Je termine mon troisième séjour à Tokyo depuis 2009 et mon second CEATEC, ce salon généraliste du numérique qui est un petit peu le pendant, plus modeste, du CES de Las Vegas de ce côté de la planète. C’est l’occasion une fois de plus de partager avec vous quelques impressions sur cette visite et sur l’innovation au Japon.
Ce salon a la particularité d’être moins couvert par les médias que les salons qui ont lieu en Europe ou aux USA. Pour la France, il y a moins d’une douzaine de représentants des médias ou blogs (LCI, France 2, Clubic, Franck Lassagne, Fanny Bouton, votre serviteur). C’est moins du dixième du contingent équivalent qui se déplace au CES de Las Vegas.
Il faut dire que visiter un tel salon n’est pas évident : sur plein de stands, tout est écrit en japonais. Il faut donc soit un traducteur avec soi, soit demander à chaque fois qui parle anglais sur le stand. Par contre, on peut avoir souvent accès aux ingénieurs à l’origine des produits démontrés ce qui est plus rare à Las Vegas.
Par ailleurs, les nouveautés présentées sont d’une nature différente à ce que l’on peut voir en occident : beaucoup de solutions (“usages”) d’une part, et de composants d’autre part. Il y a aussi assez peu d’annonces de faites à l’occasion du salon. Mais dans certains cas, cela peut être la première fois que l’on met la main sur telle ou telle nouveauté. Comme tous les salons du numérique, c’est l’occasion de faire une photo d’un écosystème en mouvement permanent.
On retrouve dans ce salon les forces et faiblesses de l’industrie numérique japonaise : des constructeurs intégrés verticalement qui peinent à innover au-delà d’une roadmap bien prévisible, une industrie de composants qui améliore avec minutie les technologies de manière incrémentale et une faiblesse chronique dans les logiciels qui se retrouve dans l’absence de maitrise de plateformes à l’exception notable des consoles de jeux.
Le salon en est une bonne illustration : les sociétés japonaises sont très tournées vers leur marché intérieur et l’international vient après. Leurs concurrents coréens, situés dans un pays à la population trois fois moins importante, ont une approche d’emblée plus internationale, qui leur réussit plutôt bien. Et la complication des relations politiques entre le Japon et la Chine liée au différent sur les iles Senkaku n’arrange pas la situation.
Autre syndrome : un tissu de startups extrêmement faible. Le risque et l’initiative individuelle sont diamétralement opposées à la culture dominante du pays. Selon l’International Herald Tribune du 4 octobre 2012, l’investissement en capital risque au Japon représentait $314m, soit moins de la moitié de ce qu’il investit en France, c’est dire ! Cela explique pourquoi il est difficile de trouver des sociétés émergentes sur le CEATEC. Les seules PME que l’on peut croiser sont situées dans les pavillons Taïwanais ou de Hong-Kong. Et ce sont généralement des fabricants de pièces détachées.
Ces faiblesses du Japon constituent des opportunités pour les entreprises françaises du secteur. A la fois pour pénétrer le marché japonais qui est le troisième au monde après les USA et la Chine, et aussi pour diffuser nos technologies de pointe via les constructeurs japonais qui ont une présence mondiale. Les équipes d’UbiFrance que j’ai pu rencontrer à l’Ambassade de France sont d’ailleurs à la recherche d’entreprises françaises et de startups intéressées par le marché japonais pour les aider à s’y implanter. Vous pourrez les rencontrer lors des Rencontres Internationales du Numérique qu’UbiFrance organise à Paris les 24 et 25 octobre 2012 (contact: jean-dominique.françois@ubifrance.fr).
Malgré tout cela, on trouve tout un tas de choses intéressantes au CEATEC, et principalement dans le domaine des composants qui se retrouveront rapidement dans les produits finis à venir et notamment dans ceux d’Apple.
Voici donc les sujets que je vais couvrir dans ce compte-rendu du CEATEC 2012 :
- Les technologies d’affichage où les japonais ont encore des atouts, face aux chinois et coréens. Cela va des grands écrans 4K aux écrans pour mobiles et tablettes à très haute résolution.
