Après dans une première partie avoir fait le tour de la biologie du sommeil et des outils de mesure de sa qualité, passons dans cette seconde partie aux solutions permettant d’agir sur le sommeil et pas simplement de le mesurer. Nous ferons aussi un peu de prospective sur la question et tirons quelques leçons “business” sur les objets connectés.
Agir sur le sommeil
Si l’on se contente de capteurs qui vous indiquent que vous avez mal dormi, vous êtes bien avancé ! Le Beddit vous indique que le stress peut rendre difficile l’endormissement. L’anxiété, le stress et la dépression expliquent en effet une bonne part des insomnies. Mais aucune des applications des objets connectés évoquée ici se hasarde à vous indiquer que vous êtes peut-être dépressif et, encore moins, à vous prescrire une visite chez le psychiatre ! C’est à vous de voir !
Les applications de ces capteurs de sommeil ont en fait bien l’air d’éviter de fournir des conseils, peut-être pour éviter la qualification de ’’medical device” et ses inconvénients en matière de rapidité de mise sur le marché. On perd en effet un an dans le meilleur des cas et les procédures sont différentes selon les pays. Donc mieux vaut rester dans la catégorie des produits de “bien-être”. Donc, semble-t-il, les applications de ces capteurs vous indiqueront peut-être que vous ronflez, mais pas que vous êtes affectés d’un trouble de l’apnée du sommeil !
Il existe pourtant de nombreux conseils pratiques pour mieux dormir et qui pourraient être exploiter les données captées par ces divers objets, notamment les wearables : éviter les siestes trop longues qui perturbent les rythmes du sommeil et éviter les activités physiques intenses le soir. Il faut limiter l’usage des écrans LCD : smartphone, tablette ou ordinateur car ils émettent de la lumière UV issues du rétro-éclairage en LED et simulent la lumière du jour. La TV est tolérable car son angle de vue est plus limité, surtout si elle est située dans une pièce bien éclairée et pas dans le noir. Sinon, l’endormissement devant la TV est garanti. Et au cinéma ? Le risque est moindre car l’image est plus grande et le spectacle généralement plus captivant.
Il vaut mieux privilégier des activités qui distraient et font rêver : la lecture d’un livre papier (ou sur une liseuse électronique à écran LCD passif), écouter de la musique, regarder une bonne série TV en binge viewing ou pas. Un Cash Investigation fera moins l’affaire car c’est généralement stressant, surtout si vous travaillez dans l’entreprise qui s’est faite interviewer au débotté par Elise Lucet ! Il vaut mieux éviter de travailler sur des affaires stressantes avant de se coucher comme vider son mail ou répondre énervé à un mail qui vous agace. On peut aussi prendre un bain ou une douche bien chauds dont l’effet vasodilatateur va être bénéfique pour l’endormissement.
Il est aussi bon d’avoir un rythme de vie régulier : se coucher et se lever à peu près à la même heure tous les jours. Ce qui est évidemment difficile pour ceux dont l’activité professionnelle est irrégulière. Il faut aussi sentir quand il faut aller se coucher ! Le site de l’Institut du Sommeil et de la Vigilance fournit tous ces conseils. Ils oublient juste la bonne vieille méthode consistant à compter les moutons pour essayer de s’endormir.
Côté alimentation, les fruits sont à privilégier, notamment ceux qui produisent de la mélatonine qui aide à dormir. Par contre, il faut éviter la consommation de café après le déjeuner car la caféine maintient éveillé pendant plus de 7 heures après sa consommation, toutes les autres formes d’excitants comme le coca-cola (light ou pas), l’alcool au-delà du raisonnable verre de vin rouge plein d’anti-oxydants ainsi que les produits laitiers ou gras. Au passage, il vaut mieux s’endormir au calme et dans le noir. Vous pouvez aussi changer de lit ou de matelas, améliorer votre posture et éviter de stresser votre colonne vertébrale.
Si vous appliquez toutes ces recettes, vous pourrez probablement faire l’économie d’un objet connecté de suivi du sommeil (cf le résumé dans le schéma ci-dessous issu de “The habits of super successful sleepers” )!
