Dans ce quatrième et dernier volet de cette série d’articles sur l’innovation ouverte des grands groupes et leurs relations avec les startups démarrée ici, nous allons traiter des éléments de culture d’entreprise du grand groupe qui vont favoriser la mise en place d’une approche efficace d’innovation ouverte. Au passage, nous faisons un détour par l’innovation ouverte dans le secteur public.
Culture managériale et organisation
C’est le dernier point de cette série et pas des moindres. On ne peut réussir une stratégie d’innovation ouverte, tout comme une stratégie de transformation numérique, qu’en transformant profondément ses modes de management et la culture de l’entreprise. C’est un énorme chantier dans la plupart des grandes entreprises. A quoi bon faire de l’innovation ouverte si le style de management ne suit pas et surtout si le CEO ne précède pas ?
L’innovation ouverte est avant tout un enjeu de culture d’entreprise qui se traduit dans son système de valeur, son management, son organisation et ses modes de fonctionnement. Elle se retrouve aussi dans les modes d’évaluation des salariés, sur leurs modes de rémunération. Cette culture valorise la prise de risque (raisonnable, calculé. Elle a une vision long terme et un lien étroit avec la capacité d’écoute du marché. L’entreprise sert-elle d’abord ses actionnaires ou ses clients ? Si elle est trop tournée vers les actionnaires et le court terme, elle va réduire les coûts et les investissements pour privilégier le résultat net. Elle sera averse à toute prise de risque. Elle ne fera pas de paris osés. Ce qui s’explique aussi par les enjeux : on ne prend pas les mêmes risques quand on est cinq que lorsque l’on gère plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs sans compter les actionnaires.
Si elle est bien tournée vers ses clients, l’entreprise va mieux les écouter et faire évoluer son offre. Elle sera plus compétitive (cf cet article sur le sujet de Forbes “The five big surprises of radical management”) mais pas forcément au point de déclencher des innovations de rupture. La rupture avec l’ordre établi est difficile à générer par le consensus mou qui sévit souvent dans les grandes entreprises. Le niveau de consensus mou est proportionnel au nombre de personnes présentes dans les réunions où l’on est censé prendre des décisions sur l’innovation ! L’éviter passe par des dirigeants à la fois visionnaires et un peu autocrates sur les bords, capables d’entraîner leurs troupes par leur charisme. Les fondateurs des sociétés jouent plus facilement ce rôle que des nombreux CEO de passage qui virevoltent d’une industrie à l’autre et sont révocables du jour au lendemain par un board récalcitrant. Quand ce n’est pas, en France, par l’Etat. Des CEO emblématiques à la Richard Branson ? On en manque, surtout dans le CAC 40 !
L’innovation ouverte de plein de grands groupes est souvent associée à leurs initiatives de transformation digitale. A la Société Générale, les initiatives relativement récentes autour des startups sont étroitement liées aux bouleversements internes dans l’organisation et les modes de travail, ainsi que des outils de travail du personnel. Dans d’autres groupes, l’open innovation se manifeste aussi dans la capacité d’écoute des clients incarnée par leur présence dans les réseaux sociaux avec d’autres personnes que de chétifs community managers.
Les grands groupes peuvent être amenés à démontrer cette volonté de transformation par leur politique de recrutement dans les équipes innovation et digitales. Le meilleur scénario consiste à recruter d’anciens entrepreneurs ou au minimum, intrapreneurs, dotés de talent et d’agilité organisationnelle et relationnelle. Et si possible, des responsables plutôt jeunes et avec une expérience diversifiée à l’extérieur de la grande entreprise.
Parfois le contraire se produit et les responsables de l’innovation quittent le grand groupe pour devenir entrepreneurs. J’ai quelques exemples en tête parmi d’autres avec Stéphanie Hajjar, ancienne Directrice de l’Innovation chez SFR et fondatrice de Wonderfultime, Shy Shriqui et Xavier Bringué, deux ex d’Orange dont le premier était dans la cellule d’innovation Orange Valley, créateurs de iFeelSmart qui va équiper la box Miami de Bouygues Télécom, prévue pour début 2015, Fabienne Fourquet qui après avoir tout juste lancé CanalStart chez Canal+ s’est aussi lancée dans l’entrepreneuriat en créant 2btube et enfin Erik Gendre-Ruel, ex Directeur de l’Innovation de Groupama et fondateur de Inov Courtage. Ces départs sont mi-figue mi-raisin. D’un côté, ils illustrent le virus entrepreneurial attrapé par ceux qui ont passé le plus clair de leur temps à côtoyer des startups. De l’autre, ils témoignent de la difficulté à secoueur les grands groupes par l’innovation à partir d’un point isolé. Ils rappellent que l’on peut plus facilement changer le monde dehors (l’entreprise) que dedans.
