Autre lieu, autre découverte d’une startup un peu hors du commun, cette-fois ci lors du Tremplin Entreprises Sénat le 12 février 2010 dernier : Feedbooks. En fait, c’est plutôt une redécouverte car je les avais déjàs croisés lors du tour des Traveling Geeks à la Cantine en décembre 2009 et sur Capital Week en avril 2009.
Feedbooks est à la fois un site web de diffusion de livres électroniques et un service “en cloud” associé, maitrisant diverses technologies logicielles de publication d’ebooks.
Leur activité est intéressante à plus d’un titre. D’abord, bien entendu, parce que le marché du livre électronique est en pleine expansion. Mais surtout parce que leur approche du marché est plutôt originale comme nous allons le voir.
Ce qui est séduisant au premier abord dans cette startup, c’est son implication dans la standardisation des ebooks. Un sujet critique dans un monde qui verra cohabiter des univers fermés (à la Amazon Kindle) et des univers ouverts (à la ePub).
Le format ouvert (et sans royalties) le plus répandu est l’ePub. Il est supporté dans de nombreux ebooks comme le Sony Reader, les Bookeen, les Plastic Logic, le Nook de Barnes & Noble et aussi dans l’iPad d’Apple (ces trois derniers n’étant pas encore disponibles), un constructeur pourtant pas un grand adepte des formats ouverts. Il est aussi supporté sur Android. ePub est issu d’un consortium, l’International Digital Publishing, qui comprend de nombreux membres, éditeurs et associations d’éditeurs, constructeurs de ebooks, constructeurs informatiques comme HP et aussi Adobe. Ce forum était anciennement l’Open eBook Forum et ePub a remplacé le format Open eBook qui provenait de la société E-Book Systems, éditrice du logiciel FlipViewer de consultation de livres électroniques.
L’ePub est un format à base XML. Il contient du “texte courant” qui peut être mis en page automatiquement en fonction de la taille de l’écran, un peu comme une page web. Ce qui est parfait pour du texte simple ou du texte avec des illustrations en ligne, mais n’est pas adapté aux mises en pages complexes (formats magazines, bande dessinée, ou équivalents). Il supporte des solutions de DRM. L’ePub est en tout cas le format le plus supporté par les ebooks avec le PDF (lui aussi supporté sur le site de Feedbooks).
L’équipe de Feedbooks est un gros contributeur aux évolutions du standard ePub, ayant rejoint l’IPDF en 2008. Il est aussi le principal architecte de l’OPDS (Open Publication Distribution System), un format XML qui permet la distribution d’ebooks sous forme de catalogues au format standardisé qui s’appuie sur le format ePub pour les ebooks eux-mêmes. Evidemment, le site web de Feedbooks implémente ce format, encore à l’état de proposition.
L’approche d’écosystème et de partenariats de Feedbooks est particulièrement bien développée, avec une couverture internationale plutôt rare chez nos startups :
- Le site est exploitable sous la forme d’un service Web via des APIs documentées. Petit bémol sur leur site : ils n’expliquent pas à quoi peuvent servir ces APIs. Le travail de vulgarisation reste à faire !
- Même si Feedbooks est un grand promoteur du format ePub, son site supporte les Kindle d’Amazon et son format d’ebooks associé, le MobiPocket.
- Stanza, le lecteur d’ebooks pour iPhone de Lexcycle utilise les APIs catalogue de Feedbooks. 75% des téléchargements d’ebooks avec cette application proviennent du site Feedbooks.
- Le lecteur d’aldiko pour Android fait de même en supportant aussi les APIs de Feedbooks. Ce lecteur devrait être intégré dans les smartphones Android de Motorola. D’une manière générale, l’équipe de Feedbooks pari sur une diffusion large des ebooks sur les smartphones. Pour 3 millions de Kindle vendus en 2009, il y aura 76 millions de smartphones Android en 2012 et 71,5 millions d’iPhone.
- D’autres lecteurs d’ebooks supportent le service Feedbooks : FBreader (multiplateforme) et Bookshelf (pour iPhone).
- La startup a signé des accords de diffusion d’ebooks avec les grands de l’édition : Random, Oreilly, Hachette, Harper Collins (ou est en cours de négociations…). Ils font une marge de 30% sur la vente de livres, sachant que leur prix est situé à environ 30%/40% du prix des livres papier aux USA.
- Leur site permet aussi l’autopublication, à savoir que tous les auteurs peuvent directement y publier leurs ouvrages.
