Le 25 mars 2014, l’entrepreneur Tariq Krim a remis à Fleur Pellerin, alors Ministre Déléguée en charge de l’Innovation, des PME et du Numérique, son rapport : “Les développeurs, un atout pour la France”. Cela faisait suite à une mission que Fleur Pellerin lui avait confié pour identifier les talents de l’écosystème français du numérique.
En toute logique et par affinité personnelle, Tariq s’est focalisé sur les talents du développement logiciel. Il faut rappeler au passage que ce genre de travail pour l’Etat est réalisé bénévolement.
Après avoir fait un inventaire “en plein” des développeurs français qui ont marqué l’histoire du logiciel à l’échelle mondiale, Tariq Krim prodigue dans les 18 pages de son rapport six recommandations pour “valoriser les talents des développeurs français” :
- Prendre en compte le rôle essentiel des développeurs. C’est une recommandation plus qu’une mesure. Elle relève de la symbolique. On verra plus loin les formes qu’elle peut prendre d’un point de vue pratique.
- Compléter la feuille de route numérique du Gouvernement par une feuille de route technologique pour l’Etat, les ministères et les opérateurs publics. Un vaste programme qui dépasse de loin celui de la question des développeurs. Il recommande faire comme en Israël et de créer un poste de CTO de l’Etat. Et sans le dire, qui, si possible, ne soit pas occupé par un énarque…
- Promouvoir les développeurs dans l’administration. Bonne idée. Par une meilleure paye ? Il serait intéressant d’identifier la part des développeurs qui sont dans les administrations de ceux qui travaillent dans les sociétés de services du numérique, soit au forfait soit en régie.
- Adapter les conditions d’investissement pour soutenir les projets technologiques. Un sujet clé pour créer des champions du logiciel et de l’Internet qui englobe et transcende la question des développeurs. Je note que des progrès significatifs ont été faits côté financement public, avec le regroupement des outils d’investissement chez Bpifrance. Et les incitations aux investissements privés sont revenues “à la normale” dans la loi de finances 2014. La France est le second marché du capital risque en Europe, derrière le Royaume-Uni ! Et nombreuses sont maintenant les levées de fonds qui dépassent les 20 M€. On peut évidemment rêver de dépasser les 100 M€ mais cela ne peut passer que par des levées de fonds internationales.
- Améliorer les formations des développeurs. Une proposition un peu paradoxale après avoir rappelé l’excellence des développeurs français. C’est l’approche quantitative qui pêche, dans une situation actuelle de marché où il existe une pénurie de certains développeurs, notamment les jeunes formés aux technologies les plus récentes.
- Mettre en place un visa de travail pour les développeurs venant en France. Makes sense d’une manière générale pour attirer les talents de toute sorte du monde entier et faire de la France un pays-monde de l’innovation !
Ce rapport est probablement le premier du genre à se focaliser sur le métier de développeur. Il s’inscrit dans une logique de dynamisation de la compétitivité de nos industries numériques. Mais une fois la couverture média de sa publication passée et qui dure une journée, on oublie bien vite la question. Ce d’autant plus que le rapport n’a pas déclenché de véritable débat.
Je me propose ici de le relancer en complétant à la fois le diagnostic de la situation actuelle et le champ des propositions. Une fois n’est pas coutume, je vais en profiter pour commencer par vous raconter mon expérience personnelle qui est liée de près au sujet. Puis traiter du lien entre les développeurs et le marketing, de la symbolique déficiente en France sur le numérique et le développement puis de la mixité de genre qui doit être améliorée dans ce métier.
Ma vie de développeur
Je suis un développeur ! Je suis fier d’être (aussi) un développeur ! Et bien plus développeur que JFK n’était un berlinois 🙂 ! Et mon expérience reflète un certains nombre des difficultés que cette filière peut rencontrer en France.
J’ai attrapé le virus du développement logiciel lorsque j’étais élève-ingénieur à l’Ecole Centrale. Plus tardivement que certains de mes amis de lycée qui s’étaient lancés dans la programmation en assembleur ou Basic sur TRS80 ou Apple II à la fin des années 1970.
Mon premier logiciel fut un gestionnaire de liste de (mon) mariage créé en Turbo Pascal en 1984. En troisième année en option informatique, j’ai développé un outil qui simplifiait l’usage de l’outil de traitement de textes (DCF, tournant sur mainframe IBM). J’ai poursuivi son développement en stage de fin d’études au Centre Scientifique d’IBM à Paris. Mais le constructeur n’en a rien fait. Le logiciel a toutefois été utilisé par les élèves de l’école pendant plus d’une demi-douzaine d’années après mon départ de l’école.
