Cela fait maintenant près de deux ans que je découvre le champ de l’informatique quantique et partage avec vous ce que j’en découvre.
Je me suis attaqué à ce sujet assez complexe pour en comprendre les tenants et aboutissants. Mais aussi parce que j’avais l’impression qu’il était encore suffisamment immature pour être porteur d’opportunités pour l’économie française, ses chercheurs et ses startups deep techs.
On peut faire un parallèle avec l’état de l’intelligence artificielle avant 2011, l’année de la victoire d’IBM Watson au jeu Jeopardy qui avait marqué les esprits. S’en était suivie l’explosion cambrienne du deep learning incarnée par les prouesses de la reconnaissance d’image apparues en 2012 puis par la victoire de DeepMind AlphaGo en 2016. L’IA suit son cours, est adoptée par les entreprises, fait l’objet de comparaisons planétaires avec le rappel de la domination des USA et de la Chine, qui existent même sans l’IA.
L’informatique quantique n’en est pas encore là. Elle est balbutiante. Nous n’avons pas encore d’équivalent quantique symbolique d’AlphaGo à nous mettre sous la dent. C’est en fait un bon signe. Cela indique qu’il est encore temps de faire la différence et d’innover. C’est un laboratoire vivant de la gestation de l’innovation dans un nouveau secteur. Avec d’autres intervenants de l’écosystème (Atos, Quantonation, Bpifrance, DGE), j’avais alerté les pouvoirs publics dès le mois de juin 2018 (cf ma tribune dans La Tribune) puis ensuite, en rencontrant Mounir Mahjoubi en novembre 2018 puis Cédric Villani en janvier 2019, de l’urgence de s’emparer du sujet au niveau de l’Etat pour coordonner une stratégie publique dans le domaine. Il me semblait, en particulier, qu’il fallait mettre la surmultipliée pour former de jeunes scientifiques et ingénieurs, puis doctorants et post-doctorants, pour créer le terreau des futurs innovateurs du secteur, startups comprises.
Cela a débouché sur la création de la mission parlementaire pilotée par la députée LREM Paula Forteza, commandée par le Premier Ministre, mais en pratique par Cédric O alors qu’il était encore conseiller à l’Elysée, avant de devenir Secrétaire d’Etat au Numérique en mars 2019.
Parmi les visionnaires de cet écosystème se trouve le fonds d’investissement Quantonation dédié aux deep techs et aux technologies quantiques. Créé par Charles Beigbeder et Christophe Jurczak, c’est le premier fonds d’investissement dédié au quantique en France. Il fait partie d’un club fermé d’une demi-douzaine de fonds similaires dans le monde.
Quantonation est dans la pratique devenu une sorte de plaque tournante de l’écosystème entrepreneurial du quantique en France. Il complète ainsi des initiatives de chercheurs : SIRTEQ, un réseau académique sur le quantique en Ile de France, financé par la Région IDF, avec des actions d’animation de la communauté, PCQC, Paris Center for Quantum Computing, une communauté de chercheurs en informatique quantique de la région parisienne qui fédère le CNRS, l’Université Paris Diderot, l’UMPC, Telecom Paristech, le CEA, l’Institut d’Optique et l’Université Paris-Sud (Orsay/Saclay). Il y a aussi le Grenoble Quantum Engineering qui regroupe les efforts de la région sur le sujet, pilotés par le CEA-Leti (Maud Vinet) et le CNRS.
Bpifrance est aussi très actif sur le sujet, dans le cadre de son plan deeptech annoncé entre l’été 2018 et janvier 2019. Son équipe innovation organise la “Quantum Computing Business Conference” le 20 juin à Paris toute la journée avec un panel d’intervenants de haut vol : Alain Aspect, Philippe Grangier, Antoine Petit (CNRS), Maud Vinet, Nicolas Sekkaki (IBM), Thierry Breton (Atos) ainsi que Vern Brownell (CEO de D-Wave) et des représentants de Rigetti, IonQ, Zapata Computing, Atos, Microsoft, Quandela, LightOn, Vericloud, Airbus, Total et EDF. La conférence sera clôturée par Paula Forteza qui présentera l’état de sa mission parlementaire, puis Nicolas Dufourcq et Cédric Villani. La participation se fait sur invitation. Contactez-moi si vous êtes intéressé.
Le mois de juin sera complété par les Leti Innovation Days à Grenoble des 24-28 juin qui se terminent par un workshop sur le quantique d’une journée le 28 juin et qui rassemble la crème des chercheurs français du domaine (programme).
Quantonation est à l’origine de plusieurs manifestations sur le quantique organisées à Paris. Le premier meetup d’octobre 2018 avait lieu à Wework Lafayette. Le fonds avait aussi organisé un hackathon quantique à l’école 42 fin janvier 2019. Le dernier meetup en date était celui du 23 mai 2019 à Paris. Comme les précédents meetups, il regroupait environ 80 participants : des entrepreneurs, des chercheurs, des investisseurs, des étudiants, des curieux intéressés par le sujet du quantique, et des consultants indépendants comme moi. La prochaine étape sera la création du Lab Quantique, à la fois un hub, un incubateur, un think tank et un lieu emblématique qui aurait pour objectifs de fédérer l’écosystème quantique.
