Cela fait maintenant plus d’une semaine que Microsoft a lancé son nouveau moteur de recherche Bing.com qui remplace feu Live Search. Avec évidemment beaucoup d’attentes tant de la part des Internautes que de ceux qui trouvent que la position dominante de Google pose problème.
Alors, qu’en est-il vraiment ? Pour se faire une idée, il faut déjà regarder à quoi ressemble ce nouveau moteur et si ses nouveautés sont suffisamment significatives pour changer la donne. Ensuite, il faut observer comment Google évolue de son côté. Et puis, prendre un peu de recul sur ce marché des moteurs de recherche, son écosystème et les inerties correspondantes.
Net net… bing.com ne devrait pas changer la donne à court terme. Ses évolutions sont certes intéressantes mais pas suffisamment radicales pour détourner les Internautes de Google. Elles sont pour l’essentiel l’agglomération de fonctionnalités qui existaient, éparses, dans différents moteurs de recherche concurrents de Google comme Ask.com. Nous verrons même que parfois le mieux est l’ennemi du bien.
Revue de détail…
Découverte des nouveautés de bing.com
Lorsqu’on lance Bing.com, la page d’accueil est assez classique, et complétée d’une image de fond, qui change à chaque lancement. Bien pour l’esthétique, mais pas forcément pour la performance. Même si cette image n’empêche pas à la page de s’afficher rapidement, elle consomme de la bande passante réseau, et elle n’est pas stockée en cache puisque modifiée à chaque lancement. De plus, Microsoft ne résiste pas à l’envie d’ajouter quelques fioritures à cette page d’accueil, en bas, avec notamment une indication des termes les plus recherchés du moment.
Mais avant d’aller plus loin, il faut signaler que le comportement de Bing.com est différent d’un pays à l’autre. La version la plus complète n’est disponible qu’aux USA. On peut bien configurer le moteur pour utiliser la version américaine (1) mais il vaut mieux lui faire croire que l’on se trouve aux USA via un VPN ou un Proxy. Un proxy est un serveur intermédiaire qui permet de se connecter aux sites web. Par défaut, il est chez votre opérateur. Mais vous pouvez configurer un proxy différent dans votre navigateur, ici Firefox (2). Il existe plein de serveurs Proxy gratuits permettant de s’identifier comme utilisateur américain. La comparaison entre la version américaine avec une adresse IP française et la version US avec une adresse IP US (3) montre que les services ne sont pas les mêmes. C’est aussi le cas du programme de cashback de Bing.com qui existait déjà avant, et qui ne semble pour l’instant disponible qu’aux USA.
Poursuivons notre visite avec une recherche classique, de restaurants, ci-dessous. L’interface utilisateur intègre des suggestions lorsque l’on tape ses mots clés (1). Ceux-ci semblent relever d’une véritable analyse sémantique et non pas simplement sur des statistiques comme le fait Google Search. Le menu à droite (2) propose différentes fonctionnalités comme le paramétrage du moteur et l’accès à son compte de cashback, mais comprend aussi les informations pour les webmasters. Le côté gauche propose des recherches reliées à celle que l’on vient de faire (3) ainsi que l’historique de la recherche (4). Sur certains sites, on peut avoir un rapide aperçu du contenu avec une popup (4). Et enfin… le résultat de la recherche affiche une dizaine de restaurants et une carte géographique associée (6)… comme Google Search.
Lorsque l’on effectue une recherche de produits, comme ici un appareil photo, le premier résultat “non commercial” fournit quelques indications des meilleurs prix, du nombre de boutiques en ligne et une note d’appréciation. En cliquant dessus, on aboutit à un inventaire d’offres similaires à celles que l’on trouve dans un comparateur de prix.
Dans certains cas, une recherche de produits génère des images et des ratings comparatifs de produits. La démonstration recommande d’utiliser Panasonic et ça fonctionne… mais pas avec Pioneer, pourtant leader des écrans plats !
