Le thème de cette Université d’Eté qui avait lieu comme d’habitude sur le campus d’HEC à Jouy-en-Josas des 29 au 31 août 2012. C’est la cinquième ou sixième fois que je participe avec ma couverture de bloggeur et photographe à ce rendez-vous de rentrée quelque peu mondain.
Comme l’année dernière, le thème de l’Université était un passe-partout philosophique : “Intégrer”. Avec une notion mise à toutes les sauces permettant de rassembler autour de tables rondes des personnalités de tous horizons : ministres et anciens ministres, chefs d’entreprises, syndicalistes, universitaires, scientifiques, journalistes, hommes (et femmes) de foi, d’armes et de culture. En quelques jours, on fait un bon tour d’horizon de ces fameuses élites tant décriées. On découvre des personnalités originales mais pas très connues. On en croise d’autres, très connues. On attend avec avidité les quelques “TED moments” qui émaillent les tables rondes, souvent un peu longues. Il n’y en avait pas énormément cette année. Par contre, pas mal de signaux faibles ou moins faibles émergent des débats et de leur organisation.
Un nouveau gouvernement miel-acide avec les patrons
Même si les rencontres entre syndicats et gouvernements n’attendent pas ces Universités, cette édition marquait un tournant clé pour le MEDEF : pour la première fois depuis 2001, il avait affaire à un gouvernement socialiste. En théorie, les gouvernements de droite qui se succédèrent entre 2002 et 2012 étaient plus réceptifs aux attentes du patronat. Dans les faits, le MEDEF se rappelait toujours à leur bon souvenir sur les diverses lois qui grèvent la compétitivité des entreprises : des 35 heures aux charges sociales en tout genre. Avec un gouvernement socialiste, il faut être à la fois plus lourd et plus malin pour faire passer ses messages.
Comme chaque année, il y avait donc un chapelet de ministres et d’anciens ministres. Avec une inversion des rôles :
D’un côté, un gouvernement très bien représenté avec son Premier Ministre Jean-Marc Ayrault qui gratifiait l’audience d’un long discours fleuve, un peu comme sa déclaration de politique générale à l’Assemblée Nationale (ci-dessous, expliquant le fonctionnement du Boson de Higgs…). Surtout pour dire qu’il n’est pas bizarre qu’il soit là, en réponse aux diatribes de Jean-Luc Mélenchon, qu’il comprend bien l’enjeu des entreprises et prône la concertation. Mais voilà, en passant sous silence les mesures qui pourraient gêner les entreprises. Et en ayant du mal à expliquer les Emplois d’Avenir “majoritairement situés dans la sphère non marchande”. J’ai presque senti une surprise sur ce point lorsqu’il lisait le texte de son discours. D’où des applaudissements de circonstance, mais dans une ambiance d’incompréhension. Le MEDEF ne souriait pas du tout contrairement aux interprétations de certains.
J’ai l’habitude d’évaluer le talent et le charisme d’un ministre en exercice par le pourcentage de temps passé à ne pas lire son discours. Ici, c’était à peu près 0%. Un “bon” fait 5% à 20%. Un “très bon” retient tout par cœur et ne lit pas son discours : De Gaulle souvent, Mitterrand parfois et aussi… DSK qui était très impressionnant de ce point de vue là. Sarkozy et Fillon ? 2 à 5% d’impro, pas plus en général, et selon le sujet.
Le gouvernement était malgré tout présent en nombre avec un Bercy au complet (Pierre Moscovici, Jérôme Cahuzac, Arnaud Montebourg, Fleur Pellerin et Nicole Bricq) et aussi Michel Sapin (Affaires Sociales), Delphine Batho (Ecologie), Najat Vallaud-Belkacem (Porte Parole, Droits de la Femme) et Geneviève Fioraso (Enseignement Supérieur). Le tout était complété de Michel Rocard, situé dans une autre planète politique avec son rôle d’ambassadeur de France pour les pôles.
Parmi tous ces ministres se dégageait Arnaud Montebourg qui avançait en terrain miné (avec des mines posées par lui-même…). Dans sa table ronde au titre bien choisi de “L’entrepreneur face aux dérives de l’exception française” qui était en plein et en creux sur le sujet, il devait résister à la fois aux coups de boutoir de Nathalie Kosciusko-Morizet et à ceux de l’ineffable Pierre Bellon de Sodexo (vidéo). Le gars qui prend la parole, ne la rend pas et assène son message en faisant fi des règles qu’essaye de lui imposer le journaliste modérateur du débat. En substance : les patrons en ont marre de se voir donner des leçons par le gouvernement. Et de s’attirer évidemment les faveurs de l’audience. Et on se rappelle d’une grande loi du genre : ceux qui osent dirent tout haut ce que d’autres pensent tout bas n’ont pas de chefs. Ils sont les chefs de leur organisation !