- La télévision numérique, qui est présentée dans le salon sous l’angle du marché local avec notamment les offres des opérateurs comme KDDI ou les recherches menées par la NHK.
- Les composants où les japonais continuent à exceller dans la miniaturisation et la baisse de consommation d’énergie.
- Les nouveaux usages, une catégorie un peu fourre-tout qui couvre tout un tas de solutions, notamment dans la mobilité et aussi dans la e-santé.
- Les greentechs : avec l’énergie solaire, les batteries, les voitures électriques et surtout l’éclairage LED, très développé au Japon et notamment depuis la catastrophe de Fukushima.
Technologies d’affichage
Les technologies d’affichage sont toujours clés dans les loisirs numériques : elles conditionnent de nombreux usages, tant dans la télévision que dans la mobilité. Elles définissent les facteurs de forme des objets numériques. Leurs évolutions portent essentiellement sur la résolution qui continue de s’améliorer et dans tous les formats.
La bataille de l’innovation se joue essentiellement entre les coréens avec Samsung Display et LG Display qui investissent fortement dans l’OLED et les japonais qui sont principalement focalisés sur le LCD et encore le Plasma pour ce qui est de Panasonic. Les Taïwanais contrôlent l’essentiel de la production de masse en Chine (AUO, CMO) mais n’innovent pas significativement d’un point de vue technologique. Le CEATEC ne donnait pas l’occasion de voir les dernières technologies OLED car ni Samsung ni LG Electronics n’y exposent.
La résolution reste un argument marketing clé pour les constructeurs. C’est d’ailleurs un axe majeur du marketing d’Apple avec ses écrans Retina que l’on trouve dans l’iPhone, le New iPad et le dernier MacBook Pro Retina. Un Apple qui réussit souvent à truster de longs mois les capacités de production d’écrans de très haute résolution au nez et à la barbe de ses concurrents.
A l’autre extrémité du spectre se trouvent les grands écrans de TV avec une insistance grandissante sur la résolution 4K. Et plus précisément le 4K pour la télévision, aussi appelé “Ultra HD”, avec 3840 x 2160 pixels, qui est légèrement différent du 4K destiné au cinéma, utilisant la norme DCI 4K qui est de 4096 x 2160 pixels. Cela fait bien six ans que l’on peut voir des écrans 4K dans les salons, et notamment au CES. Mais cette année, ils étaient vraiment partout et on rencontre cette résolution aussi bien pour des TV que pour des moniteurs de PC.
Il y a d’abord les écrans de TV que l’on pouvait voir chez Sony, Toshiba, Sharp et Panasonic. Sony présente ainsi son 84 pouces LCD-LED qui sera vendu à 25K€, sa dalle étant probablement d’origine Samsung comme celle du Toshiba Regza de même format. A moins que la dalle ne provienne de LG Display qui produit aussi des 84 pouces en 4K. Il y avait aussi Sharp et sa “ICC-LED TV” au format plus raisonnable de 60 pouces.
Pour profiter de la résolution d’un écran 4K, il vaut mieux être soit plus près de son écran, soit avoir un écran plus grand. C’est lié à la résolution angulaire de l’œil humain qui est de 0,07°. Le 4K présente donc l’intérêt pour les constructeurs de permettre de vendre des écrans plus grands. La taille moyenne des TV vendue est en effet assez faible, aux alentours de 32 pouces (en France, en 2011, source : GFK).
Comme les contenus 4K ne sont pas encore légion, les constructeurs nous refont le coup de l’upscaling, une technique de vente bien rôdée qui a permis de lancer les écrans HD Ready et Full HD il y a quelques années. Les TV sont donc dotées d’upscalers qui convertissent des contenus 1080 i/p en 4K. Le résultat est censé être bluffant mais bon, il n’y a pas de miracle, on n’ajoute généralement pas d’information dans le processus. Les principales techniques d’upscaling jouent sur les contrastes pour donner l’impression d’une meilleure netteté dans les images upscalées.
