Pour sa quatrième édition, la conférence Hello Tomorrow 2017 de Paris se tenait une fois encore au 104, les 25 et 26 octobre. Avec plus de 3000 inscrits venant véritablement du monde entier, c’est un grand événement de valorisation de l’innovation entrepreneuriale scientifique, assimilée maintenant au croisement entre les deep techs et la tech for good. Tous les sujets y passaient avec la conquête spatiale, les transports innovants, les nouvelles sources d’énergie, la santé et le bien être, l’agriculture, l’intelligence artificielle et même l’informatique quantique. D’où le véritable bazar que constitue ce petit compte-rendu !
Les participants viennent faire leur habituel réseautage dans ce genre d’événement. Mais ils étaient aussi plutôt assidus dans les conférences. On y découvre tout un tas d’innovations voire de domaines entièrement nouveaux. Les talks y sont courts, avec un maximum de 20 mn, histoire de donner envie d’en savoir plus. Un machin dénommé Internet permet de creuser, sauf pour celles des startups qui ont encore un site web en construction ce qui arrive parfois.
Hello Tomorrow est surtout financé par de grandes entreprises françaises avec Air Liquide, L’Oréal, BNP, Airbus, ADP, Michelin, Renault, Solvay, Servier et Carrefour, chacun venant valoriser ses startups accélérées ou accompagnées. L’innovation se retrouvait même dans la restauration, avec les nombreux projets accompagnés par l’incubateur culinaire United Kitchens ainsi que dans la scénographie, surtout dans la salle des présentations de startups.
Dans cette auberge espagnole de l’innovation scientifique, j’ai été particulièrement intéressé par quelques intervenants que voici.
Laura Kerber, géologiste de la NASA qui planche sur Mars et que j’avais déjà vue à l’Echappée Volée en mai 2017 (photos). Elle rappelle quelques basiques sur la planète rouge avec ses années de 687 jours, 37% de la gravité terrestre, 40% de notre ensoleillement, de l’eau surtout située sur les pôles qui sont peu accueillants. Elle décrit la géologie accidentée de la planète avec ses nombreuses fissures profondes infranchissables et les tempêtes de poussière. A l’écouter, la conquête de Mars est plutôt mal barrée. Mais c’est en connaissant finement les obstacles à franchir que l’on peut avancer !
En discutant avec elle, j’ai découvert que l’on détecte la distribution de l’eau sur Mars à distance, avec des capteurs de rayons gamma en orbite ! Ces rayons sont émis par les atomes qui sont touchés par les rayons cosmiques, avec des niveaux d’énergie spécifiques à chaque élément, dont l’hydrogène de l’eau. Seul inconvénient : ce n’est pas très précis. On obtient des courbes d’hygrométrie souterraine à 50 km près. Le sourcier martien a encore de beaux jours devant lui !
Laura m’a aussi raconté comment la NASA collaborait avec SpaceX. Les deux sont interdépendants pour leurs projets respectifs de conquête de Mars. Je voulais aussi savoir comme la NASA avait perçu la prouesse d’Elon Musk avec la capacité à récupérer ses fusées Falcon 9. Ce n’était pas jugé impossible par la NASA. Cette dernière avait surtout été échaudée par l’échec de la récupération des boosters de ses navettes spatiales une fois celles-ci tombées dans la mer. La performance tient à la capacité à faire redémarrer les moteurs et à bien stabiliser la fusée lors de son retour sur Terre. Les accéléromètres/gyroscopes que l’on trouve maintenant dans n’importe quel drone jouent aussi probablement un rôle dans l’histoire !
John Bradford de SpaceWorks expliquait de son côté comment les passagers des voyages spatiaux seraient non pas congelés mais mis en hibernation, comme le font certains mammifères en hiver, et à une température d’environ 29°C. Le tout, grâce divers adjuvants qui ralentissent la thermogenèse et à une alimentation par endoscopie directe dans l’estomac, et surtout… amovible. Ça fait un peu froid dans le dos mais les volontaires ne manqueront certainement pas à l’appel !
Dans le domaine de l’intelligence artificielle qui m’occupe un peu en ce moment, j’ai pu rencontrer Stuart Russell, le Russell du fameux ouvrage de référence sur l’IA “Russell & Norvig”, “Artificial Intelligence, a modern approach“. Il est l’équivalent du Lagarde, dans Lagarde et Michard, pour la littérature. A ceci près qu’il est encore bel et bien vivant et vous trouverez plein de vidéos de ses conférences sur YouTube !
Cet Anglais officiant à l’Université de Berkeley près de San Francisco est actuellement en année sabbatique à Paris, ce, pendant un an. Son intervention dans une table ronde avec Cédric Villani et Laurent Alexandre ainsi qu’un keynote portaient surtout sur les risques de l’IA et les moyens de les éviter (voisin de son récent TED de juin 2017). Il prépare une nouvelle édition du Russell & Norvig pour 2018, la dernière datant de 2010 et la première de 1994. De manière inévitable, elle aura une nouvelle partie sur le deep learning.
70% de l’édition actuelle porte sur l’IA symbolique et le raisonnement automatique ! J’en ai donc profité pour lui demander où en était l’AI symbolique face à la déferlante du deep learning. Réponse : les réseaux de neurones ne sont pas encore adaptés ni efficaces pour gérer du raisonnement. C’en est presque devenu un sujet tabou.
La joute intellectuelle entre connexionnistes et symbolistes ou “scruffies” contre “neats” des années 1960 est en veilleuse, les connexionnistes ayant pour l’instant le vent en poupe. Jusqu’à ce que l’on se rende compte que les réseaux de neurones sont insuffisants pour créer la fameuse AGI (Artificial General Intelligence), qui est tant convoitée ou redoutée selon les points de vue. Nous avons aussi discuté de l’application d’AlphaGo Zero à la simulation du repliement de protéines. Il a l’air de dire que ce n’est pas impossible, mais sans plus. Pas sûr qu’il ait en fait véritablement étudié la question.