On retrouve cette incohérence d’expérience utilisateur avec les produits pour lesquels des notes de consommateurs sont fournies… ou pas (ci-dessous). Par contre, un point fort du moteur est de présenter rapidement des “reviews” de produits (évaluations) ainsi que le site des marques qui est parfois noyé chez Google dans des pages très éloignées de la première à cause des tactiques de référencement naturel (SEO : search engine optimization) employées par les nombreux sites de vente en ligne. Comme le SEO sur Bing.com n’est pas encore mature, le phénomène n’existe pas encore !
La recherche de vols conduit de la même manière à des offres détaillées comme on dans un site spécialisé du domaine.
On peut même récupérer illico une information sur un vol particulier sans avoir à creuser dans le site de son aéroport ou de sa compagnie aérienne (ci-dessous en haut). Mais cela ne fonctionne pas avec toutes les compagnies. Visiblement, c’est OK pour les compagnies aériennes US, mais pas pour Air France. Ce sont les inconvénients du web sémantique dont l’usage n’est pas encore généralisé ni la normalisation vraiment sèche dans les domaines verticaux.
Il en va de même pour une recherche d’hôtel qui fournit plein d’informations que l’on peut trier selon plusieurs critères :
Avec ces différents exemples, on voit que Microsoft cherche à transformer son moteur de recherche en moteur d’achat pour les produits et services les plus courants, qui sont l’apanage de sites spécialisés (Amazon, LastMinute, Expedia, etc). Avec plus ou moins de bonheur car il est difficile de couvrir correctement les offres du marché et les différents sites marchands. Des partenariats sont noués un par un, ce qui rend l’approche limitative. En France, le système étant encore balbutiant, Microsoft a signé un partenariat en apparence exclusif avec Ciao qui propose la zone “shopping” de Bing.com. Ce qui n’a aucun sens sur le long terme, un moteur de recherche ayant vocation à être le plus universel possible.
Poursuivons la visite avec la météo, qui ne présente aucune originalité par rapport à Google :
Du côté des photos, la différentiation est un peu plus claire avec un peu de sémantique et des suggestions de domaines liés au sujet recherché (1), des personnes reliées à celle que l’on a cherché (2), un tri possible sur des critères liés aux caractéristiques des photos (3), une prévisualisation des photos et la possibilité de trouver des photos similaires à celle qui est sélectionnée (4), et enfin des outils de présentation et de navigation qui permettent de modifier la taille des images, et une barre de défilement “infinie” qui permet d’augmenter le nombre de photos recherchées en la glissant simplement vers le bas, ce qui évite le “next – next – next”.
La recherche de vidéos est similaire, avec la possibilité de dérouler la vidéo en positionnant simplement le curseur dessus. Sachant que les vidéos sont d’origines diverses, y compris YouTube alors que Google privilégie nettement YouTube avec une interface de navigation un peu plus sophistiquée pour choisir des vidéos sur les mêmes thèmes (en dessous).
Voilà pour les nouveautés identifiées à ce stade.
Au passage, il reste à accéder aux pages dédiées aux webmasters. Elles ne sont pas (encore) accessibles dans le menu des options de la version disponible en France et mon proxy a l’air de m’empêcher de me logger dans la version US.
La pertinence des résultats
De nombreux testeurs ont cherché à comparer la pertinence des résultats entre Google et Bing et les résultats étaient partagés, le plus souvent favorables à Google. D’autres portaient sur la recherche d’un site (le leur), d’un nom (le leur) ou de sujets d’intérêt divers (les leurs). Difficile de se faire une opinion basée sur ce genre de tests !
Ce d’autant plus qu’il est difficile d’évaluer la profondeur des index. Pour optimiser les traitements, les moteurs de recherche ne renvoient généralement pas plus de 1000 résultats pour une recherche. De plus, on l’a vu, les techniques de SEO ont tendance à polluer les résultats de Google, un désavantage de la position de leader, les webmasters se souciant peu d’adapter leur SEO au moteur de Microsoft.
J’ai cependant pu noter que les résultats de wikipedia ne sont pas valorisés dans Bing alors qu’ils arrivent quasiment systématiquement dans les cinq premières positions dans Google. Un autre point est troublant : l’index de Bing n’est pas tout neuf. Il s’appuie sur celui de Live Search qui était déjà conséquent.