Toshiba s’appuie sur le processeur CEVO Engine qui utilise une sonde de calibrage pour régler avec précision le rendu des couleurs de l’écran. Elle est similaire à un Spyder Color pour ceux qui connaissent. Le CEVO est un processeur issu de l’architecture Cell, codéveloppée par Sony, Toshiba et IBM. On retrouve l’architecture Cell dans la Sony PS3, mais visiblement pas dans les TV Sony.
Sharp utilise sa technologie ICC (Integrated Cognitive Creation) créée par le I3(I-cubed), un centre de recherche basé à Tokyo créé en 2009 par l’ancien créateur de la technologie Bravia chez Sony. Elle est mise en œuvre dans un circuit intégré propriétaire (ci-dessous). La documentation indique que cette technologie “reproduit le processus cognitif d’interprétation des images”. Elle semble exploiter le fait que les images en mouvement contiennent une information riche qui, une fois recombinée, permet d’obtenir une image de résolution supérieur. Ce qui veut dire que l’upscaling ne fonctionnerait donc pas aussi bien avec une image fixe comme une photo.
Chez Sony, les TV 4K étaient alimentées avec des vidéos de démo 4K gérées sur PC par décompression logicielle et probablement des codecs H264, le tout s’appuyant sur une liaison HDMI 1.4B qui supporte bien le 4K, mais seulement à 24/25 images par seconde. Le constructeur démontrait sinon son logiciel PlayMemories Studio (ci-dessous) sur PS3 qui supporte aussi la résolution 4K, grâce au processeur Cell de la console.
Panasonic présentait un écran plasma 145 pouces en résolution 8K qui est probablement destiné à être fabriqué en toute petite quantité pour de l’affichage événementiel. Il me semble qu’il était déjà visible ailleurs, peut-être à l’IBC 2012.
Mitsubishi exposait de son côté un écran de même format mais en technologie OLED dénommée Diamond Vision OLED. L’écran est constitué de blocs carrés de 38cm et 128 pixels de côté et pensant seulement 8 Kg qui s’assemblent pour créer des écrans de toute taille. C’est la première fois que je vois un écran de ce genre en technologie OLED. Les pixels RGB sont rectangulaires (close-up ci-dessous). Mais vu de loin, il est difficile de faire la différence avec un grand écran à base de LEDs. Les avantages ? Cela doit consommer un peu moins que les afficheurs à base de LED et la luminosité est triple. Le système est flexible et peut donc s’installer sur des surfaces non plates. Mais c’est aussi possible avec les afficheurs LED flexibles fournis “en treillis” et que l’on retrouve souvent dans les concerts.
Mitsubishi présentait aussi la version commerciale lancée en juin 2012 d’un prototype d’écran vu l’année dernière, la Diatone NCV10. C’une TV LCD avec un rétroéclairage laser pour le rouge et LED classique pour le vert et le bleu. Pas sûr que cela soit un argument de vente bien convaincant, ce d’autant plus que l’épaisseur des écrans rappelle celle des LCD d’avant le rétroéclairage LED (cf ci-dessous) ! Mitsubishi annonçait aussi au passage un décodeur hardware temps réel pour le codec HEVC (ou H265) fonctionnant en 4K. C’est une technologie qui se généralisera très rapidement dans les TV 4K. Elle sera même indispensable pour recevoir les flux TV broadcastés en 4K.
Les nouveautés d’affichage présentées couvraient donc aussi les écrans de formats petits ou moyens. Cela commençait avec des moniteurs 4K de formats 20 pouces et 32 pouces. Les 20 pouces étaient visibles chez Panasonic (ci-dessous) et les 32 pouces chez Sharp, ces derniers étant dotés d’une interface tactile ciblant les usages sous Windows 8.
Le 4K sur ce genre de format est tout à fait censé car l’utilisateur est proche de l’écran. Les démonstrations exploitent des photos de très bonne qualité, des images de tableurs et des magazines et aussi Windows 8 lorsque l’écran est aussi tactile. Le résultat est assez bluffant. On se dit que l’on aimerait bien avoir cela rapidement sur son bureau. Ces écrans risquent de devenir un must d’ici peu à commencer par le domaine de l’édition de photos.
