Le gouvernement organisait jeudi 10 septembre 2009 un Séminaire “Numérique : investir aujourd’hui pour la croissance de demain” piloté par Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat en charge de l’économie numérique. C’était le dernier événement du genre depuis les Assises du Numérique organisées par Eric Besson, son prédécesseur, en mai 2008. Mais cette fois-ci, un Premier Ministre s’y exprimait. Cela faisait bien longtemps que cela n’était pas arrivé dans un tel contexte. En exagérant un peu, la dernière remonte aux interventions de Lionel Jospin aux Universités d’Eté de Hourtin en 1998.
L’objectif de ce séminaire était de mettre sur la table les besoins et opportunités d’intégrer l’économie du numérique dans le grand emprunt en cours de gestation. Avec comme cahier des charges, prioritiser le financement d’investissements tournés vers le futur, développer l’économie, et correspondre à un investissement “one shot”. NKM ajoutait même : “des investissements qui favorisent les générations suivantes. Avec en tête le fonctionnement des nouvelles générations et en ne s’appuyant pas seulement sur des critères de choix techniques”.
Ce séminaire rassemblait plus de 1000 personnes à la Maison de la Chimie, ce qui est pas mal pour un événement monté à partir de juillet dernier et dont les invitations n’ont été envoyées que très tardivement.
La forme contestable
Il y avait un fort contraste dans la posture gouvernementale dans ce séminaire avec un aspect très web 2.0 d’un côté, et de l’autre assez web –2.0 !
Le Web 2.0, c’est NKM qui encourage les participants à débattre sur Internet, notamment via Twitter, où effectivement cela pulsait bien sur les différents orateurs. NKM qui est une des rares adeptes de Twitter au gouvernement, si ce n’est accro, a même pu montrer la teneur de ces débats sur son mobile à Michel Rocard. C’est aussi la présence de quelques bloggeurs, en plus de la presse (ci-dessous, Ludovic Dubost et Daniel Glazmann, encore plus remonté que moi sur ce séminaire).
De l’autre, c’était un séminaire sans débat avec des intervenants qui passaient les uns après les autres, avec presque aucune animation – sauf pour Hervé Novelli qui s’y est mieux pris, dans le second débat. Trois tables rondes étaient animées par un Ministre passant les plats d’un intervenant à l’autre après une introduction. Elles regroupaient quelques industriels, des représentants d’autorités (CSA, ARCEP) ou organismes divers (Cité des Sciences, Pôles de compétitivité), une éventuelle caution intellectuelle (économistes) et un élu (UMP) impliqué dans le numérique. Les intervenants présentaient parfois les enjeux de leur métier ou organisation mais sans les relier à la question du moment sans être pour autant relancés pour être remis sur les rails.
La journée était introduite par NKM expliquant le contexte de l’emprunt, et par un speech de Paul Hermelin de Cap Gemini, qui a fait la promo de sa boite au début de son speech pour quitter la salle après son intervention et ne plus y revenir. Et puis, NKM qui était bien ravie de pouvoir rassembler pareil sérail (deux anciens premier ministres en plus de l’actuel), concluait la journée avec sa vision des priorités numériques pour le grand emprunt. Priorités bien préparées à l’avance, et pas reliées en apparence à quelque forme de consultation publique que ce soit ni même vraiment aux “débats”. Le choix des intervenants correspondait cependant de près ou de loin à celui des priorités.
Bref, sur la forme, c’était vraiment la cata ! Mais bon, Eric Besson s’était essayé au participatif avec les dizaines de débats des Assises du Numérique de l’été 2008 laborieusement consolidés par son cabinet, et le résultat n’était pas forcément plus probant. Il reste donc à inventer le juste milieu !… toujours la méthode !
Maintenant, traitons du fond. Je vais ici partir du résultat en couvrant les cinq priorités de NKM pour ce grand emprunt, avec quelques éléments des débats de cette journée, quelques commentaires et recommandations.
Le haut débit pour tous
C’était le premier débat de la journée et celui de plus haute tenue. En effet, on est en plein dans le sujet : le haut débit pour tous requiert des investissements parfois lourds et c’est du “one shot”. Mais le diable est dans les détails ! Deux interventions me semblaient au dessus du lot :
- Celle d’Yves Gassot, de l’IDATE qui nous mettait en perspective quelques initiatives étrangères : le plan Obama qui vise à stimuler la demande avec $7B d’investissements dans le haut débit, le le plan australien de 20Md€ (100 mbits) mais qui butte sur les conditions d’association des grands opérateurs (Telstra), la forte pénétration du haut débit en Asie liée à forte concentration d’habitants dans les mégalopoles. Et de faire quelques recommandations : réussir rapidement le très haut débit dans les grandes agglomérations, (avant 2015), ne pas séparer le haut débit mobile et fixe, ne pas déresponsabiliser les opérateurs privés et concentrer les investissements publics sur le génie civil.
- Augustin de Romanet, le DG de la CDC en évoquant les carences des investissements privés, le rôle des collectivités locales qui depuis juin 2004 peuvent jouer le rôle d’opérateur haut débit en respectant des principes d’ouverture, de mutualisation et de neutralité. Avec pour lui un bilan positif : cela a structuré un marché pérenne avec des résultats d’exploitation positifs après 3 à 4 ans d’exploitation et des tarifs de gros moins chers que chez France Télécom (50% à 60% moins cher, et sur 1500 zones d’activité). La concurrence vive a eu du bon ! Le très haut débit est un enjeu de 40Md€ alors que le haut débit pour couvrir les zones “blanches” (non couvertes) est de 2Md€. Il sera difficile à financer le très haut débit, d’autant plus que les collectivités locales ne sont pas plus prospères en ce moment. Il faut une intervention publique pour les 15-20 millions d’habitants qui sont hors des agglomérations. Il propose d’accélérer la couverture des “zones 2” (petites villes), intermédiaires pour accélérer celle de la “zone 3” (zones rurales). Cela augmenterait le nombre d’abonnés, la rentabilité et encouragerait le développement de nouveaux services.