Le meetup de mai 2019 avait lieu dans l’hôtel particulier de Charles Beigbeder qui est en plein réaménagement à Paris, rue de Hauteville. Y intervenaient quatre startups que nous allons examiner rapidement : Muquans, Quandela, Pasqal et Prevision.io.
Muquans (2011) employait 29 personnes en mai 2019 et qui faisait 2,9M€ en 2018. Ils développent un gravimètre quantique qui sert par exemple à la détection de cavités pour le BTP, la prospection pétrolière et la surveillance de volcans comme pour l’Etna en Italie. Le produit s’appelle Absolute Quantum Gravimeter.
Le système exploite des atomes neutres de rubidium éclairés et refroidis à 1 µK par lasers dans 6 directions et piégés magnétiquement sous vide. Le système mesure avec une grande précision la chute gravitationnelle du nuage d’atome. Un système à base de fluorescence et de laser mesure la vitesse de la chute et le fait dans la durée pour évaluer sa variation temporelle. Ils participent aux projets du flasgship européen Quantum Internet Alliance pour créer un matériel d’extension de la portée des systèmes de QKD et Pasquans dans la simulation quantique à atomes froids.
Quandela (2017) est une startup basée à Marcoussis dans le sud de l’Ile de France, qui est spécialisée dans la création de sources de photons uniques destinées au monde de la recherche, des télécommunications et du calcul quantique. Avec un seul atome piégé contrôlé (quantum dot), il arrivent à générer des trains de photons bien séparés dans le temps. Ses sources de photons peuvent servir dans la cryptographie quantique et, à terme, à créer des ordinateurs quantiques à base d’optique linéaire ou autres techniques.
Ils ont notamment développé un système d’intrication de quatre photons à partir d’un seul photon source, qui est piégé dans une boucle à fibre optique. Cela génère plusieurs photons intrigués qui sont ensuite exploitables pour de la QKD. Valerian Giesz est le CEO de la startup. Ingénieur SupOptique, il a un doctorat en photonique. Le projet est une spin-off du laboratoire C2N du CNRS. Chercheuse de référence dans la photonique dans ce laboratoire, Pascale Senellart est cofondatrice de la startup qui comptait 5 personnes en mai 2019. La startup était lauréate du grand prix du concours i-Lab 2018.
Pasqal (2019) est la première startup de calcul quantique en France basée sur la filière du refroidissement d’atomes de rubidium confinés magnétiquement et refroidis à 30 μK par laser à effet Doppler. Les portes quantiques sont activées par laser pour modifier l’état énergétique des atomes. Les atomes sont piégés dans des matrices 2D ou des structures toriques 3D avec un espacement de quelques microns entre chacun d’entre eux. Ils sont gérés avec deux niveaux d’énergie. L’intrication est provoquée par l’excitation des atomes dans l’état de Rydberg qui leur permet d’interagir avec d’autres atomes à longue distance. La technologie serait prometteuse et permettrait d’atteindre rapidement une cinquantaine de qubits de qualité puis des centaines d’ici 5 ans.
Ils se positionnent dans un premier temps sur les PQS (Programmable Quantum Simulator, ou ordinateurs quantiques analogiques) puis ensuite sur les NISQ (Noisy Intermediate-Scale Quantum), des ordinateurs à portes quantiques universelles.
Côté performance et qualité des qubits, ils atteignent un temps de cohérence de 1 ms avec des portes de 1 µs, donc de quoi enquiller un millier de portes quantiques (hors codes de correction d’erreur). Le taux d’erreur des portes serait de 3% et le taux d’erreur de mesure de 1% ce qui est tout à fait raisonnable, tout du moins pour de la simulation quantique.
L’ordinateur qui tient dans un rack de data center fonctionne à température ambiante et sous vide. Ils développent leur propre environnement de programmation à bas niveau qui aura pour vocation à s’interfacer avec des langages de programmation à haut niveau du marché.
C’est un investissement « actif » du fonds Quantonation à savoir que Christophe Jurczak, le general partner du fonds, est le Chairman de la startup. Alain Aspect en est conseil scientifique. L’équipe comprend trois fondateurs autour du CEO, Georges-Olivier Reymond.
Prevision.io (2016, France, 1,5M€) est une startup spécialisée dans le machine learning. Ils ont développé une plateforme qui automatise le choix de modèles de machine learning pour exploiter des données structurées. Ils envisagent d’utiliser des algorithmes quantiques, notamment de QML (Quantum Machine Learning) pour compléter leur bibliothèque d’outils.
Cela a du sens, d’autant plus que pour faire cela, la startup n’a pas besoin d’acquérir un ordinateur quantique ! On en trouve quelques-uns dans le cloud pour faire ses premiers tests sans compter les outils de simulation fonctionnant sur ordinateurs traditionnels ou supercalculateurs. Le quantique, ce sera surtout du cloud computing !
