Voici la dernière partie du compte-rendu de ma visite de l’IBC les 10 et 11 septembre 2011 à Amsterdam. Après une première partie consacrée aux caméras et une seconde aux outils de production, nous allons passer à certaines des étapes suivantes, relatives à la gestion et à la diffusion des contenus. Je ne couvrirai pas la “post-production” qui relève du montage et des effets spéciaux, une spécialité sur laquelle je n’ai pas eu le temps de me pencher – mais ce n’est pas faute d’intérêt !
Workflow numérique et stockage
J’avais eu l’occasion de vous présenter le workflow numérique du groupe M6 au printemps 2011 dans une série d’articles. Leur équipement relativement récent témoignait d’une tendance qui affecte toutes les chaines TV. Leur gestion des contenus est maintenant numérisée de bout en bout ou sur le point de l’être. Cela commence avec l’acquisition directe de vidéo via liaison SDI coaxiales qui sont injectées dans les tables de mixage, ou sur cartes mémoires dans le cas du différé ou du reportage. Les outils clés sont ensuite les outils d’ingestion des contenus d’origine diverse, dont les K7 analogiques ou numériques sur bandes, leur conversion dans un format pivot (comme le Digital Archive Exchange Format – AXF – de FrontPorch) qui va pouvoir être exploité dans tous les formats de diffusion (TV broadcast SD et HD, web fixe et mobile, tablettes), la vérification de leur conformité, leur indexation, le stockage et l’archivage, et ensuite, l’utilisation dans les programmes.
Les infrastructures des chaines comprennent donc maintenant comme toute grande entreprise qui se respecte un véritable “data center”. Il mutualise le stockage de tous les contenus vidéo de la chaine. Il est le pivot de la gestion des contenus. Ceux-ci sont exploités pour la diffusion de la chaine tout comme en amont, par les équipes de montage ou de préparation des programmes.
La zone de l’IBC dédiée à ces workflows et au “média assets management” était ainsi remplie de stands que l’on aurait pu voir dans un salon informatique d’antan avec des technologies réseaux (du multi-Gigabits en Ethernet et de la fibre optique), des serveurs et des systèmes de stockage ou d’archivage comme ci-dessous. Je vous passe les détails : je ne me suis pas trop penché dessus faute de temps.
Multi-écrans et cloud
Ce sont deux grosses tendances pour ce qui est de la consommation des médias. La première est une proposition de valeur utilisateur et la seconde plutôt un des moyens de l’assurer.
Tous les éditeurs de middleware et logiciels pour set-top-boxes et opérateurs proposent maintenant leur solution multi-écrans. Avec des variantes selon que l’interface smartphones et tablettes sert de télécommande de la box et/ou pour la réception à part entière des contenus. L’iPad est roi comme l’année dernière et il était bien rare de voir des démonstrations sur tablette Android. Lorsque l’on pose la question sur sa disponibilité, c’est toujours “après” ou “bientôt” ou “plus tard”.
Les interfaces des tablettes permettent de sélectionner les chaines en mode live comme ci-dessous chez Netgem, de programmer ses enregistrements, d’accéder à des contenus à la demande (TV de rattrapage et vidéo à la demande) et parfois, d’accéder à ses contenus personnels sur le réseau et/ou sur la gateway domestique. Cette gateway est parfois le modem ADSL/câble/fibre comme chez Free en France, soit la set-top-box TV équipée d’un disque dur.
Dans l’ensemble, l’esthétique des interfaces que j’ai pu découvrir sur l’IBC n’avait rien de bien nouveau, surtout sur les TV avec des set-top-boxes. Cela reste très traditionnel. Il y a toujours NDS qui se distingue un peu avec Snowflake, qui arrive en version 12 avec un esthétisme très léché et une grande simplicité d’utilisation. La démonstration était effectuée par Olivier Lacour (ci-dessous). Vous pouvez voir à quoi cela ressemble dans cette vidéo. Ce genre d’interface va être déployé chez UPC en Hollande, le projet étant en retard de plusieurs mois chez l’opérateur du câble, et l’est déjà chez Zon au Portugal. Canal+ utilise bien le middleware de NDS, MediaHighway, mais pas cette interface utilisateur. L’interface CanalSat/+ dont nous reparlerons dans un prochain article sur le lancement de rentrée de CanalSat est entièrement conçue en interne chez Canal+.
