Après les développeurs, passons aux entreprises et puis au grand public!

L’approche des Directions Informatiques

L’adoption d’un nouveau système d’exploitation comme d’une suite bureautique est également un long processus dans les entreprises, surtout les grandes entreprises qui gèrent des parcs de plusieurs milliers de machines.

Les programmes de bêta-test leurs sont destinés en priorité. Outils d’évaluation, de remontée des bugs, et surtout, moyen de réaliser des tests de compatibilité avec l’existant, ils font suite à un premier niveau de « teasing » des nouvelles versions dans les événements destinés aux entreprises comme les « Briefings Grands Comptes » joués dans plusieurs villes en France. Curieusement cependant, la majorité des bugs des logiciels Microsoft est encore identifiée par les testeurs internes (souvent des testeurs intérimaires) et non pas par les clients. C’est en partie lié à la très grande automatisation des tests. Pour dix lignes de code dans Windows, il y en a environ 2 équivalentes pour les outils de tests. Le développeur d’outils de tests est devenu une catégorie bien à part de développeurs chez Microsoft! Une fois en production, les “Windows Error Reports” envoyés par les utilisateurs non paranoiaques fournissent leur lot d’informations utiles pour identifier les composants des logiciels Microsoft et tierce-parties (comme les drivers) qui sont défectueux.

A l’issue de ces plans bêtas, Microsoft cherche surtout à générer ses premières références avec de grands clients (voir un exemple ci-dessous). Ceux-ci vont essuyer quelques plâtres mais bénéficieront d’un accompagnement bien meilleur que pour un produit déjà sur le marché. Cela va du consulting jusqu’aux équipes de développement aux USA, plus à l’écoute des clients dans ces phases là. Le résultat sera un projet innovant et une étude de cas communicable, fort utile pour accélérer l’adoption dans un marché français plutôt conservateur et très sensible à ce que fera le voisin. Et aussi utile pour l’image de l’entreprise cliente, et au moins pour son Directeur Informatique en mal de reconnaissance.

Plus on approchera des lancements, plus Microsoft deviendra « mono-maniaque ». Les produits concernés vont être mis à toutes les sauces dans la communication : séminaires, rendez-vous clients, salons informatiques, web. Le tout emballé dans le boulgi-boulga de la sauce “People Ready“.

Les informaticiens pragmatiques feront le tri dans tout cela et analyseront en détail la valeur ajoutée des ces nouvelles versions dont certaines apportent plusieurs centaines de nouveautés. D’autres évalueront l’importance du produit en fonction du niveau de ce bruit !

Les Directions Informatiques n’échappent évidemment pas au Gartner Group qui leur recommande de manière prévisible d’attendre le premier Service Pack avant de déployer. Le processus de correction des grands logiciels est en fait continu. Il est donc plus important de mettre en place en interne le moyen de déployer efficacement les correctifs, notamment de sécurité, avec un outil du genre SMS. Dans le cas de Windows, il importe aussi de tester la compatibilité avec les pilotes et les applications existants. Cette compatibilité coïncidera parfois avec la sortie du premier service pack. Plus l’existant du client est simple, plus rapide pourra avoir lieu la migration. L’autre préoccupation des entreprises à laquelle Microsoft est de plus en plus attentif sera d’étaler l’adoption de ces nouvelles versions et de les faire cohabiter avec les anciennes pendant les nombreuses années de leur déploiement.

Les prévisions du Gartner ne font que refléter une réalité incontournable : les grands clients mettent toujours environ un an à évaluer une nouvelle version de Windows et jusqu’à cinq années pour la déployer sur leur parc, en général à l’occasion du renouvellement progressif du parc matériel de PCs. Heureusement, les particuliers adoptent plus vite ces nouvelles versions. La moitié des PC vendus en France l’est dans le grand public. Tandis que ceux qui vont dans les entreprises sont reformatés dans une version ancienne de Windows, ceux qui atterrissent dans le grand public le seront avec Vista dès début 2007. Le faible pourcentage de PC réinstallés avec Linux n’y change pas grand chose.