Ma première expérience professionnelle fut celle de développeur. Elle a duré quatre ans et demi chez Sogitec, une filiale du groupe Dassault. J’y ai développé des outils dans un domaine qui me passionnait et me passionne toujours : les médias. Il s’agissait d’outils intégrés dans une chaine de production éditoriale comprenant des logiciels de photocomposition et des outils de restitution sur imprimante laser. J’ai lancé des développements d’outils graphiques sous Windows 1.0 puis 2.0, à l’âge de la pierre de la programmation événementielle, armé du bon vieux livre de référence de Charles Petzold que les anciens connaissent bien. Il n’y avait que ça et pas d’Internet pour se renseigner ! J’ai aussi exploré SGML, un ancêtre oublié de HTML et XML qui se sont développés bien après, à partir de 1995. A la fin de ce parcours, j’étais “responsable des études”. En gros, je pilotais la R&D de l’activité d’informatique éditoriale de cette société.
Je développais des logiciels en fonction de cahiers des charges provenant de l’interne et de quelques clients de la société (Camif, La Redoute, Particuliers à Particuliers). J’ai même lancé la création de produits logiciels dans ces domaines. J’ai été alors confronté à un manque flagrant d’approche produit et marketing de la société. Mon management était une partie du problème. J’étais l’autre partie. Le manque de compétences en marketing et en product management était partagé par toute l’organisation, du PDG à moi-même.
C’est la raison qui m’a poussé à sortir de ma zone de confort et à réaliser le pivot personnel qui m’a conduit à entrer chez Microsoft France en janvier 1990. Les startups ? Ce n’était pas du tout dans l’air du temps à l’époque.
Mon objectif : y faire l’apprentissage du marketing. Il me semblait que cette discipline était fondamentale pour compléter mon profil d’ingénieur développeur. Je suis finalement resté 15 ans chez Microsoft France, dont j’ai été notamment le Directeur Marketing et Communication entre 1998 et 2001. J’y ai appris le “field marketing” aussi appelé marketing “aval”, tout en touchant indirectement aux questions du “marketing amont”, celui qui vise à définir le marché et le produit. Ces derniers sujets étaient traités uniquement au siège de la société, près de Seattle aux USA.
J’ai toujours conservé la passion de développer des outils logiciels pour la vie pratique. Chez Microsoft, tout en ayant des responsabilités marketing et de management, je ne pouvais pas m’empêcher de développer, très souvent en perruque. En 15 ans, j’ai développé divers outils de productivité : un outil de reporting qui récupérait des fichiers de ventes sortis d’un mini-ordinateur Nixdorf (en C/C++, 1990), un logiciel de génération d’outils marketing hypertexte (avant l’arrivée du web, en Visual Basic, 1992), un système complet de gestion de séminaires et de génération de leads (en Access et SQL Server), un outil de gestion de workflow pour la coordination des business reviews de la filiale (en VBA, 1999). J’ai continué à faire cela alors que j’étais membre du comité de direction de Microsoft ce qui était pour le moins inhabituel.
J’y ai aussi lancé les divers programmes de relations avec les développeurs (en 1991, puis en 2001 avec la création d’une Division dédiée au sujet, qui existe encore). Cela m’a amené à participer au lancement chez l’éditeur des programmes destinés aux startups. Ils ont été ensuite mis en musique, après mon départ de Microsoft, par Julien Codorniou (maintenant Directeur EMEA des Partenariats chez Facebook), Lubomira Rochet (maintenant Chief Digital Officer chez L’Oréal après un passage chez Valtech), Blaise Vignon et enfin Roxanne Varza.
J’ai quitté Microsoft en 2005 parce que je souhaitais m’investir dans le domaine des médias, notamment dans la TV numérique, et que je souhaitais partager mon expérience avec les startups. Chez Microsoft, j’ai appris de près le fonctionnement des écosystèmes et de leur création. Même si la société souffre aujourd’hui dans la mobilité et l’Internet, elle a été pionnière dans la création d’écosystèmes de développeurs et de logiciels.
Tout en menant mes activités de consultant dans le secteur des médias, de conférencier, d’auteur (Guide des Startups, Rapport du CES), je continue à développer. Essentiellement pour mon blog sous WordPress et la création de plugins divers. C’est ainsi l’un des rares à avoir sa “visite guidée” tant ses fonctions logicielles sont multiples. Depuis quelques mois, je planche sur d’autres pistes toujours dans l’idée de renforcer les fonctions logicielles de mon blog. Je me rends compte à quel point le développement logiciel est une véritable drogue créatrice dont il est difficile de se passer une fois que l’on a plongé !