La télévision numérique n’échappe pas à la mode du “cloud computing”. Le cloud peut y être facilement mis à toutes les sauces. Il a principalement trois utilités :
- Permettre aux opérateurs de diffuser des contenus en direct et en différé (catch-up, VOD, SVOD) à tous les abonnés d’un service, quelle que soit leur localisation à l’échelle d’un pays, d’un continent ou du monde entier. Même si ce dernier cas n’est pas encore en vogue pour ce qui est de la télévision.
- Permettre aux consommateurs d’accéder à ces contenus sur tous écrans connectés : TV, PC/Mac, smartphone, tablettes et autres, et quelle que soit l’endroit où ils se trouvent et le réseau utilisé (Ethernet, Wifi, 3G/4G).
- Permettre aux consommateurs de partager entre leurs différents écrans leurs contenus personnels, typiquement, leurs photos. Pour y répondre, les approches proposées s’appuient soit entièrement sur le cloud, comme chez Google, soit sur la home gateway qui va stocker localement les contenus mais les rendre disponibles sur Internet, soit les deux pour optimiser l’accès en déplacement d’un côté et l’accès dans le foyer de l’autre.
On peut aussi associer à la notion de cloud, l’intégration dans l’expérience utilisateur de services d’origines diverses, comme l’accès aux réseaux sociaux, sous forme de “mash-up”.
J’ai pu découvrir le discours “cloud” chez plusieurs exposants : Cisco (Videoscape Cloud), Netgem (nCloud), SoftAtHome (CloudAtHome, schéma ci-dessous) et ActiveVideo Networks. Netgem et SoftAtHome ont un discours assez voisin, équilibrant le rôle donné à la home gateway, à la set-top-box et au cloud. SoftAtHome est plutôt un fournisseur de middleware d’infrastructure qui couvre aussi bien les set-top-boxes que les gateways tandis que Netgem couvre les set-top-boxes et va jusqu’à l’interface utilisateur. Chez SoftAtHome, on travaille notamment à la synchronisation des contenus entre la gateway et le cloud. C’est un élément clé de l’architecture pour permettre l’accessibilité des contenus de l’utilisateur sur tous ses écrans et en tout lieu. Chez Netgem, la part belle est donnée à la set-top-box TV qui joue le rôle de la gateway de contenus, dotée d’un disque dur voire d’un NAS (serveur de stockage) qui lui est rattaché. La set-top-box joue le rôle de média center et alimente tous les écrans avec les contenus qu’elle a récupéré via Internet ou via une réception TV broadcast (TNT, câble, satellite).
Chez Cisco, on propose surtout une architecture back-end de gestion de l’ensemble. L’offre de l’américain couvre aussi bien l’équipement réseau installé chez les opérateurs que les set-top-boxes avec sa filiale Scientific America. Videoscape avait été lancé pendant le CES 2011, mais sans rencontrer un grand écho. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas d’une offre destinée au grand public. Il s’agissait plutôt d’une sorte d’architecture d’ensemble pour les opérateurs de services et surtout les télécoms.
Dans tous les cas, le cloud est un message envoyé aux opérateurs, surtout télécoms. Il vise à leur permettre de renforcer la valeur de leur service et notamment de leur home gateway (le modem ADSL, câble ou FTTH) tandis que les écrans connectés se banalisent et leur set-top-box TV avec.
TV et réseaux sociaux
Dans la lignée de ce que j’avais entendu à Connected Creativity (Cannes) en avril 2011, Joanna Shields de Facebook a délivré un keynote sur la télévision sociale. Elle a insisté sur la formidable caisse de résonance que constitue Facebook pour optimiser l’audience des contenus TV grâce à une viralité accélérée. Tout en insistant sur la complémentarité des rôles. Facebook semble plus prudent que ne l’est Google pour courtiser les ayant-droits et les chaines ! Signalons au passage l’intervention de Julien Codorniou de Facebook Europe dans la table ronde “How Wikileaks, Facebook & Twitter changed news production forever?” que je n’ai pas pu suivre.