En mai 2019, le fondateur de la startup Nicolas Gaude, et un chercheur de la startup, Michel Nowak, PhD, présentaient les résultats de leur étude d’accélération quantique d’un algorithme de machine learning hybride, « Quantum Variational Circuits » sur un test de reconnaissance d’écriture du MNIST, le même que pour les débuts de réseaux de neurones convolutionnels de Yann LeCun en 1988. Le principe consiste à optimiser les hyperparamètres d’un réseau de neurones dans la partie quantique du calcul, couplé à une optimisation bayésienne fonctionnant de manière classique. Leur modèle illustrait l’intérêt d’une accélération quantique avec juste 20 qubits, simulés sur la bibliothèque de simulation quantique PennyLane de Xanadu. Ils estiment qu’un avantage quantique serait démontrable sur leur algorithme à partir de 28 qubits avec l’équivalent d’un milliard de paramètres.
_______________________
Ces quatre startups font partie d’une catégorie de startups en pleine croissance. M’étant attaqué à la mise à jour de l’ebook “Comprendre l’informatique” (dernière édition datant de novembre 2018) que je prévois de publier entre juin et juillet 2019, j’ai mis à jour l’inventaire que j’avais initialisé en 2018 des startups quantiques du monde entier.
C’est moins difficile que de faire celui des startups de l’IA ou du marketing qui sont des milliers. Mon décompte à jour m’amène à 134 startups de l’informatique quantique comprenant le calcul quantique et la crypto quantique et post-quantique. Je ne décompte pas les startups dédiées exclusivement à la métrologie quantique (outils de mesure de précision quantiques comme les horloges atomiques). Une bonne part de ces startups ont été créées entre 2018 et début 2019. Cela s’active dans l’écosystème quantique alors que la technologie est encore immature !
La bonne surprise est de constater que la France est le quatrième pays en nombre de startups quantiques, équitablement réparti entre le calcul quantique et la cryptographie. Mais côté calcul, nous n’avons pour l’instant qu’une seule startup visant la création d’un ordinateur quantique complet, Pasqal, que nous avons décrite dans cet article. Les autres font plutôt des composants comme Quandela, Muquans et CryoNext.
La France est derrière les USA, of course, puis le Royaume-Uni et le Canada qui sont deux pays ayant lancé des initiatives quantiques très tôt, entre 2013 pour le premier et 2015 pour le second. Comme dans de nombreux classements de startups européens, la France est suivie de près par l’Allemagne. La Chine est peu présente dans ce palmarès car les activités quantiques sont pour l’instant concentrées dans les laboratoires publics qui sont très bien financés ($10B sur 10 ans) et n’ont donc pour l’instant pas encore besoin de faire appel à des capitaux privés et à se constituer en startups. C’est probablement une sage décision au vu d’une technologie qui a encore besoin d’être peaufinée en laboratoire.
Et voici ce que donne ma petite cartographie de startups du calcul quantique en trois catégories : composants matériels, ordinateurs puis logiciels, toutes catégories confondues.
En mettant à jour cet inventaire, j’ai pu constater des phénomènes déjà vus dans l’IA : nombre de startups qui sont en fait des prestataires de services, faisant même parfois de la recherche sous contrat et beaucoup de me-toos, notamment dans les applications du quantique à la finance ou à la santé. Sinon, une majorité de ces startups sont créées par des chercheurs. Il y aura du tri dans le tas. Émergeront probablement celles qui sauront créer de véritables plateformes extensibles. L’Histoire du numérique a tendance à se répéter !
Reçevez par email les alertes de parution de nouveaux articles :
Excellent #quantum #Meetup où 4 startups françaises de grand talent ont pu se présenter à une audience attentive.… https://t.co/monKX9yUXJ
Il ne s’agit pas d’un commentaire… Mais plutôt d’une question ?
Question de néophyte à laquelle vous pourriez peut-être répondre ?
L’ordinateur quantique existe-t-il déjà ? Ou n’existe-t-il que des simulateurs de calcul quantique ?
Je me demande si nous arrivons déjà à exploiter concrètement la superposition d’état quantique, ce qui serait une preuve de son existence réelle ou si nous savons encore que simuler cet état ?
Cordialement Ezel
Réponse ici : https://www.oezratty.net/wordpress/2018/ebook-pour-comprendre-informatique-quantique/.
En détail :
Il existe déjà des ordinateurs quantiques chez IBM, Rigetti, IonQ, D-Wave. Leurs capacités sont pour l’instant assez limitées mais les développeurs commencent à les utiliser pour tester des algorithmes quantiques à petite échelle. Et dans le cloud.
Il existe aussi des simulateurs de calcul quantique tournant sur des ordinateurs classiques. Jusqu’à 24 qubits sur un simple laptop, une quarantaine de qubits chez Atos avec un supercalculateur maison, et encore plus chez d’autres acteurs tels qu’IBM ou Alibaba et Huawei.
La superposition d’état quantique est bien validée scientifiquement et utilisée dans les calculateurs quantiques ainsi que dans d’autres applications du quantique (télécoms, métrologie).