J’ai assisté le 30 janvier à TEDx Paris, la conférence des “idées qui veulent changer le monde”. Elle reprenait de manière indépendante le principe de la conférence “mère” qui a lieu tous les ans en Californie en rassemblant des chercheurs, entrepreneurs et autres artistes ayant une passion à partager, en général altruiste. Les vidéos des interventions devraient être rapidement disponibles sur le site de l’événement.
C’était la seconde édition de TEDx Paris. La première avait eu lieu en mai 2009 mais dans une formule qui ne fonctionnait pas très bien car… trop participative, et basée sur le commentaire de vidéos de la conférence américaine TED. Cette fois-ci, le format était classique, sans intervention (ou presque) du public, avec une suite de monologues d’intervenants. Chacun ayant comme objectif de motiver son audience, voire de la “transporter”. De créer ce que l’on appelle un “TED moment”. Et l’objectif a été largement atteint avec au moins la moitié des intervenants ce qui est une performance dans une conférence. C’est l’un des éléments que j’observe chaque année lors de la conférence Leweb et la dernière était d’un très bon niveau de ce point de vue là également. Mais ici, bien mieux encore.
Avant de donner mon point de vue sur les propos des intervenants, vous pouvez commencer par consulter le compte-rendu linéaire des interventions sur le blog Esprit Riche de Michael, un jeune consultant (qui ne publie pas son nom, un truc qui me dépasse un peu pour un indépendant…).
On ressort de ce genre de conférence toujours un peu tourneboulé. Ce mélange de vision, de passion, d’enthousiasme, de bon sens, de sens du bien commun, d’inspiration et d’humour ne peut que nous inspirer voire vous remettre en question. Les orateurs étaient tous très bons : sincérité du propos, excellente narration et une bonne gestuelle.
L’audience ? Dans la salle de l’Espace Cardin près du Palais de l’Elysée, environ 700 personnes de métiers et d’âges très divers. Beaucoup de jeunes et d’étudiants en apparence, notamment ceux de Science Po qui préparent une édition TEDx University pour le 16 octobre 2010. Sur Internet, des dizaines de milliers d’Internautes qui profitaient de l’événement qui était filmé par les équipes de France 24 (où travaille Michel Lévy Provencal, le coordinateur de l’équipe organisatrice). La conférence était animée par l’actrice polyvalente Camille Solal.
Trois thématiques de ce TEDx Paris m’ont particulièrement interpellé : le rôle de la recherche et de la prospective, celui de l’anticonformisme, et la construction d’un projet personnel pour “changer le monde”.
Recherche et prospective
Ce thème était abordé par plusieurs intervenants dont l’objectif était de nous enthousiasmer sur le futur et sur l’intérêt de mener des recherches à très long terme.
Nous avons eu droit à deux interventions de l’ordre de la culture générale sur l’astronomie, avec Anaïs Rassat du CEA qui expliquait l’intérêt d’explorer le fin fond de l’univers avec des télescopes de plus en plus puissants, dont un remplaçant de Hubble qui devrait être lancé d’ici 2018 si les budgets suivent. Et puis, Christophe Galfard qui décrivait le mécanisme de création des trous noirs tout en nous rappelant que nous sommes peu de choses dans l’univers. Ces deux intervenants nous indiquant que ces recherches sur l’espace avaient de nombreux débouchés mais à très long terme, parfois 10-20 voire 30 ans ou plus. Que c’est par exemple grâce à l’identification de lentilles gravitationnelles que l’on a inventé l’énergie nucléaire et même le photovoltaïque.
De son côté, la spécialiste de thérapie génique Marina Cavazzana-Calvo nous montrait comment la manipulation de l’ADN permettait de traiter des maladies génétiques plus ou moins rares. Un beau plaidoyer sur un sujet qui n’est pas très clivant en France (cf le succès du Téléthon). Contrairement aux USA où, rappelons le, le gouvernement Bush avait bloqué les recherches sur les cellules souches, un des mécanismes permettant la mise en place de thérapies géniques. L’équipe Obama a débloqué cela en 2009.