En février 2010, selon Feedbooks, 100K ebooks étaient téléchargés chaque jour sur leur site. A comparer aux 2 millions par mois chez Amazon pour le Kindle, mais évidemment payants, alors que la part des ebooks gratuits est prépondérante chez Feedbooks. Autre point étonnant : 85% du trafic de Feedbooks proviendrait des USA et moins de 2% de France ! En consultant Google Trends for Websites, Alexa ou Compete, on n’obtient malheureusement pas les bonnes indications. Il semblerait que les US représentent tout de même au moins trois fois le site de la France et que le site en UK ait un trafic équivalent à celui de la France.
Feedbooks a été créé par deux ingénieurs et un chercheur : Loic Roussel, Hadrien Gardeur et David Julien (issu du laboratoire LIP6). Ils ont été lauréats du Concours National de la Création d’Entreprises de Technologie Innovante pour un total de 300K€ deux années de suite. Ils cherchent actuellement 300K€ de d’investissements en capital pour financer leur croissance, complétant un apport initial des fondateurs et de quelques business angels.
Alors, comme je le mentionnais en 2008, feront-ils le poids face à Amazon ? C’est la question que peuvent se poser tous les offreurs d’alternative à la combinaison du Kindle et du site de vente en ligne qui s’est mis aux ebooks. On pourrait tenter un parallèle : Feedbooks pourrait au moins tenter d’être l’Android des ebooks, Amazon jouant le rôle (dominant) d’Apple avec son iPhone. On est évidemment encore loin du compte car le marché des ebooks est très fragmenté dans toutes ses composantes (écrans, devices, sites, logiciels, formats), le propre des marchés encore très jeunes. Feedbooks fait aussi beaucoup de choses, ce qui est à la fois une originalité, mais ouvre la porte à différents modèles de monétisation. A ceci près que la partie technologique de l’offre est très “open source / open format”. Très bien pour l’état d’esprit. Mais un gros obstacle pour créer de la valeur qui soit “scalable”. La principale valeur économique de la société réside donc le % récupéré sur les ventes des livres payants réalisées sur le site. Dans un univers où la concurrence est très rude. Qui nécessitera des investissements marketing conséquents et une approche un peu moins “geek” qu’aujourd’hui.
En tout cas, l’approche “OEM”, d’API ouvertes et autour de la standardisation de cette société ne peut pas laisser indifférent.
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Merci Olivier pour cette note qui évoluera sûrement beaucoup au moment de la sortie de l’iPad qui changera probablement les choses.
Bravo à Feedbooks (et à Olivier pour cet article, toujours aussi bon).
Il me semble que cet article met en évidence un sujet de plus en plus problématique : la France est très bien organisée pour faire émerger des startups fortement innovantes, mais il y a une difficulté pour qu’elles se transforment en succès économiques. La distribution de services gratuits par internet est-elle compatible avec la taille du marché français ?
Pour le lancement de notre activité, nous avons délibérément exclus cette orientation (financement par subvention et capital, reconnaissance par trafic). Je ne sais pas si notre choix est le bon. Au contraire, je suis très intéressé à comprendre comment peut s’organiser le passage d’un modèle “blog” (forte audience, mais sans chiffre d’affaires) à un modèle simplement rentable.
Si quelqu’un a des pistes de réflexion sur ce sujet, je suis preneur.
@Christophe, au sujet de cette problématique, un article de Yann Verdo dans les échos (http://www.lesechos.fr/info/hightec/020381514097-start-up-informatiques-razzia-sur-les-pepites.htm) rappelle ces faits et mets en exergue une citation de Gérard Berry qui résumé à mon avis très bien la situation :
«La France n’a peut-être pas de problème particulier avec le “start”, mais elle en a bel et bien un avec le “up”.»
Quelques nuances :
– Quelque soit le pays, le sort le plus standard d’une startup est d’abord de se planter (plus de 1 chance sur 2), puis de vivoter (4 chances sur 10) puis de se faire racheter (1 sur 10), et seulement enfin (1 sur 1000…) d’atteindre la taille critique (ratios donnés pour celles qui sont financées par des VCs). Donc, il ne faut pas se plaindre du second étage de la fusée. Son existence fait partie de la chaine alimentaire de l’innovation.
