L’actualité du secteur de la télévision numérique est régulièrement rythmée par les annonces des opérateurs comme Orange, SFR, Numéricâble ou Bouygues Télécom, tout comme des chaînes de télévision qui ont maintenant toutes leur offre de “catch up TV”.
Chacun y va de son mieux pour faire avancer le secteur. On voit notamment progresser à petits pas l’hybridation de l’expérience télévisuelle, mélangeant programmes diffusés en “broadcast” (direct), et enrichissement par des contenus provenant d’Internet.
Le déploiement de la TNT sans compter l’épineux et futile dossier de la télévision mobile ont créé une distraction importante pour l’ensemble de l’écosystème de la télévision numérique. Mais la TV interactive, la social TV et les nouveaux usages associés à ceux de l’Internet constituent une révolution bien plus significative que l’augmentation du nombre de chaînes et le passage à la HD permis par la TNT. Ces innovations arrivent toutefois bien timidement et par tous petits morceaux. On sent que ces acteurs avancent très prudemment dans un monde qui n’est pas le leur, ou sous le coup de lourdes contraintes.
Comparativement à ce qui se passe sur les mobiles ou sur le web, il subsiste un énorme décalage entre les possibilités d’innovation technologiques permises par la connexion Internet (des TV, des set-top-boxes) et ce qui rentre effectivement dans les foyers. Inerties fortes du marché lié aux gros opérateurs et aux ayant droits et un marché très atomisé d’un point de vue technologique. Sans compter les glissements de valeur dans les modèles économiques: les coups de boutoir de l’Internet contre le marché de la publicité télévisuelle, mais dans le même temps la difficulté à monétiser la vidéo Internet par la publicité. Le site web US Hulu pourrait ainsi devenir payant !
Tout ceci se complique avec le rôle des ayant droits de contenus (notamment cinéma) qui sont désireux de nous faire payer autant de fois que possible l’accès aux mêmes contenus, une proposition qui a de moins en moins de sens dans le numérique.
Alors, passons en revue quelques avancées récentes pour ce qui est de l’offre disponible sur le marché français…
Orange et sa nouvelle set-top-box TV
Jusqu’à présent, comme beaucoup d’opérateurs ADSL accrochés à leur “box” (le modem ADSL), Orange ne communiquait pas vraiment sur sa set-top-box TV livrée avec la LiveBox. Cela semble changer. Ils ont ainsi présenté un prototype de leur future set-top-box TV Full HD à la presse fin novembre 2009. Elle contiendra un navigateur web qui supporte Adobe Flash. Mais ne sera pas disponible avant fin 2010.
La set-top-box qui sera fabriquée par Samsung complètera la LiveBox et utilisera un processeur “Sodaville” d’Intel. Ce dernier cherche à s’implanter dans le secteur des STB face à Broadcom, Sigma Design et STM. Le CE4100 est un SoC (system on chip) qui intègre un processeur Atom à 1,2 Ghz, ce qui est deux à trois fois plus rapide que la plupart des processeurs qui équipent les STB actuellement, l’électronique de décodage/encodage de flux audio et vidéo et un moteur graphique 3D supportant Flash 10. Le processeur est par ailleurs prêt pour le multistream, à savoir la diffusion simultanée de contenus vidéos Full HD dans plusieurs pièces à partir d’une seule STB.
La STB d’Orange est “hybride” : elle reçoit à la fois les contenus et la télévision via Internet tout comme par la TNT et le satellite, ce qui lui permet de couvrir les zones où l’ADSL n’est pas assez rapide. Elle disposera d’un disque dur de 160 Go dur pour enregistrer les programmes, ce qui est bien maigrichon pour de la HD ! Canal+ et son Cube offrent le double, 320 Go, mais c’est une STB “haut de gamme”.
Orange a aussi présenté une télécommande disposant d’un accéléromètre comme sur la Wii. Ce qui est une approche différente de celle de Orange Vallée avec son prototype de commande gestuelle Keanu démontré au CES de Las Vegas en janvier 2009. Si cette technique est peut-être encore bancale, elle va cependant voir le jour dans la XBOX de Microsoft dans le cadre de son projet “Natal”.
Par contre, Orange ne semble pas avoir évoqué l’interface utilisateur de sa STB dans son annonce, ni un éventuel kit de développement associé. Curieux car c’est un différentiateur très important. Ce n’est d’ailleurs pas le tout d’avoir un navigateur web dans une STB, il faut qu’il soit intelligemment intégré avec le guide de programmes, et l’ensemble des fonctionnalités TV de la STB. On ne sait donc pas encore si Orange supportera le Widget Channel SDK d’Intel qui intègre les Yahoo Widgets. Il est probable que le middleware supporté proviendra plutôt de SoftatHome, sa joint-venture avec Thomson et Sagem.
