Mini-Microsoft est un blog créé en juillet 2004 par un gars, anonyme, de Microsoft Corp, probablement un middle-manager du support technique. Un gars au nom évocateur de “Who da Punk?” (en clair: who’s that punk?). Le blog est alimenté par des centaines de commentaires d’autres anonymes de Microsoft et d’une sorte de revue de blogs sur Microsoft, écrits par d’autres anonymes ou d’anciens de Microsoft Corp. Et les intervenant externes commentent cela d’une façon quelque peu médusée.
Je vais commencer par décrire ce blog d’une catégorie “nouvelle” et le phénomène associé, ses conséquences sur Microsoft et sa communication, et d’une manière générale sur les grandes entreprises qui pourraient être affectées par le phénomène.
On découvre plein de choses intéressantes dans Mini-Microsoft, notamment pour ceux qui veulent comprendre comment la société fonctionne de l’intérieur au niveau de « sa base » et dans la R&D :
- Les états d’âme de cette « base », qui se plaint de la bureaucratie galopante et de managers trop nombreux et incompétents. Pas étonnant pour une entreprise qui atteint une taille respectable : près de 70000 collaborateurs au niveau mondial et près de la moitié à Redmond, au siège. La taille d’une entreprise exige des processus, et cela génère inévitablement de la bureaucratie pas toujours appréciée par ceux qui n’y sont pas habitués, notamment dans les équipes de R&D.
- Des commentaires sur le système d’évaluation et de compensation des collaborateurs. Et les détails sur les plans de compensation des top managers de la société, qui sont évidemment meilleurs qu’à la base. Peu de managers s’expriment. Lorsqu’ils le font, ils réagissent assez durement mais de façon bien argumentée. Il est normal que certains collaborateurs soient insatisfaits. Le système d’évaluation force les managers à identifier les meilleurs et les moins bons de leurs équipes. Quand on se retrouve du mauvais côté, ce n’est pas très plaisant, sauf à ne pas être dans le besoin financièrement et à être totalement indifférent au regard de son manager.
- Quelques éclairages sur la stratégie produit, la qualité des logiciels, les retards de Vista, le jugement que portent les équipes de R&D les unes sur les autres (par exemple, ceux de Windows trouvent nuls ceux de MSN et réciproquement).
- Des commentaires réguliers sur les résultats financiers de la société et une revue de presse associée. Normal pour des collaborateurs qui sont presque tous actionnaires de la société et se préoccupent donc beaucoup du cours de son action.
- Quelques propositions hardies, l’une d’entre elle consistant à réduire la taille de Microsoft ou à le fragmenter (démantèlement ?) et à virer plein de managers, Steve Ballmer (le CEO) en premier, et parfois, Bill Gates au passage (en passe de devenir uniquement Chairman).
Le gars qui a créé ce blog tient évidemment à rester anonyme. Il héberge son blog chez Google (Blogger) ce qui minimise les risques que Microsoft remonte à sa trace. Il n’allait tout de même pas se faire héberger sur MSDN ou chez un hébergeur partenaire de Microsoft !
Robert Scobble était de son côté un « évangéliste » de la Division Developer and Platform Evangelism de Microsoft Corp, blogger bien connu de Microsoft et à visage découvert. Cette Division est l’analogue de la Division que j’animais en France avant mai 2005. Elle est dédiée au prosélytisme des technologies Microsoft auprès des développeurs du marché, et pas du développement des logiciels de Microsoft. C’est l’un des endroits les plus intéressants de Microsoft : on y touche aux nouvelles technologies, on les fait découvrir aux « early adopters », on travaille avec des entreprises innovantes (éditeurs de logiciels, startups), et le ton d’ensemble ne se prête pas trop à la langue de bois marketing classique. Robert a créé également des interviews pour Channel 9, une chaine TV permettant de découvrir Microsoft de l’intérieur. Sur son blog, Scobble faisait évidemment la promotion des technologies Microsoft, dialoguait avec ses lecteurs, mais avec une ouverture certaine. Il parlait volontiers de technologies concurrentes, et pas forcément pour en dire du mal, ce qui est plutôt exceptionnel comme comportement. Et bien, mini-Microsoft l’embêtait quelque peu. S’il souhaitait que mini-Microsoft s’éclipse un jour, c’est par la disparition des maux qu’il décrivait. Il indiquait d’ailleurs qu’il démissionnerait si le gars qui édite mini-Microsoft était identifié et viré ! Et confirme le malaise qui sévit dans la société : “I’ve interviewed more than 500 employees over two years (and talked with hundreds, maybe even thousands, more) and I’ve met thousands of our customers and shareholders on trips to conferences, VC firms, camps, private parties, and corporate meetings. […] And, generally, what I’m finding on my tours is angst. Angst over stock price (it’s gone up about $3 since I’ve joined three years ago). Angst over marketing issues (why do we make cool names like “Sparkle” lame by changing that to “Expression Interactive Designer?”) Angst over vision and direction. Angst over leadership. Angst over advertising like our “dinosaur” ads (which are loudly derided by customers whenever I go to conferences and talk about how we’re being perceived)”. Bref, Scobble participait activement au débat généré par Mini-Microsoft. Début juin 2006, il annonçait son départ de Microsoft pour une startup, et semble-t-il sans aucune animosité par rapport à Microsoft. Dommage pour MS! Il y a heureusement plein de bloggers non anonymes chez Microsoft, mais leur objectif est souvent de parler de la technologie dont ils ont la charge.