L’approche utilisateurs

En déployant son marketing à l’attention des utilisateurs, Microsoft créé immanquablement une pression « par la base » dans les entreprises qui irrite bien entendu les Directions Informatiques. Les technologies grand public font de plus en plus irruption dans les entreprises. Les DSI sont ainsi pris en tenaille avec d’un côté la pression des utilisateurs qui ont un PC plus puissant à la maison qu’au bureau et de l’autre des contraintes de coûts et de déploiement et de génération de valeur pour l’entreprise. C’est un phénomène incontournable pour des outils que l’on trouve à la fois à la maison et au travail. C’est aussi le prix indirect payé par les entreprises qui ont fait entrer l’outil de travail informatique dans les foyers par le biais des ordinateurs portables et des mobiles.

Pour les utilisateurs, Microsoft va déployer un arsenal marketing constitué essentiellement de relations presse couvrant, au moment du lancement, la presse écrite comme les médias « chauds » (radios, télévisions), une communication sur le web et de la publicité. Il y aura peu d’approche terrain, même si Microsoft s’assure d’une bonne place sur les étagères dans grande distribution.

Le cas de Windows Vista et Office 2007 est un peu particulier puisque pour la première fois, les lancements destinés aux entreprises et aux consommateurs sont décalés. Le premier a eu lieu le 30 novembre 2006, avec costume-cravate et discours formaté pour les entreprises et lancement simultané de quatre produits majeurs: non seulement Vista et Office 2007 mais également Sharepoint Server 2007 et Exchange Server 2007.

Le second lancement est prévu fin janvier 2007. Le décalage dans le temps a été finalement une bonne manière de découpler les messages entreprise et consommateur. Mais l’origine du décalage n’a pas grand-chose à voir avec cette considération marketing. Elle est plus liée à la logistique : Microsoft peut mettre ses nouvelles versions à disposition des entreprises plus rapidement que sous forme de boites pour les consommateurs. Et puis, il y avait urgence à fournir les grands clients, surtout ceux qui avaient souscrit à une Software Assurance dans le cadre des Enterprise Agreements (Accords Entreprises) il y  trois ans ou plus.

Le véritable lancement perpétuant la “cash machine ” de Microsoft, c’est l’intégration en standard de Windows Vista dans les PC par les constructeurs en lieu et place de Windows XP. Microsoft d’ailleurs préparé les constructeurs à intégrer généralement la version Premium et non pas la version Home, en les poussant à intégrer depuis début 2006 en amont la version plus ou moins équivalente “Windows XP Media Center Edition”, probablement commercialisée à un prix intéressant, quand bien même les PC concernés -autant desktop que laptop – ne disposent souvent pas de tuner TV.

Epilogue

Après une longue phase bêta, les nouvelles versions seront enfin disponibles. Contrairement aux idées reçues, la date est fixée en fonctions d’objectifs qualitatifs et non d’objectifs commerciaux. Même si le temps qui s’est écoulé entre Windows XP et Windows Vista a de loin dépassé l’échéance de trois ans des Accords Entreprises. La qualité de Windows Vista est là pour le prouver. Cette version est stable et tourne bien dans sa version finale. Reste à patienter pour que l’écosystème suive.

Au total, après une R&D ayant occupé des milliers  de développeurs et testeurs sur plusieurs années, les lancements de Windows et Office mobiliseront presque la totalité des effectifs d’une filiale de Microsoft (1200 en France) et de ses sous-traitants divers (environ 400 personnes en France). Y compris le support technique qui sera formé aux nouvelles versions en avance de phase. Les lancements d’un produit comme Windows sont coordonnés par un à deux chefs de produits qui en général ne savent plus où donner de la tête tant la coordination des équipes, clients et partenaires est complexe.

Le lancement est une chose, la suite en est une autre. Le cycle de vie des logiciels Microsoft étant de plusieurs années dans les entreprises, l’éditeur devra poursuivre son action pendant ce laps de temps pour s’assurer que les déploiements ont bien lieu dans les entreprises. Et pour que les partenaires éditeurs de logiciels et constructeurs adaptent bien leurs produits à Windows Vista. Au risque sinon d’avoir des difficultés à renouveler les Accords Entreprises et de ralentir les déploiements qui ne vont déjà pas bien vite dans les grandes entreprises.