A noter que Intel “drague” tous les fabricants de STB mondiaux pour imposer sa gamme de processeurs multimédia. Orange est une grosse prise pour eux. Il y a aussi le constructeur indépendant Amino qui a aussi annoncé sa STB Intel en octobre 2009, tout comme Mika et sa set-top-box ION qui associe un Atom et un processeur nVidia ION. C’est une STB “over the top” pour accéder à des contenus Internet uniquement (Hulu, Boxee, etc). D’autres prises suivront certainement, mais c’est leur déploiement à grande échelle qui sera un signe clé pour le marché d’une avancée d’Intel dans le domaine.
SFR, NetGem et WyPlay
SFR est un client historique du constructeur et éditeur de logiciels français Netgem, mais cette forte dépendance dans les deux sens a amené SFR à chercher une seconde source pour ses STB TV. D’où un partenariat en route avec la startup marseillaise WyPlay (financée par Sofinova) qui fournira le logiciel de ses nouvelles STB HD à SFR, sans pour autant que Netgem soit complètement mis sur le carreau. D’autant plus que ce dernier dispose déjà de STB HD hybrides (IPTV et broadcast).
Dans le même temps, Netgem poursuit son développement à l’international. Il vient de remporter une belle affaire avec la signature du premier opérateur télécom australien, Telstra. Netgem va leur fournir une STB bâtie sur le modèle de celle de la Fnac (ci-dessus) associant VOD via IP et TV broadcastée. La STB Fnac construite par Netgem n’y a pas fait un malheur mais elle intéresse les opérateurs télécoms qui veulent faire de l’IPTV hybride. Netgem est ainsi engagé dans une course contre la montre pour remplacer un business en France par un business international. Mais c’est finalement positif pour le pays, à même d’augmenter ses exportations de technologies numériques.
Dans le même temps, Thomson et Sagem battent plus ou moins de l’aile. Il est étonnant de voir une telle fragmentation des offres de set-top-boxes en France alors que le marché est mondial et mériterait une plus grande concentration des efforts industriels, tant dans le matériel que dans le logiciel.
Canal+ s’invite dans Windows Media Center
La STB hybride de Canal+, le Cube, a été lancée il y a un an. Je ne sais pas trop si elle se vend bien. C’est malgré tous ses défauts la solution hybride (broadcast + IP) la plus complète du marché. L’été dernier, Canal+ a avancé d’un pas en proposant son guide de programme sur Internet. A savoir qu’un client peut aller sur le site de Canal+ pour programmer les enregistrements de son Cube. Très bien sur le principe, mais mal mis en oeuvre par les développeurs de Canal+ qui sont étrangers à de simples notions d’ergonomie ou pratiques (on ne peut programmer que certains programmes et pas d’autres, question de droits ?).
Il est un domaine qui m’a toujours intéressé : le support (ou l’absence de support) de Canal+ dans les PC Media Center. Un véritable serpent de mer car Canal+ n’a jamais pu conclure d’accord sérieux avec Microsoft, ne serait-ce que pour labelliser des solutions “Media Center” supportant la réception des programmes cryptés du groupe média, que ce soit via la TNT ou via le satellite. Les clients intéressés dont je fais partie en sont réduits à intégrer eux-mêmes des solutions à base de carte satellite et de lecteurs de cartes à puce supportant le système de cryptage Mediaguard de Nagravision. Cela donne des solutions accessibles soit aux geeks soit aux intégrateurs qui visent un segment de marché plus fortuné que le français moyen abonné à Canal+.
Mais récemment, un petit pas en avant a été réalisé avec l’intégration automatique d’une icone Canal+ dans le menu TV de Windows Media Center (version Windows 7), sans demander l’avis à l’utilisateur :
En cliquant sur l’icone, cela demande l’installation d’un plug-in de Canal+ :
Il permet d’accéder gratuitement aux programmes de la chaine d’information iTV et aux programmes gratuits de Canal+, en IPTV plein écran.
Ici, iTV en plein écran, récupéré via Internet :
C’est donc plutôt un teaser promotionnel bien placé pour vendre des abonnements Canal+. Un paradoxe puisqu’il n’est pas officiellement possible ni supporté par Canal+ de reçevoir les chaînes cryptées du groupe sur un media center. Il n’y a d’ailleurs aucune indication sur la manière de retirer ce plug-in tout à fait embarrasssant quand on reçoit déjà le bouquet Canal+/CanalSat sur son media center.
