Dernier billet sur l’Université d’Eté du MEDEF 2009 sur un thème sous-jacent qui m’a semblé intéressant : la relation entre les économistes et les politiques.
Avec une problématique que je rencontre sous d’autres formes dans les politiques publiques de l’innovation ou autour du numérique alors que le gouvernement organise un séminaire “Numérique : investir aujourd’hui pour la croissance de demain” le 10 septembre 2009. J’y reviendrai à la fin de ce billet.
A quoi servent les économistes ?
J’ai suivi la seconde moitié de ce débat et j’y retrouvais des questions clés de la manière dont les politiques gèrent l’économie.
Les économistes présents (Lorenzi, Baverez, etc) se plaignaient à juste titre du manque de données publiques, de l’absence d’évaluation des politiques économiques et du besoin d’expérimentation. Il n’y a rien eu sur les 35 h, sur la loi TEPA, sur la Taxe Professionnelle, sur la loi de la modernisation de l’économie. Et la question va se poser pour la taxe carbone et pour le grand emprunt. Et on pourrait aussi creuser l’impact réel du Crédit Impôt Recherche…
Le manque d’accès aux données publiques est lamentable en France au regard des pratiques d’autres pays occidentaux. On n’y fait pas confiance aux économistes. Le contribuable non plus n’a pas accès aux informations économiques. En fait, il y a pas mal d’informations macro-économiques disponibles sur les sites de l’INSEE, Eurostat et OCDE. Mais pas sur les aspects couvrant les politiques économiques de l’état.
Selon Jean-Hervé Lorenzi, il faudrait avoir plusieurs options avant un débat sur une politique économique. Et éviter que les études économiques soient réalisées par les “obligés” du pouvoir. Il y a besoin d’un véritable discours de la méthode de l’évaluation. J’avais eu l’occasion de traiter de ce sujet juste après l’élection de Nicolas Sarkozy en mai 2007. Peu de ces conseils ont été suivis à défaut d’être entendus…
Hervé Novelli avait lui-même produit un rapport d’évaluation sur les 35 heures et s’était aperçu qu’il n’y avait pas eu d’évaluation du tout de cette mesure. Le secret statistique empêchait l’accès à des données bien utiles. Il avait alors recommandé de confier les données à un collège économique.
Il faudrait développer l’évaluation qui vient d’ailleurs que l’Etat avec des organismes indépendants. Reste à les trouver…
Pour Nicolas Baverez, le Grand Paris est un élément de réponse. Le pouvoir a l’illusion de pouvoir prédire l’avenir. Mur de Berlin, 9/11, Lehman : l’histoire n’est pas écrite à l’avance. Certains événements accélèrent certaines transformations. Mais on a tout de même une prise sur l’avenir, avec des instruments, dont les données économiques. Mais des données justes et abondantes peuvent donner des réponses fausses. Selon Alain Greenspan, on disposait d’abondantes données sur les risques financiers et on croyait qu’on divisait le risque en le répartissant alors que c’était le contraire. L’économie est la météo : il faut des données mondiales pour faire des évaluations et des prédictions. La vitesse d’ajustement est aussi mal évaluée. En France, l’emploi s’est ajusté aussi vite qu’aux USA pendant la récession malgré un système social plus rigide.
Il n’y a pas d’autorité supérieure dans l’économie. La seule manière de faire fonctionner les choses consiste à organiser des débats, permettre aux contre pouvoirs de s’exprimer, et diffuser les données publiques. Et en évitant le nombrilisme national. Les analyses économiques encore trop enfermées dans le carcan des nations.
L’évaluation dans le numérique
Ces questions sur l’évaluation des politiques économiques me rappelait ce qui se passe autour du numérique au gouvernement. Le plan France Numérique 2012 annoncé en octobre 2008 contenait un chapelet de mesures sans objectifs chiffrés. Nous sommes presque un an plus tard et, changement de Ministre oblige, c’est comme si l’on repartait à zéro. Il n’y a pas de tableau de bord de ce plan et le gouvernement n’est pas en mesure d’afficher les progrès accomplis et ce qu’il reste à faire.
Nathalie Kosciusko-Morizet a lancé avec Hervé Novelli (Secrétaire d’Etat du commerce, de l’artisanat, des PME, du tourisme, des services et de la consommation) et Michel Mercier (Ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire) ce séminaire “Numérique : investir aujourd’hui pour la croissance de demain” du 10 septembre 2009. Organisé autour de trois tables rondes de 1h15 avec chacune une demi-douzaine d’intervenants, il doit initialiser la réflexion sur l’intégration du numérique dans le grand emprunt et dans les plans de relance.
