Le monument de l’IGF sur l’économie numérique

Publié le 26 octobre 2012 et mis à jour le 30 octobre 2012 - 19 commentaires -
PDF Afficher une version imprimable de cet article
  

L’Inspection Générale des Finances vient de publier sur son site une étude qu’elle avait réalisé fin 2011 et livré à ses autorités de tutelle de l’époque Eric Besson et François Baroin en janvier 2012 sur “Le soutien à l’économie numérique et à l’innovation”. Le rapport qui fait 421 pages est téléchargeable ici. Il comprend au début une grosse cinquantaine de “slides” de résumé.

IGF Soutien economie numerique

Ce document est remarquable car il compile une quantité incroyable de données, que je n’ai pas encore eu le temps de dépiauter entièrement. Cela rappelle par certains côtés les travaux de Mary Meeker sur l’état de l’Internet (exemple ici).

Il examine en détail les aides publiques à l’innovation, et il les compare aux dispositifs équivalents de nombreux pays comme les USA, le Royaume Uni ou Israël. Il passe cependant sous silence l’impact de la régulation locale sur le développement d’innovations. Exemple tout bête : pas de Netflix possible avec une chronologie des médias à la française !

Il analyse également la structure même de cette économie numérique par métier et sans rien oublier. Tout y passe, des composants électroniques à l’Internet en passant par le matériel, les logiciels et les services. Le niveau d’analyse est très fouillé. C’est rare d’avoir un tel panorama car bien trop d’études résument le numérique à l’Internet. On y observe le poids économique de grands acteurs comme Alcatel mais aussi une boite moins connue, Nexans, spécialiste des fibres optiques. En ce sens, je trouve ce rapport plus solide que celui que Google avait commandé à McKinsey en 2011 et qui a ensuite servi de référence dans tout un tas de communications industrielles et politiques.

Il explique aussi très bien à quoi ressemble le fameux Small Business Act américain, très mal compris en France, et ce que l’on peut en retenir en France. Il explique pourquoi la disposition SBA de la Loi de Modernisation de l’Economie de 2008 et qui permettait de réserver une part de la commande publique aux PME n’a eu aucun effet (aucun = nada = zéro = vide). Il souligne qu’un SBA français n’aurait de toute manière que peu d’impact sur l’économie numérique car il n’impacterait au grand maximum que 200m€ de dépense publique. Mais cela ne tient pas compte d’éventuels grands projets dans la e-santé ou la e-éducation.

On découvre que la moitié des investissements dans les pôles de compétitivité est allée aux acteurs du numérique, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Mais dans des projets collaboratifs que le rapport juge à juste titre trop lourds à mettre en œuvre pour les PME du secteur.

On y trouve une cartographie précise de toutes les aides publiques à l’innovation dans le numérique. J’avais tenté l’exercice en avril 2009 mais en n’ayant pas le même accès aux données que l’IGF. Ma conclusion était cependant voisine, avec un poids très fort du CIR et des projets collaboratifs. Le fait de disposer de données précises permet de rationnaliser un peu les débats sur les financements publics de l’innovation !

IGF Leviers Publics Innovation Numerique

Le rapport est aussi là pour faire des propositions. Elles sont structurées de manière très logique selon la chaîne de l’innovation (ci-dessous).

On y retrouve quelques-unes qui sont de bon sens et auxquelles je souscris entièrement comme le besoin d’améliorer la transversalité de l’enseignement supérieur (technologies + business + design) et de densifier les filières de formation dans les métiers du numérique, ou celui d’améliorer les capacités d’exportation et d’internationalisation des acteurs français du numérique. Il y a aussi un chapelet de mesures assez techniques sur le financement public de l’innovation.