– Pour que les startups se fassent racheter par des entreprises locales de taille critique, encore faut-il qu’il y en ait. Nous payons aujourd’hui les échecs ou relatifs échecs industriels que sont nos Alcatel, Thomson/Technicolor et autre Sagem. Et aussi le syndrome “NIH” de nos élites, tous business confondus. Les entreprises “riches” des NTIC en France sont les telcos, mais ils n’ont pas une approche technologique du marché, et font peu d’acquisitions, et seul FT a un business international. Donc, l’amorçage de la chaine alimentaire en France est pour l’instant mal barré. Mais c’est un problème commun à la plupart des pays européens. A ceci près que Nokia a mieux réussi qu’Alcatel (mais bat un peu de l’aile en ce moment) et que SAP et Sage ont atteint la taille critique tandis que les SSII proliféraient avec du “custom” dans notre pays.
– Il n’y a pas trente six solutions pour créer des entreprises de taille critique dans les NTIC. Il faut attaquer les marchés mondiaux le plus rapidement possible. A commencer en général par mettre un (gros) pieds voire les deux aux USA. C’est là que le marché mondial se définit, car il y est (relativement) homogène et massif (environ 10x la France dans les TICs, surtout dans le btob). Dans certains business (mobilité, hardware), il faut aller plutôt en Asie. La seconde est d’avoir l’envie et les compétences. La troisième est de trouver le financement. Mais en mettant le pieds aux USA, une bonne équipe, une bonne idée, l’envie et les compétences permettent d’y trouver des financements.
Donc, on peut crier au loup et dénoncer le manque de financements et de business angels etc en France. Mais quand bien même on aurait l’argent qu’il faut, si on ne l’utilisait pas pour conquérir les marchés mondiaux à commencer par les USA, on n’irait pas bien loin. Or les investisseurs français ont peur de mettre le pieds aux USA. Ils ont été échaudés par quelques échecs et cela les a paralysés. Un peu bêtement. Alors que ces échecs devraient plutôt permettre d’apprendre et de recommencer.
In fine, ce qui manque, oui c’est le “up”. Mais c’est surtout la stratégie, l’ambition et les compétences pour y aller. Cf aussi la structure de notre enseignement supérieur et de nos élites qui sépare trop nettement les disciplines scientifiques des sciences molles utiles au business.
Et attention, évitons de nous gargariser avec nos “bonnes idées” et avec “l’excellence” de notre enseignement supérieur, de nos ingénieurs et de nos chercheurs. Il y en a d’aussi bons dans plein d’autres pays. C’est de moins en moins un différentiateur de poids dans la compétition de l’innovation. Le différentiateur, c’est la capacité à conquérir les marchés internationaux. Deux exemples clés : les Coréens qui taillent des croupières aux Japonais car ils sont plus tournés vers les marchés mondiaux, et les Israéliens qui trustent une part incroyable des boites du Nasdaq et ont créé en 20 ans plus de boites dans les NTIC dépassant le milliard de dollars que la France, le Royaume Uni et l’Allemagne réunis il me semble. Dans les deux cas, leur pays est petit ou ridiculement petit, et ils n’ont d’autres choix que d’aller ailleurs pour vendre. Nous, nous vivons dans l’illusion de notre marché intérieur douillet (et pourtant, si réfractaire aux innovations, surtout dans les entreprises) et dans celle de la création d’un marché européen unifié (bien difficile, malgré l’Euro, car trop fragmenté). Cela rappelle la manière dont la France a abordé l’émergence de la mondialisation du commerce mondial entre le 15eme et le 18eme siècle face aux Anglais ou aux Hollandais, sans compter Venise.
Pour répondre à Christophe, oui, la France a tendance a faire émerger beaucoup de modèles économiques fondés sur le gratuit. Ne serait-ce qu’une adoption assez forte des modèles open source. A ma connaissance, les seuls français qui ont réussi à créer de la valeur économique à une dimension raisonnable dans ce créneau l’ont fait en mettant les pieds ou en s’établissant aux USA : JBOSS (racheté par Red Hat), DivX (passé à un modèle commercial), et peut-être bientôt Talend. Ceux qui sont restés en France (OpenTrust, etc), font moins de $20m de CA, dans le meilleur des cas. Dans le web, c’est encore plus vrai : les modèles fondés sur le gratuit ont besoin de volume (d’utilisateur). Donc, une fois encore, il faut aller ailleurs d’une manière ou d’une autre, et ne pas rester en France.