De son côté, l’impact de Mini-Microsoft est étonnant à plus d’un titre. Son auteur avait été interviewé par Business Week pendant l’été 2005 d’où son surnom de “Deep throat” (gorge profonde, comme dans l’affaire Watergate). L’article décrivait fort bien ce phénomène « d’employee blogging ». “Le Monde” s’en était fait l’écho en mars 2006. Dans le même numéro de Business Week, Steve Ballmer réagissait en commençant par le déni : “How is morale at Microsoft? We have as an excited and engaged a team at Microsoft as I could possibly manage. We have 85% of our people say they feel strongly that they’re proud to be at Microsoft. They love their work. They’re passionate about the impact that we’re having on customers and society. And that’s a real powerful, a really, really powerful statement about where our people are. Certainly, we continue to bring in new people. We’ll hire, net new, over 4,000 people this year, and attract great people into the company. I’m very bullish about the employee base and what it can accomplish”.
Il n’empêche qu’en mars 2006, Steve Ballmer déclarait à des centaines de managers du monde entier médusés qu’il y avait trop de mauvais managers dans la société et qu’il fallait s’en débarrasser ! Il ne s’inspirait d’ailleurs pas seulement de mini-Microsoft mais également de Jack Welch. L’ancien patron de General Electric préconise dans ses différents ouvrages de virer chaque année 10% des collaborateurs de l’entreprise. Les plus mauvais s’entend ! Ou les moins performants. Dans les faits, Microsoft est loin d’être un adepte forcené de cette pratique. Le turn over (appellation franglaise qui se dit « attrition » en anglais et en américain) y est assez faible et en dessous de la moyenne de l’industrie.
J’ai découvert mini-Microsoft en juin 2005 et cela m’a fait un choc de voir tant de rancoeur mise sur la place publique ! A la fois parce qu’elle est probablement exagérée et qu’elle donne une image trop négative d’une boite qui ne doit pas être pire que les autres. Elle a finalement poussé son degré de transparence à un stade supérieur, et sans le vouloir. La transparence existait déjà pas mal, que ce soit par la nombre de personnes de l’entreprise qui « communiquent » dans le monde, par les blogs de collaborateurs de Microsoft (souvent dans la Division Développeurs) par les nombreux mémos internes qui se retrouvent volontairement ou pas dans la presse. Ce phénomène ne va pas s’arrêter à Microsoft ! L’ensemble des grandes entreprises va à terme être affectée par ce phénomène. Et elles y seront moins préparées que Microsoft car leurs structures de management risquent de réagir de façon malsaine.
Ce phénomène d’employee blogging est peut-être encouragé aux USA par la faible syndicalisation dans la high-tech et par les opportunités offertes par la technologie des blogs. C’est finalement un phénomène salutaire dans le cas de Microsoft. Les discussions y sont bien plus éclairées que le « bashing » permanent de la société que l’on trouve sur les sites de logiciels libres, ou dans certains médias. C’est un contre-pouvoir de qualité face au top management de l’entreprise qui voit ainsi ses responsabilités plus exposées aux regards de tous. Cela éclaire les actionnaires sur ce qui va bien et moins bien dans la société. Cela ne reflète par contre que la situation dans la R&D à “Corp” (le siège). Les équipes des filiales qui représentent environ un tiers de la société, ne s’expriment pas sur ce blog. Leur moral varie selon les filiales et leur taille. En général, il baisse avec l’augmentation de la taille des filiales. Une petite filiale vit encore l’esprit « startup » alors qu’une grande filiale se bureaucratise, embauche des managers expérimentés à l’extérieur, souvent dans des entreprises dont la culture interne, très politique, se dilue dans celle de Microsoft, et pas forcément pour l’améliorer.