Grâce à son audience qui frôle le milliard d’utilisateurs, Facebook a ainsi réussi à s’imposer dans une grande partie des solutions logicielles de TV connectée, avec son bouton “Like”. De même Twitter est présent à parité d’un point de vue fonctionnel, pour permettre aux Internautes d’émettre avis et alertes sur les programmes qu’ils regardent. Facebook et Twitter sont surtout présents dans les versions tablettes des solutions logicielles multi-écrans. D’autres fournisseurs permettent d’intégrer des flux Facebook et Twitter dans les programmes directement en régie.
L’approche était poussée à l’extrême dans une démonstration “du mur” sur un mur d’écrans chez NDS. Avec l’intégration de contenus TV, de flux Twitter, de fils de news RSS et autres interactions ou liens avec des ressources Internet. Elle était la mieux illustrée avec l’émission de TV réalité anglaise “X Factor”. Il ne manquait plus que la visioconférence, un peu comme dans “Retour vers le futur 2” (1989) pour ceux qui se rappellent de ce film.
Autres technologies
Sur l’IBC, on pouvait voir plein de stands sur un tas d’autres technologies liées à la télévision et au cinéma numérique que je je vais survoler rapidement de manière illustrée :
- Le mixage vidéo et mixage audio avec des sociétés comme Grass Valley, Kahuna, Snell ou Studer (ci-dessous). Le mixage fait de plus en plus appel à une hybridation associant contrôleurs physiques (potentiomètres divers) et écrans tactiles.
- Les solutions de montage chez Adobe et d’effets spéciaux chez Autodesk, qui sont les références du marché.
- L’étalonnage couleur avec des sociétés comme NuCoda ou Quantel.
- La mesure de la qualité de service (IPTV) tout comme la mesure de signal (TNT, satellite, etc) chez Rohde & Schwarz ou Narda.
- Les solutions pour le marché de l’hospitality avec notamment les français Anevia (serveurs de diffusion) et Vianeos (logiciel IPTV). Anévia présentait sur son stand son serveur de diffusion IPTV Flamingo XL (ci-dessous). A base de processeur Intel Core i7, ce serveur a jusqu’à 80 entrées satellite qu’il réencode en flux IPTV pour alimenter une collectivité ou un hôtel par un réseau local Ethernet. Tout fonctionne en mémoire. Le système est optimisé avec un système de câblage propriétaire à l’intérieur du serveur. Il est aussi équipé de 13 lecteurs de cartes CAM permettant le décryptage d’autant de bouquets de programmes TV protégés. Les premiers clients sont des hôtels dans les Emirats qui veulent offrir la palette la plus large de chaines TV à leurs clients qui viennent du monde entier. Dans ce marché de l’hospitality, Anévia a ainsi 500 clients dans 70 pays et 1000 déploiements, le tout reposant sur un réseau de 200 VARs. Mais 60% du chiffre d’affaire de la société est réalisé avec des opérateurs télécoms avec des solutions hard+soft de streaming vidéo plus classiques.
- L’émission et la réception satellite avec des antennes voire des cars-antenne.
- La projection avec différents engins de compétition pour les salles de cinéma vus chez Christie et Kinoton (ci-dessous)
- L’affichage multi-écrans avec notamment le suédois Dataton, spécialiste des logiciels pour la projection multi-écrans qui sortait la version 5 de Watchout qui ajoute le support d’objets en trois dimensions, l’affichage en stéréoscopie, et le support de l’iPad comme source vidéo.
Par contre, ce salon ne présentait pas d’écrans de TV ni de dispositifs grand public hors set-top-box. C’est pour le CES de Las Vegas et l’IFA de Berlin !
Les éléphants sont restés au zoo
Trois “éléphants” américains du marché de la télévision numérique n’étaient pas ou peu présents sur le salon :
- Google n’avais pas de stand. Ses technologies Android et Google TV étaient tout aussi absentes. Il y avait juste quelques set-top-boxes sous Android à se mettre sous la dent chez des chinois “no name” (ci-dessous). Discrètement, Google prépare le lancement d’une nouvelle mouture de Google TV en tirant parti des leçons de l’échec de la première mouture. Eric Schmidt a annoncé un lancement en Europe en 2012. Donc, watch-out !
- Apple était à la fois omniprésent et absent. Omniprésent avec l’iPad comme l’année précédente et aussi le protocole AirPlay qui est parfois utilisé pour récupérer des contenus provenant de l’univers Apple. Mais absent car il n’y avait pas d’Apple TV. Cela n’intéresse personne et pour cause : l’Apple TV concurrence à la fois les éditeurs et les constructeurs de tout l’écosystème de la télévision tout comme les opérateurs !
