Je commence donc cette longue série d’articles sur les français de la TV connectée avec Joshfire. Ne cherchez pas un jugement de valeur sur ce choix, il faut bien commencer par une société et l’ordre d’apparition ne suivra pas forcément une logique particulière autre que pratique : en fonction des informations dont je dispose, de l’actualité et des rencontres. Je vais toutefois m’attarder en premier sur les sociétés qui vendent de la technologie et pas seulement de la prestation.
Joshfire a été créée en 2010 et rassemble déjà 17 personnes. L’ambition de la société est d’apporter une solution ouverte et standard de développement logiciel d’applications dédiées aux terminaux d’aujourd’hui et de demain : les TV connectés, les “seconds écrans” (tablettes, smartphones, etc) et toutes sortes d’objets connectés à venir, avec ou sans écrans.
Les deux créateurs de Joshfire sont Michel Levy-Provencal et Sylvain Zimmer (ci-dessous).
Le premier est issu du service (Cap Gemini, Antium Finance), a été l’un des cofondateurs de Rue89 et en charge des activités Internet de France 24 jusqu’à début 2011. Le second est le cofondateur de Jamendo, une startup de publication de musique libre de droits. Ils sont aussi tous les deux les pilotes d’éditions de TEDx à Paris, la dernière édition étant TEDx Concorde en janvier 2012 (mes photos ici), la prochaine ayant lieu à l’Olympia le 6 octobre 2012.
Joshfire a entre autres dans son capital le fonds d’amorçage Kima Ventures de Xavier Niel, faberNovel, Jacques-Antoine Granjon (vente-privée), Arnaud Dassier (entrepreneur Internet entré en politique) et Rafi Haladjian (l’un des papes des objets connectés, créateur de Violet / Nabaztag).
Joshfire s’inscrit dans la vision de l’Ubimedia de l’américain Adam Greenfield selon laquelle toutes les surfaces vont se transformer en écran, les objets en agents intelligents et les contenus et services disponibles sur chacun d’entre eux.
La société compte se développer sur trois modèles d’activités complémentaires les uns des autres :
- Editeur de la Joshfire Factory, un outillage logiciel en ligne mettant en œuvre le framework open source Joshfire Framework pour la création d’applications facilement déployables sur toutes sortes de terminaux : TV connectées, tablettes, smartphones, outils disposant d’un navigateur web et objets communicants. En français, la traduction de framework serait “cadriciel”. Vous ne m’en voudrez pas de ne pas l’utiliser !
- Concepteur de produits connectés innovants commercialisés sous licence. Ils en conçoivent le design et l’interface utilisateur.
- Prestation de service d‘intégration et de réalisation de solutions sur mesure s’appuyant sur ses propres outils logiciels et matériels. Avec comme premiers clients : France Télévision, Canal+, Radio France, France24, l’AFP, le Crédit Agricole et SFR.
Voyons cela dans le détail…
Joshfire Framework et Joshfire Factory
Le problème ? Le développement d’applications pour les différents écrans numériques est devenu un cauchemar pour les éditeurs d’applications. Il faut réaliser des développements couteux pour chaque plateforme, ce qui fait certes les choux gras des sociétés de service, mais créé une pression sur les budgets, ce d’autant plus que la fragmentation extrême du marché ne s’accompagne pas forcément d’usages en volume. Les constructeurs de TV courent après les éditeurs et vont jusqu’à financer les développements d’applications dans certains cas pour alimenter leur portail d’applications propriétaires de leurs TV connectées. Il existe certes des solutions logicielles permettant de créer des applications de contenus portables. Mais elles sont souvent initialement construites pour les petits écrans des mobiles, très “templatisées” avec un choix limité d’interfaces et de fonctionnalités. Nous en sommes un peu comme aux débuts du web dans les années 1990 avec les variantes entre navigateurs, ActiveX et Java, qui existent toujours, mais qui ont été éclipsées par les variantes de formats d’applications natives (iOS, Android, etc).
La réponse ? Le Joshfire Framework, un ensemble de briques logicielles permettant le développement d’applications multi-écrans. Il s’appuie sur les principaux standards du web : HTML 5, JavaScript et CSS3. Le framework permet de décrire l’application et de lister ses contenus vidéo et audio. Cette description générique d’application est ensuite reliée à une brique d’affichage spécifique à chaque écran et qui gère la cinématique applicative.