Je suis aussi photographe amateur très investi, notamment dans l’opération “Quelques Femmes du Numérique !” qui suit toujours son cours avec plus de 360 portraits réalisés. Développeur et photographe ! Deux rôles de slasheur, et les symboles de deux activités créatrices qui chacune sont en mal de reconnaissance.
Mon expérience personnelle ainsi contée vous permettra de comprendre le raisonnement qui suit…
Les développeurs et le marketing
La France manque surtout d’équipes capables de créer des produits. Il y a un lien de cause à effet entre l’incapacité chronique à créer des produits (logiciels, cloud, matériel) vendus en volume et le manque de valorisation des développeurs.
Car du logiciel, on en créé en pagaille en France. Les principales sociétés qui font du développement logiciel sont les sociétés de services. Elles font du sur mesure en fonction des attentes des clients. Elles ont banalisé le rôle de développeur qui est devenu l’exécutant de cahiers des charges créés par d’autres et pour d‘autres, ce qui est moins le cas des développeurs chez les éditeurs de logiciels et les sociétés de l’Internet.
La “viandisation” du développeur est un phénomène bien connu qui mériterait d’être décrit un peu plus dans le détail. Je ne mets pas en cause le métier de société de service pour autant, il en faut. Leur prédominance dans le paysage est la conséquence des faiblesses dans les autres secteurs : la création de produits, matériels comme logiciels.
Dans une société de service, un développeur est une sorte de commodité. Il est souvent jeune et corvéable. Il se forme (ou s’auto-forme) rapidement aux nouvelles technologies, parfois en inter-contrat. On l’assigne à des projets au gré des besoins. Le projet doit être réalisé en respectant une structure de coût souvent forfaitisée. De ce fait, le soucis de l’utilisateur et de la qualité sont encore plus relatifs que ce qui sort des éditeurs de logiciels qui sont confrontés à une logique de marché et à une concurrence qui placent la barre généralement plus haut de ce point de vue-là.
Dans les SSII, évoluer consiste à devenir chef de projet puis patron d’entité ou de business unit. Ce n’est pas une évolution dans une filière produit. Quelques rares SSII ont essayé de devenir aussi éditrices de logiciels dans les années 1980 et suivantes, très souvent d’ailleurs dans les outils de développement que l’on appelait à l’époque des AGL (Ateliers de Génie Logiciels). Mais elles ont abandonné la partie : le gap de compétences et de nature de métier étaient trop forts.
Chez un éditeur de logiciel ou une société Internet, les développeurs créent le moteur de la société sans laquelle elle ne peut fonctionner. Il est beaucoup plus critique. Son travail génère des économies d’échelle car ce qu’il développe est utilisé par de nombreux utilisateurs, ce qui est bien moins souvent le cas des développeurs des sociétés de service. Un développeur chez Google, Facebook, Apple ou Microsoft va changer la vie de centaines de millions d’utilisateur. En bien (usage, fonction, performance) ou moins bien (bugs, erreurs de conception, complexité). Pour créer des produits, il faut aussi d’autres compétences, notamment celles d’architectes logiciels (qui peut être aussi développeur) et CTO. Ce sont des voies d’évolution naturelles pour les développeurs qui passent ainsi du stade de “maçon” à “architecte”.
Le problème de nos développeurs et de nos ingénieurs en général est de manquer de compétences … marketing. Soit eux-mêmes, soit autour d’eux. Les sociétés de service ont proliféré par phénomène de vase communiquant. Comme le pays a du mal à créer des “produits”, il fait du service et du sur-mesure, poussé par des grands clients qui ont mis beaucoup de temps à comprendre l’intérêt d’acheter du logiciel “off the shelf”.
Faute d’un nombre suffisant d’acteurs locaux créant des produits, les compétences business se sont tournées vers les filiales de boites étrangères. Si vous cherchez un peu, c’est là que vous en trouverez le plus. Mais elles sont concentrées dans l’aval du marketing, pas dans l’amont, le vrai marketing produit qui contribue à la définition de la stratégie produit de la société.
Paradoxalement donc, pour revaloriser le métier de développeur, il faudrait aussi développer les talents de business developers et de marketing qui s’intéressent au logiciel. Il faudrait aussi encourager la création de parcours scolaires pluridisciplinaires associant technologies, marketing, design, droit, et aussi sur différents marchés verticaux. C’est en revalorisant la dimension du business auprès des ingénieurs que l’on améliore leur capacité à se vendre et à créer des produits qui se vendent. C’est la démarche entreprise par un grand nombre d’écoles d’ingénieurs avec leurs filières entrepreneuriales et avec de nombreux partenariats établis avec des écoles de commerce et aussi de design. Ces dernières années, l’écosystème entrepreneurial s’est largement développé pour combler ces lacunes, notamment avec les accélérateurs et de nombreuses formes de mentoring.