Propositions IGF Developpement Innovation Numerique

Il y en a d’autres qui pourront donner lieu à discussion :

  • Ce qui concerne la focalisation par filière des interventions publiques (notamment celles du Plan d’Investissement d’Avenir). Il faudrait mieux distinguer dans les financements publics directs (aides, avances, quasi-fonds propres et fonds propres) et indirects (liés à la fiscalité) ceux qui doivent rester le plus générique et ceux qui doivent être sectoriels. Il est critique de laisser les innovations germer de façon non planifiée. La plupart d’entre elles sont apparues ainsi. L’AR Drone de Parrot qui est cité dans le rapport n’aura jamais vu le jour dans le cadre d’une décision pilotée par la puissance publique ! Il en va de même d’un service comme Deezer dans la mesure où il pouvait bousculer l’establishment de la musique. Donc, OK pour des focalisations sectorielles moins nombreuses, mais pour réallouer les secteurs moins prioritaires vus de l’Etat aux financements génériques de l’innovation. Et il y a l’art et la manière : la focalisation sur le cloud est la grande risée du moment avec les projets Numergy et Cloudwatt. Il ne suffit par de décréter qu’un thème est prioritaire, il faut le faire au bon moment, avec les bons moyens, et en étant le plus proche possible du marché. Ici, on a alloué des dizaines de millions d’Euros avant d’avoir un gramme de business plan !
  • Le rapport observe l’insuffisance du financement privé de l’innovation, du fait de rendements médiocres et les fameux “equity gaps” qui touchent notamment le financement d’amorçage (aux alentours de 500K€) et de capital développement (au-delà de 5 m€). Mais il n’évoque pas la manière d’optimiser l’équilibre entre d’un côté les incitations fiscales, qui laissent le secteur privé allouer les investissements aux entreprises innovantes, et les interventions plus directes où ce sont les pouvoirs publics qui choisissent ces allocations. Ces dernières années, la tendance a été clairement de réduire progressivement les incitations fiscales pour privilégier les allocations publiques. Avec les lourdeurs bureaucratiques que cela entraîne et les limites du modèle, les autorités concernées ne disposant pas toujours des compétences pour gérer les allocations. L’IGF propose la création d’un fonds de fonds. Moi qui croyais que cela existait déjà dans le cadre de France Investissement ! L’idée est de réduire les frais de collecte, qui étaient élevés dans le cadre des fonds ISF, qui ont par ailleurs plus ou moins disparu depuis 2011. Il me semble primordial de privilégier les incitations fiscales pour laisser le secteur privé gérer les allocations. En effet, dans le financement de l’innovation, le risque, c’est le marché, pas la technologie. Même si les investisseurs privés sont imparfaits et ne sont pas des oracles, les opérateurs publics sont encore moins compétents pour apprécier la réactivité du marché à des innovations dans le numérique. En particulier lorsqu’elles ont une forte composante sociale/sociétale.
  • Le rapport propose d’attirer les entreprises sur le plateau de Saclay, mais l’étude de ce cluster en devenir est un peu rapide, même si les démarches de cluster sont benchmarkées avec plein d’autres pays. Quels seraient les facteurs clés de succès du plateau de Saclay ? Qu’est-ce qui manque pour les remplir ? Aucun mot spécifique sur Saclay sur le manque de transdisciplinarité, pourtant évoquée ailleurs au sujet de l’enseignement supérieur. Et ne parlons pas des moyens de transport et de la mixité des profils sur place !
  • La proposition de désengager le Plan d’Investissement d’Avenir du financement du très haut débit dans les zones peu denses qui va surement faire jaser. Il considère que cela relève plus d’une logique d’aménagement du territoire que d’une véritable stratégie industrielle. Je suis plutôt d’accord car j’ai bien dû l’écrire il y a quelques temps. Mais le Plan d’Investissement d’Avenir n’avait pas qu’une vocation industrielle pour autant.

On peut au passage se demander pourquoi ce rapport très bien documenté a été enterré par Eric Besson et exhumé par le nouvel exécutif, à savoir Fleur Pellerin. Au premier degré, il semble en effet remettre en question certaines décisions du précédent gouvernement. Mais c’est le lot commun des rapports de l’IGF, comme ceux de la Cour des Comptes. Ce retard de publication est vraiment regrettable car le rapport, même si l’on n’est pas forcément d’accord avec ses conclusions, fournit une documentation très riche qui permet de “substantiver” les débats sur l’économie numérique ! Les débats autour de la présidentielle et ceux qui ont actuellement lieu dans le cadre de la bien justifiée révolte des “pigeons” en auraient tiré un bon parti !