Dans les relations avec les startups, l’engagement de l’entreprise s’évalue en fonction de la manière dont l’entreprise se fait représenter dans les événements. Quel est le niveau d’intervention des dirigeants ? Quel est leur réel pouvoir d’influence dans l’entreprise ? Sont-ce des seconds couteaux d’une obscure direction de l’innovation isolée du reste de l’entreprise ? Des gens au placard, trop âgés ? Des jeunes dynamiques ? Il est préférable d’avoir des cadres brillants dans l’accompagnement des startups, si possible avec un passé d’entrepreneur.
Une grande question cornélienne se pose d’un point de vue de l’organisation : où est l’innovation dans l’entreprise ? Dans une Direction de l’Innovation ou dans les business units ? Dans un monde idéal, l’innovation est partout et surtout incarnée par la tête dirigeante de la société. Elle sait faire des paris risqués, mais bien calculés et financés.
Les Directions de l’Innovation ne pilotent pas vraiment les innovations. Elles jouent un rôle de facilitateur. Elles relient le monde extérieur aux business units qui n’ont souvent pas le temps de faire leur propre veille technologique. Elles créent un signal fort dans l’entreprise qui valorise les collaborateurs souhaitant pousser des idées. Elles facilitent l’émergence de projets transversaux. Elles peuvent aussi aider les top managers à promouvoir les jeunes managers à haut potentiel, en leur confiant la responsabilité de ces projets. Elles les alimentent en méthodologies, formations et conseils. Elles servent d’aiguillon pour permettre à l’innovation de perfuser dans l’ensemble des organisations.
Dernier grand point sur l’organisation de l’innovation : les consultants en innovation ! Comme les entreprises sont un peu déboussolées, elles font souvent appel à des conseils en innovation, souvent des sociétés de conseil en innovation de taille moyenne voire de grande taille. Elles importent des méthodes de gestation d’innovations. On fait du Lean Startup/Project/Management, de l’Agile, du Métaplan (pour les réunions), du Triz, de l’Océan Bleu, et tout le toutim. Il existe même des logiciels de travail collaboratif pour mettre en place certaines de ces méthodes de travail.
Mais au même titre que l’adoption de SalesForce n’améliore pas le plan marketing d’une entreprise, ces méthodes sont surtout adaptées à la création d’innovations incrémentales, celles qui ne changent pas la donne ni ne génèrent de migration de valeur. Dans le meilleur des cas, quand les consultants sont très bons, ils sont rarement écoutés, ou alors trop tard. Par contre, les consultants peuvent aider à décrypter le monde extérieur de l’entreprise. C’est là que les cadres sont souvent en retard, pris qu’ils sont par l’opérationnel et par les réunions et enjeux internes qui consomment la majorité de leur temps.
Mettre l’innovation dans des cases et des workflows figés m’a toujours un peu semblé être à côté de la plaque. En effet, rares sont les disrupteurs qui ont utilisé ces méthodes et encore moins respecté les règles du moment. On devrait plutôt plancher sur la compréhension des règles du moment et du moyen de les faire voler en éclat par des disruptions. L’intuition clé des innovateurs est de comprendre avant les autres comment le monde change et où sont les opportunités. Pas de se contenter de suivre la meute et les modes du moment. Le timing est critique, comme l’indique ce très bon teaser du livre “How Google works” d’Eric Schmidt. L’entreprise innovante doit apprendre à être créative et rapidement.
L’exemple de Google et de ses nombreux paris fous (“moon shots” dans la santé, la robotique, la fibre, etc) ne peut pour autant pas être suivi par toutes les entreprises. Il s’explique aussi par l’énorme rentabilité de Google : 20% de résultat net, après avoir investi 15% de son CA en recherche et développement. Ce résultat a pu atteindre 29% du CA par le passé et s’est vu rogner pour permettre notamment d’augmenter les investissements et les acquisitions sans pour autant amputer la valorisation boursière de la société.
