Chose rare dans ce blog, voici une revue de lecture d’un nouvel ouvrage, « Bienvenue dans la nouvelle révolution quantique » de Julien Bobroff, Flammarion, 338 pages (site).
Dans son nouveau livre ciblant un public très large, Julien Bobroff quitte son champ habituel de la physique quantique pour aborder celui des technologies de la « seconde révolution quantique », capteurs, communications, cryptographie et surtout calcul. Il s’adonne à un exercice de vulgarisation pas évident pour expliquer le fonctionnement de tous ces objets technologiques avec évidemment les ordinateurs quantiques. Et ses explications sont très bien faites, notamment lorsqu’il revient sur le côté étrange de l’intrication quantique. Il rappelle aussi l’origine historique de ces technologies, remontant à plusieurs décennies.
Il décrit le fonctionnement des principaux types de qubits tels que les atomes neutres (Pasqal), les supraconducteurs (Google, IBM), les qubits de spin et les qubits photons. Il donne la parole à divers experts, notamment français (Maud Vinet, Pascale Senellart, Antoine Browayes, Xavier Waintal, Alain Aspect) pour exprimer à la fois l’optimisme et le scepticisme ambiant sur le devenir d’ordinateurs quantiques capables d’apporter une plus-value vis-à-vis des supercalculateurs d’aujourd’hui. Comme beaucoup de physiciens raisonnables, Julien Bobroff est plus enthousiaste sur le devenir des capteurs quantiques que des ordinateurs quantiques.
Contraintes de l’édition traditionnelle et d’attention des lecteurs obligent, chaque sujet est en pratique abordé très succinctement. Julien évoque toutefois avec quelques détails l’affaire de la suprématie de Google et ses dérives médiatiques mais traite peu son concurrent le plus sérieux, IBM. Sur les algorithmes quantiques, Julien indique qu’il en existe peu, alors qu’il en existe au moins 400 ce qui est pas mal et que ce champ s’élargit incessamment (https://quantumalgorithmzoo.org/). Il existe même déjà quelques cas d’algorithmes quantiques utiles, en particulier sur les quantum annealers de D-Wave. Le plus souvent, ce sont pour des cas d’usage dans la recherche, comme pour la classification de particules à haute énergie ou de la simulation de physique de la matière condensée, loin des besoins opérationnels des entreprises.
Pour ce qui est du scepticisme technique sur l’avènement d’ordinateurs quantiques « scalable » (et utiles), il ouvre un débat intéressant qui est rarement traité de manière explicite dans les conférences du domaine, même scientifiques, en tout cas en France. Il va sans dire qu’il a peu de chances d’être traité dans les conférences “business quantum” sponsorisées par des fournisseurs. Mais il pourrait l’être dans des conférences purement scientifiques avec points/contrepoints.
Enfin, Julien utilise toujours l’appellation « la quantique » alors que la majorité des chercheurs et entrepreneurs du domaine parlent sur « le quantique » et « du quantique ». C’est l’équivalent quantique du débat futile entre chocolatine et pain au chocolat.
Si vous voulez approfondir le sujet des technologies quantiques, vous pourrez évidemment parcourir mon ouvrage Understanding Quantum Technologies 2022 de 1128 pages qui s’adresse à un public plus technique et anglophone, donc moins large que l’ouvrage de Julien. J’en ai cependant créé une version synthétique de 24 pages qui reprend les “key takeaways” de la fin de chaque partie avec une illustration clé.
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Cher Olivier,
merci pour ta critique très juste et constructive. Bon, juste pour te taquiner, pour ta critique sur le nombre d’algorithme, j’ai quand même écrit p.146 :
“Depuis les idées pionnières de Deutsch et Grover, le nombre d’algorithmes quantiques a explosé. Il existe même un « zoo aux algorithmes quantiques » qui recense plus d’une soixantaine de familles”.
Tu le vois, je ne sous-estime pas leur nombre, mais je veux juste que les gens ne croient pas que cet ordinateur remplacerait les ordis classiques pour tous les algorithmes.
Et au final, je suis bien d’accord avec toi : pour une bonne intro au sujet avec l’envers du décor (avec de nombreux témoignages dont le tien !), mon livre est ce qu’il faut, mais pour aller dans des détails plus fins et techniques et avoir une vue vraiment exhaustive du domaine, le tien est irremplaçable.
amicalement
Merci pour ton retour Julien.
Mon commentaire sur le nombre d’algorithme était lié à une autre partie du livre, je ne sais plus où. Il y a en effet deux points clés : les algorithmes quantiques remplacent rarement la panoplie existante d’algorithmes classiques, en tout cas pour les tâches informatiques usuelles. Il s’agit le plus souvent d’algorithmes d’optimisation, de simulations quantiques et de machine learning quantique.
Par contre, ils sont assez nombreux au vu du nombre de machines existantes capables d’en tirer entièrement partie (proche de zéro). Sans compter les méthodes et outils qui exploitent les ordinateurs quantiques dits analogiques à la D-Wave et Pasqal et qui sont encore plus exotiques que celles des ordinateurs quantiques programmables par portes quantiques.