Ce thème a été couvert de plusieurs manières et de façon fort intéressante :
Tout d’abord, par Hans Rosling, professeur sur la santé internationale à Stockholm et créateur de GapMinder.
Sa présentation magistrale est destinée d’abord à nous montrer que nos idées sur la distribution de la richesse ou de l’espérance de vie dans le monde sont préconçues et dépassées et que nos référentiels doivent changer. Sa démonstration s’appuie sur un logiciel générant des diagrammes animés développés en Flash. Diagrammes qui exploitent des données provenant d’organisations internationales comme l’ONU.
Avant même de lire la suite, allez sur le site http://www.gapminder.org et lancez l’animation Flash qui est en home page ou téléchargez le logiciel correspondant (“Human Development Trends 2005”). Elle contient l’essentiel des messages de la présentation. C’est vraiment bluffant de simplicité.
Pour lui, la globalisation est une bonne chose et il le démontre par les chiffres. Ou tout du moins, la globalisation est incontournable, donc faisant en sorte d’en tirer le meilleur.
Pour démontrer les idées préconçues, il a monté un petit QCM pour ses étudiants suédois sur la comparaison de la mortalité infantile entre différents pays. Les résultats étaient très mauvais et en dessous de ceux de chimpanzées qui répondent de manière aléatoire. Les professeurs suédois ont eu de meilleurs scores, mais simplement au niveau des chimpanzées!
En fait, Hans Rosling veut faire évoluer cette taxonomie entre monde occidental et le tiers monde, qui n’a plus de sens.
Je ne résiste pas à l’envie de refaire le tableau, d’autant plus que les contenus et données du site GapMinder sont “open source”.
Sur la répartition de la richesse, voyons son évolution et sa répartition par continent entre 1970 et 2006:
Il montre que le revenu moyen s’est amélioré dans tous les continents et en particulier en Asie. C’est le continent africain qui est le plus en retard. A cause des guerres, héritées d’un découpage territorial colonial ne tenant pas compte des tribus, et de la corruption. Entre autres. Les gens quittent les villages pour rejoindre les villes (il n’y a pas d’immigration illégale vers les villages!). L’amélioration de la situation économique passe selon Hans par l’éduction, la santé, le micro-crédit, les infrastructures et les droits de l’homme. Vaste programme! Et avant d’avoir des ordinateurs, il faut de l’électricité. Et si l’ordinateur à $100 de Nicholas Negroponte fonctionne avec une manivelle, ce n’est pas le cas de l’accès à l’Internet!
Suite de la démo : le rapport entre le niveau de vie (PNB/habitant) et la mortalité infantile. Celle-ci a bien évolué en 30 ans sur tous les continents, sauf en Afrique, ou le PNB/habitant a même régressé!
Et lorsque l’on éclate les continents en pays, on constate d’énormes différences entre pays. Par exemple, entre pays arabes qui partagent pourtant une même culture et une même religion… (NDLR: mais, semble-t-il, pas le pétrole)!
La structure de la famille a énormément évolué. On est passé dans les pays pauvres de grandes familles avec une vie courte à de petites familles avec des vies plus longues. Il y a une corrélation entre la taille des famille (faible) et l’espérance de vie (longue). En fait, la globalisation a été générée selon Hans par des évolutions démographiques et pour lui, la population va d’ailleurs tendre à se stabiliser au gré de l’enrichissement des pays. Et de s’appuyer sur l’évolution (un peu simpliste au demeurant) de la structure familiale au travers des âges (qui ne tient pas compte de la polygamie):
La modernisation de l’habitat, de la chambre, de la salle de bain et de la cuisine ont été les facteurs clés d’amélioration de la santé dans le monde. Elles ont selon lui précédé la globalisation économique dont on parle aujourd’hui. En fait, selon le pays, la progression de la santé a précédé (Chine) ou pas (Egypte) celle de l’économie.
Les gens pauvres ne se préoccupent pas beaucoup de la pollution par le CO2 car ils n’ont même pas la santé et les basiques de la vie. Avec l’enrichissement de l’ensemble des continents, cette préoccupation va à la fois augmenter, la population se stabiliser, et le problème être plus directement traité. Phénomène de poule et d’oeuf assez intéressant!
