Comme chaque année, j’ai fait un petit tour aux TechDays de Microsoft, organisés au Palais des Congrès de la Porte Maillot à Paris. C’est l’occasion de prendre le pouls de la société et d’écouter les messages qu’elle émet à l’adresse des entreprises. Ce n’est pas ma tasse de thé, mais il y a un lien avec le monde du numérique grand public dans la mesure où l’offre Microsoft est très intégrée entre sa dimension grand public et sa dimension entreprise.
Nous sommes ici en pleines métaphores météorologiques : avec les nuages du Cloud Computing, le thème de ces TechDays, le brouillard dans lequel se trouve Microsoft dans sa capacité d’innovation et les tempêtes comme les éclaircies autour de Windows Phone. Coïncidence oblige, juste avant le Mobile World Congress de Barcelone qui a lieu la semaine prochaine, la semaine dernière était bien remplie avec l’annonce du partenariat entre Microsoft et Nokia.
Ces TechDays étaient bien exécutés dans l’ensemble. Le spectacle est toujours bien orchestré dans les sessions plénières qui attirent plus de 3000 personnes dans le grand amphithéâtre du Palais des Congrès (ci-dessus) tout comme dans les dizaines de sessions spécialisées jouées par les équipes de Microsoft et ses partenaires. Il y avait de plus une sorte de mini salon avec une soixantaine de stands de partenaires. La manifestation a attiré près de 11000 participants. Aucun fournisseur informatique n’attire autant de monde en France dans le btob dans une conférence ! Microsoft France avait sa propre chaine TV en live streaming pour l’événement,
Je vais traiter de trois questions clés dans ce post :
- Microsoft prend-il pied solidement dans les nuages ? La réponse est plutôt positive.
- Microsoft est-il perdu dans le brouillard de la recherche ? Oui, et cela explique certains retards à l’allumage sur les tablettes et les smartphones. La troisième journée de ces TechDays en étant une parfaite illustration.
- Microsoft peut-il sortir Nokia de la tempête et tirer son épingle du jeu pour promouvoir Windows Phone 7 ? Cela reste encore incertain même si ce partenariat n’apporte que du positif pour Microsoft et fait perdurer une grande incertitude sur le futur de Nokia.
Disclaimer : j’ai passé 15 ans
Dans le SaaS, l’approche de Microsoft est à la fois défensive et offensive. Défensive pour éviter de perdre des parts de marché avec sa suite Office face aux solutions 100% cloud comme Google Docs & Apps. Mais aussi offensive, notamment avec l’ERP Dynamics Online, là où Microsoft part de très bas. Dans le PaaS, la situation est aussi défensive car elle vise à éviter d’autres formes de migration des infrastructures serveur vers les plateformes à base de Linux et de middleware open source.
Microsoft a une offre assez disparate pas toujours très lisible. Mais la plupart des offres de cloud computing ont les mêmes caractéristiques et leur lecture n’est pas évidente. Dans le monde de l’entreprise, cela fait aussi les choux gras des acteurs du service, et notamment de ceux qui offrent à la fois des solutions de cloud et du service, IBM en premier. Google est plutôt présent dans les PME, et assez peu dans les grandes entreprises, d’autant plus qu’il n’a pas d’activité de services en propre et que ses partenariats services sont rares. Celui qui avait été annoncé avec Cap Gemini il y a quelques années autour de Google Docs ne semble pas avoir fait beaucoup de petits. Le marché du cloud est en tout cas encore relativement naissant dans les entreprises. Il reste donc très ouvert. Pour répondre à la question initialement posée, Microsoft est plutôt bien placé pour à la fois défendre et élargir ses positions. Mais la concurrence est rude. Les partenariats restent clés pour réussir, mais l’engagement de l’éditeur est encore plus critique pour les entreprises pour garantir la qualité des services du cloud. On passe donc d’une stratégie d’écosystème classique où l’éditeur se cache derrière ses partenaires à une stratégie où l’éditeur doit s’engager plus à fond aux côtés de ses partenaires.
Microsoft est-il perdu dans le brouillard de la recherche ?
C’est un peu l’impression que me donnait la session plénière du troisième jour (vous pouvez le voir
- Des robots pour l’assistance à la personne avec un gentil dialogue avec le Nao d’Aldebaran Robotics, qui reste un outil de développement et pas une “solution clé en main”. On verra peut-être Romeo l’année prochaine, la version humanoïde de ce robot.
- Avec la présentation d’un artiste numérique exploitant un écran tactile. Ce qui en soit n’est pas spécialement innovant et existe depuis quelques années déjà. J’avais vu une démonstration équivalente sur un iPad au CES 2011 !