Alors, faut-il mettre le haut débit dans le grand emprunt ? Compte-tenu des critères de l’emprunt cités au début de ce post, je distinguerai deux besoins distincts :
- Equiper en haut débit les zones non couvertes qui ne représentent aujourd’hui moins de 2% de la population (source : Rapport ARCEP 2008, page 251). Je pense que cela ne devrait pas être dans le grand emprunt car cela relève d’une priorité politique et sociale (l’équité dans l’accès à Internet), mais est complètement marginal dans son impact économique. Les zones non couvertes sont rurales et il y a peu d’emplois en jeu. Cela aidera quelques toutes petites entreprises à mieux communiquer au plus.
- Développer l’investissement global dans le très haut débit et la fibre. Ca coute cher, oui. Mais c’est stratégique et cela peut créer des emplois car c’est porteur de nouveaux services innovants (téléprésence, télévision numérique haute définition, etc). Et étalé sur plusieurs années, l’investissement privé doit jouer son rôle. De plus, avec le très haut débit, on pourra commencer sérieusement à réduire les déplacements physiques pour privilégier les téléconférences. D’où un impact carbone intéressant.
Mais si le besoin est de 10Md€ et que le grand emprunt ne peut en allouer qu’un au numérique (ce dont on ne sait rien pour l’instant), l’apport sera rikiki ou il faudra inventer le meilleur effet de levier sur les opérateurs télécoms.
La suite dans le post suivant au sujet de l’industrie du logiciel et des services. Et mes photos de l’événement sont sur Picasa Web Album comme d’habitude.
Le compte rendu officiel des débats est disponible. Et le flux Twitter #emprunt trace les débats pendant et après le séminaire tout comme les liens sur les autres compte-rendus de l’événement par la presse et les bloggeurs.
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c’est tellement dommage, les barrages de l’époque du new deal aujourd’hui c’est le code, l’infrastructure web individuel et collective et du contenu libre et des sites à gros PR pour tiré les autres.
On est pas arrivé, dommage j’aime autant NKM que rocard.
Chouette photo by the way.
Le très haut débit est stratégique si il apporte de la valeur aux PME.
Clairement identifié aujourd’hui : la téléprésence.
Pour le reste cela devient tout de suite plus compliqué, le zéro papier demande un changement de mentalité et pose la question de la sécurité et de la formation.
Pendant ce temps les PME que je visite dans le cadre de maintenance du poste de travail fonctionne toujours avec le Fax (numériser c’est compliqué), la téléprésence ils ne connaissent pas et c’est trop compliqué, le mail est utilisé en dépis du bon sens (attachements énormes vers 50 destinataires) et le web ne sert que pour lire les catalogues, les commandes étant faite par téléphone.
A quand un “minitel-internet-box pour PME”. Je pense qu’il faut simplifier les usages:
– téléprésence aussi simple qu’un appel téléphonique
– GED avec cryptographie aussi simple qu’un fax
– pédagogie sur le mail (ou alors changer SMTP)
Ce n’est pas tout d’avoir une belle boites à outils, si ceux qui l’utilise ne sont pas formé…
De conclure que le logiciel devient plus important que la taille des tuyaux. Construire des autoroutes pour s’y déplacer en trotinettes cela n’a pas d’intéret.
Rémi
En effet, on a toujours un peu eu tendance en France à privilégier les tuyaux par rapport aux logiciels. Surtout dans le discours politique. Cela remonte notamment au rapport sur les “Autoroutes de l’information” de G. Thery en 1994, qui parlait déjà de fibre optique, mais ne se souciait pas beaucoup des opportunités industrielles au dessus des tuyaux… l’année où l’Internet apparaissait !
NKM a bien compris l’importance des usages et des logiciels, d’où la seconde table ronde de ce séminaire. Tout comme son appel à projets web 2.0 (terme suffisamment large pour incorporer de nombreux usages numériques).
Ce qui est frappant dans les usages dans les entreprises, petites ou grandes, c’est l’absence de méthodes et de formation. On considère que la formation est un acquis pour tous parce que chacun sait à peu près manipuler un client de messagerie et les outils de la bureautique. Mais c’est une illusion. Et même une grave erreur. Que de productivité et d’efficacité perdues à cause du manque de méthodes et de formations dans les usages ! Réinvestir dans une formation à la pédagogie renouvelée serait une piste à creuser pour les organisations.
On retrouve d’ailleurs ce travers chez certains éditeurs de logiciels qui zappent parfois la création d’un simple mode d’emploi !
Bien d’accord avec vous … Je me suis “tapé” (avec départ la veille au soir, une nuit en banlieue) un AR du LOT(46) en train … pour m’entendre dire qu’il fallait tweeter pour poser des questions …
Déçu … pour ne pas dire colère !
Michel L.
Désolé pour ce commentaire peu constructif….
mais “prioritiser”, c’est quand même moche.
Je sais que le français est une langue vivante mais je préfère encore le néologisme prioriser. Mais bon, les goûts et les couleurs…