Il existe une catégorie de produit qui endorment mais qui est hors de propos ici : les anesthésiants utilisés pour des opérations chirurgicales. La plupart sont injectés par intraveineuse dans un cathéter placé sur la main. Le plus connu et utilisé est le propofol. Il agit sur des transmetteurs neuronaux, les canaux GABAa. Le propofol était régulièrement utilisé par Michael Jackson pour dormir et c’est un surdosage accidentel qui aurait généré son décès en 2009. Bref, à déconseiller, même pour ceux qui peuvent se payer un anesthésiste à domicile !
A contrario, si vous dormez trop, notamment parce que vous souffrez de narcolepsie, une pathologie qui vous endort régulièrement de jour, le modalfinil sera éventuellement prescrit sur ordonnance. Il permet de rester bien éveillé le jour sans que cela n’empêche de s’endormir la nuit.
Ceci dit, les offreurs d’objets connectés essayent de vous proposer des produits qui agissent sur votre sommeil, sans se contenter de le mesurer. Et les méthodes proposées sont assez variées et d’efficacité tout aussi variable ! Avec même des produits censés vous permettre de contrôler vos rêves !
Luminothérapie
Il s’agit de jouer sur l’éclairage de la chambre à la fois pour vous endormir et pour vous réveiller en douceur.
C’est la fonction principale du Aura de Withings et de sa base qui sert à la fois de radio-réveil et de lampe intelligente. Elle comprend des LED de couleur, notamment rouge et bleue. Les LED rouge sont utilisées pour provoquer la sécrétion de mélatonine au coucher : elles émettent dans un spectre étroit de fréquences évitant celles de la lumière du jour. Je me demande bien quel en l’est l’intérêt par rapport au noir complet qui produit le même effet sur le corps !
A contrario, la lumière bleue utilisée au réveil inhiberait la sécrétion de mélatonine. Le système est couplé à l’émission de sons qui facilitent aussi l’endormissement, ce qui n’est pas des plus évidents car en général, on apprécie de dormir dans le silence. Mais c’est une technique qui peut être utile pour la relaxation préalable au sommeil. Comme de nombreux dispositifs de suivi du sommeil qui savent identifier dans quelle phase de sommeil vous êtes, la fonction SmartWakeUp du Aura vous réveille quand vous êtes en phase de sommeil léger.
On trouve une fonction équivalente de luminothérapie dans le HugOne de SevenHugs et dans le Yantouch JellyWash 2 (ci-dessous), ce dernier étant pilotable par commande gestuelle et doté de 24 groupes de 3 LED de couleurs primaires RGB.
On peut aussi citer le Remee ($95) de Bitbanger Labs (New York), un masque censé contrôler vos rêves grâce à six LED de couleur rouge, utilisées dans les phases du sommeil paradoxal (phase “REM” pour rapid eye movements). Les LED vous permettent d’identifier votre état – le rêve – et d’en prendre le contrôle (explication). Ca a l’air assez foireux comme ça mais pourquoi pas. L’idée consiste à utiliser ces signaux lumineux pour envoyer au cerveau le message “vous êtes dans un rêve” histoire de faire la différence avec la vraie vie et éventuellement, d’en profiter un peu pour divaguer. Le défaut ? Ce système ne comporte aucun capteur pour identifier précisément la période du sommeil qui correspond aux rêves. On programme en fait manuellement le timing du déclenchement sur le site web du produit. Qui plus est, l’usage de ce masque demande de l’entrainement.
Le Aurora de iWinks ($300) est un masque de tête qui mesure les ondes cérébrales émises par le cerveau ainsi que le mouvement des yeux et qui émet de la lumière au moment opportun pour vous indiquer que vous vous endormissez profondément et pour vous aider à contrôler vos rêves, comme avec le Remee. La différence, qui se ressent dans le prix et l’encombrement de l’engin, provient du détecteur qui permet d’identifier les moments où ces rêves éveillés se produisent.
L’article de Nature “REM sleep and dreaming: towards a theory of protoconsciousness” publié en 2009 explique en détail le processus du contrôle du “rêve éveillé”. Il présente même un scanner IRM de cerveaux dans cette phase de rêve intermédiaire en l’éveil et le sommeil paradoxal.
Audio
En complément des produits précédents qui combinent luminothérapie et musicothérapie, on peut citer le Sleepow ($99), un oreiller à mémoire de forme doté d’un lecteur de musique MP3. Une version pour bébés va vous aider à le faire dormir en lui jouant de la musique appropriée pour le calmer. Et vous allez mieux dormir par la même occasion. D’une pierre deux coups !