Quand on ne dispose pas de cette santé financière et d’une très belle croissance qui la soutient, il faut faire des choix ! Le risque sinon est de faire trop de choses et à moitié alors qu’il vaut mieux faire peu de choses et bien. Le bien n’est pas la perfection mais le “minimum viable product” sur un marché nouveau, là où la concurrence n’est pas encore clairement établie ou tout du moins, là où l’on peut encore faire une grosse différence.
Leçon de l’histoire : c’est la principale ! Il y a un “savoir être” de l’innovation ouverte. Il faut les bonnes personnes, la bonne communication, une entreprise véloce, un management impliqué et une forte capacité de remise en cause. La dimension temps est critique. L’implication des dirigeants incontournable. Vaste programme !
Secteur public et innovation ouverte
Jusqu’ici, les grandes entreprises évoquées faisaient parti du secteur privé. Mais le secteur public a aussi son mot à dire et souhaite souvent entrer dans le cercle de l’innovation ouverte. A plusieurs titres : comme client de startups, dans le lancement de projets structurants, comme source de financements et de services, comme législateur, et aussi dans la recherche et l’enseignement supérieur.
Petit tour d’horizon…
L’Etat propose aux startups une belle boite à outils de financements et de services avec Bpifrance (financement), Ubifrance et Coface (international) et l’INPI (propriété intellectuelle). Ils se modernisent chacun à leur rythme : Bpifrance est le grand intégrateur des financements publics des startups depuis sa création en 2013. Il est maintenant capable de suivre une startup de son amorçage jusqu’à son développement international, couvrant des “tickets” d’investissement de très bon calibre (plus de 10m€ en abondement de financements privés). Après les avoir plus ou moins ignorées, Ubifrance s’intéresse maintenant sérieusement aux startups, comme en témoigne notamment leur accompagnement de celles qui vont au CES de Las Vegas depuis 2014 (+ le NAB, South by Southwest, etc). Leurs dernières Rencontres Internationales de la Frenchtech illustraient bien cet engagement. Coface et l’INPI participent maintenant au processus du “Pass FrenchTech” qui vise à accompagner les startups les plus prometteuses et sous la coupe des pôles de compétitivité. Un accompagnement qui n’est plus synonyme de programmes de recherche collaborative.
Dans l’enseignement supérieur et la recherche, les startups sont aussi de plus en plus considérées. Une bonne partie des grandes écoles d’ingénieur du secteur public ont une filière entrepreneuriale ainsi qu’un incubateur. Elles ont rarement à rougir de ce que font les grandes écoles de commerce qui dépendent des organismes consulaires de type Chambre de Commerce. Les universités sont un peu à la traîne mais font des progrès. Les grands organismes de recherche ont tous des branches de valorisation (CEA, INSERM, INRA, INRIA, …). Le CEA a incubé plus de 170 startups depuis 1972. L’INRIA en a généré une quarantaine depuis 2005. L’Etat a fait plein de choses pour faciliter la transformation des chercheurs en entrepreneurs, tout du moins du point de vue statutaire.
L’Etat pousse l’innovation collaborative depuis des années, avec plus ou moins de bonheur quand cela relève des startups. Les pôles de compétitivité associent Etat, régions, laboratoires et de recherche et entreprises de toutes tailles. Ils cofinancent des projets collaboratifs dont nous avons vu dans le précédent article que la startup devait les aborder avec prudence. L’Etat, via la DGCIS redevenue DGE (Direction Générale des Entreprises à Bercy) finance des appels à projets sectoriels divers du même acabit.
C’est comme cliente que la puissance publique a de gros efforts à faire. Elle est actuellement plombée par une capacité d’investissement limitée du fait de restrictions budgétaires et de l’énorme dette et charge de la dette qui pèse dans les budgets. L’Etat et les collectivités locales sont clients de quelques startups, mais pas assez. On évoque fréquemment le marronnier d’un Small Business Act à la française – sans trop savoir ce que le SBA américain contient… – pour favoriser l’appel à des startups et PME innovantes dans la commande publique. Histoire comme aux USA, d’en forcer une certaine proportion.