L’autre discipline à mieux traiter chez les développeurs est le “product management”. C’est l’art de créer des produits, de factoriser les besoins des utilisateurs, de relier technologie et marketing, de segmenter son marché potentiel, de gérer une roadmap, un packaging et des priorités. Elle est encore jeune et pas enseignée en temps que telle. Y compris aux USA d’ailleurs, même si on en trouve des bouts dans l’approche “Lean Startup”. La transmission des bonnes pratiques reste à faire dans cette discipline.
Le trompe l’œil de l’open source
En France, la vague de l’open source n’a pas été si bénéfique que cela au métier de développeur. Je m’explique : elle a plutôt promut les métiers de service plus que ceux de l’édition de logiciels. Combien d’éditeurs de logiciels “pure players” avons-nous dans l’open source en France ? Combien d’emplois représentent-ils ? Pas grand chose ! Et pour cause, les sociétés d’édition de logiciels libres ont les mêmes défauts que les autres, à savoir des lacunes dans le marketing et aussi dans le financement pour leur développement. Dans la pratique, les développeurs open source ont encore moins d’affinité avec le marketing que les autres ! C’est presque péché !
Seules les éditeurs qui ont pu se projeter à l’étranger et surtout aux USA ont véritablement réussi : JBOSS (racheté par Red Hat), Talend et Bonitasoft. Les autres végètent et restent des PME très modestes. D’autres comme Open Trust ou Anevia ont plutôt délaissé l’aspect open source de leur offre logicielle.
Il subsiste en fait une forme de naïveté économique et marketing au sujet de l’open source. Le cas le plus édifiant est celui de VLC, encore un truc de centraliens, désolé ! C’est l’un des logiciels français les plus utilisés au monde, avec plus d’un milliard de téléchargements. Mais il n’a pas créé de richesse directe, sauf dans le cas, très indirect d’Anevia dont les fondateurs sont issus de l’équipe créatrice de VLC il y a plus de dix ans. Toute seule, la philosophie open source ne suffit pas à créer de la richesse. Elle doit être accompagnée du reste : une offre produit consistante et bien différentiée, un modèle de monétisation scalable, même s’il passe par le service, la constitution d’un écosystème et un développement international rapide.
Nous avons été baladés par les sirènes d’IBM qui annonçait fièrement en 2000 investir $1B dans l’open source et Linux. Une annonce très mal interprétée. A cette époque, IBM avait fait sa mue en société de services en commençant à délaisser son activité principale de constructeur. L’arrivée de Linux et des systèmes ouverts était une aubaine marketing pour vendre du service d’intégration autour de ces plateformes. C’était aussi un moyen de “commoditiser” par le bas les plateformes concurrentes, surtout celles de Microsoft. Ce que les gens n’ont pas compris, c’était que cette stratégie servait le business matériel et services d’IBM.
Dans le même temps, IBM persévérait dans son activité d’édition de logiciels propriétaires “classiques” avec WebSphere, DB2, Tivoli, Rational et autres Lotus Notes. La majorité de ces logiciels sont propriétaires même si certaines de leurs briques sont parfois open source et qu’ils tournent sur Linux. Aujourd’hui encore, un petit tour par les comptes d’IBM montre ce qu’il en est : le logiciel représentait en 2013 26% du CA d’IBM et le service 57%. Mais il générait 47% de la marge brute d’IBM alors que le service en représente 42%. En clair, le logiciel packagé et propriétaire est encore aujourd’hui la première source de profitabilité d’IBM, même si sa vente est surement facilitée par l’activité service ! Ca fait réfléchir !
Il en va de même pour toutes les plateformes SaaS de ce bas monde, notamment chez Sales Force. Dans le SaaS, tous les chats sont gris et le logiciel est de-facto propriétaire car planqué derrière des serveurs. Ce n’est pas le fait qu’il soit propriétaire qui compte, mais le fait qu’il soit vendu comme un “produit”, même si le revenu est récurrent et mensualisé.
Force est de constater que l’open source n’a pas été la panacée pour développer l’industrie française du logiciel, même s’il l’a servi indirectement. Et donc, il n’a pas pu valoriser le métier de développeur pour les raisons évoquées précédemment. C’est très contre-intuitif et prêtera évidemment à discussion. Bref, open source ou pas, il faut créer des p-r-o-d-u-i-t-s et des plateformes extensibles pour mieux valoriser le métier de développeur ! L’approche collaborative et ouverte de l’open source est évidemment très bonne. Mais elle doit se faire en intelligence avec la création de modèles économiques scalables.
