 en 2000 (75 pour Microsoft et >90 pour Cisco), sont revenus à des niveaux plus classiques, entre 15 et 50 (et respectivement 22 et 23 pour Microsoft et Cisco).
  • Il n’y a pas eu d’inflation démesurée dans les investissements dans les startups. Ils restent raisonnables dans l’ensemble, même si le flot de capital risque s’est amplifié ces dernières années. Les montants investis sont plus raisonnables car nombre de startups Web 2.0 sont moins consommatrices de capital pour leur développement. Et leur tri par les investisseurs a été beaucoup plus sélectif que dans la bulle Web 1.0. Tout du moins en France, car aux USA, la frénésie de la création de startups tout azimut a été assez développée autour du Web 2.0.
  • Le marché se cherche encore et on est loin de l’aboutissement dans l’économie et la vie numériques. Il reste beaucoup de choses à inventer dans le monde de la convergence numérique. Et ce marché reste en forte croissance. Le taux d’équipement Internet (ADSL) n’a pas encore atteint la saturation, même si dans les pays occidentaux, il dépasse les 40%/50%. Des transformations profondes sont encore en cours et pas abouties : notamment autour la télévision numérique et du très haut débit qui la supportera.
  • Il n’y a pas eu d’inflation des budgets publicitaires financés par le capital risque. Donc, pas de bulle impactant les métiers de la communication et de la publicité. Ni d’ailleurs, dans le métier des services informatiques associés aux startups et au web. En 1999, la bulle dans ces métiers avait été alimentée non seulement pas le web mais également par le passage à l’an 2000 et à l’Euro.
  • Le marché publicitaire en ligne qui finance une grosse part des sites web 2.0 reste encore en forte croissance. Sa part dans le marché publicitaire total va passer de 6% à 10% dans les 3 années qui viennent. Dans un marché qui croit de plus de 5% par an à l’échelle mondiale. Il reste donc de la marge de croissance pour financer les sociétés saines et ayant atteint la taille critique du web 2.0.

Bref, de quoi rester tout de même sereins. Il n’y aura pas d’explosion. Au plus assisterons nous à une déflation progressive, à des évolutions graduelles, à des consolidations, et à des morts naturelles – souvent en silence – de startups (à comparer aux quelques 100000 défaillances d’entreprises annuelles en France!). Un darwinisme naturel dans une économie qui au gré des innovations voit les acteurs se renouveler.

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Publié le 31 mai 2007 Post de | Blogs, Economie, Entrepreneuriat, Internet, Startups, Technologie | 20158 lectures

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Les 9 commentaires et tweets sur “Bulle ou pas ?” :

  • [1] - Victor Bibies a écrit le 31 mai 2007 :

    Beaucoup de personnes se sont expliqués concernant cette fameuse bulle 2.0 et beaucoup sont d’accord avec vous, mais votre article est je trouve plus complet et je vous remercie de le mettre à la disposition de tous.

  • [2] - Louis van Proosdij a écrit le 1 juin 2007 :

    De loin la meilleure analyse. Nous sommes nombreux à considérer qu’il n’y a pas de bulle 2.0, tu es le celui qui l’aura le mieux expliqué.

  • [3] - Tristan a écrit le 2 juin 2007 :

    Salut Olivier,

    Je ne demande qu’à te croire. Comme je le dis ici : http://standblog.org/blog/post/2007/06/01/En-vrac-et-en-colere , j’espere bien qu’il n’y aura pas de bulle. J’ai quand même bien l’impression que cette croissance du marché excite un certain nombre de tocards qui flairent la bonne opportunité.

  • [4] - Olivier Ezratty a écrit le 2 juin 2007 :

    En fait, je ne dis pas qu’il n’y a pas de bulle web 2.0. Je pense simplement que c’est une bulle limitée à un microcosme et dont l’affadissement n’aura pas du tout l’impact économique et financier de l’explosion de la bulle 1.0. Mais le phénomène que tu décris dans ton post est déjà en train de démarrer pour le 2.0. L’innovation est ainsi faite, avec ses hauts, ses bas, ses gagnants et ses perdants. Rien de très surprenant car l’histoire se répête, même si on oublie plus facilement les perdants que les gagnants.

  • [5] - Enzo a écrit le 4 juin 2007 :

    @Tristan, les “tocards” plus personne ne l’est croit, ah si peut-être quelques business angels peu informés à l’image de ceux qui suivent Todeka project.

  • [6] - Jean-Philippe MARTINEZ a écrit le 5 juin 2007 :

    S’il n’y a pas de bulle néanmoins l’augmentation de la valorisation des projets ne va pas améliorer le financement de nos start-up:

    En effet nous sommes tous conscients qu’en France il existe une véritable difficulté pour financer la phase d’amorçage (validation de la technologie, dépôt de brevet, prototype…), et la phase de capital risque (lancement industriel et commercial du produit).