Mais sans avoir besoin de lois ni de la bienveillance de Bruxelles, il y a quelques avancées qui peuvent être lancées localement : tout d’abord, revoir et simplifier le code des marchés publics pour faciliter le lancement de “proof of concepts” et autres expérimentations. Puis, améliorer les délais de paiement qui sont les pires dans le secteur public et notamment dans les hôpitaux.
Les grandes villes ont un rôle à jouer comme accélératrices d’innovations, par leurs investissements dans les incubateurs mais aussi dans l’équipement et l’urbanisme. On observera de près l’initiative d’Anne Hidalgo qui vise à rénover 23 quartiers en faisant appel aux innovateurs de tout poil. Le projet de la Tour Triangle de la Porte de Versailles est aussi emblématique de la manière dont une ville peut se moderniser et au passage entraîner dans son sillon tout un tas de201 startups. Il a été annoncé récemment mais avait été conçu dès 2006 par le cabinet Herzog et Demeuron pour le compte d’Unibail-Rodamco qui gère la concession du Parc des Expositions de la Porte de Versaille. La crise financière de 2008, entre autres choses, a plombé le projet pendant de longues années !
Autre domaine où la puissance publique joue un rôle dans l’innovation ouverte, le champ étendu de l’open data. L’Etalab qui dépend du Secrétariat Générale de la Modernisation de l’Action Publique (tout un programme…) fait de l’évangélisation interne permanente dans l’Etat pour ouvrir les données et permettre notamment leur exploitation par des startups. L’une des propositions qui revient souvent est l’ouverture des données de Pôle Emploi. On attend toujours.
Côté fiscalité et réglementations, il y en a quelques-unes qui bloquent l’innovation et la vie des startups. On en est au stade où il faudrait se demander non pas quelles lois il faudrait créer pour faciliter leur développement mais quelles lois et règlements revoir ou supprimer. Nombre de secteurs d’activités sont bloqués par l’environnement législatif et réglementaire : les médias, les transports, les professions réglementées, la santé, etc. Quand on observe le CSA empêcher LCI de devenir gratuite, face à BFM-TV et iTele, on peut s’interroger sur le fonctionnement du marché français qui préfère décider en amont de qui a le droit de jouer plutôt que de laisser les meilleurs gagner et les moins bons disparaître ! Il en va de même du principe de précaution dont l’intégration dans notre Constitution est discutable et surtout symboliquement castrateur, même si, dans la pratique, il n’empêche pas d’innover dans le numérique.
Leçon de l’histoire : la puissance publique a fait de grands progrès ces dernières années pour aider les startups dans leurs développements ! L’Etat commence à comprendre les facteurs non liés à la R&D des processus d’innovation. L’Etalab lancé en 2011 est une bonne démonstration d’un engagement vers l’ouverture. Le plus gros du travail reste à faire pour transformer la puissance publique en bon client pour les startups.
Le Rapport sur la Transformation Numérique de l’Economie Française
La semaine dernière, Philippe Lemoine remettait son rapport sur la “Transformation Numérique de l’Economie Française” à Axelle Lemaire et Marylise Lebranchu. Ce n’est ni le premier ni le dernier des rapports sur l’innovation en France. On a eu droit en 2013 et 2014 au Rapport France 2030 d’Anne Lauvergeon qui égrenait sept priorités dans divers domaines (énergie, matières premières, santé, …) dont une sur le numérique avec le big data. Il succédait aux 34 projets de la Nouvelle France Industrielle lancés par Arnaud Montebourg, dont la moitié couvre les industries numériques. Sous Sarkozy, on avait notamment eu droit aux plans France Numérique 2012 (154 mesures) et 2020, lancés par Eric Besson, à l’époque en charge du numérique au gouvernement. Là aussi, avec une palanquée de mesures diverses, les plus importantes relevant du plan très haut débit.
Avec ses plus de 180 propositions, le Rapport Lemoine donne dans l’inflation de la complexité, il faut dire étayée par le rôle invasif du numérique dans tous les pans de la société et de l’économie. Sa présentation reflète bien cette complexité avec les plans, mesures et recommandations citées plusieurs fois dans le document, et de manière croisée.