Excellent post. Plusieurs mérite à celui-ci: une synthèse, en quelques lignes, sur les normes en matière de livres électroniques – j’avoue ne suivre ce marché que de très loin ; la découverte d’une éditeur plus qu’intéressant et novateur. Une question, effectivement: tiendra-t-il le coup face à l’armada US, si prompte à “chiper” les idées, à les industrialiser “worldwide” tout en les monétisant. Jean-Christophe
“En février 2010, selon Feedbooks, 100K ebooks étaient téléchargés chaque jour sur leur site. A comparer aux 2 millions par mois chez Amazon pour le Kindle”.
Cela ferait un chiffre mensuel de 3 millions soit 50% de plus qu’Amazon, difficile à croire sans preuves.
Entre un modèle économique de création d’API gratuite (création de réputation positive) et de libraire (marché très concurrentiel et nouveau métier), il me semblerait plus réaliste au regard de ses moyens financiers qu’elle vende ses compétences sous forme de prestations aux éditeurs de livres et journaux.
Basé son modèle économique sur la gratuité est souvent un moyen de fuir la dure réalité de trouver des clients payants faute de compétences et d’appétence pour le marketing et la vente.
Oui, je le cite plus loin, les chiffres de téléchargement et de trafic sont toujours sujets à caution. Il est facile par exemple d’extrapoler une pointe ponctuelle de trafic en multipliant par le nombre de jour du mois…
L’API est certes gratuite, mais c’est un accélérateur de trafic lui-même augmentant les ventes de livres, ce n’est donc pas juste du “goodwill”.
La principale difficulté est effectivement d’augmenter la part des livres payants diffusés via le site, donc de nouer les bons contrats avec les éditeurs. C’est un peu dur d’inférer que Feedbooks “fuit la dure réalité de trouver des clients payants”. Mais il est vrai que les compétences marketing et vente semblent manquer dans cette équipe, comme au demeurant dans 90% des startups du numérique en France.
Feedbooks dispose d’un large écosystème de clients basé sur son catalogue OPDS, dont des logiciels comme Stanza (plusieurs millions d’utilisateurs iPhone), Aldiko (> 250.000 utilisateurs) ou encore Goodreads (réseau social spécialisé le plus populaire aux USA). Cet écosystème explique en grande partie les chiffres avancés ci-dessus.
Concernant Amazon: il n’y a aucune source fiable étant donné qu’ils n’ont jamais communiqué la dessus, mais ne comptabilisez pas les téléchargements Amazon comme étant systèmatiquement des ventes. En un petit coup d’oeil sur le Kindle Store, on s’aperçoit vite que les téléchargements gratuits de livres dans le domaine public dominent les classements aussi.
Quand à la question de la gratuité: ce n’est en aucun cas un “modèle” ici. Dans une industrie émérgeante comme celle-ci il faut que les éditeurs convertissent leurs livres et mettent en place les bons réseaux de distribution.
La gratuité pour Feedbooks est principalement un moyen de tester des technologies et des usages (le travail sur OPDS est le fruit de nombreux retours suite à des expérimentations datant du lancement de Stanza et donc de l’AppStore) et de capter des utilisateurs en attendant de pouvoir monétiser d’autres types de contenus.
Pour qu’une startup numérique se développe à l’international, il faut donc qu’elle fasse de la croissance externe (rachat de startups ailleurs)pour vite s’imposer. Pour cela il faut beaucoup d’argent et donc avoir du chiffre d’affaires en monétisant son service. Et souvent, au fur et à mesure la détention du capital évolue aussi… C’est du donnant donnant. Et il faut aussi que l’entreprise investisse dans sa technologie tout le temps. Bref, il faut dépenser à mort… Et surtout, notre Etat doit les protéger pour qu’elles restent françaises. Autrement, ça ne sert à rien tout ça.
Quand on voit le blabla sur les relocalisations industrielles en ce moment, on se demande vraiment si nos politiques ont bien tout compris.
La mode est aux Entreprises de Taille Intermédiaire : les boites provinciales, familiales… les boîtes à papa. Il faudrait peut être arrêter les sottises.
Petit autocommentaire, pour noter ici la levée de fonds de 1m€ de Feedbooks réalisée en mars 2012 auprès d’A Plus Finance. http://www.ebouquin.fr/2012/03/17/feedbooks-leve-1-million-deuros-et-renforce-sa-position-a-linternational/. Deux ans après cet article ! C’est bien, mais finalement, un peu lent comme souvent en France !