Dans ce troisième volet de cette série d’articles sur l’innovation ouverte des grands groupes et leurs relations avec les startups, nous terminons le passage en revue de la boite à outils des grands groupes avec le financement, les projets collaboratifs, les proof of concepts, le co-marketing, la vente en marque blanche et les acquisitions.
Puis, dans un quatrième et dernier volet, nous traitons des éléments de culture d’entreprise du grand groupe qui vont favoriser la mise en place d’une approche efficace d’innovation ouverte. Nous y ferons aussi un petit détour par l’innovation ouverte du secteur public.
Financement
Dans un grand nombre de cas, les grands groupes mettent la main au porte-monnaie pour financer les startups en phase d’amorçage. Cela a du sens pour compléter des financements publics et privés traditionnels.
Les modes de financement sont variés : avec la création d’un fonds en propre, avec la participation financière dans un fonds géré par des tiers ou avec le financement au coup par coup de startups.
Ce sont les opérateurs télécoms qui ont la plus grande ancienneté dans ce domaine. Orange est déjà actif dans l’investissement dans les startups avec Orange Venture et le fonds d’investissement Innovacom. Il est aussi co-investisseur avec Publicis dans un fonds de 300 m€ dont la gestion est assurée par IRIS Capital. Il investit partout dans le monde et plutôt dans les télécoms, médias et la publicité.
Bouygues Télécom Initiatives a investi dans une grosse vingtaine de startups. Il s’est distingué en étant l’un des premiers investisseurs dans Melty. Il a aussi investi dans iFeelSmart, qui équipe la box Miami de Bouygues Télécom qui doit sortir avant la fin 2014.
De son côté, SFR Développement a financé une dizaine de startups dont Wiztivi qui est un cas à éviter en général : SFR y est majoritaire et c’est donc l’opérateur qui nomme les dirigeants. Il y en a eu quatre en une demi-douzaine d’années, ce qui fait beaucoup !
Intel Capital et Google Ventures – qui est notamment dans Uber – investissent depuis longtemps dans les startups. Cela s’accompagne pour le second d’une continuité avec une stratégie d’acquisition frénétique de startups à raison d’une cinquantaine par an, certaines ayant été financées par Google Ventures. Ce dernier a un portefeuille de plus de 250 startups. Il a investi dans Nest avant que Google l’acquiert début 2014, idem pour Divide, acquis en mai 2014. Mais il a aussi misé sur Parse, acheté de son côté par Facebook et d’autres startups du portefeuille ont été acquises par Yahoo!, Twitter, Brightcove, Dropbox et AOL. De tout cela, les startups françaises n’ont pas encore profité malgré les annonces d’investissements à réaliser en Europe. Google a cependant acquis deux startups françaises, en 2012 : Sparrow et Flexycore.
Chez les français, Cegid a aussi lancé un fonds d’investissement de 2M€ dans les entreprises du numérique mais aussi vers les entreprises sociales et solidaires. Le tout en liaison avec l’EM Lyon qui n’est pas loin de leur siège près de Lyon.
Autre formule de financement, le “media for equity”, pratiqué notamment par M6, TF1 et le groupe Express Roularta. Cela consiste en la prise de participation de ces groupes dans des startups en échange d’espace média “en nature”. Il existe même des fonds de media for equity comme 5M Venture en France (avec trois investissements à ce jour) qui mutualisent ces apports pour plusieurs médias.
Il existe d’autres approches comme la participation à un fonds d’investissement comme la société de services Econocom qui a misé 1 M€ dans le fonds Partech Entrepreneur. Enfin, de manière très traditionnelles, les banques dont le métier est de prêter de l’argent aux entreprises prêtent de l’argent à certaines startups, pour lesquelles le risque est mesuré.
C’est le cas de BNP-Paribas et de ses “centres d’innovation” qui sont surtout des agences bancaires pour PME et startups. Il y en a une douzaine à ce jour, installées dans les grands pôles technologiques habituels (Paris, Lille, Lyon, Grenoble, Sophia-Antipolis, Nantes, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg). Mais n’oublions pas que les banques prêtent peu aux startups. Ne le leur reprochons pas : elles ne peuvent pas prendre un tel risque dans leurs activités de prêt traditionnelle. C’est pareil partout dans le monde. Elles prêtent donc surtout aux entreprises qui ont un business model validé et une capacité de remboursement quasiment assurée. D’où l’intégration dans la même approche d’une offre destinée aux startups et aux PME.
Les métiers de services sont en tout cas les mieux à même de déployer des efforts vis à vis des PME innovantes et des startups en région car ils y sont implantés. Les sociétés technologiques (éditeurs de logiciels, acteurs de l’Internet) ont plus de difficultés à déployer leurs efforts en région.