On y retrouve une bonne partie des projets industriels des plans Lauvergeon et Montebourg en pièces détachées. L’analyse des bouleversements induits par le numérique (tome 2) est bien faite. La plupart des propositions sont censées mais leur assemblage à la Prévert semble trop relever de la compilation du feedback des 500 personnes rencontrées dans le cadre de la préparation de ce rapport. Quand les personnes rencontrées appartiennent à la technostructure étatique, on obtient des propositions de technostructure étatique. Et elles étaient plutôt majoritaires dans le panel rencontré !
Quand ce sont des startups, les propositions relèvent un peu trop directement de leur activité. Ainsi, la recommandation R38 sur le covoiturage fait-elle écho à une demi-douzaine de citations de Blablacar dans le rapport et à la participation de son CEO (Frédéric Mazzella) et de sa DirCom (Laure Wagner) aux auditions. La part belle faite au “personnal cloud” semble être le résultat d’une rencontre avec les fondateurs de la startup CozyCloud, longuement évoquée page 76. D’ailleurs, le plugin Photo-Folders qui équipe ce blog et est actuellement en bêta privée, c’est aussi du personal cloud puisqu’il permet de s’affranchir des sites de partage de photos centralisés de type Flickr… mais il n’est pas dans le Rapport Lemoine.
Le rapport préconise le lancement de neuf grands projets d’intégration numérique avec notamment :
- Une automobile connectée, à concevoir dans un FabLab, mode oblige, mais sans évocation de la révolution à venir de la conduite automatique qui fait certes partie des 34 plans “Montebourg”. Quand on y regarde de près, la proposition ressemble à la création d’un service de type Waze, Allo quoi… !
- Du paiement anonyme et sécurisé, basé sur la technique des blockchains qui alimente les Bitcoins. Mais sans qu’il soit recommandé d’adopter les bitcoins, loin s’en faut et prudence oblige.
- Un suivi des maladies chroniques, un grand sujet où le numérique a effectivement un rôle à jouer dans la prévision et le traitement dans la durée de certaines maladies.
- Un pass transport universel, qui serait fort utile pour simplifier la vie.
- Une librairie du futur qui imprime les livres à la demande, dont on peut se demander si elle relève véritablement de l’avenir de cette industrie.
- Des réseaux d’innovation territoriale dans les services de proximité, qui témoignent d’une volonté politique de faire des “choses en régions”.
- Et, chose curieuse à cet état de priorité, un outil pour favoriser la mobilité dans la fonction publique. Bien oui, le rapport a été remis à Marylise Lebranchu, en charge de la fonction publique dans le gouvernement !
Le rationnel du choix de ces neufs projets ? Pas évident de comprendre au-delà d’identifier ceux des corps constitués qui ont le mieux su défendre leur domaine.
Cette liste de projets, mesures et recommandations a en tout cas le mérite de rappeler en creux que l’innovation planifiée relève du passé des années 1970. Le rapport évoque – ironiquement ? – le côté avant-gardiste de la Loi Informatique et Libertés de 1978… dont Philippe Lemoine était l’un des co-auteurs !
Dans le tas, on trouve un paquet de propositions intéressantes sur le e-tourisme, qui a fort besoin de se e-transformer, sur l’éducation (plus de parité dans les filières numériques !), sur l’ouverture des données, sur l’innovation ouverte, sur les relations grandes entreprises et startups, et tout un tas de sujets hétéroclites.
Dans le bêtisier, on trouve le côté un peu gnangnan de la mesure M30 qui propose d’aller vers des services publics 100% numériques et “qui ne s’opposent pas à l’humain” ou de la M17 qui propose d’accroître les compétences numériques des analystes financiers travaillant sur l’évaluation des startups. La même proposition figurait dans le plan France Numérique 2020 de 2011 ! Quelqu’un a visiblement eu de la suite dans les idées sans toutefois qu’elles soient précisées plus avant que la première fois ! Encore une startup agacée d’avoir vu son projet retoqué par les VCs français ?