L’ensemble est largement construit autour de projets open source : PhoneGap (pour la description d’applications, devenu Apache Cordova), Sencha (framework JavaScript multi-écrans) et Appcelerator (framework permettant de développer des applications mobiles natives).
Les écrans supportés sont ou seront les smart TV de Toshiba, Samsung, LG Electronics, Philips mais aussi Google TV, Boxee, Roku et probablement à terme les box des FAI français (ils ambitionnent d’y intégrer leur framework d‘objets connectés), les OS Mobiles (Android, iOS) en natif ou via le web mobile selon les cas et toutes les autres plateformes disposant d’un navigateur web. JoshFire travaille aussi avec Sen.se, la société de Rafi Haladjan, ainsi qu’avec XBee (orienté objets, basse distance, radio) et les systèmes embarqués de Raspberry PI et Digi.
La Joshfire Factory est une solution logicielle en SaaS qui met en musique les briques logicielles du JoshFire Framework. Lancée le 9 mai 2012 à Paris (par Michel Levy-Provençal) et à New York (par Sylvain Zimmer), elle fonctionne sur un processus de création d’applications en cinq étapes :
- Le choix d’un template dans un magasin qui en contient pour l’instant une quinzaine. Cela rappelle le modèle des plug-ins et des templates de WordPress avec une majorité qui sont pour l’instant gratuits et quelques-uns qui de payants, à moins de 100€. Ces modèles proviennent pour l’instant de Joshfire. Il y en a dans le domaine classique, pour la consolidation d’information, d’autres plus spécialisés pour réaliser des quiz ou la présentation d’informations géolocalisées. La marketplace indique les écrans qui sont supportés par chacun d’entre eux (TV, smartphone, tablette, objets connectés) sachant que la mise en page est présentée différemment selon la taille de ces écrans. Pour l’instant, seuls trois templates fonctionnent sur les écrans mobiles, desktop et TV. La création de templates sera ouverte aux développeurs tiers. Ils reposent sur le format interne des applications du Joshfire Framework qui est ouvert et à base de l’API JSON. Joshfire ambitionne de faire standardiser les déclaratifs de sources de données de son Framework par le W3C. Cependant, la Factory est agnostique pour ce qui es des frameworks JavaScript utilisés et certains templates n’utilisent pas du tout le framework de Joshfire. Toute application web HTML5 peut être facilement importée en tant que template dans la Factory pour ensuite utiliser les briques suivantes (sources de données, add-ins).
- Le choix de sources de données qui sont intégrables dans l’application. Ce sont des sources de données externes pour l’instant, intégrables facilement en lecture dans son application. Avec au menu une vingtaine de choix possible : des flux RSS via Google News, Tumblr ou WordPress, NewsML (format de diffusion d’informations multimédia), suivi de hashtags Twitter, Facebook, de la vidéo via YouTube, Vimeo, Ooyala (vidéo) et Brightcove, des photos via Flckr et Instagram, de la musique via SoundCloud et Jamendo, Magento (commerce en ligne), QTILite (création de questionnaires). Un choix qui s’étendra au gré du temps et des modes ! Le tout permettant d’assembler une sorte d’application mash-up de réseaux sociaux liés à l’activité de l’entreprise cliente.
- Le choix de modules additionnels avec des fonctions spécifiques aux appareils ciblés, pour l’instant sur Google TV. Avec par exemple : JS console (pour déboguer son application mobile à distance), AdMob (publicité sur mobiles), SmartAdServer (régie publicitaire), CSS (template de mise en page de l’HTML), AddCode (bibliothèque de widgets), Google Analytics (analyse de trafic), ShareKit (fonction de partage de contenus sur les réseaux sociaux pour les applications iOS), JSON (format structuré d’échange de données entre clients et serveurs web) et son propre code HTML.
- La génération de l’application. Les plateformes cibles pour l’instant supportées sont les produits d’Apple tournant sous iOS (en mode compilé ou en application au format de l’outil de développement Apple XCode), Android pour tablettes et smartphones, les navigateurs web Chrome, Safari, Internet Explorer et Firefox, les TV connectées Samsung et sous Google TV (viendront ensuite celles de LG Electronics et Philips) et les objets tournant sur processeur à noyau ARM équipés d’un système d’exploitation Linux/Chromium (alimentés avec une distribution Linux au format ISO).