Leçon de l’histoire : si vous avez un grand groupe dans votre capital, évitez de trop en dépendre. Il ne fait pas bon avoir son principal client comme actionnaire. Surtout si votre solution est elle-même destinée au vertical de ce client ! Cela vous fermera l’accès à une bonne part du marché s’il est très concurrentiel. Par contre, si vous êtes dans son écosystème au même titre que d’autres startups, alors pourquoi pas. Autre point clé valable pour tous les investisseurs : qui siègera au conseil d’administration de votre société ? La suivra-t-il dans la durée ? Quels sont ses objectifs ?
Projets collaboratifs
De nombreux financements publics de projets de R&D sont conditionnés par leur dimension collaborative. C’est le cas de la plupart des aides européennes et aussi de nombreux appels à projets des “Plans d’Investissement d’Avenir” (grand emprunt). C’est aussi fréquent dans le cadre des pôles de compétitivité où les grands groupes sont généralement bien présents et actifs.
Les grandes entreprises technologiques se font donc fort d’exploiter la manne et de lancer, souvent comme pilotes, des projets collaboratifs intégrant des laboratoires de recherche publique et des startups. On aboutit ainsi à des assemblages pouvant intégrer au-delà de cinq entités : un grand compte, un ou deux labos et une ou deux PME innovantes ou startups. C’est évidemment difficile à piloter.
Les assemblages intéressants sont ceux qui peuvent mener à la création de véritables standards industriels imposés à l’échelle internationale. Mais ils ne sont pas légion. On peut citer le cas du montpelliérain AWOX qui a fait partie des travaux de standardisation de DLNA, sans pour autant être lié à un industriel précis pour ce faire.
Leçon de l’histoire : danger ! Red alert ! Ces projets n’ont de sens pour une startup que si leur roadmap intègre la commercialisation d’offres. Si ce n’est qu’une pompe à finance pour de la R&D déconnectée du marché (ça arrive souvent…), il faut passer son chemin. Le rôle d’une startup n’est généralement pas de faire de la recherche. Le risque ne doit pas être d’ordre scientifique ou technologique mais dans la confrontation d’une offre produit ou service au marché. La dimension temps est aussi importante quand on sait que de nombreux projets collaboratifs sont calibrés pour durer deux à trois ans. Par contre, une startup peut-être amenée à commercialiser une solution qui intègre des composantes technologiques et scientifiques issues de laboratoires de recherche. Ce n’est plus vraiment de la recherche collaborative mais de la valorisation, même si celle-ci peut encore nécessiter des allers et retours avec les laboratoires de recherche concernés. L’écosystème grenoblois autour du CEA-LETI et du Minatec reste un bon exemple en France de ces transferts technologiques.
Proof of concept
Dans le cycle de la relation entre startup et le grand groupe, le “proof of concept” est une étape clé, attendue et redoutées à la fois. C’est le moment où la startup intéresse le grand groupe et où celui-ci va tester la viabilité de la solution. C’est souvent de viabilité technique qu’il s’agit et rarement de viabilité marché. Le processus va assez lentement.
Les opérateurs télécoms, les chaines de télévisions, les grands industriels sont friands de ce genre de procédé. Il est réalisé ou pas en liaison avec un programme de relation avec les startups. Très souvent, il est mis en œuvre dans une relation client-fournisseur. A ceci près que la startup est taillable et corvéable à merci car elle est très vulnérable et n’a que peu de moyens de pression ou de négociation. Elle cherche à tout prix “la référence” qui lui donnera ensuite un coup d’accélérateur.
Dans le meilleur des mondes, le PoC est un succès et on passe à l’étape suivante la plus délicate dans les processus d’innovation : le déploiement à grande échelle. Pour les grandes entreprises b-to-c, la startup va donc dépendre non seulement de la capacité technique du grand-compte à déployer mais aussi de sa capacité marketing à vendre la nouvelle solution si celle-ci est nouvelle. Le projet est moins risqué si le PoC ne modifie pas l’offre destinée aux “clients finaux”.
Dans le pire des mondes, et cela arrive, le grand compte abandonne le PoC en cours de route ou à son terme. Il ne fait pas affaire avec la startup. Mais le projet réapparait peu après sous la forme d’un projet mené avec une autre startup ou bien mené en interne par le client. Cela amène souvent à un différent délicat à régler. Le délit n’est pas toujours facile à caractériser car la startup ne s’est pas forcément fait “voler” son produit. Parfois, il s’agit de certains pans de l’idée liée au produit, qui ne sont pas protégeables. Et des idées que d’autres peuvent avoir eu en même temps. Pour éviter ce genre de déboire, il vaut mieux bien se protéger en amont par contrat et avec l’aide d’avocats spécialisés dans la propriété intellectuelle et le droit des affaires.