Quand je tombe sur une startup qui m’indique qu’elle va mettre son logiciel en open source, je creuse : est-ce que le logiciel est véritablement conçu pour bénéficier de contributions externes, est-ce qu’une communauté s’est déjà constituée autour, comment sera gérée la propriété intellectuelle des différentes composantes du logiciel et quel sera le modèle de monétisation du logiciel ? A chaque fois, dans l’idée qu’il faut que l’open source serve à la fois les objectifs marketing et business de la société mais ne soit pas là juste pour faire joli ou sympa. Je m’étais posé la question pour WyPlay qui édite un middleware de set-top-box, Frog, mis en open source. Celui-ci peut intégrer les contributions des clients de l’éditeur. Le logiciel est bien vendu dans un modèle “scalable” et pas juste sous forme de service. La société fait plus de 100 personnes. L’équilibre est plutôt bon. Quand au contraire je tombe sur une équipe qui considère que le marketing est un mal nécessaire, je me dis qu’elle a du chemin à parcourir pour réussir !
La symbolique
Le Rapport de Tariq Krim met l’accent sur le fait que le métier de développeur n’est pas valorisé, qu’il n’est que c’est une voie sans issue si l’on ne veut pas devenir manager. L’ingénieure et développeuse Sylvie Clément témoigne ainsi dans “Le développeur, créatif sous-estimé et expert bafoué” de son choix difficile à faire accepter de rester experte technique dans sa société de service. Elle a finalement choisi de devenir développeuse freelance au lieu d’y prendre un rôle de manager.
La question dépasse de loin celle des développeurs mais couvre celle des ingénieurs en général. La plupart d’entre eux (et elles) aspirent à devenir managers, voire entrepreneurs et à sortir de ce ghetto des techos ! Cette situation n’est pas spécifique à la France. On la retrouve dans plein de pays occidentaux.
Quelques pays se distinguent du lot : les pays asiatiques valorisent mieux leurs ingénieurs. D’ailleurs, la majorité des membres du gouvernement chinois sont des ingénieurs ou des scientifiques ! Le président chinois qui était à Paris la semaine dernière est un ingénieur chimiste ! Dans d’autres pays modernes, les gouvernants savent s’entourer de scientifiques. En Israël, le gouvernement comprend un véritable CTO. Le président Obama est entouré d’un conseil scientifique. L’ancien maire de New York Michael Bloomberg avait annoncé vouloir apprendre la programmation en 2012, dans la CodeAcademy. Je n’ai pas entendu beaucoup de politiques français faire la même annonce. Il est vrai que Bloomberg est avant tout un entrepreneur, plus qu’un politique.
Nous avons le principe de précaution et une population très méfiante sur tout, et notamment sur les sciences et les technologies. Les dernières fois que nous avons eu des Ministres en charge de la Recherche avec une formation scientifique (Allègre, Haigneré), cela s’est mal passé car ils manquaient de sens politique. Les autres ? Une licence d’histoire (Hamon), une littéraire (Fioraso), un SciencePo/ENA (Wauquiez), une énarque/HEC (Pécresse) et un curieux hybride (Goulard, Centrale + Science Po + ENA).
Et puis, il n’y a toujours pas de PC dans le bureau du chef de l’Etat. Ce, depuis 2007 ! Chirac en avait un… pour regarder les compétitions de Sumo sur Internet. Obama, lui, a un Mac dans son bureau et même sur Air Force One (ci-dessous, lors du trajet Washington – Andrews Air Force Base vers Charlottesville en Virginie pour la visite de la maison de Jefferson à Monticello, avec François Hollande, en février 2014) ! Alors, parler de développeurs ? Quand on a un Président qui considère que le numérique est surtout une affaire de jeunes, et dont les principales lectures sont la presse écrite et les notes de deux pages maximum de son cabinet, on voit le boulot qu’il reste à faire ! Le numérique, ce n’est pas qu’une affaire de jeunes mais de posture dans un monde plus ouvert !
En France, les ingénieurs ont été d’abord organisés en caste avec en chapeau les grands corps de l’Etat issus de l’Ecole Polytechnique et de ses écoles d’application. Mais celles-ci ont perdu du pouvoir avec la montée des énarques et la privatisation progressive des entreprises publiques à forte dose technologique (transports, énergie, télécoms, industrie). La politique étant au passage devenu un métier à temps plein, on n’a dans nos gouvernements récents ni ingénieurs, ni scientifiques, ni entrepreneurs. Les écoles d’ingénieurs sont classées en groupes A, B et C selon leur prestige. Les écoles de développeurs sont dans le groupe C ! Quand on ne considère pas que développeur est plutôt un métier de “technicien” !