Quand à la mesurette M7 “Diffuser massivement les usages du numérique pour contribuer à la transformation de l’école”, on demande le mode d’emploi ! Quid en effet du pilotage de tous ces projets ? Ce n’est pas précisé du tout dans le rapport qui est souvent plus philosophique qu’opérationnel. Et c’est bien là que se situe la différence entre le foireux et le possible, entre le truc bancal et l’espoir industriel pouvant déboucher sur l’international. Le rapport propose ainsi que l’on puisse prendre rendez-vous avec son médecin via les outils numériques. Cela fait au moins quinze ans que c’est techniquement possible, mais pratiquement non mis en oeuvre pour des raisons qui ne sont pas vraiment techniques !
On n’échappe d’ailleurs pas aux propositions de création d’Agences (pour la notation numérique des entreprises et pour l’expérience touristique numérique) et autres comités Théodule (observatoire du numérique). Ce rapport est aussi intriguant car il souligne l’aspect international de la transformation numérique à son début de manière fort bien documentée et fait ensuite des propositions de projets qui sont presque tous à connotation nationale. Restent la volonté d’influencer les instances internationales pour les questions de régulation pour véhiculer une autre forme de l’exception culturelle française et une vague ambition européenne, affirmée mais pas précisée.
Leçon de l’histoire : si la tentation y est grande de recréer des stratégies industrielles planifiées, le Rapport Lemoine se fait sérieusement l’avocat de l’innovation ouverte, c’est un bon point. La difficulté principale est d’accepter que les processus d’innovation, numériques ou pas, viennent du bas, des innovateurs, de la multitude, et pas du haut, par la planification et les projets multi-acteurs. Sauf pour ce qui concerne les infrastructures vitales telles que le très haut débit voire dans la sécurité et dans les missions de services publics (transports, santé, éducation).
Conclusion
Au terme de cette série d’articles, on peut aussi constater une forte convergence entre plusieurs tendances clés : celle de l’innovation ouverte, celle de la transformation numérique qui s’intègre à la plupart des processus d’innovations de produits et de services, celle de l’orientation client, qui permet de mieux les écouter pour innover et enfin, aussi, celle de l’ouverture sociale qui est son pendant vers les collaborateurs de l’entreprise. Tout se tient ! Avec une clé de voûte du dispositif, la capacité de l’entreprise à se transformer en plateforme comme vu dans le premier article.
Les startups aimeraient bien classer les entreprises selon leurs pratiques d’innovation ouverte. En effet, pourquoi ne pas inverser les classements et classer les classeurs habituels ? On a bien le “Pacte PME” du Comité Richelieu qui décerne des prix de la relation grandes entreprises – PME innovantes. Mais il ne récompense que les bons élèves ! Le Rapport Lemoine propose de son côté de créer comme nous l’avons vu une Agence de Notation Numérique des Grandes Entreprises qui intégrerait la notion d’innovation ouverte mais il est bien difficile de classifier des éléments purement qualitatifs.
Dans leurs relations avec les grandes entreprises, n’y allons pas par quatre chemin : ce que cherchent les startups en priorité, ce sont surtout de bons clients. Des clients qui peuvent générer de belles références (en b-to-b), ou un moyen de toucher des marchés de volume (en b-to-b-to-c). Des clients agiles avec des cycles d’achat et de prototypages courts et une forte capacité d’industrialisation et de déploiement.
L’innovation, c’est aussi cela : la capacité à partir d’un “truc qui peut marcher” et a été testé à petite échelle, de l’industrialiser à grande échelle, de faire de la qualité et de marketer et vendre la nouvelle solution. L’innovation, c’est aussi l’obsession de faire de la qualité tout le long du cycle de vie du nouveau produit et service et dans l’ensemble de ses dimensions (techniques, esthétiques, sécurité/fiabilité, etc). C’est un domaine où les grandes entreprises ont encore un beau savoir faire à valoriser.
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Passionnante et très (trop ?) complète série d’Olivier Ezratty sur l’open innovation ! http://t.co/xiJnzCTzxE
#MustRead RT @olivez: Dernière partie de ma série l’innovation ouverte des grands groupes sur la culture http://t.co/PgE3cX6DAk cc @bouppy
Innovation ouverte et style de management : article très intéressant d’ @olivez http://t.co/CGKxzsTV2i
Les nombreux visages de l’innovation : un dernier article lumineux de @oezraty sur le sujet http://t.co/kGdg9y23qb