Dans ce 45e épisode des entretiens Decode Quantum, Fanny Bouton et moi-même poursuivons notre tour de France des chercheurs, entrepreneurs et utilisateurs des technologies quantiques et recevons Anaïs Dréau. Ces épisodes sont toujours également diffusés sur Frenchweb.
Crédit photo : (© P. Valvin / CNRS / L2C), récupérée ici
Anaïs Dréau est chargée de recherche CNRS en physique quantique au Laboratoire Charles Coulomb de l’Université de Montpellier. Sa spécialité couvre le contrôle du spin des défauts fluorescents dans les semi-conducteurs et les sources de photons uniques. Elle est à l’origine élève puis thésarde de l’ENS Cachan devenue, depuis quelques années l’ENS Paris Saclay. Depuis 2021, elle préside le GDR IQFA, le groupement des chercheurs en France de l’ingénierie quantique. Ils se réunissent notamment dans une conférence annuelle, la dernière ayant eu lieu à l’ENS Lyon début novembre 2021.
Voici les points clés de notre discussion avec Anaïs :
- Comment elle est tombée dans la marmite des sciences, puis du quantique ? Elle était fascinée par le monde de l’infiniment petit, lisais “La Recherche”, “Science et Vie”, et même la revue “Elémentaire” de l’IN2P3, l’Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules du CNRS. Elle avait réalisé un dossier pour la vocation scientifique des filles de la région Bretagne et voulait très tôt faire de la physique quantique. Inspirée par sa lecture de l’Histoire des Codes Secrets par Simon Singh, elle visite l’équipe de cryptographie quantique lors de sa première semaine d’études à l’ENS Cachan. D’où un stage L3 (licence troisième année correspondant à la première année à l’ENS) dans l’équipe de Jean-François Roch (voir Decode Quantum 32). Elle continue avec un stage M1 en Australie chez Hans-Albert Bachor sur la lumière comprimée et dans le cadre de la thèse qu’avait réalisé sur place Jean-François Morizur (voir Decode Quantum 34). En dernière année de l’ENS, elle fait un stage M2 avec Vincent Jacques du Laboratoire Charles Coulomb de Montpellier sur les centres NV du diamant.
- Comment elle a choisi le thème de sa thèse, Spins individuels dans le diamant pour l’information quantique, sous la direction de Jean-François Roch et Vincent Jacques soutenue en 2013 à l’ENS Cachan. Elle s’intéressait aux systèmes quantiques qui fonctionnent bien à température ambiante. Les NV centers s’appuient sur de la collecte de photoluminescence liées à des propriétés magnétiques de spin d’électrons et de spins nucléaires. Ces systèmes sont robustes aux perturbations de l’environnement. Voir ci-dessous la petite vidéo de son cru réalisée lors de sa thèse.
- Nous évoquons ensuite les caractéristiques de ces capteurs NV centers qui fonctionnent à température ambiante, jusqu’à des températures très élevées, de 500°C. Ils permettent d’évaluer avec une grande précision des grandeurs physiques comme le champs magnétique, le champ électrique, la pression, la température. Cela fonctionne moins bien avec le calcul quantique car la gestion de clusters de centres NV en interaction est compliquée. Nous évoquons la nuance entre les spins électroniques des cavités et les spins nucléaires, les notions de mesure “single shot” vs les mesures répétées et moyennées. Elle évoque le record de 2019 établi par QuTech aux Pays-Bas de contrôle d’une dizaine de spins nucléaires. Cf Fully controllable and highly stable 10-qubit chip paves way for larger quantum processor avec un temps de cohérence record d’une minute, mais à très basse température (3,7K). Anaïs nous explique pourquoi cela ne fonctionne pas à température ambiante, en liaison avec des mesures de détection limitées par la diffraction optique et à une intrication de photons de photoluminescence qui ne fonctionne également qu’à basse température.
- Au passage, nous passons en revue les chercheurs qu’elle a pu croiser dans le cadre de sa thèse et après : Patrice Bertet (CEA SPEC), Denis Vion (CEA SPEC), Daniel Esteve (CEA SPEC, Decode Quantum 38) et Jean-Michel Gérard (CEA-IRIG du laboratoire PHELIQS à Grenoble). Elle avait participé lors de sa thèse aux travaux du CEA SPEC sur l’idée de créer un système quantique hybride NV center et qubit supraconducteurs, un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir avec un Decode Quantum à venir avec Patrice Bertet. La collaboration avec Jean-Michel Gérard est actuelle, en compagnie d’équipes du CEA-Leti qui fabrique des wafers 300 mm en technologie SOI et Silicium 28 (isotope de spin nul).