Pourquoi ai-je donc mis cette présentation de Hans Rosling dans la catégorie de la connaissance? Parce que son message était le suivant : nos idées sont préconçues sur les évolutions macro-économiques du monde. Il nous faut disposer de données accessibles pour comprendre cela. Après l’open source et l’open content, il milite pour l’open data. Donc, faire en sorte que les données qui dorment dans les bases de l’ONU et autres organisations nationales et internationales soient publiques et exploitables (j’apprécierai de mon côté un benchmark raisonné du nombre de fonctionnaire/habitant et par catégorie de fonctionnaire).
Les trottoirs sont gratuits, les données (publiques) devraient l’être également!
L’orateur a eu droit à l’une des deux standing ovations de la conférence, avec Shimon Peres, je crois. C’était bien mérité!
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J’en viens maintenant à la seconde présentation intéressante dans le domaine de la connaissance, celle d’Enrique Dans, un professeur d’université espagnol (photo ci-dessus).
Il décrit les changements que l’Internet et les nouvelles technologies devraient introduire dans les méthodes pédagogiques, à contre courant de ce qui se fait en ce moment.
Partant d’une démonstration par l’absurde basée sur le scénario des films Matrix, voudrions-nous remplir automatiquement notre cerveau avec de la connaissance (pratiques des arts martiaux dans le cas de Neo)? L’éducation est-elle juste une affaire d’upload dans le cerveau? Ben non…
Les évolutions graduelles des technologies nous ont amené à une situation qui dépasse le progrès des outils (traitement de texte, tableur, accès à l’information, communication): les jeunes sont des “citoyens du web”, ils ont une présence, une réputation, une capacité d’expression, des règles du jeu de cette vie dans le monde virtuel.
L’enseignement est devenu une forme de communication: elle est bidirectionnelle, nécessite de bons facilitateurs, de l’ouverture, de la conversation plus que de l’exposé magistral. C’est d’autant plus nécessaire que l’information est devenu une commodité du fait de l’Internet.
Pour Enrique, l’enseignement en ligne est réalisé de la mauvaise façon. C’est en général juste un moyen de répliquer l’enseignement pour pas cher et facilement.
Quelques crédos d’Enrique pour l’enseignement moderne:
- Passer de l’assimilation de contenus à la définition d’objectifs.
- De l’unidirectionnel au réseau
- Du prof aux élèves… et dans l’autre sens
- Les profs deviennent des “super-noeuds” (supernodes).
- Evaluer les étudiants selon le degré de leur activité en ligne (en plus du reste).
C’est raffraichissant! Et correspond à mon observation personnelle, moi qui enseigne dans les grandes écoles (sur les stratégies de l’innovation, entre autres).
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Bon, on a eu aussi droit à un débat sur l’open source, avec notamment Tristan Nitot de la Fondation Mozilla, qui m’a plus impressionné par son anglais impeccable que par son propos qui reprenait les canons éculés de l’open source. La question était de savoir si l’open source devenait commercial. Oui, par le biais des services. Mais on le savait déjà.
Ce qui est agacant, c’est de voir qu’il est difficile de comprendre la dynamique globale de la création de logiciels et les limites du modèle de l’open source. Où va-t-il s’arrêter? Peut-on considérer que dans la concurrence mondiale actuelle, on doit considérer que tout ce qui est immatériel est dans le domaine public et que seule l’économie des services doit permettre aux entreprises de prospérer? C’est une vision certainement utopique. La création de valeur dans l’immatériel est stratégique pour notre économie et il faut donc se garder de découper la branche sur laquelle notre développement futur doit se construire!
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> Après l’open source et l’open content,
> il milite pour l’open data. Donc, faire
> en sorte que les données qui dorment dans les bases de l’ONU et autres organisations
> nationales et internationales soient
> publiques et exploitables
Je réagis sur le concept de l’open data.
A vous lire ou à lire votre compte rendu, il semblerait que le problème soit simplement celui d’un accès à des données (en l’occurence celles de l’ONU).
Si je m’appuie sur l’exemple de la démographie qui est cité, c’est un constat qui est fait par de nombreux démographes ou sociologues depuis longtemps. C’est le crédo d’un auteur comme Emmanuel TODD qui analyse la correlation entre la progression du niveau d’éducation et :
– l’occurence de crises politiques (impact plutôt présent pour les hommes)
– le contrôle de la natalité chez les femmes.