Le modèle économique
L’aventure dans les moteurs de recherche de Microsoft est probablement la “startup” la plus chère de l’histoire de l’Internet. L’éditeur y a déjà englouti plus de 5 milliards de dollars. Soit vingt cinq fois le budget de l’initiative française Quaero. Avec un résultat non seulement médiocre, mais négatif : depuis cet investissement sur ces quatre dernières années, le moteur de recherche de Microsoft perdu des parts de marché au lieu d’en gagner !
Cela rappelle aussi que pour concurrencer un leader solidement établi, il faut bien plus que de l’innovation incrémentale, aussi sympathique soit-elle. Il faut soit une rupture technologique, soit de modèle de distribution, soit de modèle économique qui soit forte. C’est la même raison pour laquelle Windows et Office sont encore là et dominants malgré les coups de boutoir incessants de leurs équivalents en logiciels libres (Linux, OpenOffice) ou en SaaS (Google Docs).
Google est de plus protégé par une autre arme secrète : là où vont les yeux des Internautes pendant une recherche ! Le schéma ci-dessous, d’origine Google, montre qu’avec le temps, les yeux ont tendance à se concentrer sur les trois à cinq premiers résultats d’une recherche. Ce qui veut dire que les nombreux efforts pour enrichir ces résultats au dessus, à côté ou en dessous, sont pour l’instant inadaptés aux habitudes des Internautes.
En attendant, le modèle économique de Microsoft avec Bing.com semble reposer sur des recettes traditionnelles : le référencement de mots clés, et peut-être, un peu de revenu d’affiliation au vu de l’effort mis sur les scénarios du commerce en ligne.
Le marketing de Bing.com
Microsoft a prévu de lancer une campagne de publicité de $100m pour faire connaitre Bing.com. Avec une croyance courante chez l’éditeur de l’intérêt de la force brute dans le marketing lié à un complexe de déficit d’image. C’est d’ailleurs un faible budget au regard de l’enjeu pour changer la perception face à Google.
Pourtant, un peu comme pour certaines startup, le marketing de bing.com est assez sommaire. Il y a bien un petit “product tour” disponible (ci-dessous), mais celui-ci ne fait que de proposer des exemples de recherches regroupées dans cinq catégories. Cela manque un peu de substance et d’explications. Il n’y a même pas d’histoire de racontée sur le rationnel du moteur, sur ce qu’il y a derrière, sur les partenariats noués, etc. C’est un peu léger.
On retrouve néanmoins dans le marketing de Bing.com des réflexes de l’éditeur autour de la notion d’écosystème et de partenariats. Le lancement de Bing.com s’accompagne ainsi du “recrutement” de partenaires dans les contenus et le commerce en ligne dans chaque pays, le plus avancé étant les USA. Cela donne l’impression d’être pour l’instant une tâche fastidieuse réalisée à la petite cuillère, alors que Google favorise la force brute des calculs statistiques dans son moteur de recherche, et les économies d’échelle associées.
Bing.com aurait gagné 2% de parts d’usage en quelques jours selon ComScore et aux USA, passant de 9 à 11%. Ce n’est pas bien énorme et traduit juste le “blip” de la curiosité des Internautes suite à la couverture médiatique du lancement. De plus, on a un peu droit à un lancement “à la Zune”, avec un traitement très différentié entre les USA et le reste du monde.
Signalons au passage qu’un laboratoire de R&D sur le search va ouvrir à Issy les Moulineaux dans le nouveau siège de Microsoft France et EMEA dans lequel l’emménagement est en cours pendant ce mois de juin. Il y aura plus de développement que de recherche dans ce labo qui occupera un peu plus d’une centaine de personnes.
Bing signifierait “Bing is not Google”. C’est effectivement le cas. Ni en mieux ni en moins bien. Il n’affecte donc pas véritablement le paysage concurrentiel des moteurs de recherche. Pour l’instant.
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Je trouve les résultats de recherche pertinents, mais je ne suis pas adepte de l'”évolution” vers un moteur d’achat
J’ai comme l’impression que le moteur de recherche de Microsoft ne passionnent pas vraiment vos lecteurs… C’est une copie de Google.