En attendant, il serait plus sympa que Canal+ propose sur son Cube un service de bandes annonces…
HbbTV
Sinon, il faut noter que Canal+ est l’un des supporters français avec France Télévision et TF1 de l’initiative de standardisation de la télévision “hybride interactive”, HbbTV. Elle est pilotée par l’organisation de standardisation européene ETSI sise à Sophia Antipolis et rassemble les contributions de l’European Broadcasting Union et du CENELEC (Comité Européen de Normalisation Electrotechnique).
C’est un embrouillamini pas bien facile à décrypter qui intègre des composantes de l’OIPF (Open IPTV Forum), du DVB et du W3C. La spécification est disponible ici pour les curieux. Reste à savoir si elle sera aussi soutenue par les opérateurs télécoms, qui semblent étrangement absents des supporters affichés (mais Orange serait de la partie).
Les Yahoo Widgets
Ils avaient été lancés pendant le CES 2009 à Las Vegas et cela avait été le clou du spectacle, d’autant plus que ces widgets étaient supportés par un grand nombre de constructeurs asiatiques de TV. Et notamment Samsung qui les a intégrés dans les deux tiers de ses écrans plats de sa gamme 2009.
Alors, à quoi cela ressemble-t-il ? Et bien, à quelque chose de bien décevant. Quand on clique sur la touche “Internet” de la télévision, les widgets se chargent… lentement. Et une barre de widgets apparait en bas de l’écran.
J’ai ainsi pu configurer un widget Twitter.
Le plus décevant se situe dans la “gallerie” des widgets. Il y en a en tout et pour tout une dizaine alors que cela fait des mois que j’ai acheté cette TV Samsung qui les supporte.
Il y a donc des widgets pour Facebook, YouTube, Flickr, Twitter, la météo, quelques news et jeux et c’est tout. Tout du moins lorsque l’on est en France. Il y a peut-être plus de widgets lorsque l’on est aux USA. Yahoo n’a donc pas réussi à attirer des développeurs sur cette plateforme. C’est un échec cuisant, encore plus que celui du smartphone Palm Pre, autre coqueluche du CES 2009, qui n’a même pas une centaine d’applications disponibles six mois après son lancement.
L’une des limitations de ces widgets est leur déconnexion de l’expérience télévisuelle. Ce sont donc juste des fenêtres sur des applications web, entièrement déconnectées de ce que l’on regarde sur sa TV. Il n’y a donc aucune “contextualité” à ces widgets. Peut-on développer un widget qui afficherait des informations IMDB ou Wikipedia sur un film que l’on est en train de regarder ? Pas bien évident ! Les widgets de Yahoo ne sont donc pas prêts de nous permettre d’accéder aux nouvelles expériences utilisateurs de la “social TV” (voir ici pour en savoir plus sur le sujet).
Toshiba expérimente le triple écran avec une startup française
J’ai eu l’occasion de visiter un showroom temporaire de Toshiba en septembre 2009. Le constructeur y présentait sa vision d’une expérience “triple écran” (PC, TV, mobile) intégrée séduisante.
Elle consiste à proposer une expérience d’accès aux contenus sans conture entre ces trois devices. On pouvait notamment voir comment une tablette connectée à Internet pouvait piloter la télévision et ensuite envoyer des contenus provenant de DailyMotion sur son mobile ou sa télévision.
La démonstration était en fait développée par la startup française Wiztivi basée à Nantes – Carquefou. Leur plateforme de widget est réalisée en HTML/JavaScript. Elle tournait pour les besoins de la démonstration sur une Netbox de Netgem. La startup a bénéficié d’un soutien Oséo à hauteur de 800K€. WizTV fournit également Philips à l’échelle européenne.
Cette initiative locale de Toshiba France est intéressante mais on est en droit de se demander si elle pourra avoir un rayonnement mondial. Si Toshiba n’a pas une vision mondiale de ce marché, il ne risque pas d’aller bien loin.
Zoond, la chaine interactive musicale de FairPlay Interactive chez Numéricable
En septembre dernier, Numericable annoncait le lancement de Zoond, une chaine musicale personnalisée qui s’adapte aux goûts des téléspectateurs.
Celle-ci est mise en oeuvre par la startup FairPlay Interactive créée en 2009 par Louis van Proosdij, et dont le principal développeur, Jean-Baptiste Kempf a la particularité d’être à la fois le président de Videolan, l’association qui coordonne le développement de VLC… et un ancien de mes élèves à Centrale Paris où je donne un cours sur l’innovation !
L’approche de FairPlay Interactive est une forme intéressante de “Social TV” : le téléspectateur interagit avec son programme pour noter les contenus, et il peut zapper ceux qui ne lui conviennent pas (en résumé). Le programme s’adapte alors dynamiquement aux goûts du téléspectateur. La technologie s’appuie sur de la diffusion vidéo via le canal des opérateurs et une interface utilisateurs aux standards du web. Elle s’exécute dans le navigateur des set-top-box de dernière génération de Numericable et est générée sur les serveurs de FairPlay Interactive.