- Microsoft n’avait plus de stand comme l’année dernière mais juste une suite pour recevoir ses clients. Dans le marché de la télévision, Microsoft se positionne de plus en plus comme fournisseur de logiciels d’infrastructure et de middleware : avec les fonctions de streaming vidéo de Windows Server, avec Silverlight et son populaire “smooth streaming” et avec son DRM PlayReady qui s’est fait une bonne place sur le marché en étant notamment intégré dans les spécifications de la TNT 2.0. Il est aussi présent dans le marché de l’IPTV via sa solution Mediaroom dont le futur semble incertain et avec surtout le XBOX qui est un support de choix pour recevoir la télévision. C’est notamment le cas avec Canal+ qui a poussé très loin l’exploitation de la XBOX 360, jusqu’à supporter Kinect. Quand à la fonction Media Center de Windows, on a appris récemment qu’elle était sauvée des eaux dans Windows 8 mais ne bénéficiera pas d’améliorations substantielles.
Par contre, l’IBC regorge toujours autant de boites françaises, surtout dans le logiciel (SoftAtHome, WizTivi, Spideo, HTTP, Logiways, …), dans le Media Assets Management (comme avec SGT/Vivesta), dans la 3D (Binocle, Stéréolabs), dans le streaming vidéo (Anévia, ATEME, etc), dans le matériel (L’Aigle, Angénieux, XD Motion, etc) sans compter de plus gros acteurs tels que Thomson Broadcast, ATOS ou TDF. Une grande partie des petits exposants français étaient rassemblés dans des villages “France” dans chaque hall, organisés par la CCIP. Dans un autre article à venir, je ferai le point de tous les acteurs français de la TV connectée.
Le meilleur et le pire du marketing
J’ai noté la forme maintenant très convenue du “marketing d’écosystème” pour les marques blanches. Les constructeurs de set-top-boxes ou éditeurs de logiciels valorisent leur présence sur le marché avec des panneaux listant l’ensemble de leurs clients. Comme ci-dessous avec le fabricant de set-top-boxes anglais Amino. Cette pratique très répandue requiert du discernement dans l’analyse car ces logos ne sont pas tous égaux en signification !
Pour le prix du marketing le plus nase du salon, j’ai trouvé cette année la boite russe ISPA et sa tagline : ”A group of companies” qui manque quelque peu de différentiation. Il s’agit d’un conglomérat de sociétés de services qui serait numéro 2 en Russie et dans les anciens pays de l’URSS dans la télévision numérique.
Conclusion
En résumé, j’ai noté les points clés suivants dans cette édition de l’IBC :
- L’évolution de la production cinématographique vers le 4K, qui aligne définitivement le numérique sur l’argentique en termes de qualité d’image.
- De nombreuses innovations plutôt “mécaniques” pour supporter caméras et appareils photos réflexes.
- De l’éclairage LED qui s’améliore en performance et en contrôle de la température de couleur. Dans ces métiers aussi, il faut faire des économies d’énergie !
- Des studios virtuels de plus en plus sophistiqués pour la télévision.
- Des workflows numériques et dématérialisés de bout en bout pour la production télévisuelle et cinématographique.
- La généralisation des scénarios de consommation de contenus multi-écrans avec la tablette reine de l’alternative à l’écran de TV.
- Le cloud computing comme solution technique pour alimenter tous les écrans des consommateurs.
Prochains épisodes sur ce blog : petite analyse de l’impact de Windows 8 sur le marché des tablettes, et des annonces récentes de CanalSat/Canal+.
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Bravo Olivier pour ce tres bon compte rendu du dernier IBC.
Merci.
Bonjour,
Pourquoi CANOn ne sort-il pas une caméra vidéo avec tous les avantages de l’image du Canon 5D Mak2 ?
Merci
No idea.
Peut-être des conflits d’intérêts entre business units concurrents (vidéo et photo).
Il y a eu des rumeurs sur un split de l’offre des 5D II avec un modèle orienté vidéo et un modèle plus orienté photo.
La sortie du 5D III est située entre octobre et février/mars prochain selon les rumeurs.