    D’ailleurs Ernst & Young et DowJones VentureOne viennent de produire une étude sur la situation du capital risque européen.

    867 entreprises ont été financées en 2006 pour un montant total de 4,1 milliards d’euros.

    Et sur ces 867 entreprises combien de projets financés en phase d’amorçage?

    300…non

    200……non

    100 alors…..toujours non

    26

    Or l’augmentation de la valorisation des projets ne favorise pas un retour sur investissement suffisant pour les sociétés de capital risque.
    Si l’on se place du côté des sociétés de capital investissement il parait clair que le financement de la création d’entreprises ne présente pas beaucoup d’attraction en Europe car:

    •c’est une activité très risquée:
    Intervenant pour aider au développement technologique ou commercial d’un nouveau produit, les financiers prennent le risque de constater: que la demande n’existe pas, que les challenges techniques ne sont pas franchissables dans des délais supportables, que l’équipe n’est pas compétente….

    Effectivement intervenir plus en aval (équipe constituée, produit finalisé, première vente réalisée, première production livrée..) limite fortement les risques d’un mauvais placement.

    •c’est une activité peu rémunératrice voire à perte.
    Si l’on se réfère à la dernière étude de l’EVCA (association des ventures européens) et de Thomson Financial sur la situation du capital investissement on note plusieurs points:

    En tant que financier ces dernières années il valait mieux investir dans le LBO (financer une société qui va racheter une autre) que dans le capital-risque (prise de participation dans des jeunes sociétés innovantes).

    Sur les trois dernières années le taux de rentabilité (TRI) affiché par les sociétés de capital risque pour l’activité amorçage (financement pour aider à la conception de nouveau produit, financement des premières actions commerciales…) a été de 2,1%.

    Dans le même temps la rentabilité sur les opérations de rachat de société (LBO) affiche 13,2%.

    Si aux Etats unis le financement de l’amorçage est plus aisé c’est également parce que les promesses de rémunérations sont importantes. L’activité capital risque affiche une rentabilité de 20.5%.

    En résumé il existera des organismes qui financeront la création d’entreprises si la rentabilité espérée reste supérieure à celle affichée par les opérations de LBO….

    La tendance inverse que nous observons si elle devait perdurer mettrait encore plus à mal notre chaîne du financement de la création d’entreprises. Car pourquoi continuer d’investir dans des projets plus risqués qui débouchent sur une rentabilité moindre ?
    Alors amis entrepreneurs ne soyez pas trop gourmand……..

  • [7] - Olivier Ezratty a écrit le 6 juin 2007 :

    Jean-Philippe,

    Bonne analyse sur la partie financière. S’il ne s’agit que d’affaire de valorisation dans les levées, cela devrait se calmer. D’autant plus que ces valos sont le résultat de rapports de force entre entrepreneurs et investisseurs.

    Pour ce qui est du seed en France, ce n’est pas bien nouveau. Cela explique indirectement l’empressement des pouvoirs publics à compenser modestement ce déficit (via Oséo et autres dispositifs). C’est un peu bancal car ces dispositifs réunis ne suffisent pas à eux seuls à financer l’amorçage de nombreux projets.

    En tout cas, ce commentaire rappelle bien aux entrepreneurs qu’il leur faut “lécher” l’aspect économique (retour sur investissement, profitabilité des opérations) de leur business plan.

  • [8] - jean-eudes queffelec a écrit le 6 juin 2007 :

    Concernant le phènomène Twitter que tu décris, “microblogging hystérique”. Le classes tu dans la catégorie des “feature company” qui va disparaitre dès que AOL, Yahoo Google et MSN intégreront la fonctionnalité dans leur Messagerie Instantanée ou vois tu une techno de rupture susceptible de devenir une nouvelle platforme?

  • [9] - Olivier Ezratty a écrit le 6 juin 2007 :

    Cela ressemble effectivement au premier stade à une feature company, mais elle peut potentiellement dépasser ce stade par l’ajout de services tiers externes. Tout dépend du mode de développement et du business model qu’ils ont choisi. Tout comme leurs partenariats.

    Cela peut intéresser effectivement les grands de l’Internet.

    Mais reste à voir si ce truc va résister dans la durée. Pour comprendre cela, il faut peut-être avoir entre 15 et 25 ans. Mais on pensait peut-être cela des blogs à leurs débuts. Il faut donc conserver un tant soi peu d’humilité face à des phénomènes sociaux qui nous dépassent…




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