Reste à voir si les téléspectateurs vont payer pour cela car la formule sera proposée sous la forme d’un abonnement mensuel de quelques Euros.
Autres startups…
Il y a bien d’autres startups dans ce secteur de la télévision interactive, hybride, Internet ou autre.
Certaines se contentent de proposer des solutions web classiques, justifiées par le fait que les utilisateurs de TV ont de plus en plus leur laptop sur les genoux en regardant la TV (plus de 40% des jeunes téléspectateurs selon certaines études). D’autres rêvent d’intégrer les STB des opérateurs. Ce marché est difficilement accessible mais des opportunités apparaissent qui sont ouvertes par les STB hybrides supportant un navigateur web et une télécommande. Les développeurs ont en tout cas besoin de plate-formes ouvertes qui permettent d’ accéder aux données de contexte de l’expérience télévisuelle (les chaînes que l’on regarde, les programmes que l’on a enregistrés, etc). Laquelle de ces plateformes prendra le dessus ? Mystère…
La télévision numérique est l’un des sujets intéressants d’une session de “Deep discussion” lors de la conférence LeWeb de cette année. Je participe de plus à deux jours d’immersion dans l’écosystème français de l’innovation numérique avec les Travelling Geeks, lundi 7 et mardi 8 décembre 2009, et le seul endroit où l’on risque d’y parler télévision numérique est… Orange !
Rendez-vous pour un débrief en fin de semaine…
Post mis à jour le 8 décembre 2009 pour des détails de forme, d’orthographe et de compréhension
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Bonsoir Olivier, et merci pour la référence.
Petits correctifs :
– “La technologie s’appuie sur du web streaming et une interface aux standards du web.”
= Ce n’est pas du web streaming, loin de là. Chez Numericable le flux vidéo est acheminé comme pour la VOD via les fameux QAM utilisés en architecture câblo. Chez les autres FAI c’est du streaming IPTV en RTSP ou autres… mais pas de web.
– “Elle s’exécute sur les set-top-box de dernière génération de Numericable et passe par la connexion Internet.”
= Ca ne passe pas par la connexion internet, mais par les voies dédiées de l’infrastructure IPTV de l’opérateur.
= Le terme “s’exécute” laisse penser à du middleware côté set-top-box, ce qui n’est pas le cas, la plate-forme est server-side et s’intègre juste à l’interface utilisateur (ou browser) de la box pour gérer les intégrations.
Louis
Bonne rectification. L’interface utilisateur ne passe-t-elle pas tout de même par des standards du web au sens HTML / JavaScript?
Louis, j’ai modifié le wording dans l’article. Tu peux vérifier que c’est correct maintenant.
Olivier, merci 🙂
Le fait est que les cablebox et adsl box utilisent souvent pour l’affichage de leur interface un “mini-browser” reposant sur un interpréteur HTML limité, parfois un début de CSS, et pour certaines un petit moteur Javascript (+lib dédiée).
Mais c’est de la “cuisine interne”, l’utilisateur ignore tout cela, et c’est tant mieux, car il ne faudrait pas qu’il confonde tout et croie disposer d’un “browser internet” sur sa box.
C’est pourquoi on fait attention à dire par exemple “l’interface utilisateur standard de la box”, plutôt que HTML, Web, etc.
PS: Fair Play Interactive créée en 2008 (concrétisation d’un projet bien antérieur encore)
Philips est aussi présent sur la TV interactive, avec ses NetTV qui embarquent du Wifi, un navigateur et un accès direct à des services web partenaires.
Je me suis contenté de couvrir les boites françaises.
Il me semble, en tout cas d’après eux, que cette techno web de Philips provient justement de Wiztivi que je cite dans la partie sur Toshiba.
Serait-il si compliqué pour nos FAI de proposer une application mobile (iPhone !) qui permettent de visualiser les programmes en cours et de piloter leur enregistrement ?
@canard65
ce service existe déjà pour les abonnés à Free : http://cyril.lopez.tk/2009/12/21/freego-lite-lapplication-pour-enregistrer-free-tv-a-distance/
La techno utilisée par Philips est basée sur un browser Opera embarqué et des standards qui ont servi de base à la création du standard de television interactive pan-européen (Hybrid Broadcast Broadband Television).
WizTivi est une société (parmi d’autres: Orange Business Services, Hubbee, etc…) prestataire auprès des fournisseurs de service, comme Dailymotion ou NRJ par ex, qui veulent aller sur ces plateformes (tout comme il y a des sociétés spécialisés dans la création d’applis iphone).
Excelent, merci