Après une première partie dédiée à quelques observations générales et un tour de l’actualité 4K et 8K, une seconde à la mobilité, à l’automobile et aux objets connectés, cette troisième partie de mon compte-rendu du CEATEC 2014 de Tokyo est consacrée à la robotique, à l’énergie et l’environnement, à la santé et ensuite à une voiture balai pour ramasser “le reste” incasable ailleurs..
Une robotique qui continue à se chercher
Au CEATEC, la quasi-totalité des robots démontrés ne sont pas des produits mais des démonstrateurs des capteurs et autres composants électroniques de fabricants de composants. Ils n’ont donc pas d’utilité pratique directe. Ce sont des outils marketing, pas du tout les robots qui permettront pas exemple de s’occuper de la population vieillissante du Japon, un des grands objectifs du pays. Un objectif dont la réalisation est régulièrement repoussée dans le futur tant le défi technologique est dur à surmonter. Les industries japonais font des progrès incrémentaux d’année en année, mais pas au point d’atteindre l’objectif. La principale difficulté est d’ordre logiciel, pas vraiment matérielle. Et ce n’est pas la spécialité des japonais !
Heureusement, le Japon est très bien armé dans le marché des robots et autres automates de production qui équipent notamment de nombreuses usines sur place. Les usines d’écrans LCD n’ont quasiment pas d’ouvriers. C’est un moyen de concurrencer les pays à faible coût de main d’œuvre et à préserver leur outil industriel local. Une migration de valeur nette qui se déplacer vers les fabricants de robots du côté de la création d’emplois.
Au menu, nous avions donc cette année :
- Chez Omron, un robot jouant au ping pong. Impressionnant pas sa rapidité et sa précision, il s’adapte au niveau du joueur et ne le fait pas perdre systématiquement pour éviter de le frustrer. C’était le clou du salon. Pour fonctionner, il exploite des caméras et autres capteurs. Ce même Omron montrait des systèmes de convoyeurs anti-vibrations transportant pour les besoins de la démonstration des balles de ping pong posées délicatement sur un petit support et un verre de thé rempli à ras-bord.
- Chez Murata, la famille des robots bicyclette est maintenant complétée d’un robot “pom pom girl” (cheerleader) roulant sur une boule. Elle fait 36 cm de haut, pèse 1,5 Kg et se déplace à 30 cm/s. Ces Cheerleader servent à illustrer les capacités des gyro-accéléromètres et des capteurs de proximité de Murata. Ils étaient démontrés dans une chorégraphie avec une douzaine d’unités qui fonctionnaient de manière coordonnée. C’est bien mignon tout plein mais cela ne va pas loin en terme d’intelligence embarquée.
- Chez Tyco Electronics, un grand dinosaure de 6,5 m de long et 2,1 de hauteur était contrôlé par une application smartphone. Gesticulant dans tous les sens, il mettait en œuvre les composants divers du fabricant, en particulier dans l’électronique de puissance, ce qui explique la taille de l’engin. Evidemment, ce n’est pas un produit “scalable” ! Mais c’est marrant à démontrer et à voir.
- Chez Denso, on voyait des petits robots à quatre roues, le X-mobility avec moteur, frein, batterie, module de communication et capteurs de proximité. Il peut rouler et tourner sur lui-même à 360°. Comme pour les robots précédents, il reste à lui trouver une utilité !
Dans les robots plus proches du produit et des usages, nos avions :
- Des exosquelettes pour aider à porter des charges, mais que l’on se trimbale sur le dos (ne descend pas jusqu’aux jambes) et donc alourdit la charge supportée, ce qui est un peu absurde. Ceci n’est pas bien nouveau. Sur un autre stand, dans la zone Venture, un grand exosquelette non motorisé était présenté.
- Chez Toshiba, un robot hôtesse d’accueil très réaliste comme on en voit depuis quelques années au Japon ou en Corée. J’en avais vu un équivalent l’année précédente au Musées des Sciences et Techniques de Tokyo. Le robot ne parle pas dans la démonstration sur le stand. Il ne fait que tourner la tête et bouger des yeux et les bras. En temps normal, il doit surement parler et entretenir une conversation simple avec les visiteurs. L’expérience est évidemment un peu troublante même si l’on n’est pas encore dans Real Humans. On voit nettement que l’on a affaire à un robot.