Issu des USA, le Chrona d’Ultradia (ci-dessous, $129 en précommande sur Kickstarter) est destiné à être inséré dans votre taie d’oreiller qui fonctionne sur un principe équivalent car il est doté de petits haut-parleurs plats. La musique se synchronise avec vos “ondes cérébrales”… qu’il ne capte pas ! L’endormissement se fait avec l’émission d’ondes sonores de basse fréquence et le réveil avec des hautes fréquences.
De son côté, le Bedside Speaker de Brookstone ($99, ci-dessous) est censé vous aider à bien dormir en émettant des sons pour vous endormir ou vous relaxer. Tout tient sur la table de chevet !
Le Sleep Shepherd ($149) qui était présenté pour la première fois au CES 2015 est un autre bonnet qui contient des capteurs d’ondes cérébrales et des écouteurs qui émettent des sons destinés à ralentir le rythme de ces ondes. Et à vous endormir. Les sons s’arrêtent une fois que vous êtes endormis. Cela remplace l’histoire que vos parents ou grands frères/sœurs vous racontaient en vous couchant quand vous étiez petits.
Autre outil astucieux, issu d’une startup française, le Sleepoo est un logiciel mobile réducteur de bruit pour oreillette, pour ceux qui dorment avec un ronfleur.
Ondes cérébrales
Plusieurs bandanas mesurent les ondes cérébrales pour analyser l’étape du sommeil dans laquelle on se trouve, et agissent ensuite avec des son ou de la lumière. Mais pourquoi pas renvoyer des ondes au cerveau ? C’est ce que proposera Dreem, une startup créé par de jeunes polytechniciens. Le projet est soutenu avec divers scientifiques, notamment de la Pitié Salpêtrière. On demande cependant à comprendre quelles ondes sont émises vers le cerveau et quel est leur impact réel sur son métabolisme.
Senteurs
Et pourquoi pas vous réveiller avec des belles odeurs, notamment de croissant chaud ? C’est l’intention du projet SensorWake, un réveil matin qui diffuse des odeurs au réveil ! Encore faut-il aussi avoir dans son garde-manger ce qui est suggéré par les odeurs diffusées ! Ce projet fait partie des 15 meilleures innovations du concours Google Science Fair. Il est aussi médaillé au concours Lépine 2015. Créé par un nantais de 18 ans, Guillaume Rolland, le projet a collecté 192K€ sur Kickstarter et est suivi par l’incubateur de l’école des Mines de Nantes. Il ne reste plus qu’à le fabriquer !
Autres solutions
Les lunettes NeuroOn du polonais IntelClinic, gagnant de la compétition à Leweb 2013, permettent d’améliorer la qualité de votre sommeil voire d’en réduire la durée. Il est toujours en précommande à $300. Le masque capte les ondes cérébrales pendant le sommeil (EEG) pour en mesurer la qualité et les cycles. Le logiciel mobile associé permet d’identifier les phases de ses cycles de sommeil (léger, lent, paradoxal), sa qualité et de dormir selon des cycles polyphasiques. Il s’agit de courts cycles de sommeil étalés dans la journée et la nuit qui permettent de ne dormir que deux à cinq heures par jour. Reste à démontrer que ce n’est pas nuisible à la santé.
Naptime est un moniteur de sommeil un peu particulier. Il aide les parents d’enfants en bas âge à mieux dormir en ne réveillant que l’un des deux parents à tour de rôle pour s’occuper du bébé qui pleure la nuit. Les parents sont avertis par un bracelet vibrant. Cela fonctionne surtout pour ceux des parents qui habitent dans des appartements ou maisons tellement grands que l’on n’entend pas le bébé crier dans la chambre à coucher des parents. On se demande comment on faisait avant !
Autre cas intéressant, celui de l’application mobile ironfle, qui enregistre les ronflements la nuit et permet même de les réécouter. On peut alors choisir un traitement comme ceux qui vont dégager les fosses nasales, et ensuite, comparer le résultat avec la situation antérieure. On est ici dans un bon cycle : mesure, constat, action puis mesure du résultat.
Le futur du sommeil
Après ce petit tour d’horizon assez large des produits actuellement proposés ou sur le point de l’être, demandons-nous comment ces techniques de mesure et d’amélioration de la qualité du sommeil pourraient progresser.