On peut même aller plus loin (grâce à eux) et comprendre le lien qui existe entre le schéma traditionnel familial et le type de régime politique qui se met en place dans un pays.
Bref, les concepts ne sont pas tous déclinables sous l’angle “open+quelque chose”. C’est séduisant mais il ne faut pas être aveuglé par tous les speakers tentés de faire du neuf avec du vieux.
D’autant que le problème n’est pas toujours d’avoir accès à un “quelque chose” (le code source d’un programme, les bases de données statistiques de l’ONU…) mais il s’agit surtout d’être capable de comprendre et de construire autre chose à partir de là. Le préalable (l’essentiel) est donc, selon moi, d’acquérir les connaissances nécessaires à ce travail d’analyse.
L’open data ne sera donc rien sans open éducation. Ou, si je peux me permettre de parodier Rabelais : “Open Data sans Open Education, n’est que ruine de l’âme” 🙂
On sort donc de la simple problématique d’accès (question presque technique) pour aborder un sujet beaucoup plus phylosophique et politique.
Very good points Rafael!
C’est un peu pour cette raison que j’ai d’ailleurs mis cette présentation dans la rubrique “connaissance” car c’est bien de cela qu’il s’agissait. Le propos de Hans Rosling est un peu dans la lignée de Freedman (The World is Flat): il vulgarise le fait que les différences entre pays ont tendance à s’estomper avec le temps. Et le discours s’appuie sur une présentation visuelle des données qui génère l’effet “ahaaa”.
Dans son discours, il a très peu parlé d’éducation. Son site GapMinder présente cependant quelques graphes comparant les niveaux d’éducation de pays en voie de développement, mais sans les explications qui vont avec. Ce penchant pour la santé est un peu normal puisque Rosling est … prof d’ “International Health”.
Je suis tout à fait d’accord: l’éducation conditionne le développement économique, peut-être tout juste après la santé. Tout comme celui de la démocratie. Même si dans certains cas, il n’y a pas forcément de corrélation entre les deux. Et pour ne vexer personne, je ne vais pas citer les pays en question…
[Event] Le Web 3 est terminé…
Le Web 3, la grande conférence sur le Web 2.0 qui a réunit près de 1000 personnes de 37 pays différents…
Olivier, merci pour le compliment sur mon anglais 😉
Quant au sujet, ça n’est pas moi qui l’ai choisi, c’est Loïc, probablement suite à la controverse et aux insultes lancées par votre ex-collègue… J’ai accepté de discuter sur ce sujet, mais ça n’est probablement pas celui que j’aurais choisi de moi même. Je pense que j’aurais parlé de méritocratie, de collaboration à l’échelle mondiale et de partage de la connaissance. J’aurais parlé des applications, outils et processus qui nous permettent de faire cela : Bugzilla, Tinderbox, LXR, Hendrix, CVS, Litmus… Par contre, 15 minutes n’auraient pas été suffisantes.
Hé hé, c’est la limite des débats de ce genre! Je trouve aussi que la formule est loin d’être idéale. On ne fait que survoler les sujet, les speakers sont en général frustrés.
Bel exemple des limites de ce modèle: faire intervenir Bernard Liautaud pendant 5 minutes dans une table ronde. Alors qu’il aurait largement mérité un débat avec un seul modérateur et pendant 20 minutes. D’abord parce que c’est probablement l’un des mecs qui s’en est le mieux sorti en France dans la high-tech, et ensuite parce qu’il ne s’expose pas énormément dans les conférences.
Pour le débat sur l’open source, j’apprécierai bien un jour de voir l’aspect macro-économique de la chose traité sérieusement, avec une approche prospective. Vers quel équilibre entre OSS et logiciels commerciaux ou mixtes se dirige-t-on? Qu’est-ce qui est optimal du point de vue client d’un côté, et économique de l’autre dans le cadre de la concurrence internationale? Etc. C’est un sujet très peu abordé. Est-ce qu’il faut encourager le logiciel libre, ou le logiciel tout court (au niveau de l’implication de la puissance publique)? Etc.