- Le Sharp Communication Robot, un petit robot conversationnel, sorte de lapin Nabaztag en forme de double boule. Il sourit ou pas selon la teneur des discussions avec lui. Ici encore, on est encore très très loin de la singularité !
- Aisin et ses chaises roulantes robotisées dotées de caméras et laser pour la détection d’obstacle. Pilotable avec un joystick, elles correspondent à un véritable marché pour faciliter la déambulation des personnes âgées, handicapées ou en rééducation après un accident. Il y avait d’autres outils de déambulation notamment les Uni-Cub de Honda que l’on avait déjà pu voir au CEATEC 2013.
J’ai enfin pu observer de près et à deux reprises le fameux robot Pepper du français Aldebaran Robotics qui fait maintenant partie du groupe Softbank. Il était notamment démontré dans L’Atelier, une sorte de mini-atelier de robotique intégré dans une boutique Softbank au nord du quartier de Chibuya. Il était accompagné du Nao, le premier petit robot d’Aldebaran.
On peut converser avec Pepper en japonais, ce qui est hors de ma portée. Pour ceux qui maitrisent cette langue, les conversations ne vont pour l’instant pas bien loin. J’ai pu en savoir un peu plus en allant écouter Sébastien Cagnon, un ingénieur d’Aldebaran basé à Tokyo qui y assure l’avant-vente du produit et des développements applicatifs. Sébastien intervenait dans une petite conférence organisée par la Chambre de Commerce France Japon. J’ai pu glaner quelques informations intéressantes à cette occasion.
Softbank détient maintenant 80% des parts d’Aldebaran, le reste étant détenu par les fondateurs et salariés. Les VCs français qui avaient investi dans Aldebaran sont donc entièrement sortis du capital de la société. Elle est considérée comme une filiale de Softbank, un peu comme Price Minister est une filiale de Rakuten. La société emploie 500 personnes dont 400 à Paris et un total de 320 ingénieurs.
Le pain point que Pepper ambitionne de traiter : la solitude, qui mène au désespoir, surtout chez les personnes âgées. Dans la pratique et dans un premier temps, il servira à occuper les clients qui attendent plus de 10 minutes dans les boutiques Softbank aux heures de pointe. Il discute avec les gens et peut les distraire quelques minutes.
L’approche écosystème semble au rendez-vous : Aldebaran s’est associé à Yoshimoto pour les contenus, à Foxconn pour la fabrication, à LG Electronics pour la tablette qui est intégrée dans le robot et à l’opérateur Sprint (filiale de Softbank) pour la distribution internationale. Le “Pepper Tech Festival” est une conférence développeur qui a attiré 1200 participants et généré 600 commandes du robot. 200 ont été produits à ce jour. Le robot dispose de son SDK, Naoki, qui est utilisé avec le langage Python (reste à le rendre accessible avec d’autres langages). Sa commercialisation officielle doit démarrer en février 2015. Il sera vendu pour 200K yen, le même prix d’une TV 4K de 46 pouces ! Et il sera associé à un abonnement de service de 80€ par mois, moyen d’en réduire le prix facial. Le robot a été présenté comme le cinquième membre du groupe pop SMAP. Il est présenté dans le stand BicCamera dans le grand magasin Yodobashi à Tokyo.
Malgré tout cela, Pepper est encore très rudimentaire. Ses capacités motrices sont limitées. Sa tête se déplace dans tous les sens et suit son interlocuteur. Ses mains comprennent un seul degré de liberté. Il n’est pas près de faire le ménage, la vaisselle ou les courses pour les personnes âgées. Il roule sur trois roues et ne peut donc se déplacer que sur surfaces planes.
Le robot japonais le plus impressionnant reste le Asimo de Honda qui n’était malheureusement pas présent au CEATEC. C’est à ce jour le robot bipède le plus souple et polyvalent qui soit. “Né” en 2000, il fait depuis régulièrement des progrès dans ses capacités motrices. Il marche, court, monte les escaliers, danse, etc. Ses capacités sont surtout motrices (cf cette vidéo). Il n’entretient pas la conversation comme Pepper. Il reste encore du boulot et de nombreuses années de recherche pour intégrer à ces robots des fonctionnalités d’auto-apprentissage et de communication dignes de ce nom.