Les initiatives
Quelles sont les initiatives visant à valoriser les développeurs ? Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, les développeurs se prennent en main.
Ils s’organisent en associations, souvent autour des principales briques de l’open source, ils organisent des événements associés tels que Blend à Lyon, Devoxx ou l’Open World Forum à Paris.
Il existe aussi un Concours du Meilleur Dev de France, organisé pour la seconde fois en mai 2014 qui rassemblera 1000 développeurs à Paris.
Il s’est même créé une association “Fier d’être développeur” créée par Daniel Cohen-Zardi, un autre ancien de Microsoft et de sa Division Développeurs. Microsoft organise d’ailleurs le plus grand événement développeur en France avec ses TechDays qui en rassemblent plusieurs milliers (ci-dessous, un bout de la salle des sessions plénières du Palais des Congrès de la Porte Maillot à Paris). Mais, oops, le patron de la filiale française de Microsoft n’y était même pas présent ni intervenant. Alors que c’est le plus grand événement que Microsoft France organise pendant l’année avec plus de 15000 participants. Même chez eux, il y a un truc qui ne colle pas !
D’autres initiatives ont vu le jour, telles que la création de l’école 42 par Xavier Niel et d’anciens de l’EPITECH. Supinfo, l’EPITA et l’EPITECH sont des écoles privées qui forment énormément de développeurs, même si les deux premières forment aussi des ingénieurs qui cherchent à sortir rapidement du statut de développeur.
Les développeurs ne sont pas non plus tous dans l’Internet. Il y en a des dizaines de milliers qui travaillent dans les systèmes embarqués et dans un tas d’industries et particulier dans les transports (aérospatial, TGV, automobile, équipementiers), dans l’énergie et les utilities (eau, gaz, électricité, nucléaire, énergies renouvelables, power grids), dans les médias (TV connectée, jeux vidéo, …), dans la santé, dans la robotique et aussi dans les objets connectés en tout genre (dont les logiciels sont souvent des applications mobiles).
Et l’Etat dans tout cela ? Contrairement à Tariq Krim, je n’en attends pas grand chose pour revaloriser les développeurs. Il ne peut le faire que très indirectement, comme en valorisant les filières de startups qui créent des produits logiciels.
Un métier trop masculin
Se pose aussi la question de la féminisation de ce métier. Développeur est un métier masculin à plus de 95% en France et pas que chez nous. Cela contribue aussi à sa marginalisation et à son image à part. Féminiser ce métier est un enjeu clé pour le valoriser et le décloisonner.
C’est ce à quoi je contribue au travers de l’opération “Quelques Femmes du Numérique !”. Lancée il y a deux ans avec Marie-Anne Magnac, elle m’a donné l’occasion de rencontrer une très grande diversité de femmes exerçant tous les métiers imaginables dans le numérique, dont celui de développeuse. Avec quelques cas contre-intuitifs qui valent le détour et peuvent servir de “role models” ! Il n’y a certes pas encore de catégorie “développeuse” dans QFDN, mais elles y sont un peu partout : entrepreneuses, dans l’enseignement et dans les entreprises.
Commençons par la famille Sauquet (ci-dessus). Trois filles dont deux entrepreneuses, la troisième étant au développement de contenus et services innovants chez Solocal (Julie). L’une est littéraire (Sarah) et l’autre est de formation business (Justine). Elles ont lancé chacune une startup mais ne développent pas ! Qui développe donc leur logiciel ? La mère ! Dominique est en effet Centralienne, enseignante dans le développement logiciel à l’école et entrepreneuse dans le développement.
Autres exemples, les femmes que j’ai récemment rencontrées à Simplon .co à Montreuil. Simplon.co est une sorte d’école de développeurs associative. Alix Heuer, Audrey Sovignet, Aurite Kouts et Lavanya Mouhamadouvahap sont toutes quatre entrepreneuses et développeuses. Elles ont une formation non-scientifique à la base (les deux premières sont issues de Science Po !). Elles se sont mises sur le tard et à Simplon.co au développement logiciel. Et plus particulièrement à Ruby on Rails (langage de développement côté serveurs web) ! J’adore cette symbolique qui inverse celle des ingénieurs qui quittent la technique !