Quand on met en perspective les deux sujets : l’astronomie et la santé, sans compter la physique des particules, on se rend compte de la difficulté d’arbitrage des politiques publiques d’investissement dans la recherche. Puisque le message sous-jacent de nos astronomes était clair : pensez à nous dans les arbitrages financiers ! Où attribuer les milliards d’Euro de la recherche ? Qu’est-ce qui est le plus utile à la société ? Sur le court, moyen et long terme ? Comment favoriser les synergies entre les disciplines ? Comment même ces décisions sont-elles prises ? Par qui ? On retombe généralement sur nos pieds du fait d’un savant saupoudrage qui ne satisfait personne mais finalement équilibre bien les paris.
Joel de Rosnay présentait de son côté les évolutions à venir de l’Internet que l’on entrevoit dès aujourd’hui avec les nombreuses applications de la réalité augmentée. Un Internet qui permet de transformer notre monde en “environnement cliquable”. Joël est par ailleurs un passionné de longue date de “biotique”, cette discipline qui associe l’électronique, le numérique et le vivant. En imaginant un futur où l’ordinateur peut piloter le vivant et réciproquement. Joël est plus un prospectiviste qu’un chercheur. Il décrit un univers du possible technologique en général assez inquiétant par ses nombreuses dérives potentielles, mais sans en paraitre inquiété lui-même. C’est merveilleux : on peut piloter une (vraie) souris avec un ordinateur ! Imaginez les applications ! Il extrapole ainsi des projets de recherche en faisant fi des considérations économiques ou sociétales. Contraste : on ampute à tour de bras (si l’on peut le dire) des Haitiens suite au tremblement de terre, en y appliquant une médecine de guerre à l’américaine. Ce qui rappelle que l’on est bien loin de la biotique dans ce bas monde !
En termes de prospective, il y en a une qui m’a bien déçu : c’était Christine Ockrent qui intervenait en premier. Plutôt nostalgique d’un monde où les journalistes étaient la référence et aspirant à un renouveau de la confiance portée par le public à ce métier. Un propos rétrograde au sens propre du terme, et pas tourné vers un futur déjà mis au présent où se cotoient journalistes, experts, auteurs, prosumers et autres Internautes contributeurs dans un monde d’information certes un peu moins garant de la qualité des contenus mais beaucoup plus ouvert.
Anticonformisme
C’était un autre thème fort. Evidemment, l’innovation, la créativité, l’inspiration, changer son environnement et le monde proviennent de la capacité à sentir des sentiers battus, à faire le distinguo entre le légal et le légitime.
J’ai adoré cette introduction de François Taddeï résumant les problèmes de l’école en évoquant ce retour d’un enseignant sur son fils “Le problème, c’est qu’il pose beaucoup de questions !”. Le questionnement est pourtant l’un des piliers du leadership et de la capacité à transformer son environnement. Tout comme un entrepreneur réussira mieux en réfléchissant d’abord aux problèmes (de clients potentiels) qu’il souhaite résoudre avant de se jeter corps et âme dans le développement de la solution. François illustrait ainsi à quel point les pédagogies du moment devaient changer.
Sarah Kaminsky est probablement celle qui a le plus touché l’audience de TEDx Paris. Actrice et auteur de 31 ans, elle a publié un livre racontant l’histoire de son père qu’elle mis des années à découvrir. Créateur de faux papiers pendant presque toute sa vie, il sauva nombre de vies à la fois pendant la seconde guerre mondiale, et après, pour permettre à de nombreux résistants d’échapper à des régimes liberticides sur tous les continents. Au point d’avoir une double vie, de ne pas pouvoir tout dire à sa famille, dans un équilibre délicat entre le bien être de ses proches et le devenir des personnes qu’il contribuait à sauver. Eternel dilemme. Le plus touchant était ce propos attendrissant d’une fille à l’égard de son père qu’on imaginait mort depuis longtemps, et qu’elle fit venir sur scène à la fin de son intervention sous les applaudissements de la salle (il a 85 ans). On se dit à soi-même qu’on aurait aimé faire ce cadeau à ses parents. Qu’on aurait aimé mieux comprendre leur parcours, leurs choix cornéliens, leur vie tortueuse, leurs valeurs. Questions que l’on se pose souvent à l’orée de leur fin de vie, ou malheureusement après.