Environnement et énergie
Les préoccupations environnementales sont toujours au gout du jour au Japon. Mais parfois de manière très surprenante. Ainsi, alors que Toshiba éclaire les salades avec des LED, Fujitsu les fait carrément pousser sous atmosphère contrôlée ! Elles sont cultivées dans les salles blanches de son usine de semiconducteurs désaffectée de Aizuwakamatsu dans la préfecture de Fukushima. Elles sont produites sans potassium, ne nécessitent pas d’être lavées, ont moins de bactéries et se conservent plus longtemps. Elles servent notamment aux patients atteints de troubles rénaux. 3500 salades sortent chaque jour de cette usine d’un genre nouveau. L’usine fait appel à des techniques avancées de culture hydroponique (hors sol) et à des technologies numériques comme le cloud pour en suivre la qualité. Une belle notion d’équilibre à la japonaise !
On trouve sinon des panneaux solaires chez presque tous les grands groupes japonais. Kyocera exposait des panneaux solaires flottant sur l’eau. Leurs flotteurs Hydrelio sont construits par une société française, Ciel et Terre. Ces panneaux sont utilisés sur des bassins de stockage d’eau douce. L’eau refroidit les panneaux solaires et améliore leur rendement. Par la même occasion, cela évite le développement d’algues dans l’eau et préserve sa qualité. Cette technologie va être mise en œuvre dans deux centrales solaires flottantes construites dans la ville de Kato et totalisant 2,9 MW. Elles seront opérationnelles en avril 2015 (détails ici).
Chez Aisin, on propose des cellules photovoltaïques utilisant des pigments de couleur. Elles ont un rendement équivalent à la moitié des cellules en PV classiques au silicium. Pas sûr de comprendre leur utilité.
Le chargement de batteries sans fil est toujours démontré, tant pour les voitures que pour les mobiles. Notamment chez TDK, le spécialiste du magnétisme.
Chez NEC, on met les batteries “dans le cloud” (c’est une image) pour gérer l’équilibrage de charge.
Santé
Le domaine de la santé est investi depuis longtemps par les fabricants de capteurs comme Murata, Rohm et Omron. Avec notamment des tensiomètres à gogo. Quoi de neuf docteur cette année ?
Un détecteur d’acétone sur la peau chez DoCoMo qui permet de mesurer la consommation de graisses lors de son activité physique. Le capteur est intégré dans un bracelet. Il pourrait bien atterrir un jour dans une montre connectée, au gré de la miniaturisation.
Chez Fujitsu, une caméra infrarouge suit les mouvements d’un patient à l’hôpital sur son lit et permet d’éviter par des alertes qu’ils tombent du lit. On y mesure aussi le pouls en filmant juste le visage avec un simple smartphone ou une webcam. Cela s’appuie sur le fait que l’hémoglobine absorbe plus le vert. Sa concentration varie dans les artères au gré du cycle systole/diastole. Les scénarios envisagés ? L’un d’entre eux consiste à utiliser cela pour détecter le niveau de stress des salariés d’une entreprise et intervenir en cas de problème. Cela peut aussi servir dans la mesure d’efficacité publicitaire, notamment dans le retail. Encore un marteau qui cherche son clou ? Fujitsu imagine utiliser cette technologie pour identifier les individus suspects dans les aéroports ou les grands événements !
Le Life logging tool de bébés chez Murata suit la température, l’humidité et est doté d’un accéléromètre. Il fonctionne en BLE (BlueTooth Low Energy). C’est encore un démonstrateur de fabricant de composants.
Chez ce même Murata, un film de 2 mm de large mesure la température de la peau ou d’un verre. Il n’y a plus qu’à trouver des usages.
Chez Aisin, on démontrait un détecteur de qualité du sommeil. Il s’agit d’un capteur de poids installé sous chaque pied de lit. C’est un peu compliqué par rapport à un Aura de Withing.