- Une démonstration de Kinect destinée aux patients atteints de la maladie Alzheimer. Très bien ! Mais bon, pas de quoi faire rêver ceux qui n’en sont pas encore atteints ! Dans le même temps, ils n’ont pas montré la visio-conférence avec avatars générés dynamiquement par Kinect qui était présentée au CES 2011.
- Des claviers affichés sur les mains et les bras, dans la lignée de ces travaux de recherche visant à rendre toutes les surfaces interactives. Alors que dans le même temps, il va falloir attendre Windows 8 et 2012/13 pour avoir une version de Windows disposant d’une interface utilisateur réellement adaptée aux tablettes grand public ! Alors que le besoin est identifié depuis au moins 2009 ! Et que la création d’une interface adaptée est à la portée de plein de startups telles que
Cet accord est douloureux pour Nokia qui abandonne ainsi sa stratégie d’intégration verticale avec son matériel et ses propres systèmes (Symbian, Meego). Le comble étant que l’actuel patron de Nokia, Steven Elop (ci-dessus à gauche), est un ancien de Microsoft. Il avait émis un
Quid d’une acquisition de Nokia par Microsoft ? Le CA de Nokia était de 42Md€ en 2010 et l’entreprise fait plus de 120000 salariés. Sa capitalisation boursière, qui a chuté de 10% après l’annonce du partenariat avec Microsoft, est de $35B tandis que Microsoft dispose de $41B de cash, soient environ 30Md€. Pour qu’elle soit neutre au niveau de la profitabilité de l’ensemble, il faudrait un alignement des PER (price-earning-ratios) des deux sociétés. Celui de Microsoft est de 11,5 et celui de Nokia est de 13,2, curieusement plus élevé ! Il suffit que l’action de Nokia baisse encore d’environ 15% pour obtenir un alignement des PER, et que sa valorisation descende à 30Md€, soit presque exactement le cash disponible chez Microsoft en ce début d’année 2011 ! L’acquisition est donc financièrement possible et ferait d’ailleurs de l’ensemble Microsoft+Nokia la seconde entreprise mondiale du numérique, tout juste derrière HP (qui faisait $126B sur FY2010). Mais elle est techniquement difficile avec deux entités de taille voisine (Microsoft a environ 90000 collaborateurs). Maintenant que Nokia devient un pure player WP7, une acquisition ne présente pas un grand intérêt, Microsoft ayant obtenu tout ce dont il avait besoin d’un point de vue stratégique pour faire augmenter la part de marché de son système mobile. Et regardons un détail (revenus géographiques ci-dessus pour 2010) : Nokia est un nain aux USA. Cela constitue un obstacle psychologique de taille pour les grands actionnaires de Microsoft, tous américains, pour une acquisition d’une telle taille d’une société elle-même non américaine.
Alors, tentons de répondre à la question. Nokia va-t-il être sauvé par cet accord ? Pas bien évident ! S’il apporte sur un panier à Microsoft une capacité de production et de vente pour WP8, il ne change pas la donne au niveau de l’écosystème d’applications et de contenus, à la rare exception de la cartographie. Est-ce que Microsoft peut rattraper son retard en nombre d’applications face à l’Apple Store, comme Google l’a tout de même fait en moins de deux ans ? Je ne le pense pas, mais j’imagine un scénario qui pourrait rendre cela faisable et qui serait assez radical.
Qu’est-ce qui distingue le monde des smartphones du monde ouvert de l’Internet ? Des application stores plus ou moins fermés et une fragmentation du marché qui pénalise les développeurs, même si les premiers permettent de monétiser logiciels et contenus auprès du grand public. Et si les applications web devenaient l’égal des applications natives dans les smartphones ? Et si HTML 5 et ses évolutions devenaient de véritables outils pour créer des applications riches ? C’est ce que l’on pouvait voir lors des démonstrations de Firefox dans la conférence LeWeb en décembre 2010. En faisant une vraie promotion d’HTML 5 dans WP7, Microsoft pourrait couper l’herbe sous le pieds des plateformes natives. Il faudrait pour cela que l’interface utilisateur place les applications web au même niveau que les applications natives et que des solutions de paiement soient disponibles, mais Paypal est déjà là, et pourrait d’ailleurs être une cible d’acquisition. Il faudrait aussi que le bookmarking de sites soit simple d’emploi. Que les applications mobiles web soient aussi bien référencées dans la market place Microsoft. Bref, faire du mobile une véritable plateforme ouverte comme l’est le PC, qu’il soit sous Windows ou sous Linux. On peut rêver, quand même ?