Les inconvénients de ce genre de blogs sont évidents: ils exposent le fonctionnement interne de l’entreprise et c’est rarement à son avantage. Cela donne de l’urticaire aux équipes de communication et au top management. Mais dans le cas de Microsoft, est-ce bien si grave que cela compte tenu de son image déjà fort contrastée? Cela rappelle qu’une entreprise, ce sont avant tout des “vrais gens” qui ne cherchent pas à “dominer le monde” mais simplement à bien faire leur travail et à le faire si possible en en tirant les plus grandes satisfactions. Cela peut aussi démontrer sa capacité de réaction interne. Un bon exemple en a été donné le 18 mai avec l’annonce interne de modifications des méthodes d’évaluation et de rémunération des collaborateurs par le top management de Microsoft. Elles semblent aller dans le bon sens, montrent que les “executives” de Microsoft Corp ont écouté le terrain, et que le blog Mini-Microsoft a eu un impact certain sur ces décisions en catalysant certains malaises! Les réactions à cette annonce restent contrastées mais montrent une réelle volonté d’agir de Microsoft. Le 29 mai 2006, Mini-Microsoft annonçait en tout cas se mettre en veilleuse après plus de deux années d’activité. Un peu usé et atteint par le “baby blues” d’avoir pu atteindre une partie de son objectif. En fait, le blog continue de fonctionner.
Maintenant, la question qui se pose pour une Direction de la Communication d’une grande entreprise, c’est, comment réagir à ce phénomène si elle en était affectée? L’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes nourris aux Skyblogs ne va pas ralentir cette transformation! La réponse doit probablement se faire au cas pas cas. J’aurais tendance à préconiser une grande honnêteté, une plus grande transparence dans sa communication et la mise au rencard d’une partie au moins de la langue de bois utilisée par les managers (voir quelques exemples irrésistibles ici). Une entreprise est faite d’hommes et de femmes. Ce n’est pas un « corps parfait ». Elle doit savoir valoriser ses réussites mais aussi admettre et expliquer ses échecs. C’est cela qui génère la confiance. Et d’utiliser cela pour faire évoluer sa culture managériale, pour la tourner à la fois plus vers les clients et vers ses collaborateurs. Bien sûr, il faudra toujours conserver une part de langue de bois dans la communication car elle permet de motiver les équipes. Mais il faudra en user au bon moment et de façon crédible. Une des meilleures manières pour les leaders d’éviter la langue de bois est de la reporter sur le futur. Ainsi, un leader pourra décrire avec honnêteté la situation présente, quitte à noircir le tableau, et à dépeindre ensuite un futur radieux pour y entrainer ses équipes.
Si donc vous avez entendu parler de blogs du style de mini-Microsoft s’appliquant à d’autres grandes entreprises, qu’elles soient américaines ou françaises, ou autres, je suis preneur de votre avis.
PS: Mini-Microsoft n’est pas le seul blog anonyme sur Microsoft émanant de l’interne. Il fait des émules avec par exemple ExtremeMakeover qui vient d’être crée en juin 2006.
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> J’ai découvert mini-Microsoft en juin 2005 et
> cela m’a fait un choc de voir tant de rancoeur
> mise sur la place publique ! A la fois parce
> qu’elle est probablement exagérée et qu’elle
> donne une image trop négative d’une boite qui
> ne doit pas être pire que les autres.
C’est une des raisons qui me font penser que Mini (ou Who Da Punk) est non seulement un middle-manager mais aussi quelqu’un d’assez ancien chez MS pour avoir vécu d’autres époques, avoir une sorte de nostalgie du fonctionnement interne d’antan (typiquement comme Joel quand il narre sa première review avec BillG) et assez ancien aussi pour ne pas avoir connu assez longtemps d’autre employeur, et ne pas s’être frotté au (mauvais) fonctionnement des autres sociétés de notre petite industrie.