Nous avons aussi Alejandra Estanislao qui développe des outils d’optimisation de la recherche chez Google à Paris et Clémence Bartoux, étudiante à l’EPITECH et co-Fondatrice et Présidente de l’association E-mma qui promeut la mixité dans cette école (où il y a fort à faire avec moins de 5% de femmes dans l’effectif !).
On peut aussi citer, issues de QFDN, le cas de Marion Felix, jeune ingénieure Polytech Montpellier et développeuse chez Stéria, Amira Lakhal, ingénieure de l’ENSSAT Lannion, consultante et développeuse chez Valtech et aussi membre active du club Duchess France qui se bat pour mettre en avant les femmes développeuses, Audrey Neveu, développeuse Java chez Sfeir et formée initialement aux Arts Appliqués, qui s’investi aussi dans la formation au développement logiciel des enfants avec l’initiative Programmatoo. Dans le même registre, Claude Terosier (ingénieure Télécom Paristech) a cofondé Magic Makers pour apprendre aux enfants à créer leurs propres jeux par la programmation. Un sujet important : intégrer la programmation dans la pédagogie expérimentale (au titre des “travaux pratiques”) dans l’enseignement aussi tôt que possible. Difficile d’en faire comprendre l’intérêt rue de Grenelle !
Il y a aussi Christelle Faure, CTO d’Anevia, une startup spécialisée dans les serveurs de streaming vidéo (INT Evry), Natacha Huguet Millot (CTO et DG de Curioos, formée à Supinfo après un IUT) et Marie Kuntz qui a créé sa société de développement logiciel, Le Lézard Rouge, à Nantes. Et cette liste n’est pas complète !
Toutes ces femmes et la diversité de leur parcours montrent qu’il est possible d’être femme et développeuse, qu’il n’y a pas de contre-indication ! Elles sont passionnées par leur métier et apprécient notamment sa composante créative qui est l’une des plus élevées dans les différents métiers du numérique. Et oui les filles, c’est cool d’être développeuse !
La cross-fertilisation des filières
Faire réussir l’industrie du logiciel et les développeurs nécessite de les décloisonner. Il a le cloisonnement des genres tout juste évoqué. Mais aussi celui des métiers. Faire réussir les développeurs, c’est aussi mieux les intégrer avec les autres disciplines qui permettent de créer des produits : le design industriel, la conception graphique, l’ergonomie, le droit, le marketing. Eux-mêmes doivent s’imprégner de ces différentes cultures. Encore tout un programme ! Toutes les initiatives qui rapprochent les établissements d’enseignement supérieur les uns des autres vont dans le bon sens. Idem dans les différents forums et outils de l’écosystème des startups.
A la clé, un bénéfice évident : en valorisant cette filière, nous aurons plus de facilités à créer les produits matériels et immatériels du 21ième siècle et à améliorer la compétitivité économique de la France. A bons entendeurs !
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Je ne pense pas que la France manque de bons développeurs sur un plan macro économique mais il y a une pénurie spécifiquement dans les start ups.
La plupart des jeunes développeurs ayant fait une école d’ingénieurs en France préfèreront la sécurité d’une grosse société de services informatiques à la fragile start up même si les projets sont moins intéressants. C’est un fait culturel qui sera long à changer.
En attendant de faire évoluer les mentalités, pour faciliter la transformation du talent de ces femmes et ces hommes en progiciels, on pourrait imaginer la mise en place de programmes start up dans ces SSII où ces dernières mettraient à la disposition de start ups leurs meilleurs développeurs entre deux contrats grands comptes, moyennant un mixte d’un prix de journée allégé et d’une rémunération variable à définir basée sur la propriété intellectuelle créée…
L’Etat pourrait via la BPI offrir une assurance paiement à ces SSII si nécessaire.
Oui pas mal de diplômés d’écoles d’ingénieurs vont dans les SSII (mais sans vraiment savoir que se sont eux les produits à vendre !) et les autres absorbés par tous les sociétés sur logiciel de plus de 100 salariés.
Pourquoi ?: oui la sécurité de l’emploi et l’idée d’ajouter une ligne intéressante sur son CV
Pourquoi la sécurité ?: car le droit du travail en France est tellement pourri qu’il est préférable de faire le dos rond dans une grosse boite en attendant d’être licencié et partir avec un gros chèque que de développer son talent en travaillant dans des plus petites structures ET aussi car la fiscalité des petites structures ne permet pas (ou presque jamais) de rémunérer le risque via des options pas trop taxées.
Bonnes chances car cela n’est pas prêt de changer…
La France offre les BSPCE qui sont plus avantageux que les stockoptions (impot uniquement a la revente !).