L’autre point clé est la dimension temps, un élément aussi rare que le financement pour la startup. Elle évolue dans une échelle de temps bien plus compressée que celle du grand groupe. Elle n’a pas de temps à perdre. De ce côté-là, les relations avec les grandes entreprises sont bien plus saines quand aucune des deux parties ne fait perdre de temps à l’autre. La grande entreprise doit savoir dire non, cela ne nous intéresse pas. Elle doit aussi savoir dire oui rapidement et ne pas trop louvoyer. Le PoC ne doit pas durer une éternité. Les conditions de paiement doivent aussi être convenables et, gage de bonne volonté, ne pas être calées au taquet légal de 45 jours appliqué par tous les services achats. On peut rêver ?
Leçon de l’histoire : les grandes entreprises, surtout bien staffées, réalisent de nombreux PoC. Peu d’entre eux atteindront le stade industriel. Le point clé pour la startup est d’arriver à se faire payer les Poc au juste prix, y compris lorsqu’il y a un dépassement de charge de travail associée. Et évidemment, de mener le PoC à son terme pour aboutir à un véritable projet déployable. La startup doit aussi éviter un syndrome bien courant où le PoC la transforme en société de service presque exclusivement consacrée à son premier grand client et qui plus est, celui-ci ne déploie pas à grande échelle la solution testée dans le “PoC”. Cela éloigne alors la jeune pousse des marchés de volume qui sont normalement l’apanage des startups avec leurs économies d’échelle associées. Si le produit nécessite un trop grand nombre d’adaptations pour fonctionner chez le client, il y a quelque chose qui cloche dans sa conception. Ce n’était pas un produit mais plutôt une boite à outils et la startup a joué le rôle de garage au lieu de celui d’usine. Pas glop !
Co-marketing d’offres
Comment les grandes entreprises mettent en avant les innovations issues des startups qu’elles ont accompagnées ? Cela peut passer par des actions de co-marketing. On en trouve surtout chez les opérateurs de plateformes et cela ne date pas d’hier.
En b-to-c, le co-marketing démarre petit avec les magasins d’applications (Apple AppStore, Google Play, …). Il va plus loin surtout pour les offres b-to-b avec un panachage de présence dans les salons, des séminaires conjoints voire des showrooms. Au top du top, en b-to-b, l’approche de clients en commun avec les commerciaux de la grande entreprise.
Côté showroom, on peut noter le best practice de France Télévisions dont le stand à Leweb, dans Futur en Seine et pendant Roland Garros valorisent exclusivement des innovations issues de startups françaises, le groupe média public ne dérogeant pas du tout ici à son rôle de service public. On peut aussi noter le concept store de BNP-Paribas à Paris. L’Echangeur du groupe Laser a été un pionnier de la notion de showroom de nouvelles technologies, appliquées en particulier dans le monde du retail.
Le “best practice” le plus notoire dans le co-marketing se retrouve dans les actions terrain et marketing qui apportent une présence internationale à la startup. Cela peut venir de groupes français très exportateurs ou de groupes étrangers qui donnent une visibilité internationale aux startups françaises.
Le développement international peut cependant être une promesse intenable. En effet, si les filiales sont bien disposées à aider les startups de leur pays, les autres filiales du même groupe international sont bien moins motivées, sauf si la startup a déjà une belle notoriété. C’est particulièrement vrai du travail avec les équipes commerciales locales.
L’effet de levier international le plus efficace consiste à passer par “la Corp” de la société. On peut citer le cas, plutôt rare, de Stupeflix, une startup créée en 2009, et intégrée dans le lancement des derniers iPas d’Apple. Cela procure une visibilité exceptionnelle à la chanceuse startup ! Le prix à payer est d’adopter une nouvelle technologie matérielle ou logicielle en avance de phase par rapport au marché. Avec Apple, le risque est plus que modéré. On ne peut pas en dire autant de tous les acteurs du marché.
Leçon de l’histoire : les startups ont tout à gagner en visibilité d’un partenariat concret avec de grandes entreprises. Il faut juste éviter l’exclusivité et aussi faire en sorte que le mode projet ne consume pas la startup. Certaines startups ont difficilement survécu à l’épreuve d’avoir un mammouth comme premier grand client. A contrario, il est plutôt bon de travailler avec de grandes entreprises internationales.