Le philosophe et ancien militant guévariste Miguel Benasayag était intervenu avec brio en 2009 sur TEDx Paris sur “la perte du bon sens”. Il nous remis le couvert en insistant sur l‘indispensable distinction et différence entre légitimité et légalité, sur le fait qu’une société sans risque ou dite de “tolérance zéro” est celle qui ne permet plus cette distinction et qui se meurt car elle castre tout pari et tout risque. Et de souligner que l’excès de communication ne créé par forcément de liens, une remarque peut-être destinée aux usagers des réseaux sociaux qui confondent qualité et quantité des connexions avec leur “réseau d’amis”. L’excès de transparence – accentué par divers usages de l’Internet – est aussi à juste titre présenté comme dangereux.
Miguel nous dit sinon que si la cause est juste (légitime), la loi peut-être contournée. Tout est question de jugement sur la “chose juste” ! Combien de morts ou de dégâts ont été déclenchés en suivant ce principe, ou continuent même de l’être ? Je préfère le cas des transgressions non violentes ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce principe de la transgression de la loi et du contrat est allègrement utilisé en France, mais autant pour résister à d’utiles changements que pour en provoquer. Des exemples ? A vous de chercher… Quand la transgression est permanente, elle ne se remarque même plus et perd de sa valeur.
Changer le monde
Vinvin / Cyrille de Lasteyrie a bien résumé avec sa verve habituelle le principe de l’engagement personnel illustré par les intervenants de TEDx Paris. Ils avaient ceci de particulier qu’ils se sont consacrés en général à une cause bien spécifique après s’être éventuellement cherchés. Ils étaient “focused”. Sans peur de l’échec : dans la recherche des trous noirs qui prend du temps, dans celle du bon modèle économique Internet (Fabrice Grinda), et lui, dans l’association de l’humour et du sérieux (il a monté une agence d’événementiel après s’être essayé dans l’entrepreneuriat Internet classique, chez Seesmic et Hellotipi). Tous “mono maniaques”. Je cherche alors des exceptions. Il y a bien le boulimique Jacques Attali. A-t-il réussi à “changer le monde” comme il le souhaitait ? La scorecard n’est tout de même pas si mauvaise pour un seul homme. Mais c’est rare.
Et là, je me dis : mais mince, je ne suis pas non plus du tout dans l’épure de ces changeurs de monde ! J’ai tout faux ! Multi maniaque impénitent (consultant marketeur et technologue, bloggeur, business angels, enseignant, photographe, et j’en passe). Pour me rassurer, je me dis que l’Internet et l’écrit ont ceci d’extraordinaires qu’ils permettent d’exercer une forme d’altruisme impactant le cours des événements et d’aider les autres (ici par exemple) de manière compatible avec une vie professionnelle un peu plus classique. Et si toutes ces personnalités intervenues lors de TEDx Paris peuvent changer le monde, c’est aussi grâce aux ponts créés par quelques multi maniaques capables de rapprocher les disciplines. L’innovation est d’ailleurs souvent le fruit de ce genre de rapprochement. Changer le monde nécessite un croisement permanent entre mono maniaques “verticaux” et multi-maniaques “horizontaux”.
Prochain épisode à Science Po le 16 octobre 2010, avec une valorisation de projets de jeunes étudiants couplée à des intervenants de prestige (ils sont forts pour ça à Science Po…).
Mes photos de TEDx Paris sont ici. Et profitez des vidéos dès qu’elles seront disponibles sur le site de l’événement !
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
je suis depuis longtemps un fan de TED.com (l’original) mais j’ignorais cette nouvelle version Française. C’est une bonne nouvelle, merci bp pour l’info.
Merci pour ce résumé transverse 🙂
Je vois que nous avons globalement tous apprécié les mêmes chose au cours la journée et la puissance crescendo des intervenants.
