Comment coordonner une stratégie quantique ?
Dans le 26e épisode des entretiens Decode Quantum toujours coproduits avec Frenchweb, Fanny Bouton et moi-même recevions Neil Abroug qui venait tout juste d’être officiellement nommé coordinateur de la stratégie quantique nationale en France (communiqué de presse). Il est rattaché au SGPI, le service du Premier Ministre qui gère les Programme d’Investissements d’Avenir.
Dans ce podcast, nous évoquons le parcours de l’intéressé, l’étonnante origine du plan quantique français (une demande d’information du gouvernement suite aux déclarations de Thierry Breton, alors CEO d’Atos) et les modalités de sa mise en œuvre. J’avais déjà eu l’occasion de décoder les enjeux et clivages de cette stratégie lors de son annonce par le Président de la République le 21 janvier 2021 au C2N à Palaiseau.
Il aura donc fallu quelques mois pour que la coordination se mette en place. Et encore, nous n’en sommes qu’au début. Vous imaginez peut-être qu’un gars omniscient et omnipotent a été nommé pour distribuer les 1,8 milliards d’Euros du plan quantique français, étalé sur cinq ans. La réalité est tout autre. Qui dit coordination dit qu’il y a de nombreuses parties prenantes à coordonner. Et elles sont très nombreuses !
Nous avons ainsi :
- Des Ministères, leurs cabinets et leurs administrations respectives : Recherche et Enseignement Supérieur avec sa Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation, Armées avec la Délégation Générale à l’Armement et Économie / Numérique avec la Direction Générale des Entreprises. Sans compter les équipes du Premier Ministre et de la Présidence de la République.
- Des organismes de recherche publique avec le CNRS, le CEA, Inria mais aussi le LNE (Laboratoire National d’Essai). Et les vrais gens qui y travaillent, surtout les chercheurs et les directeurs de recherche et de laboratoires. On compte plus d’une centaine d’unités de recherche travaillant sur les technologies quantiques en France, comprenant surtout de la physique, des technologies habilitantes, des mathématiques et des algorithmes.
- Les Universités et Grandes Écoles assurant des fonctions d’enseignement supérieur ainsi que de recherche, souvent au sein d’Unités Mixtes de Recherche avec le CNRS ou d’autres organismes de recherche nationaux.
- Les entreprises du secteur privé, les grandes (Atos, Thales, Air Liquide, …), les moyennes (surtout dans les technologies habilitantes, comme Radiall et les nombreux fabricants de lasers spéciaux) et les startups, avec leurs financeurs comme les fonds d’investissements privés tels que Quantonation, Breega Capital et Elaia Partners.
- Les grandes entreprises utilisatrices clientes des technologies quantiques telles qu’EDF et Total.
- Les régions qui peuvent contribuer à la dynamisation et au financement de leurs propres écosystèmes comme le font la Région Ile de France (avec son pack quantique ainsi que sont financement du domaine d’intérêt majeur SIRTEQ), la Région Nouvelle Aquitaine avec le pôle Naquidis lancé en mars 2021 et la Région Occitanie.
- Les écosystèmes quantiques régionaux comme ceux de Grenoble (QuEng), de Paris (PCQC) ou de Bordeaux (Naquidis).
- D’autres agences de l’État et établissements publics comme l’ANSSI ainsi que les organismes financeurs que sont l’ANR (pour la recherche) et Bpifrance (pour l’innovation).
- Le Conseil National de l’Innovation qui réunit le Premier Ministre et les Ministres concernés. C’est l’instance de plus haut niveau qui supervise les grandes stratégies d’accélération lancées en 2020 et dont la stratégie quantique fait partie, en compagnie de celle sur la cybersécurité, celle sur l’hydrogène et une bonne dizaine d’autres qui les rejoindront.
Tout cela sans compter les relations internationales et notamment celles qui concernent l’Union Européenne qui pilote le Quantum Flagship, où les chercheurs et entreprises françaises souhaitent bien entendu continuer à y jouer un rôle et à récupérer les financements associés. Ce d’autant plus que 238M€ des 1,8Md€ du plan français sont des financements européens ! Il faut donc bien s’organiser pour les récupérer car ils ne sont pas garantis ! Il en va de même des quelques 545 M€ de financements privés qui sont censés compléter ces financements européens et le milliard d’Euros de financements publics français dont environ 600M€ vont provenir du PIA4 (Programme d’Investissement d’Avenir 4), eux-mêmes découpés en programmes et sous-programmes couvrant le financement de la recherche fondamentale jusqu’à l’industrialisation ainsi que la formation.
Comme les parties prenantes sont nombreuses, une grosse part du travail consiste à définir et assurer la gouvernance de l’ensemble. Qui décide quoi et comment ? Comment les budgets sont alloués ? Lesquels le sont sur appels à projets, lesquels de manière plus discrétionnaire ? Comment consulter la communauté scientifique pour orienter les grandes décisions ? Comment tenir compte des évolutions mondiales du domaine autant côté recherche qu’entreprises ? Comment communiquer sur l’exécution de la stratégie, notamment vis à vis de l’étranger ? Quels indicateurs de succès utiliser et suivre ?
Bref, Neil Abroug et les différents organismes qu’il coordonne vont avoir du pain sur la planche. Une bonne part relève de la maîtrise de la grande machine administrative française dont chacun connaît la simplicité et la stabilité. Cela explique pourquoi ce poste de coordinateur n’était pas vraiment fait pour un scientifique pur jus mais plutôt pour quelqu’un ayant un background scientifique ainsi qu’une connaissance des rouages de l’administration. Ingénieur de formation, passé par le CEA, la DGE et la Mission Forteza, Neil Abroug consolide ce bagage.
On lui souhaite donc de réussir dans cette mission qui est de toutes manières une grande aventure collective avec toutes les parties prenantes citées ci-dessus.
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