D’où l’intérêt de l’intervention du français Michel Morvan de la startup Cosmo Tech, établie aux USA, et qui permet de simuler des environnements complexes avec son langage CosmoML et un moteur de règles exploitant des corrélations issues de données métiers et des règles métiers. Même si cela ne fait pas partie de l’axe de communication de la startup, on peut considérer qu son système réalise une fusion entre l’IA symbolique et le machine learning à base probabiliste.
Laurent Alexandre est revenu de son côté sur le thème de son dernier livre “La guerre des intelligences”, insistant notamment sur l’urgence pour les politiques de s’emparer du sujet. Oui, mais pour faire quoi dites-donc ? Bien, pas trop le temps de l’expliquer dans une table ronde ! Il faut lire son livre, ce que je suis en train de faire ! J’y reviendrai sûrement un de ces jours.
Cédric Villani n’a pas été bien plus disert sur la question, au-delà de quelques formules convenues. Il est une sorte de Jared Kushner de la science française, mais sans liaison familiale avec le Président de la République, occupé qu’il est par la création de la V2 du plan France IA et par une mission sur l’enseignement des mathématiques à l’école en plus de son rôle de député et de Président et bientôt de Vice Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). On recherche d’urgence un autre élu avec un background scientifique, sinon la France risque de faire craquer en vol le seul qu’elle a sous la main !
Soren Stobbe de Sparrow Quantum vulgarisait les applications des ordinateurs quantiques. Sa société est à l’origine d’une technique d’émission de photons individuels pouvant servir dans la recherche et pour la création de processeurs quantiques. C’est l’une des nombreuses méthodes de création de qubits mais on est encore loin d’un ordinateur à ce stade. La startup danoise créée en 2016 est issue de l’institut Niels Bohr.
Dans la santé, les talks intéressants ne manquaient pas avec notamment le français Poeitis et sa technologie d’impression d’organes vivants, puis Aobiome qui travaille sur la restoration du microbiome de la peau pour traiter diverses pathologies et la startup américaine OneSkin Technologies qui planche sur la reprogrammation des cellules de la peau pour ralentir le vieillissement… apparent.
Dans la rubrique énergie, les batteries sont déterminantes pour permettre le stockage d’énergies renouvelables intermittentes. Le Canadien Don Sadoway est un chercheur du MIT qui a créé en 2010 la startup Ambri pour commercialiser une technologie de batterie à métal liquide à base de magnésium, d’antimoine et d’électrolyte de sel, dont l’intérêt est d’avoir une forte densité énergétique et une faible déperdition dans le cycle de charge/décharge. La startup a levé en tout $50M mais semble en retard dans son processus d’industrialisation. Ca a toutefois l’air d’être bien prometteur pour réduire le coût de stockage de l’énergie intermittente dans le grid. Voici la source du schéma explicatif ci-dessous.
Il y avait enfin un beau concours de startups avec 70 candidats. Le gagnant du prix Hello Tomorrow était l’indienne Saathi, qui produit des serviettes hygiéniques biodégradables à base de fibres de banane !
Parmi les gagnants catégoriels se trouvait l’Anglais Path Feel avec sa semelle dotée de capteurs et qui émet des vibrations pendant la marche pour permettre aux personnes âgées ou atteintes de maladies neurodégénératives telles que la sclérose en plaque ou Parkinson de de mieux ressentir le sol et préserver leur équilibre. Une technologie qui rappelle celle du Français FeetMe avec sa semelle captant la pression et la torsion appliquée au pied. Les gagnants comprenaient aussi le grenoblois Dracula Technologies qui conçoit des films souples photovoltaïques à base de technologie d’impression de polymères.
C’était aussi l’occasion, pendant la délibération du jury, de prendre des nouvelles du lauréat 2016, l’Allemand Lilium, créateur d’un drone de transport personnel, sorte de V22 Osprey de poche. La startup a levé $101M et a déjà fait voler un prototype (vidéo). Sans passager pour l’instant.
Il existe quelques autres projets de ce genre (Zee.Aero, e-Hang, De Lorean Aerospace) sans compter diverses voitures volantes comme celle d’Aeromobil (vidéo). Que vont devenir tous ces projets de transport urbain d’un nouvel âge ? Est-ce que les progrès technologiques d’aujourd’hui vont permettre de surmonter les difficultés qu’on rencontré tous les projets de ce genre depuis plusieurs décennies ?
La liste des points à traiter est plutôt longue : contrôle du trafic aérien, sécurité, atterrissage d’urgence, consommation énergétique, portée, coût et infrastructures pour décoller et atterrir. Ces projets auront-ils la trajectoire décevante des Segway ou celle, plutôt en plein développement commercial, des vélos électriques ? Rendez-vous dans une douzaine d’années ! Mon petit doigt me dit que, comme les hélicoptères d’aujourd’hui, ces engins deviendront au mieux des moyens de transport pour une toute petit élite. Mais ce n’est heureusement pas la règle de la majorité des innovations découvertes sur Hello Tomorrow !
L’équipe d’Hello Tomorrow portée par Xavier Duportet, Guillaume Vandenesch, Arnaud de la Tour et Nadine Bongaerts a depuis le début une ambition mondiale. Prochaine étape : un projet de conférence à Tokyo ! Voilà un autre moyen, plus indirect, de faire rayonner les innovateurs français. Valoriser les innovateurs du monde entier est finalement un bon moyen de valoriser les notres !
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