Vente d’offres en marque blanche
Dans l’étape commerciale suivant le PoC, la startup peut être amenée à voir son offre commercialisée en marque blanche par le grand compte.
C’est par exemple le cas de la startup de réseau familial FamilyCo dont le service a été lancé par Orange sous le label Family Place (annoncé lors du ShowHello d’octobre 2014). La marque blanche est le prix à payer par la startup qui n’a pas les moyens financiers et marketing de se développer en marque propre. La question est de savoir si cette commercialisation en marque blanche apporte une synergie à la marque en propre, par exemple, par un logon et une base utilisateur uniques ou pas.
Dans le meilleur des cas, cela peut conduire le grand groupe à acquérir la startup. Mais dans ce cas, la valorisation sera faible car le bassin d’audience pris en compte sera celui du grand compte ! La startup joue alors quasiment le rôle d’un créateur de solution sur mesure comme l’aurait fait une SSII. A ceci près que les SSII savent rarement lancer des solutions b-to-c.
Le critère discriminant est la nature du produit ou du service : s’agit-il d’une brique technologique commercialisée en b-to-b ou d’une solution b-to-c destinée aux consommateurs. La marque blanche est clairement adaptée au b-to-b (puis to-c) mais pas l’offre grand public packagée. Le moteur de recommandation d’une startup comme Spideo va compléter l’interface utilisateur d’une autre startup, iFeelSmart, pour s’intégrer dans une box d’opérateur télécom grand public, en l’occurrence chez Bouygues Télécom. Seuls, ni Spideo ni iFeelSmart ne peuvent créer de solution tout en un.
Leçon de l’histoire : en b-to-c, la marque blanche est un pis-aller à éviter. Mais c’est un cas plutôt rare. Le plus courant est de voir une fonctionnalité ou technologie enfouie dans l’offre de son client.
Acquisitions
Un grand nombre de grandes entreprises font de l’innovation ouverte avec en ligne de mire l’acquisition de startups pour accélérer leur adaptation aux évolutions du marché.
C’est là que le bât blesse en France, tout du moins dans le secteur technologique. Très peu de grandes entreprises peuvent s’y targuer de faire de nombreuses acquisitions de startups. Il y a plein de raisons à cela : leur investissement dans l’univers des startups est relativement récent, les grandes entreprises françaises font peu d’acquisition, leur transformation numérique est plutôt lente, et les grands industriels du numérique battent souvent de l’aile avec des plans de restructuration à répétition pour certains (Alcatel-Lucent, Technicolor, Sagemcom, STMicroelectronics). Les plus actifs restent encore les grands éditeurs de logiciels tels que Cegid ou Dassault Systèmes, qui font de temps en temps des acquisitions de startups françaises, et aussi étrangères pour ce dernier.
Qui plus est, l’écosystème numérique français est caractérisé par un surpoids de l’industrie des services informatiques. Or ces sociétés ont des profils très différents de celui des startups et font assez peu d’acquisitions de startups. Tout au plus font-elles l’acquisition d’autres SSII, qui ne correspondent généralement pas au modèle de création, de développement et de risque des startups.
Leçon de l’histoire : l’open innovation en France s’arrête souvent avant les “exit”. Ce qui pousse nombre de startups françaises à se faire acquérir par des groupes étrangers. Il y a quelques exceptions avec les grands acteurs du logiciel tels que Dassault Systèmes qui font souvent des acquisitions dans le monde et aussi en France. On entend aussi dire que Publicis est intéressé par Criteo !
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Le prochain épisode, et pas des moindres, traitera de la clé de voûte de tout le sujet, à savoir la culture d’entreprise qui sous-tend l’innovation ouverte !
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Merci pour les “leçons d’histoire”, c’est précieux.
Dommage qu’Orange soit aussi mauvais pour leur essaimage en interne.
J’essaye de faire sortir un interne pour monter un projet et c’est une catastrophe ! (et je suis loin d’être le seul visiblement)
Mais c’est peut-être traité dans le prochain article 🙂
Très bon article !
Bonjour,
Les commentaires sont fermés sur l’article 4.
Je n’avais plus entendu parler de TRIZ depuis mes cours à Centrale. Est-ce que beaucoup de consultants officient sur cette méthode ?
J’ai réouvert les commentaires sur la quatrième partie, qui étaient fermés “accidentellement”.
Il y a peu de consultants qui utilisent la méthode Triz en France à ma connaissance. Certains inventent d’ailleurs leurs propres méthodes.
Olivier
O Ezratty, #openinnovation: Nice overview !
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http://t.co/zseL3XFO6r