Parmi ces objets, il y a les cartes mères de Raspberry Pi, qui utilisent un System on Chip d’origine Broadcom supportant la vidéo Full HD H264 et sont dotée d’un lecteur de carte mémoire SD. Le tout pour moins de 30€, ce qui laisse entrevoir des possibilités créatives très intéressantes !
On paramètre l’application (nom, numéro de version, description) et ensuite, on la génère soit sous forme de site web (web fixe et mobile, y compris pour TV) soit sous forme d’application native (sachant que Windows et MacOS seront à terme aussi supportés). Dans pas mal de cas, la génération de l’application n’est pas directement possible sur la Factory et il faut passer par les équipes pour y parvenir (cas des TV connectées par exemple, cf la liste dans une image à droite ci-dessous). La Factory n’intègre pour l’instant pas de système à la Testflight qui permet de déployer son application en bêta test à l’échelle de quelques centaines de personnes. Mais ils peuvent être mis en œuvre séparément.
- Le déploiement est la dernière étape. Pour les applications web, il est proposé chez Gandi et Amazon S3. Pour les applications à diffuser via les magasins d’applications, il faut le faire soi-même car ces magasins ne sont pas encore ouverts avec des APIs pour les solutions tierces-parties.
Quelles sont les références de JoshFire avec sa Factory ? Elle n’est à vrai dire pour l’instant qu’utilisée en interne, les clients en tirant parti jusqu’à présent sans le savoir. Ils ont ainsi produit des applications pour l’équipe Adrenaline (vente de produits pour sports extrêmes), pour l’AFP World News (avec géolocalisation des news sur une carte du monde, visiblement pas encore disponible dans l’AppStore), pour le Crédit Agricole (pour l’agence du futur sur tables interactives et tablettes), pour France 24 (application pour Google TV… pour l’étranger), pour France Télévision (application pour leur Journal Télévisé), une application pour la campagne de François Hollande (tablette et desktop, qui tournait sur WordPress) et enfin un quiz pour Libération. Mais 2600 applications ont été réalisées par des utilisateurs “grand public” à ce jour avec la Factory dont un millier pendant sa bêta privée.
Quid du modèle économique ? Les fonctions de base sont gratuites et les applications peuvent être déployées pour 4€ par mois chez eux. C’est le prix d’un hébergement mutualisé classique comme OVH ou 1&1. Après, le modèle devient payant avec les composantes payantes de la market place de la Factory, avec une “Factory Pro” pour les agences et entreprises. Le tout avec une composante service qui, au moins au départ, sera non négligeable.
A noter que la société fait déjà environ 500 K€ de chiffre d’affaire et est profitable, mais dans son activité de service que l’on pourrait qualifier de traditionnelle.
Le générateur d’application multi-plateformes est-il une éternelle utopie informatique ?
C’est bien la question qui se pose après avoir fait ce tour de la Joshfire Factory et de son Framework associé. Est-il raisonnable de penser que l’on va pouvoir traiter l’extrême fragmentation des plateformes de nos écrans connectés avec un générateur d’applications ? Le web était déjà fragmenté mais les applications natives mobiles et TV ont augmenté cette fragmentation et le cauchemar des développeurs (cf les enjeux de l’appstorisation de l’internet). Je me souviens des déboires de certains grands comptes avec le NSDK de Nat Systèmes il y a vingt ans. Mais ce NSDK existe toujours malgré tout et s’est adapté aux évolutions technologiques, passant du client serveur au web.
Quelques autres outils de génération d’applications multi-écrans existent ou sont en gestation. On pense par exemple à Cashew de Kawet, issu du Camping. A l’échelle internationale, Joshfire fait face à Sencha, un framework open source pour tablettes et mobiles basé sur HTML 5 et donc générant des applications web mobile et non natives. La société a levé $29m, notamment chez Sequoia Capital. Il y a aussi Appcelerator, un framework open source mobile et tablettes qui lui permet de générer des applications natives et qui est en fait utilisé dans le Framework Joshfire. La startup créée en 2006 a levé $49m ! Ces deux produits servent au développement à bas niveau et ne sont pas habillés par une solution du style de la JoshFire Factory. Et une majorité de ces outils génèrent du code uniquement sur mobiles et s’appuient sur des templates non modifiables. Leur portée est donc limitée. Mais les montants levés par les concurrents américains sont toujours intimidants face à une startup française ! A l’envers, la société anglaise TVAppAgency utilise sa TVAppEngine pour développer une seule fois les applications qui sont ensuite automatiquement déployées sur les Smart TV de différentes marques. Mais pas de mobiles ni de tablettes en apparence au programme !