- Anaïs nous explique son domaine de recherche et ses différents domaines d’applications actuels. Lorsqu’elle était post-doc à TU-Delft, elle travaillait sur l’intrication entre centres NV distants pour réaliser des communications quantiques, sur 1,3 km. Elle voulait faire cela à plus grande distance. Cela ne fonctionne pas avec les photons des centres NV qui opèrent dans le spectre visible de la lumière (ils émettent une fluorescence rouge dans les 600–800 nm lorsqu’ils sont éclairés avec du vert à 532 nm). Dans les télécommunications quantiques, il est nécessaire d’utiliser de l’infrarouge entre 1.3 à 1.55 microns de longueur d’onde. D’où son intérêt ensuite pour un autre type de défauts cristallins, non plus dans le diamant mais dans le carbure de silicium (SiC). Ces défauts ont des fluorescences autour de 1.1 à 1.2 microns. Anaïs avait créé un dispositif expérimental pour détecter ces défauts uniques dans le SiC. Grâce à un collègue du L2C, Guillaume Cassabois, qui travaillait sur le centre G du silicium avec une fluorescence à 1.3 microns, elle a commencé à explorer ce matériau. Elle a découvert une grande variété de ses défauts pouvant être isolés à l’échelle individuelle et donc fournir des sources de photons uniques télécoms directement incorporées dans le silicium.
- Anaïs avait obtenu en 2021 une bourse de recherche européenne ERC pour le projet SILEQS. Elle nous explique l’importance de cette bourse, son montant, ce qu’elle finance, et le projet associé. C’était un “ERC starting Grant” de 1,5 M€ sur 5 ans. Cela permet de financer thésards et post-docs plus des équipements. Le projet lui permet d’explorer le spin et les photons indiscernables. Son projet explore les propriétés quantiques de centres colorés individuels dans le silicium. Il vise également à explorer les propriétés magnétiques de ces défauts qui pourraient servir à créer des mémoires quantiques dont on a besoin à la fois dans les télécommunications et le calcul quantiques. A noter que c’était sa troisième candidature. Il fallait des résultats préliminaires qu’elle a obtenu plus tard. Après une première phase de sélection, une défense à l’oral a lieu à Bruxelles, avec des taux de succès de 10% à 12%.
- Elle positionne la différence entre ses sources de photons uniques, utiles surtout dans les télécoms, et celles de Pascale Senellart du C2N ainsi que de la startup Quandela qui en est issue. Les sources de Quandela émettent des photons un par an et sont des sources très brillantes. Elles permettent ou permettront de créer des “clusters photoniques” (plusieurs photos intriqués exploitables pour le calcul quantique à base de mesure, aka MBQC). Les sources de photons uniques à base de silicium pourraient avoir le même usage mais il faut pouvoir montrer leur indiscernabilité et aussi le déterminisme de leur émission.
- Nous évoquons ensuite les recherches quantiques au Laboratoire Charles Coulomb. Cela porte beaucoup sur les capteurs quantique avec Isabelle Robert-Philippe, Vincent Jacques et Aurore Finco. Notamment de la magnétométrie NV en mode scanning, de la thermométrie et de l’électrométrie. Ils travaillent aussi dans la spectroscopie dans l’UV profond avec du nitrure de bore (avec Guillaume Cassabois, Bernard Gil et Pierre Valvin) . Cela a des cas d’usage dans les matériaux pour créer des LED bleues et UV-C.
- Anaïs est la première chercheuse que nous accueillons qui soit située en Occitanie et à Montpellier. Elle nous décrit l’écosystème quantique de la région, les synergies et les initiatives locales, notamment l’Institut Quantique Occitan lancé en 2021 et piloté par Isabelle Robert-Philippe. Il regroupe une dizaine de laboratoires à cheval sur Montpellier et Toulouse. En plus du Laboratoire Charles Coulomb, il y a aussi l’Institut d’électronique et des systèmes (IES – CNRS, Université de Montpellier), le Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM – CNRS, Université de Montpellier), l’Institut montpelliérain Alexander Grothendieck (IMAG – CNRS, Université de Montpellier) et la Centrale de technologie en micro et nanoélectronique (CTM – CNRS, Université de Montpellier). Et aussi le CERFACS et les équipes quantiques d’IBM.
- Nous terminons avec son rôle de présidente du GDR IQFA, prenant la suite de Sébastien Tanzilli qui l’a dirigé 10 ans. Le GDR anime la communauté des chercheurs dans les technologies quantiques couvrant les piliers habituels des technologies quantiques : calcul, capteurs, télécommunications et cryptographie. Il valorise les doctorants et post-docs. La communauté s’est élargie et a doublé en 10 ans. C’est l’une des plus importante de l’INP (Institut National de Physique, qui regroupe tous les laboratoires de physique du CNRS) mais elle regroupe autant des physiciens que des chimistes et des informaticiens. Le prochain colloque annuel du GDR aura lieu au C2N de Palaiseau en novembre 2022. Si validé par le CNRS, un nouveau GDR pourrait prendre la relève du GDR IQFA et s’appeler “GDR Technologies Quantiques ».
- Ce n’est cependant pas le seul GDR sur le quantique. Il y a le GDR MecaQ en optomécanique, le GDR Gaz Quantiques qui couvre les atomes froids, le GDR Physique Quantique Mésoscopique, le GDR Isis sur le traitement du signal et applications quantiques et le GDR Informatique Mathématique qui comprend un groupe de travail sur l’informatique quantique (piloté par Simon Perdrix, voir Decode Quantum 36).
Merci à Anaïs de s’être prêtée au jeu !
Nous avons quelques autres enregistrements de prévus d’ici l’été avec notamment les équipes des startups WeLinQ et Silent Waves !
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