Voilà pour la santé même si j’ai surement du louper d’autres choses sur le salon !
Le revival de l’audio ?
L’audio était timidement à l’honneur sur quelques stands.
Sur le stand de Panasonic, la marque mythique Technics resortait de la naphtaline avec un amplificateur classe A et de belles enceintes, mais rien de révolutionnaire. Quand je vois cela, je pense à ce que l’on sait faire d’innovant en France avec les amplificateurs de Devialet, les systèmes audio haute résolution de Soledge et Voxtok ou les enceintes en verre de Waterfall !
Mitsubishi mettait en avant ses systèmes audio sous la vieille marque Diatone, dont une démonstration d’enceinte multi-canal unique pour une TV. C’est une version compressée des barres d’enceintes Yamaha qui exploitent des DSP pour déphaser le son émis par plusieurs hauts parleurs et recréer une ambiance multi-canal.
Pioneer exposait ses différents produits pour DJ, sa spécialité, ainsi qu’un petit amplificateur audio haute-résolution connectable à des mobiles sous iOS exploitable avec enceintes ou casque et doté d’un lecteur de CD intégré pour pouvoir les ripper. Une autre démonstration présentait le système de DJ “du futur” commandé par le geste avec un capteur de mouvements.
Il est curieux que les japonais ne s’embarquent pas plus sérieusement dans le champs de l’audio haute-résolution. Il faut souligner cependant que nombre de fabricants japonais du secteur n’étaient pas présents. Ou ceux, tels Pioneer, ne présentaient pas l’intégralité de leur offre, comme les amplificateurs audio-vidéo pour ce dernier. On verra au prochain CES comment l’audio haute-résolution sera présenté par les acteurs de ce secteur.
Autres usages ou composants
Fujitsu fait de l’intégration de solutions retail avec des capteurs Kinect pour identifier les mouvements des clients. Ils utilisent aussi des techniques d’eye tracking.
Le Fujitsu zSpace “hologram” display est une appellation qui a le don de me hérisser le poil car en guise d’hologramme, nous avons une (belle) vision stéréoscopique avec lunettes polarisante, d’images 3D manipulables avec un stylet. C’est bien, ce n’est pas nouveau et ce n’est pas un hologramme. On peut sinon croiser encore et encore diverses tentatives d’affichage de la 3D sans lunettes, principalement sur des stands de laboratoires de recherche.
Toujours chez Fujitsu, on pouvait observer de minuscules batteries au lithium ultra-plates intégrables dans une carte au format de carte bancaire.
TDK présentait un prototype de mémoire STT-MRAM de 8 mbits sous la forme d’un wafer de 20 cm de diamètre et de composants discrets. Il s’agit de mémoire non volatile à fonctionnement magnétique présentant l’avantage d’avoir des temps d’accès très rapides et de consommer très peu d’énergie. Mais sa capacité est pour l’instant limitée, le niveau de miniaturisation des composants n’étant pas encore au niveau des mémoires flash NAND classiques qui sont fabriquées maintenant avec des processus de fab en 20 voire 10 nm et dont les composants stockent plusieurs centaines de Gbits.
Nippon Electric Glass exposait sur son stand tout un tas de verres spéciaux : de l’ultra mince, de l’anti-reflet, des tubes en verres, etc. Et notamment leur Dinorex qui est leur équivalent du bien connu et très marketé Gorilla Glass de l’américain Corning. Il est utilisé dans divers smartphones et tablettes, notamment chez Samsung.
J’ai sinon trouvé par hasard le seul exposant français du salon, la société grenobloise ULIS et ses capteurs infrarouge qui équipent les caméras thermographiques NEC des aéroports japonais qui servent à détecter les passagers entrants qui ont de la fièvre. Ils y étaient pour la seconde année consécutive. Comment quoi on peut vendre au Japon même en jouant sur leur terrain des composants !
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Dans l’épisode suivant, je passe à quelques visites réalisées hors CEATEC à Tokyo. Elles étaient organisées par Francis Perrin, le correspondant sur place du fonds d’investissement IRIS Capital et aussi consultant en développement du business au Japon pour les entreprises internationales.
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