Côté anciens ministres de droite, il y avait Alain Juppé, Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot (qui s’ennuyait bien dans sa table ronde “Heureux comme Dieu en France”), Nathalie Kosciusko-Morizet (se battant contre Arnaud Montebourg), Anne-Marie Idrac et Jean-François Copé. Moins nombreux que les membres du gouvernement mais plus nombreux que les membres du PS venant à ces Universités les années précédentes.
Intégrer les jeunes entrepreneurs et le numérique
En matière d’intégration, il y en avait une que l’on pouvait remarquer : celle d’entrepreneurs jeunes et du numérique dans les débats, y compris en séances plénières. Cela dénotait avec la moyenne d’âge assez élevée des participants aux tables rondes où on est encore très jeune à 35 ans. Et cela changeait par rapport aux patrons du CAC 40 et notamment pour les abonnés que sont Christophe de Margerie (Total) et Michel Pébereau (BNP-Parisbas) qui sont régulièrement mis à toutes les sauces – mais sont heureusement de bons intervenants déployant force pédagogie.
Pour commencer, nous avions Jérémie Berrebi (Kima Ventures) installé à deux places d’Alain Juppé dans une table ronde de plénière sur le thème “Fil rouge et lignes jaunes” (vidéo). Il racontait comment il avait plongé dans l’entrepreneuriat très très jeune et comment il avait tout fait à contre-courant des conventions, y compris dans la stratégie d’investissement qu’il mène dans le fonds Kima financé par Xavier Niel, le fondateur de Free. Une belle intervention tout cash et tout sourire.
Et puis… Gilles Babinet (serial-entrepreneur avec sa dernière société, Captain Dash, et aussi ambassadeur du numérique auprès de la Commission Européenne), dans une table ronde sur “Trop ou pas assez de secret” (pas de vidéo disponible) où il a notamment âprement débattu avec Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL.
Jean-Christophe Capelli intervenait aussi en plénière, sur “L’entrepreneur face aux dérives de l’exception française” qui était malheureusement pour lui dominée par la passe d’armes entre Arnaud Montebourg et Pierre Bellon et pimentée par l’intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet. Jean-Christophe en a tout de même profité pour défendre comme il se doit la cause du crowdfunding, le cœur de métier de sa société FriendsClear, et militer pour des dispositions législatives le rendant plus largement applicable.
Côté numérique, il y avait aussi Marylène Delbourg-Delphis, qui avait cofondé 4D il y a bien longtemps, et s’est établie depuis plus de 20 ans dans la Silicon Valley. Elle intervenait dans la table ronde “Figures de l’exil” où l’on discutait de toutes formes d’exils… sauf de l’exil fiscal. Marylène est aussi connue pour avoir traduit en français les ouvrages de Guy Kawasaki. Je l’avais croisé à San Francisco dans mon voyage de 2007.
Comme d’habitude se tenait aussi l’Espace Business Innovation, une tente avec des stands de startups comme Elteg, Sculpteo et Withings, complétée d’une série de conférences traitant pour la plupart du numérique. Et puis la remise des trophées de l’Observatoire de la relation grandes entreprises/PME innovantes de l’IE-Club. Enfin, Frenchweb présentait un documentaire réalisé par Bertrand Lenotre à San Francisco, Séoul et Paris sur les tendances du numérique – surtout mobile et vidéo – dans lequel j’interviens en conclusion.
Il y a sinon toujours environ une centaine de bloggeurs invités à ces Universités. Je me demande combien écrivent vraiment sur cet événement mais c’est toujours un plaisir de les rencontrer : Fanny, Claire, Marie, Charles, Pierre, Eric, Georges et tant d’autres.
Dimension internationale
Comme chaque année, le MEDEF souhaite attirer des personnalités d’autres pays, ne serait-ce que pour influencer le corps politique sur les bonnes pratiques que l’on peut y trouver en matière de politique économique et sociale. Cette année, les messages de circonstance étaient bien là :
- Avec Gerhard Schröder, un socialiste qui a compris ce qu’il fallait faire pour améliorer la compétitivité de son pays, avec une conclusion de sa part : mieux vaut réformer son pays que de se maintenir au pouvoir. Ou tout du moins, il faut accepter de prendre le risque de le perdre en lançant les réformes nécessaires. A bons entendeurs, de droite comme de gauche !