Je pense que Mini-Msft est victime du syndrome de l’ “enfant gâté” que l’on retrouve aussi chez certains anciens de MS France.
Les solutions pour le moins simplistes qu’il propose pour redresser la situation de la boite (diviser les effectifs par deux…) ne font que me conforter dans cette idée.
Ton avis, Olivier ?
A vrai dire, peu importe car ce qui est intéressant dans Mini-Microsoft, c’est plus les réactions des anonymes de Microsoft qui s’expriment dans les commentaires que les posts de whodapunk en tant que tels. Ses posts sont souvent une compilation des commentaires précédent et une sorte de revue de blogs et de presse sur ce qui se dit sur Microsoft.
Oui, il est clair que le gars semble nostalgique du passé. Mais en faire un enfant gâté pour autant est un peu exagéré. Ce qui me frappe en tout cas, c’est la critique d’un système qui est fait celle de tout système de management basé sur une hiérarchie. Se faire évaluer par un tiers relativement à ses pairs est très difficile à supporter surtout si on trouve que son manager n’est pas légitime. Comme il y a au minimum 20% de managers incompétents dans une boite, à tous les niveaux, cela suffit pour donner une impression générale d’injustice malgré le reste des managers qui font bien leur boulot et son honnêtes dans leur évaluation des collaborateurs.
C’est aussi un fait avéré que certaines équipes ont atteint une taille trop grande chez MS à la R&D et qu’elles deviennent impossibles à gérer. Cela nécessite une remise en cause pas évidente des organisations. Et pas juste en faisant appel à des cadors de McKinsey (qui sont à l’origine d’une réorganisation d’il y a 3 ou 4 ans au niveau mondial). Cela passe aussi par la conception même des logiciels dont les interdépendances sont trop complexes à gérer et créent un plat de spaghettis non seulement au niveau du code, mais également au niveau des organisations. Il me semble que MS a pris conscience de cela et essaye d’y porter remède mais cela ne se fait pas du jour au lendemain.
Je reviens sur le syndrome de l’enfant gâté que tu décris.
Ce syndrome existe mais je ne le généraliserai pas. On le retrouve chez ces gens qui se plaignent sans arrêt du cours de l’action (anémique) de Microsoft. Et regrettent le temps des croissances permanentes de l’action, dans les années 80 et 90. Cette focalisation sur le cours s’est calmée avec le temps, notamment depuis qu’il n’y a plus de plans de stocks options chez MS (depuis 2003) et qu’ils ont été remplacés par des plans d’attribution d’actions gratuites. Ces plans sont moins motivants que les stock options mais s’adaptent à la réalité d’un cours qui évolue peu. Et chaque collaborateur est éligible comme c’était le cas pour les stock options. L’info est publique, cf http://news.com.com/Microsoft+to+award+stock,+nix+options/2100-1014_3-1023840.html.
En règle générale, je trouve par contre que les anciens sont porteurs d’un esprit sympa dans la société qui pourrait avoir tendance à se déliter (goût pour la technologie, sens du risque et de l’initiative, liberté d’esprit et de parole).
Il faut aussi faire la part des choses entre filiale et siège à Corp. Il est possible que les anciens pantoufflent à Corp. Car je n’ai pas l’impression que cela soit le cas chez MS France.
Même s’il est certain que lorsque l’on reste très longtemps dans la même société, les réflexes peuvent s’émousser. En particulier si l’on n’a pas changé régulièrement de fonction pour se renouveler.
Histoire d’ajouter un éclairage sur les blogs d’entreprises, tu connais peut-être déjà cet expert ? http://padawan.info/be/
Merci Marie, tu me fais découvrir ce site! C’est un blog très intéressant sur ce sujet. Il traite visiblement plus des bloggers “officiels” d’entreprise que des cas à la Mini-Microsoft. Mais cela peut changer…
Mini-Microsoft fait référence dans son dernier post (http://minimsft.blogspot.com/2006/07/we-are-fam-ily-links.html ) à la création du site Mini-Microsoft France sur http://mini-microsoft-fr.blogspot.com/.
Bon, il n’y a rien dedans! Pas glop!
C’est juste un test de Blogger pour voir? Où quelque chose de sérieux?