Je suis impatient pour l’année prochaine !
(Ne t’inquiètes pas, ceux me cherchent savent comment me joindre!)
Grâce à toi, ma fille est fière comme un paon… Merci pour cette photo et cette note en général. A très bientôt j’espère.
Merci pour ce billet,
beau résumé de ce moment qui fut assez magique.
je suis impressioné par le caractère négatif des tweets “exterieurs” tout au long des conférences. Peut être que l’intensité et l’émotion ne passe pas bien l’écran.
Globalement, comme tu le dis, ce qui réuni tout les intervenants c’est leur passion, leur “focused” et leur confiance,
Puis je rajouter l’enthousiasme qui comme le rire est communicatif.
bref, 5 heures de bonheur complexe a faire partager.
vivement #TEDxParis 2
Merci beaucoup pour ce compte-rendu très détaillé ! On aurait aimé y être pour partager toutes ces émotions. 🙂
et qu’avez-vous pensé de Françoise Schein ?
Je ne l’ai pas citée comme pour d’autres intervenants. Je n’en pense pas grand chose d’original. J’ai retrouvé chez elle des traits de caractère et de comportement (altruisme+création artistique…) croisés il y a quelques années dans l’entourage de ma mère qui éditait des artistes contemporains.
Bonjour,
J’ai assiste à cette conférence en “live” derriére mon ècran.
A part quelques interventions comme celle de JdR je me suis copieusement ennuyé.
Trés déçu surtout que j’avais visionné auparavant TedxSeattle
J’en profite pour vous remercier de votre rapport du CES que j’attends chaque année à défaut de pourvoir m’y déplacer.
bonsoir olivier
Fabrice Grinda (ex fondateur d’Aucland, site d’annonces français, qui n’a pas survécu car ebay était plus fort) était présent à cet événément à quel titre ? J’ai appris qu’il savait surtout copier les bonnes idées et a fait sa fortune rapidement à travers des startups revendues à chaque fois… Il aiderait maintenant les startups. Vous savez comment ? Cela m’interesserait personnellement.
Merci pour tous ces comptes-rendus très enrichissants, intellectuellement.
Il a expliqué comment il aidait des entrepreneurs de quartier à New York à lancer leur petite affaire, dans le cadre d’une association dont j’ai oublié le nom.
salut olivier
m’autorise tu a utiliser tes photos pour mon CR de tedx paris.
les tiennes sont beaucoup mieux que les miennes
merci
jerome wallut
jwallut@gmail.com
Oui, avec le crédit (cc) Olivier Ezratty, http://www.oezratty.net
PS CR sur le blog de w&cie
OK merci !
Bonjour Olivier,
Merci pour ce résumé-point de vue sur cette conférence que je ne connaissais absolument pas (honte à moi ;-)). J’ai d’ores et déjà noté la date du 16/10/2010 dans mon agenda ; je n’ai pas encore regardé les vidéo des interventions mais cela ne saurait tarder.
Ceci étant, voici un article que je pense très stimulant et qui peut remettre en perspective les avis/réflexions de gourous ex-mao-, ex-guevar-, ex-trosk-iste sur les excès de transparence, les excès de la communication exacerbés par Internet et les media sociaux aujourd’hui. Si nous en sommes là aujourd’hui, ils (ces fameux gourous d’aujourd’hui) y sont un peu pour quelque chose: conséquences lointaines de Mai 68, bien sûr, avec ses bons côtés (les jeunes existent dans la société et, oui! ils ont des aspirations, des idées, des projets et des problèmes) et ses effets pervers (quels repères? société hyper-consumériste car hyper-édoniste etc.).
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/01/08/vie-privee-le-point-de-vue-des-petits-cons_1289411_651865.html
Merci et à très bientôt sur ton blog! JCB
Très intéressant cet article du monde (que j’avais malencontreusement loupé…).
Il serait intéressant d’en faire le parallèle avec la transparence des entreprises. Là aussi, il y a l’ancienne et la nouvelle garde…
A quand TEDx University à Centrale?