- Emma Bonino, Vice-Présidente du Sénat Italien qui milite clairement pour une Europe fédérale, un sujet rarement évoqué explicitement en France. Pour elle, la diversité est notre force mais le fédéralisme est plus que nécessaire. En Inde, on parle 37 langues et le Premier Ministre ne parle pas toutes ces 37 langues. Mais ils se comprennent (l’anglais est d’ailleurs parfois une langue pivot). Mais les français sont un peu spéciaux côté les langues. Les Italiens sont obligés de comprendre toutes les langues pour être écoutés ! Très bon pitch ! Elle intervenait comme le précédent et le suivant dans la plénière de clôture “L’Union fait la force” (vidéo).
- Romano Prodi, moins flamboyant que Emma Bonino, et qui se démarque (mal) en dénonçant les ravages de la révolution informatique qui a fait disparaitre les secrétaires. On est bien avancés !
- Frederik de Klerk, le prix Nobel de la paix qui a sorti l’Afrique du Sud de l’Apartheid il y a plus de 20 ans (vidéo). Un pays où l’intégration reste une affaire de tous les jours.
- Jimmy Whales de Wikipedia avec un discours équivalent à son intervention au eG8 de mai 2011 et qui présente les fondamentaux de Wikipedia. Et fait notamment remarquer que le site ne coute qu’un cent par mois et par utilisateur, ce qui est ce qui se fait de mieux dans les grands sites du web.
- Il y avait aussi Randa Kassis, une représentante du Conseil National Syrien. Et plein d’autres intervenants de divers pays. Mais cette fois-ci, pas d’américains ni d’asiatiques.
Sciences sans confiance, ruine de l’âme ?
Comme le public, j’ai bien apprécié cette intervention de l’astronome André Brahic réclamant que l’on fasse plus confiance à la science et que l’on aille de l’avant dans la plénière “La conquête de l’aire” (video). Cela a donné lieu à une réponse acerbe de Nicolas Hulot qui dénonçait la lenteur des réactions politiques sur le réchauffement climatique et les illusions de ceux qui attendent tout et trop de la science.
De son côté, l’incontournable Michel Pébereau réclamait lui aussi cette confiance dans la science et s’étonnait que nombre de personnes croient aux théories du complot comme celle qui voudrait que Neil Armstrong n’aie jamais posé le pied sur la Lune. C’était dans la plénière “Trop ou pas assez d’autorité” (vidéo).
Ambiance de crise
Cette année, l’ambiance semblait morose malgré le beau temps qui sévissait, tout du moins le premier jour de ces universités. Cela commençait avec un signe : la tente des sessions plénières était deux fois plus petite que les années précédentes. Résultat : pas assez de place et pas mal de gens debout sur les côtés de la salle.
Cela se retrouvait dans les débats. Combien de fois la “crise” n’a-t-elle pas été citée ! Ce n’est pas nouveau. Mais le cumul de la crise et de l’alternance politique créent cette atmosphère d’incertitude pesante.
Le mandat de Laurence Parisot sera remis en jeu en 2013. Lorsqu’elle quittera le MEDEF, se lancera probablement en politique. D’où ce message qui ne trompe pas : elle a ainsi rappelé que Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Europe, était aussi un entrepreneur (même si cette activité n’a pas correspondu à une longue période de sa vie) !
L’éléphant dans la salle
Dans de nombreux débats pesaient les incertitudes portant sur la fiscalité des entreprises et aussi sur celle des investissements. A de nombreuses reprises, les membres du gouvernement on été interpelés au sujet du Crédit Impôt Recherche et sur la disposition TEPA-ISF qui permettait de réduire son ISF en investissant dans des PME.
C’était notamment le cas dans la session sur les robots avec Fleur Pellerin, Ministre Délégué (auprès d’Arnaud Montebourg) sur les PME, l’innovation et le numérique. Au point d’en oublier les robots !
Fleur Pellerin a indiqué comme d’autres que le CIR serait maintenu, voire renforcé pour les PME. Pour ce qui est de TEPA-ISF, cela relève “d’arbitrages difficiles” en période de disette budgétaire. En gros, cela indique qu’une mauvaise décision pourrait être prise et qu’il est difficile de l’assumer entièrement.
Pour la petit histoire, la baisse des exonérations ISF TPE avait déjà démarré avec les lois de finance 2011 et 2012. Elles pourraient subir un nouveau coup de rabot. Ce d’autant plus que la contribution exceptionnelle qui sera dûe par certains redevables de l’ISF d’ici novembre ne permettra pas de bénéficier de cette réduction d’ISF.