Effectivement, pas de passion.
Mais ce n’est pas une copie pour autant. J’ai listé un certain nombre de différences notables tout de même. Tout en indiquant qu’elles ne suffiront pas à basculer les utilisateurs et que par ailleurs, elles sont difficiles à généraliser du fait de la technique employée (deep web dans des bases de données, web sémantique, etc).
Dans un marché complétement dominé par Google (>85% en Europe qui devrait être classifié de Monopole par Bruxelles si les technocrates y comprenaient quelque chose), il est heureux de voir Microsoft investir pour essayer de rétablir un marché concurrenciel. Bing semble une meilleure base produit que Live, avec quelques innovations réelles même si elles ne sont visibles que des internautes Américains et qu’elles ne sont sans doute pas encore suffisante pour changer la donne. Malgré tout c’est la première fois de son histoire que Google perd des parts de marché, 3% certes, mais à lire la presse US et les interventions de Google, cela les perturbent déjà un peu plus que le montant des 3% perdus. Pour Internet, et les acteurs qui souhaitent avoir la Pub Online dans leur business model, il est important qu’un équilibre exite sur la recherche avec plusieurs acteurs sinon Google aura la puissance de tout avaler, et de laminer les marges de tous (Agences, Site Web, Presse …) comme ils ont déjà commencés à le faire tout récement en réduisant les marges agences. D’une certaine manière nous pouvons participer à cette bataille en changeant de moteur de recherche (et il y en a des dixaines d’autres), plus que tout nous devons éviter les situations de monopole.
L’acronyme récursif s’inspire du GNU’s Not Unix.
Dans la lignée des nouveaux moteurs de recherche, il y a celui de Wolfram qui est plutôt bien réalisé pour tout ce qui est scientifique ou données calculables.
À noter le « coup marketing » de Microsoft avec leur jeu pour trouver 10 000 dollars. La réponse est-elle trouvable uniquement sur Bing ?
http://www.microsoft.com/australia/ie8/competition/default.aspx
@JulienElie
L’opé marketing de “Chasse au Trésor” avec Bing est une initiative locale de la filiale Australienne. Voilà, ceci juste pour relativiser l’importance à donner à ce jeu concours et éviter que certains ne se livrent à des sur-interprêtations de la stratégie de Microsoft sur Bing.
Concernant le nom Bing, je suis convaincu que “Bing Is Not Google” n’est qu’un backronyme humoristique.
Et puis vous savez : Quand bien même, GNU n’a pas nécessairement tout inventé, et vous trouverez en “Mung” des traces anciennes d’acronymes récursifs datant des années ’60.
A vous lire…
Microsoft devrait suivre l’initiative d’IBM qui vient de monter un partenariat avec OSEO pour le financement des startups
http://www.lentreprise.com/3/4/2/ibm-accede-aux-garanties-de-credits-d-oseo_20581.html
Cette garantie Oséo ne concerne pas que les startups mais les PME en général.
Donc, quel rapport avec Bing… ?
Ce d’autant plus que Microsoft n’a pas à rougir d’IBM pour ses relations avec les startups françaises.
Bonjour,
Merc pour votre excellent billet.
Si je devais retenir qu’une seule phrase ce serait celle-ci:
“Il faut une soit une rupture technologique,…”
Effectivement je pense qu’à ce niveau, comme pour les téléphone mobile, les systèmes d’exploitations ou certaines aplications professionnelles (photoshop, autocad etc…), seule une rupture technologique peut détroner le leader.
Je pense que Microsoft à réalisé un trés mauvais investissement. Mais il est vrai que du côté des applications windows il ne reste plus grand chose à inventer.
Bing est un moteur de recherche sous-estimé. Malgré des parts de marchés moindres, il est porteur de trafic. Pré-installé sur tous les ordinateurs équipés de Windows, via le navigateur natif, il n’est pas souvent changé par les utilisateurs.
Bing met é disposition des outils pour les webmasters et les SEOs. La partie publicité payante apporte est peu utilisée dans certains secteurs. Je pense que Bing devrait être plus pris en compte dans une stratégie SEO.
Patrice Défago – Consultant SEO, SEA et SXO