(la suite dans une dernière partie consacrée aux à côtés des grands lancements)

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Publié le 4 décembre 2006 Post de | Logiciels, Marketing, Microsoft | 8471 lectures

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Les 4 commentaires et tweets sur “Décrypter Microsoft – Les grands lancements (2/3)” :

  • [1] - Jeremy Fain a écrit le 5 décembre 2006 :

    Bonjour Olivier,

    Je passais tranquillement en revue mon blog load quotidien, pour découvrir que vous avez reconstruit les trois pyramides…

    Que d’informations intéressantes, en particulier un chiffre qui permettra sans doute aux entrepreneurs du logiciel également lecteurs de votre blog: 2 lignes pour les outils de test pour 10 lignes de code d’un programme! Soit environ 15% du volume d’un software.

    Sur le conservatisme et le suivisme des grandes entreprises françaises, je suis tout à fait d’accord. En France, quand vous êtes petit, on vous demande votre track record. Si vous avez BNP Paribas et PPR comme client, alors ok, on pense à vous. Aux US, si vous êtes petit et innovant, on vous dit “j’achète à condition que vous ne vendiez pas trop vite aux gros pour que je garde mon avance”. Les Américains (et même Anglo-Saxons en général) perçoivent mieux l’informatique comme un investissement et non une dépense: les technologies de l’information sont, quand bien utilisées, de puissants vecteurs d’amélioration du confort de la vie quotidienne pour le grand public, et de ses processes business pour une entreprise.

  • [2] - Olivier Ezratty a écrit le 5 décembre 2006 :

    Le ratio entre lignes de code pour les tests et lignes pour le code lui-même est fourni un peu à la louche. Et attention, cela dépend du produit. Ce qui est ici valable pour Windows ne l’est pas pour des logiciels applicatifs, et pour des sites Web. Le ratio chez MS pour ces logiciels est beaucoup plus faible que pour Windows. Donc, chiffre à prendre avec des pincettes pour les startups du logiciel.

    Ce qui n’empêche pas que le test des logiciels est un métier à part entière et que la fonction doit être prise très au sérieux pour solidifier les logiciels.

    Les raisons qui poussent les grands clients français à être plus conservateurs que leurs homologues anglo-saxons ou scandinaves sont multiples. Faible culture du risque, hiérarchie plus pesante, culture “gagne petit” orientée sur les coûts plus que sur la valeur ajoutée, et aussi faible pénétration des TIC chez les dirigeants. Entre autres…

  • [3] - Jeremy Fain a écrit le 5 décembre 2006 :

    Merci pour ces précisions relatives à la nature du logiciel développé et la profondeur des développements de test-checks.

    Vous avez complètement raison de préciser que le test logiciel est un métier en soi: des sociétés comme Mercury Interactive, Seque, Compuware ou encore Autotester se sont forgées une belle réputation (et quelques profits aussi) dans le domaine. La véritable question serait: peut-on leur faire confiance à 100% ou ces boites ne servent-elles pas de police d’assurance, ou de double-check des tests d’usine, fonctionnels, de régression lors des nouveaux patches ou releases et de production en interne? Pas évident d’externaliser le testing, un outil stratégique de pilotage de la qualité, complètement.

    Tiens, tiens, il serait amusant de réfléchir aux raisons de la faible pénétration d’une culture “TIC” chez les dirigeants…

  • [4] - Olivier Ezratty a écrit le 5 décembre 2006 :

    Il ne faut évidemment pas confondre les éditeurs d’outils de tests des équipes de tests et des procédures mises en oeuvre chez les éditeurs de logiciels. Chacun son boulot! Les outils ne font pas les méthodes et les processus même s’ils peuvent parfois en influencer la constitution. Et la notion de “test d’usine” n’a pas beaucoup de sens dans l’industrie du logiciel. La séparation entre développement et test est aussi importante que celle qui isole la police de la justice 🙂




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