Dans la biologie, on peut imaginer l’apparition d’outils de mesure de paramètres biologiques à partir du sang qui permettraient d’en savoir plus sur notre métabolisme. Les capteurs pourraient aussi être intégrés de plus en plus couramment dans les lits ou les matelas, même si ce n’est pas sans poser de problèmes de cycle de vie différentiés entre celui des objets connectés et des matelas, ces derniers étant remplacés encore moins souvent qu’une TV !
Les weareables pourraient aussi nous indiquer quel est le meilleur moment pour aller se coucher en fonction de différents paramètres comme nos heures habituelles de sommeil, notre niveau de fatigue et notre agenda du lendemain.
Peut-on imaginer des nanotechnologies ou un contrôle précis de notre métabolisme pour nous endormir voire pour réduire nos besoins physiologiques de sommeil ? Ray Kurzweil n’en parle pas dans “The Singularity is Near” ! On peut imaginer aussi des progrès dans le domaine des somnifères qui pourraient émerger sans présenter d’effets secondaires indésirables. La biologie moléculaire du sommeil n’a pas encore révélé tous ses secrets !
Quid des hôtels pour les voyageurs ? Notamment ceux qui ont à gérer un gros décalage horaire ? Là aussi, il y a un besoin mais la solution technique généraliste reste à inventer. Pourquoi pas un environnement de la chambre d’hôtel qui s’adapte à nos paramètres de sommeil récupérés avec d’autres capteurs ?
Du côté des modèles économiques, on peut fantasmer un peu sur le rôle éventuel des assurances santé et automobile. En effet, une meilleure qualité de sommeil influe positivement sur notre métabolisme, sur notre poids et aussi sur notre vigilance diurne, notamment sur la route. Cela pourrait donc motiver des assurances à contribuer au financement de ces solutions ou simplement de pousser leurs clients à les utiliser.
Conséquences et leçons
De ce petit voyage au pays du sommeil, on peut retenir plusieurs leçons intéressantes probablement applicables à d’autres domaines de l’univers des objets connectés.
Tout d’abord, l’innovation n’est pas terminée dans les capteurs. Il en reste à inventer et il existe plusieurs manières de suivre les paramètres du sommeil. Les plus intéressantes sont les moins intrusives. Mais il faut aussi améliorer la précision de la captation qui est encore moyenne dans les capteurs destinés au grand public.
Ensuite, nous sommes ici dans un usage où un seul capteur est insuffisant pour apporter un service de qualité. La valeur provient de l’intégration de données issues de plusieurs capteurs, wearable ou pas. La valeur ajoutée des objets connectés viendra peut-être de la capacité des logiciels qui les exploitent à intégrer des données diverses et à faire des analyses complexes présentées de manière simplifiée. Il est bon que la technologie conserve un petit côté magique !
Il n’est pas évident de générer de la valeur dans la durée. Face à un “pattern” particulier de sommeil, genre un endormissement trop long chronique, on peut laisser tomber ou agir. Si on agit, avec ou sans passer par un professionnel de santé, le sommeil s’améliorera, on le constatera en le mesurant. Et on aura moins besoin de suivre son sommeil une fois les choses rentrées dans l’ordre. Le point clé de la création de valeur est donc de bâtir des scénarios qui restent utiles même en cas d’absence de problème de sommeil. Tout du moins en cas d’ambition de générer un jour un modèle de revenu récurrent, ce qui n’a l’air d’être le cas pour aucune des solutions que nous avons inventoriées.
Les données sont une chose, mais les contenus riches associés en sont une autre. Nombre des produits que nous avons survolé ici ne proposent pas de contenu riche pour nous aider à bien dormir ! Certes, peut-être pour éviter la classification de dispositif médical, mais c’est une véritable lacune.
Enfin, un objet connecté est utile s’il permet d’agir et encore plus s’il agit lui-même sur l’environnement ou sur nous, pas simplement s’il se contente de capter des données. Les objets connectés puissants “font” quelque chose ! Nous en avons vu quelques exemples dont l’efficacité est probablement contestable mais c’est un bon début.
Pour conclure et intéresser les ingénieurs réseau qui se seraient endormis en lisant cet article, voici pour les réveiller une représentation expérimentale en modèle ISO à sept couches du contenu de cet article !
Sur ce, bonne nuit… et faites de beaux rêves !
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