Pour la petite histoire, ce rapport de l’IGF avait été demandé à l’origine par le Conseil National du Numérique pour faire un inventaire des diverses aides publiques à l’innovation dans le numérique. Je faisais partie des personnes auditionnées par l’IGF dans le cadre de la préparation de ce rapport. La liste des personnes interrogées tient sur six pages ! J’ai passé plus de cinq heures en deux réunions avec de quatre à six inspecteurs des finances. Les discussions étaient très riches et j’ai eu l’impression d’avoir affaire à des gens très bien informés sur la question. Ce qui se retrouve dans le rapport où l’on sent bien que de nombreux messages sont bien passés.

Au passage, l’un des deux inspecteurs des finances qui pilotaient ce rapport, Alexandre Siné, est devenu depuis Directeur de Cabinet Adjoint de Vincent Peillon au Ministère de l’Education. Il faut dire que Siné est normalien, agrégé de sciences économiques et docteur en sciences politiques (sa bio ici qui montre qu’il avait déjà aussi bien planché sur le thème de l’éducation). L’IGF mène à tout, et pas qu’à la finance !

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img

Publié le 26 octobre 2012 et mis à jour le 30 octobre 2012 Post de | Entrepreneuriat, Innovation, Politique, Startups | 46604 lectures

PDF Afficher une version imprimable de cet article     

Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :


 

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img

Les 19 commentaires et tweets sur “Le monument de l’IGF sur l’économie numérique” :




Ajouter un commentaire

Vous pouvez utiliser ces tags dans vos commentaires :<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong> , sachant qu'une prévisualisation de votre commentaire est disponible en bas de page après le captcha.

Last posts / derniers articles

Free downloads

Understanding Quantum Technologies 2024, a free 1,554 pages ebook about all quantum technologies (computing, telecommunications, cryptography, sensing):

image

Understanding Quantum Technologies 2024 Short version, a 26 pages version with key takeaways from the eponymous book.

image

The Two-Spin Enigma: From the Helium Atom to Quantum Ontology, a quantum foundations paper coauthored with Philippe Grangier, Alexia Auffèves, Nayla Farouki and Mathias Van den Bossche (paper backstory).
image

Voir aussi la liste complète des publications de ce blog.

Derniers commentaires

“Bravo Olivier! Quel boulot tu m’épates totalement et je t’adresse mes plus sincères félicitations! Je ne suis pas sûr de tout lire car je suis maintenant 100% dans l’art et la poésie et mon seul rapport à la...”
“[…] to Olivier Ezratty, author of Understanding quantum technologies 2023, the challenge for Europe is to position itself outside of where the US and China are likely end up...”
“Désolé, je suis passé à l'anglais en 2021 sans revenir au français. Traduire un tel ouvrage (1366) pages d'une langue à l'autre est un travail herculéen, même avec des outils de traduction automatique. Sachant...”
“Je suis un artiste conceptuel, certes je garde la grande majorité de mon travail dans ma tête par défaut d'un grand mécène. Mon travail de base se situe sur le "mimétisme" qui mène aux itérations et de nombreux...”
“Better than a Harry Potter! Thanks Olivier...”

Abonnement email

Pour recevoir par email les alertes de parution de nouveaux articles :


 

RRR

 
S
S
S
S
S
S
S
img
img
img

Derniers albums photos

Depuis juillet 2014, mes photos sont maintenant intégrées dans ce site sous la forme d'albums consultables dans le plugin "Photo-Folders". Voici les derniers albums publiés ou mis à jour. Cliquez sur les vignettes pour accéder aux albums.
albth
QFDN
Expo
791 photos
albth
Remise Légion d'Honneur Philippe Herbert Jul2021
2021
15 photos
albth
Vivatech Jun2021
2021
120 photos
albth
Visite C2N Palaiseau Mar2021
2021
17 photos
albth
Annonce Stratégie Quantique C2N Jan2021
2021
137 photos
albth
Maison Bergès Jul2020
2020
54 photos
albth
Grenoble Jul2020
2020
22 photos

image

Avec Marie-Anne Magnac, j'ai lancé #QFDN, l'initiative de valorisation de femmes du numérique par la photo. Elle circule dans différentes manifestations. J'ai réalisé entre 2011 et mi 2023 plus de 800 portraits photographiques de femmes du numérique avec une représentation de tous les métiers du numérique.