Mais encore faudrait-il qu’on sorte du capitalisme à la grand papa et que les startups donnent suffisamment de bspce a leur dev.
Enormément de startup n’en donnent pas, et parmi celle qui en donnent, c’est généralement très peu.
(Donc difficile ensuite de générer des cercles vertueux où les anciens salariés deviennent entrepreneurs sans besoin de seed, des BA ou montent un fond de VC)
Probablement mais qui prendrait le risque de donner des BSPCE quand les lois peuvent changer tous les 2 ans en moyenne histoire de piquer de plus en plus d’argent sur le travail pour le transformer en moyen de se faire réélire par “faire du social” ?
Rien que maintenant l’impot à la revente est passé de 35 aux fameux 75% si la valeur de la revente nette a dépassé les 1M€ hollandiens…
Pas glop disais Pif le chien.
Nous somme une jeune structure (pas sur de tenir une 2nd année).
Pourtant meme si nous partons la fleur au fusil les BSPCE sont l’une des 1er chose qui ont été faite. Tout comme les stantup meeting inter-métier, tout les matins.
Les dev doivent co-créer des entreprises ou leur valeur sont représenté,
si vous n’etes pas comptent de votre boite posé vous un temps la question de pourquoi vous y etes rentré
et quittez là.
Très bel article, tu m’as ému. Moi aussi je suis tombé amoureux du code jeune, mais contrairement à toi, à un moment, j’ai abdiqué…
Tres juste! RT @olivez Comment valoriser les développeurs ? http://t.co/tJVIBm2Dyc
Savez-vous si il existe un site web spécifique aux offres d’emploie des startup?
Rémi developpeur dans ses génes
Je n’en connais pas qui soient spécialisés. A noter le site http://www.myfrenchstartup.com/ comprend une base de plus de 2000 startups.
Astuce : identifier les startups qui viennent d’annoncer une levée de fonds (dans le Journal du Net ou ailleurs). Elles ont alors les moyens de recruter. Et donc, elles sont pressées de trouver de bons profils.
Au demeurant, il n’est pas difficile de trouver un poste de développeur dans les startups. Surtout si jeune, bien formé, pétillant et motivé…
On parle de nous ! “”Comment valoriser les développeurs ?” de @olivez sur http://t.co/7ANWWjmzZ6
Comment valoriser les développeurs? Rapport de Tariq Krim à Fleur Pellerin http://t.co/n1QeyMnNgs promis il ne restera pas feuille morte…
Comment valoriser les développeurs en France, merci pour ce bon compte rendu à #oezratty ? http://t.co/47LxHMxzhK
Hello
Very interesting article about developers.
I have one request for all entrepreneurs.
Please follow this link and please answer to this survey about the interns recruitment. We need your professional advice to give you the best service.
https://docs.google.com/forms/d/1JK3tkRNrVsIveFJnoDIMsSYVTAeylQWD5Ffcz1mjJC4/viewform
We thank you for your time.
Aformac team (France)
A lire absolument : état de l’art du métier de développeur en France aujourd’hui. http://t.co/VPdXjdmHDv
Poke @Audrey_Neveu @MiraLak et @Programatoo cités ici => http://t.co/yLDWuLPZS5
Très bon article, à lire … http://t.co/blXYWPhLM3 @programatoo #uneautrevision
Cela me fait plaisir, merci.
Dans mon expérience personnelle (DSI bancaire de 2MM CA IT annuel et SSII cotée au CAC) les DSI au mieux ignore, au pire méprise les développeurs. Le développement en interne est interdit. Les SSII encouragent le sur mesure externalisé. La profondeur du cycle en V s’accroit et la qualité du “produit” final en pâtit. Je perçois un début d’évolution positive. A suivre.
Enfin de la réflexion intelligente sur les développeurs : @olivez “Comment valoriser les développeurs ?” http://t.co/ppnkdjV3bf cc @trabix
Sur la dichotomie developpeur/marketing il y a cette phrase de Steve Jobs de 1994 qui illustre bien le propos d’Olivier.
« Et le problème, c’est que la psychologie des gens qui développent ces choses ne leur permettra pas d’enfiler un costume et de sauter dans un avion pour aller vendre leur produit chez Federal Express. Pour parvenir à des changements révolutionnaires, il faut combiner la perspicacité technique et le sens des affaires et du marketing — et une culture qui peut faire coïncider d’une manière ou d’une autre la raison pour laquelle vous avez développé votre produit et la raison pour laquelle les gens voudront l’acheter. »
source http://www.macg.co/aapl/2010/02/steve-jobs-en-1994-76560
Merci pour ce bon article.