Pour mémoire, voici les résolutions de produits récents : iPhone 5 : 640 x 1136 sur 4 pouces et 326 DPI, Samsung Galaxy S3 : 1280×720 sur 4,8 pouces et 306 DPI et MacBook Pro Retina : 2880 x 1800 sur 15 pouces et 220 DPI. Sharp présentait sa panoplie d’écrans en technologie LCD IGZO qui diminue la consommation électrique et permet de créer des mobiles et tablettes à grande autonomie, sans compter une plus grande précision dans le multitouch par rapport à des écrans LCD traditionnels.
Les formats IGZO démontrés allaient du 5 au 32 pouces :
- 5 pouces de 1920×1080 et 443 DPI : ce qui permet de faire du Full HD dans un gros smartphone style Samsung Galaxy Note (qui fait 5,3 pouces mais seulement 800 x 1280 pixels). LG Display avait annoncé un écran équivalent en mai 2012.
- 6,1 pouces de 2560×1600 pixels et donc 498 DPI, la meilleure résolution du marché à ce jour (ci-dessous).
- 7 pouces de 1240 x 800 pixels et 217 DPI, mais cela ne sera visiblement pas celui qui équipera le futur iPad Mini, qui serait un 7,85 pouces fourni par LG Electronics et le taïwanais AUO.
- 10,1 pouces de 2560 x 1600 pixels et 299 DPI tout à fait respectable pour de grandes tablettes ou des petits ultrabooks.
- 13 pouces de 2560 x 1600 pixels pour encore plus grandes tablettes ou laptops, 221 DPI.
- 32 pouces 4K de 3480 x 2160, pour les moniteurs PC/Mac de vos rêves !
Sharp présentait enfin sa technologie encore à l’état de prototype de Moth Eye (œil de papillon) qui élimine les reflets sur les écrans de toute taille, de la TV au mobile. Il s’agit d’un film plastique avec une surface dépolie à l’échelle nanométrique. Cela améliore au passage le rendu des noirs et des contrastes. La surface a une réflectance très faible de 0,1% tout du moins dans des angles de vue normaux (jusqu’à 45°).
Il faut aussi noter la belle démonstration d’affichage 8K réalisée sur le stand de la NHK avec l’écran d’origine Sharp qui existe depuis au moins un an. Le film était un décollage de navette spatiale avec un son multicanal 22.2. Tout ça pour dire que Sharp est probablement avec Samsung l’industriel qui a le plus de cordes à son arc dans les technologies d’affichage. Malheureusement, la société ne se porte pas très bien !
Pour terminer sur les écrans, j’ai pu tester le viseur électronique du réflex full-frame Sony Alpha 99 (écorché ci-dessous) qui est doté de 2369K pixels et avec un angle de vue de 100% en équivalent réflex. Le résultat est très convaincant et pourrait donner lieu à une généralisation de la technologie dans d’autres réflex du marché.
Je n’ai sinon rien vu de particulier dans le domaine de la projection vidéo. On voyait quelques pico-projecteurs sur divers stands de fabricants de composants et puis c’est tout. Le vidéoprojecteur pour le marché grand public ne semble pas percer au Japon, probablement du fait de l’espace disponible dans les logements.
C’en est terminé pour l’affichage ! Dans le prochain épisode, nous traiterons de TV connectée avec un focus sur la nouvelle set-top-box de KDDI.
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Chez O. Ezratty: Tokyo CEATEC 2012 – affichage http://t.co/AW5B5yiR
Le Tokyo CEATEC 2012 d’@olivez http://t.co/udW3BUCE
Merci pour ce très intéressant rapport.
Une question concernant le film nanométrique “Moth Eye” : il élimine les reflets, ce qu’on peut effectivement constater sur la partie gauche de la photo (c’est magique !). Et il est censé également améliorer le rendu des noirs, mais sur la photo je constate au contraire que les noirs sont moins denses (le noir devient du gris foncé). Alors, est-ce que la promesse marketing est inexacte ?
Bonne remarque ! En fait, le noir de la partie droite est lié au reflet, pas au noir du fond de la boite !