Les photos et les bios de ces femmes du numérique sont présentées au complet sur le site QFDN ! Vous pouvez aussi visualiser les derniers portraits publiés sur mon propre site photo. Et ci-dessous, les 16 derniers par date de prise de vue, les vignettes étant cliquables.
flow
Gaëlle Rannou
Gaëlle est étudiante à 42 Paris et tutrice de l’équipe pédagogique (en 2021).
flow
Jehanne Dussert
Jehanne est étudiante à l'école 42, membre d'AI For Tomorrow et d'Open Law, le Droit ouvert. Elle est aussi fondatrice de "Comprendre l'endométriose", un chatbot informant sur cette maladie qui touche une personne menstruée sur 10, disponible sur Messenger. #entrepreneuse #juridique #santé
flow
Chloé Hermary
Chloé est fondatrice d'Ada Tech School, une école d'informatique alternative et inclusive dont la mission est de former une nouvelle génération de talents diversifié à avoir un impact sur le monde. #entrepreneuse #formation
flow
Anna Minguzzi
Anna est Directrice de Recherche au CNRS au Laboratoire de Physique et Modélisation des Milieux Condensés (LPMMC) à Grenoble. #quantique
flow
Maeliza Seymour
Maeliza est CEO et co-fondatrice de CodistAI, qui permet de créer une documentation du code informatique par une IA.
flow
Candice Thomas
Candice est ingénieure-chercheuse au CEA-Leti, travaillant sur l’intégration 3D de bits quantiques au sein du projet Quantum Silicon Grenoble. #recherche #quantique
flow
Stéphanie Robinet
Stéphanie dirige un laboratoire de conception intégrée de circuits électroniques du CEA-Leti qui travaille sur des systèmes sur puces intégrés, des interfaces de capteurs, des interfaces de contrôle de qubits et de la gestion intégrée de l'énergie. #recherche #quantique
flow
Sabine Keravel
Sabine est responsable du business development pour l’informatique quantique chez Atos. #quantique #IT
flow
Céline Castadot
Céline est HPC, AI and Quantum strategic project manager chez Atos.
flow
Léa Bresque
Léa est doctorante, en thèse à l'institut Néel du CNRS en thermodynamique quantique, sous la direction d'Alexia Auffèves (en 2021). #quantique #recherche
flow
Emeline Parizel
Emeline est chef de projet web et facilitatrice graphique chez Klee Group, co-fondatrice TEDxMontrouge, gribouilleuse à ses heures perdues, joue dans une troupe de comédie musicale, co-animatrice de meetups et est sensible à l’art et à la culture. #création
flow
Elvira Shishenina
Elvira est Quantum Computing lead chez BMW ainsi que présidente de QuantX, l'association des polytechniciens du quantique. #quantique
flow
Marie-Noëlle Semeria
Marie-Noëlle est Chief Technology Officer pour le Groupe Total après avoir dirigé le CEA-Leti à Grenoble. #recherche
flow
Gwendolyn Garan
Gwendolyn est travailleuse indépendante, Game UX Designer, Game UX Researcher (GUR) et 2D Artist pour le jeu vidéo, étudiante en Master 2 Sciences du Jeu, speaker et Formatrice sur l'autisme et la neurodiversité, l'accessibilité et les systèmes de représentation dans les jeux vidéo. #création #jeuvidéo
flow
Alexandra Ferreol
Alexandra est étudiante d'un bachelor Game Design à L'Institut Supérieur des Arts Appliqués (année scolaire 2019/2020) #création #jeuvidéo
flow
Ann-elfig Turpin
Ann-elfig est étudiante en deuxième année à Lisaa Paris Jeux Vidéos (Technical artist, 3D artiste), année scolaire 2019/2020. #création #jeuvidéo