Quelles en sont les conséquences ? En gros, une baisse significative des investissements des business angels, qui avaient connu une croissance très forte depuis la loi TEPA-ISF applicable à partir de 2008. Il est certes préférable d’avoir des business angels qui investissent pour des raisons non fiscales dans sa société. Mais bon, cet afflux de business angels a créé un bon appel d’air pour les startups en phase d’amorçage. Comme dans le même temps, l’Etat va créer et probablement financer avec plus de moyens la Banque Publique d’Investissement, cela va mécaniquement basculer la gestion du financement public de l’innovation du privé vers le public. Que ce soit avec Oséo, la BPI ou ISF-TEPA, il s’agit en effet toujours des deniers publics. A deux nuances près : dans le cas TEPA-ISF, l’Etat co-finance un investissement dans les startups et PME avec les particuliers et ne se mêle pas de la sélection des projets. Dans l’autre cas, il finance et gère à la fois. Tout en exigeant des entrepreneurs qu’ils trouvent des financements privés pour abonder les financements publics, pour l’essentiel des prêts et avances remboursables. Cette histoire est une affaire de vases communicants ! Mais le fonctionnement du grand emprunt a montré qu’une trop grande “nationalisation” (et même régionalisation) des investissements d’origine publique alourdissait quelque peu le processus pour les entrepreneurs.
Les éléphants dans la salle étaient aussi ceux qui relèvent de l’exception française pour la vie des entreprises et notamment ce qui touche au droit du travail. D’où l’énervement, habituel de Pierre Bellon face à Arnaud Montebourg. Et la remarque de Franz-Olivier Giesbert sur les 35 heures que personne n’a le courage de supprimer dans la classe politique, droite comprise. Et aussi Jean-Dominique Senard de Michelin, qui prônait plus de flexibilité dans la vie des entreprises. Le tout étant équilibré par un stoïque Christophe Margerie (Total) qui déclarait qu’il fallait d’abord respecter le gouvernement, élu au suffrage universel, le juger sur ses actes et râler ensuite si besoin est.
Dissidence et justice
Il pourra sembler étonnant pour certains de voir le MEDEF encourager autant les dissidences. C’était le cas au travers du choix de nombreux intervenants, tels que le très décrié Bernard Henri-Lévy (vidéo) et aussi des thèmes abordés dans les débats. Le patronat, perçu comme le temple du conservatisme, peut-il incarner tout ce qui sort des clous ? Ce n’est pas nouveau car cette thématique était aussi souvent présente dans les autres Universités d’Eté du MEDEF, mais là, un peu plus. C’est peut-être lié au contexte politique.
Etaient sinon émouvants, l’avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti (ci-dessus, avec Jérémie Berrebi) qui rappelait qu’il n’y a eu que sept procès en révision depuis la fin de la guerre, symbole d’une justice “vieille dame” qui se croit infaillible. Et qui recommande d’imposer une expertise psychiatrique en entrée et en sortie de la magistrature. Tout comme Pierre Botton qui faisait part de son combat pour réduire les souffrances de la vie carcérale. Oui, le Pierre Botton qui a fait deux ans de prison à cause de malversations autour de la Mairie de Lyon au début des années 1990.
Epilogue
Notez que ce petit compte-rendu est très partiel. Il est impossible de suivre tous les débats et seuls ceux qui sont en plénière sont webcastés. Et de revenir sur les interventions souvent de très bon niveau des hommes de culture, de foi et autres militaires. Sans compter la lumineuse Diane Ducret (30 ans), connue pour ses ouvrages sur les compagnes de dictateurs ou l’hommage de Laurence Parisot à feu Patrick Ricard en présence des collaborateurs de sa société éponyme.
Comme d’habitude, j’en ai profité pour faire une moisson de photos de VIPs. Vous en trouverez le résultat dans les galeries de ce blog.
Pour prendre un peu de recul, voici aussi les épisodes précédents : MEDEF 2011 (Village et Planète – Objectif B20), MEDEF 2010 (L’étrangeté du monde), MEDEF 2009 (Les Temps Nouveau) et MEDEF 2008 (Voir en grand).
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Université d’été du MEDEF dans l’opposition http://t.co/imgMRvNx #innovation
Jolie galerie de portraits… connus ou amis… sur Darqroom !
(deux mini-coquilles pour prouver que j’ai lu ton compte-rendu : D.Batho est à l’Ecologie, etc… et De Klerk se prénomme Frederik… )
Hello Frédéric,
Corrigé…
Merci !
Chez O Ezratty: Université d’été du MEDEF dans l’opposition http://t.co/yotifFe8
Merci beaucoup pour ce compte-rendu intéressant et détaillé comme il faut.
“les ravages de la révolution informatique”. Il fallait oser! Cela en dit long sur la moyenne d’age de l’audience si il n’y a pas eu de réactions…
L’expression est de moi, mais elle résume bien son propos !