Les générateurs d’applications sont habituellement questionnés sur leur pérennité, leur ouverture, sur les standards utilisés, sur le format de stockage de l’application et sur la qualité du support natif des plateformes cibles. Quand on cible des plateformes aussi différentes que les mobiles, les tablettes et les TV, le défi est encore plus grand. L’équipe de JoshFire répond à ces objections en mettant en avant les éléments open source et standards web de sa solution, ce qui se tient.
Sans l’avouer, la société est aussi quelque peu protégée comme ses acolytes par l’aspect relativement rudimentaire des interfaces utilisateurs des applications multi-écrans. Quant aux standards du web, on les retrouve aussi bien dans le “mobile web” que dans HbbTV et certaines plateformes applicatives de TV connectées, comme celles de l’alliance Sharp/LG/Phlips.
L’enjeu pour une société telle que JoshFire est en fait de créer rapidement un solide écosystème d’outils tiers, et notamment de templates et add-in, ce à l’échelle internationale. Leur base de départ est déjà intéressante mais demandera à rapidement s’étoffer pour les premiers. Il leur faut générer du volume et du revenu de vente de briques de la factory via ses éléments payants pour pouvoir financer ses améliorations dont le cout va augmenter avec le nombre de plateforme supportées.
Produits connectés innovants
Ce second volet de l’activité de Joshfire est un peu hors du sujet de cette série d’articles. Joshfire s’est surtout fait connaitre pour son miroir interactif développé initialement pour Radio France et qui est maintenant devenu un produit à part entière avec son propre site web. Mais cela reste un marché de niche.
La société a aussi réalisé divers prototypes : un canapé qui détecte la présence du téléspectateur pour lancer la TV grâce à une puce RFID qui est liée au smartphone de l’utilisateur (co-développé avec MySkreen) ainsi qu’un shaker connecté à une tablette qui propose des recettes de cocktails et utilise une connexion à une balance pour doser les ingrédients. Ils travaillent notamment sur la base de composants électroniques open source d’Arduino qui sont aussi intégrés dans Android@Home, la plateforme de domotique de Google annoncée lors du dernier Google I/O.
Voilà pour ce tour d’horizon assez dense de notre première société française de la série de mes articles sur la TV connectée.
Ce n’est qu’un début !
Plus qu’une soixantaine à faire… .
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Très bon article
“Les français de la TV connectée : Joshfire” http://t.co/FvNU8Mzo vient de sortir sur “Opinions Libres”
@olivez
“Joshfire a été créée en 2010 et rassemble déjà 17 personnes (…)fait déjà environ 500 K€ de chiffre d’affaire et est profitable”
Olivier, peux-tu nous en dire plus sur les autres leviers économiques qui soutiennent la profitabilité (on s’attendrait plutôt à 1,5 M€ de CA)?
– CIR ?
– Subventions / appels à projets ?
– Assedic pour les dirigeants 😉 …?
Et une idée de la répartition du capital (combien il reste aux dirigeants après leurs tours de tables en seed)…
C’est toujours intéressant de voir comment se lancent et se financent les start-ups technos dans notre bon vieux pays.
Bien amicalement,
Bernard
Comme c’est le cas de beaucoup de startups, il doit bien y avoir une combinaison de CIR/JEI, de stagiaires et de fondateurs qui se payent peu ou pas. Sachant que s’ils sont aujourd’hui 17, ils devaient être la moitié il y a un an. Donc, il ne faut éviter de faire un calcul de revenu “idéal” en multipliant l’effectif actuel par un hypothétique revenu par collaborateur (100K€ par exemple).
Sachant que malgré touts ces éléments, plein de startups sont tout de même déficitaires. Il est vrai aussi que lorsque l’on démarre avec une forte activité de service, on peut plus facilement être rentable rapidement.
Enfin j’ai compris ce qu’est un #framework! Merci et Big RT “Les français de la TV connectée : Joshfire” de @olivez sur http://t.co/PdIk9aM9
“Les français de la TV connectée : Joshfire” de @olivez sur http://t.co/GSsWXzpi @joshfire @kimaventures
Les français de la TV connectée : Joshfire à découvrir d’urgence ! via @olivez http://t.co/6VJlAXoS #digital #innovation
Dans le même univers , je vous conseil d’aller voir des infos sur http://www.la-television-connectee.fr