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2 fautes d’orthographe et de grammaire : “prendre pied” (sans s à pied) et destinées sans s aussi dans la phrase “démonstration de Kinect destinées”
Merci, c’est maintenant corrigé.
Le mail de Steven Elop est extraordinaire, et brutal, mais il était temps que Nokia se réveille. A oins de ne viser que le marché des pays sous-développés…
L’acquisition de Nokia n’aurait aucun sens, pourquoi acheter une équipe qui perd?
Ta perception de l’évolution de Microsoft à travers les techdays 2011 me semble très pertinente ! Microsoft Research est depuis quelques années le “hochet” coûteux des dirigeants de la Corporation.
Ce qui me semble inquiétant, c’est l’absence de prise en compte dans le “Cloud Power” de l’état arriéré de notre réseau de télécommunication ! Sans fibre (pas avant 10 ans) la centralisation est une grosse “bêtise”. Pourquoi ne pas saisir aujourd’hui l’opportunité de la baisse du TCO des serveurs et de leur logiciel pour refaire le coup des PC sur tous les bureaux ?
A force de suivre avec retard les vraies innovations développées chez Google on risque de décourager ou de voir partir les “Microsoftees” !
Jean-Berty HENNEL
MSR n’est pas si coûteux que cela d’un point de vue financier. En plus, il a un impact plutôt positif sur l’image de Microsoft, ce qu’il est difficile de chiffrer.
Mais c’est un modèle d’innovation du passé, trop tourné vers l’intérieur de la société, même si MSR a de nombreux partenariats avec des chercheurs externes. Si encore les projets de MSR relevaient JUSTE de la recherche, avec un taux de réussite faible, ce qui est normal, cela ne ferait pas de mal. Le problème est que MSR influe sur la roadmap produit de Microsoft au point de créer des priorités (type Surface) qui sont complètement à côté de la plaque ! Sans compter les Live Labs (qui ne relevaient pas de MSR) qui ont généré aussi de piètres résultats alors que Facebook et autres Twitter et Foursquare se sont développés sur Internet.
Pour les limites du cloud que tu évoques, le coup du serveur sur chaque bureau (ou chaque TPE/PME) a déjà été fait dans les belles années de Windows NT (en gros entre 1996 et 2000 et quelques). Le sens de l’histoire est tout de même une augmentation et pas une diminution des débits de l’Internet. Ne reprochons pas à MS d’en tenir compte !
Merci. Très intéressant….la présentation de l’innovation à la manière de “Temps X” et très professorale était d’un surannée…J’ai cru que les Bogdanov(s) allaient venir sur la scène !
Les Bogdanov avaient déjà animé les TechDays en 2007 🙂
“En faisant une vraie promotion d’HTML 5 dans WP7, Microsoft pourrait couper l’herbe sous le pieds des plateformes natives.”
Amen !
Petit correction orthographique : différencié au lieu de différentié
A mon sens, l’alliance Nokia/Microsoft est pertinente et aura le temps de se développer voire de combler son retard. Les applications market fermés ne sont transitoire en attendant HTML5 et des navigateurs/plate-forme mobiles plus complètes.
Ok, corrigé.
Pour l’aspect transitoire des plateformes fermées, je ne mettrai pas main à couper. Au moins au niveau de l’échéance. Mais il est en effet souhaitable de revenir à des plateformes plus ouvertes qu’aujourd’hui.
J’ai moi meme participé aux TechDays car je m’intéresse aux différentes technos MS.
Quelle ne fut pas ma déception qd j’ai assité à une conférence sur le CLOUD faite par un partenaire MS que je ne citerai pas. Un flop total, les personnes sont toutes parties au bout de 10 mn. Si seulement on avait eu une explication comme tu l’as faite ds ton article cela aurait été beaucoup mieux!
En resumé, le CLOUD semble être une magnifique boîte de Pandore ou tout le monde (pas seulement MS) se bouscule et cherche a vendre toute forme de services. En gros un nouveau moyen de faire du business mais qui me semble malgré tout incontournable a l’avenir.
Mais je dirai que la maîtrise de vente n’est pas encore là!
Il est vrai que les 2 seuls arguments que j’ai retenus sont un peu les tiens. Le sempiternel argument: la réduction de coût et le second plus louable: l’écologie lorsqu’on parle de gestion d’économie d’énergie des datacenters.
Les DSI semblent encore très frileuses qd a l’approche du CLOUD car peur de perdre la maîtrise de son environnement, de ses data, de ses plateformes de dev…
D’autant plus que l’aspect “legislation” en France est plus à meme d’encourager le CLOUD privé plutot que public.
Je pense que avant 10 ans tout cela sera derrière nous!