- Thème #1 : l’infrastructure et les réseaux. C’est-à-dire, essentiellement, le haut débit pour tous.
- Thème #2 : les logiciels et les services. Comment l’emprunt pourrait dynamiser ces industries et aussi les usages dans les entreprises, surtout les TPE/PME ?
- Thème #3 : patrimoines et industries culturelles. Pas HADOPI 3, mais comment valoriser par le numérique le patrimoine culturel français.
J’ai assisté au point presse annonçant ce séminaire la semaine dernière (ci-dessus). Il y a une bonne intention dans tout cela : investir dans le futur, mobiliser le gouvernement, impliquer François Fillon qui va clôturer les débats, et éviter l’intervention des syndicats professionnels qui poussent chacun leur métier.
Mais au bout du compte, on retrouve un travers constant : l’absence (apparente) de méthode. Quel est le processus enclenché ? Quel est le planning ? Qui va faire quoi ? De quelles données le gouvernement aura-t-il besoin ? Comment va-t-il consulter les spécialistes sur les sujets en jeu ? Il y aura-t-il un véritable débat entre positions contradictoires (sur le haut débit et le rôle des collectivités face aux opérateurs, sur le financement de l’innovation, etc). Quels sont les contre-pouvoirs impliqués ? Il y-a-t-il des documents de référence servant de base à ces débats forts succincts ? Comment seront gérés les arbitrages ? Le brouillard total…
Chez NKM, on s’en remet au processus du grand emprunt. On sait que l’ensemble est en effet sous la coupe d’Alain Juppé et Michel Rocard qui président la commission chargée d’identifier les priorités sur l’emprunt national. Et qu’ils seront présents lors de ce séminaire. Mais sans travail préparatoire, je me demande ce qu’ils vont en tirer. Certes Alain Juppé est bloggeur de son état et Michel Rocard s’est égaré dans la complexe thématique des brevets logiciels, mais cela ne suffira pas à embrasser ces sujets complexes. Qui les conseille ?
On sait bien que les politiques utilisent prioritairement la communication comme outil de travail au détriment du management de projets pratiqué dans les entreprises. Mais ils pourraient s’inspirer un peu de ces dernières pour professionnaliser leur approche quelque peu brouillonne. Tout du moins, s’ils veulent s’attirer la confiance des professionnels et les contributions de certains d’entre eux. Ca fait un peu donneur de leçon, mais le problème est loin d’être nouveau !
Je vais essayer d’y mettre mon grain de sel une fois de plus, on verra bien…
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Sans budget (via le grand emprunt, par exemple… ; il n’y aura pas d’autre moyen d’envergure… ah si les recettes de la taxe carbone, mais pas avant fin 2010…), les politiques et les ministres ne sont rien (comment justifier leur travail ?). Donc tout ceci n’est que politique.
NKM Novelli et les autres ont besoin de dire à tout le monde que si il y a eu ceci ou cela c’est grâce à eux. Mais de là à organiser les choses de façon constructive, je ne sais pas. Les collectivités territoriales vont aussi s’y mettre (elles sont en majorité à gauche)… Et la cacophonie ira croissante. A l’approche des élections régionales. Les présidents de conseils régionaux qui pourtant n’ont pas fait grand chose, veulent de toute urgence indiquer à l’opinion que telle ou telle initiative a porté ses fruits… et qu’ils feront encore plus demain.
Lorenzi aussi n’est pas tout blanc dans ces débats. Cet idée d’évaluation objective des politiques publiques… c’est pour se trouver un job aussi. Comme Juppé en a fait un cheval de bataille, c’est tout benef pour lui…
Si les intérêts privés convergent avec les intérêts généraux et publics, alors ce sera bien.
Il existe déjà des outils et des institutions (nationales et locales) valables pour mettre en oeuvre une politique de soutien au numérique et à l’innovation. Pourquoi ne pas les utiliser convenablement avant de créer encore autre chose et noyer le poisson comme d’habitude ?
Le management de projets serait effectivement préconisé ici. Mais les hauts fonctionnaires de Bercy et d’ailleurs le connaisse particulièrement. Ne les sousestimé pas. Le floutage permet aussi de se laisser des marges de manoeuvre et d’avancer un peu masquer face à la concurrence (politique)…